16 juin 2017

[Paix Liturgique] Internet, vecteur de la messe traditionnelle au Costa Rica

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°598 - 16 juin 2017

En mission au Costa Rica lors de la Semaine Sainte, l’abbé Matthieu Raffray, supérieur de la Province d’Amérique latine de l’Institut du Bon Pasteur (IBP), y a mesuré l’attrait de la forme extraordinaire auprès de jeunes catholiques qui l’ont découverte grâce à Internet ! Il a volontiers accepté de nous faire part de son expérience et nous en avons profité pour lui demander de faire un point sur l’essor de l’IBP dans la région.

I – ENTRETIEN AVEC L’ABBÉ RAFFRAY

1) M. l’abbé, pouvez-vous nous faire l’état de votre implantation en Amérique latine ?
Abbé Raffray : La Province d’Amérique latine de l’Institut du Bon Pasteur est encore jeune, mais elle est pleine d’avenir ! Outre moi-même, qui en assure la charge de supérieur tout en résidant à Rome (1), nous y avons actuellement dix prêtres en activité (plus un prêtre malade, en repos) : à savoir quatre à Bogota, en Colombie, et les autres au Brésil – deux à São Paulo, deux à Brasilia et deux à Belém do Para, en Amazonie.
Nos prêtres, mis à part deux anciens (les abbés Navas et Pinzon), sont tous de jeunes lévites formés entièrement dans le séminaire de notre Institut, ouvert à Courtalain en 2006, et ordonnés entre 2012 et 2016. Leur jeunesse est un gage d’enthousiasme et de dynamisme ! Quasiment tous sont des "fondateurs" car ils sont le plus souvent chargés d’ouvrir une maison, de commencer un apostolat, de se déplacer pour assurer le ministère auprès des groupes de fidèles demandeurs de la messe traditionnelle, etc...
Nous avons aussi en effet trois missions, qui consistent en des lieux de messe desservis régulièrement mais, pour le moment, sans implantation sur place : au Costa Rica d’une part, et à Recife et à Curitiba d’autre part, deux grandes villes du Brésil, l’une située au nord-est et l’autre au sud du pays. Nous avons aussi d’autres projets pour le futur, par exemple au Pérou ou en Argentine, où nous cherchons à nous implanter pour répondre aux appels pressants des fidèles... Nous confions tout cela à la Providence Divine !
2) Avec quatre prêtres, Bogota est donc le centre de votre apostolat ?
Abbé Raffray : C’est notre implantation historique mais le lieu où notre apostolat est le plus développé est notre église de Brasilia, construite grâce à la générosité des fidèles et inaugurée en 2014 : nous y avons désormais presque 400 fidèles chaque dimanche ! Nous y avons un projet important en cours : la construction d’une école, qui devrait ouvrir dès la rentrée prochaine ! Nos églises à São Paulo et Belém sont aussi bien remplies et les projets nouveaux ne manquent pas : le Brésil est une terre immense, un continent à lui tout seul, où des groupes nous appellent de toutes parts pour recevoir la visite de nos prêtres... Mais il nous faut être patients car nous avons choisi de favoriser la stabilité des communautés déjà implantées plutôt que de multiplier les missions.
Heureusement, nous pourrons bientôt continuer notre développement, car nous avons actuellement une douzaine de séminaristes originaires d’Amérique latine en formation à Courtalain, parmi lesquels deux diacres brésiliens qui seront ordonnés à Bordeaux ce 1er juillet 2017. D’ailleurs, en raison des nombreuses candidatures que nous recevons, nous allons ouvrir cette année un pré-séminaire au Brésil, afin d’y recevoir les candidats, de les connaître et de les sélectionner. Après avoir acquis les bases humaines, spirituelles et liturgiques nécessaires, ils pourront ensuite rejoindre Courtalain pour s’y préparer au sacerdoce.
3) Vous avez effectué à la veille de Pâques une mission au Costa Rica où l’un de vos prêtres vous avait précédé en fin d’année dernière : quelle place tient la religion catholique dans ce pays ?
Abbé Raffray : Je me suis en effet rendu au Costa Rica durant la dernière Semaine Sainte, en compagnie de l’un de nos prêtres qui y va maintenant régulièrement, une fois par mois, depuis octobre dernier. Le Costa Rica est un petit pays d’Amérique Centrale, où la foi catholique est encore très vivante et majoritaire. Par exemple, j’ai été frappé du nombre très élevé de confessions pendant la Semaine Sainte – pratique qui est encore très développée –, ainsi que par les magnifiques processions qui la rythment et auxquelles presque toute la population participe. Dans nos pays de vieille Chrétienté, malheureusement, ces dévotions populaires ont presque partout disparu – au point d’être parfois méprisées, même par le clergé – alors qu’elles sont pourtant un ferment social pour l’évangélisation et l’aspect visible de la vie chrétienne...
Proportionnellement, il y a encore au Costa Rica de nombreux prêtres et beaucoup de séminaristes, mais quasiment aucun d’entre eux ne sait ou n’a le temps de célébrer la messe tridentine, et souvent leur formation laisse à désirer ! La théologie de la Libération est encore assez présente chez certains prêtres ou dans certaines régions, même si elle n’est pas répandue partout, heureusement !
Nous avons en fait été invités au Costa Rica par un groupe de jeunes fidèles très actifs, constitués en association sous le nom de « Summorum Pontificum Costa Rica ». Bien connu des autorités diocésaines, ce groupe est très présent sur Facebook, par exemple, ce qui leur a permis de se faire connaître à travers tout le pays. Ils annoncent les messes, publient de nombreuses photos, et postent même parfois des vidéos des messes en direct... Comme quoi le progrès technique peut être mis au service de la tradition et de la nouvelle évangélisation !
Ce qui me semble le plus remarquable chez ces fidèles qui ont, quasiment tous, découvert l'usus antiquior grâce au motu proprio et par Internet, c’est qu’ils aient voulu non seulement y assister régulièrement mais aussi recevoir la formation doctrinale qui va avec. Ils ont trouvé dans la liturgie tridentine la Tradition dans toute sa splendeur et sans restriction : ils y voient la meilleure façon d’exprimer leurs exigences et leurs coutumes religieuses, le lieu où ils peuvent puiser une nourriture solide pour leur âme. Ce n’est donc pas un attachement de sensibilité ou d’esthétique qui les réunit, mais bien une motivation doctrinale et théologique : cela est très encourageant, car ils comprennent bien la nécessité des communautés traditionnelles où les prêtres sont formés pour cette mission particulière.
4) Avez-vous noué des contacts avec le clergé local ?
Abbé Raffray : Nos rapports avec le clergé local sont excellents et fraternels : quelques prêtres nous soutiennent très fortement et seraient très heureux de nous voir nous implanter de façon plus stable dans leur diocèse. Il faut dire que tous les fidèles nouveaux venus à la Tradition sont engagés dans leurs paroisses, ce qui facilite grandement nos relations. Le plus souvent les liturgies paroissiales ont en effet gardé un caractère sacré et solennel. Au Costa Rica, la communion dans la main est rare et le respect dû aux sacrements et à la présence réelle est encore grand.
5) Avez-vous d’autres projets à nous présenter?
Abbé Raffray : Oui : nous avons lancé il y a un an le projet d’une communauté de religieuses actives, près de notre maison de Bogota. C’est une communauté indépendante, reconnue (pour l’instant de manière non officielle) par l’évêque du lieu, mais qui est liée liturgiquement et spirituellement à l’IBP. Cette communauté s’appelle les « Servantes réparatrices de la Sainte Famille » et elle se dédie particulièrement à la formation de foyers catholiques et à l’apostolat auprès des familles : accueil et soutien de filles mères, éducation chrétienne des enfants, formation à la paternité et maternité catholique, etc. Trois jeunes filles ont commencé leur noviciat cette année et déjà plusieurs autres vocations se présentent. Cette communauté me semble pleine d’espérances et pleine d’avenir, surtout parce qu’il n’existe pas d’autre communauté féminine de vie active dans le monde hispanique de la Tradition.
Je confie donc cette nouvelle communauté et leur apostolat à vos prières : si des jeunes filles françaises veulent faire connaissance avec cette communauté, qu’elles n’hésitent pas à me contacter !

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


1) Il est heureux de voir le développement paisible des missions traditionnelles dans les pays d’Amérique latine. Le champ d’apostolat y est immense et, nonobstant les ravages passés et présents de la théologie de la Libération (2), il semble bien qu’il n’y ait pas dans la plupart de ces pays les barrières idéologiques qui peuvent exister en Europe. Ces pays d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale sont encore de matrice fortement catholique, même si l'idéologie laïciste y progresse à grands pas et si les sectes d’origine protestante y pullulent avec succès. Comme nous le confirme l’abbé Raffray, il s’y trouve toute une frange catholique désireuse de se former et de se fortifier, en quête d’une pratique liturgique et spirituelle plus traditionnelle.

2) Au Costa Rica comme à Brasilia, la puissance missionnaire de la liturgie traditionnelle est encore une fois démontrée. Summorum Pontificum est bel et bien un don fait à toute l'Église et un instrument au service de la nouvelle évangélisation et du réveil de la foi. Grâce au motu proprio, non seulement la liturgie traditionnelle enthousiasme des fidèles qui ne la connaissaient pas auparavant mais, comme le précise l'abbé Raffray, alimente en eux le désir de recevoir aussi « tout ce qui va avec », à commencer par la doctrine catéchétique ferme et solide transmise par la tradition catholique. 

3) Comme nous avons souvent eu l’occasion de le souligner, et comme l'illustre l'exemple du Costa Rica, une grande part de l’essor de Summorum Pontificum à travers le monde passe par les nouvelles technologies. Une des explications est que, comme l'écrivait Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques du 7 juillet 2007, le motu proprio s'adresse en particulier à un public jeune et enthousiaste (3). Souvent dépourvus de relais ecclésiastiques officiels et de moyens financiers, ces jeunes ont tout naturellement tendance à utiliser les ressources à leur portée, à commencer par les réseaux sociaux. Ainsi, la page Facebook du pèlerinage international Populus Summorum Pontificum à Rome compte aujourd’hui 35 000 abonnés, dont près de 60% ont moins de 35 ans. Sur YouTube mais aussi sur Instagram, les images de messes célébrées selon la forme extraordinaire du rite romain font florès et sont partagées par des milliers d’internautes. Rien d'étonnant donc à ce que, au final, on retrouve un peu partout des jeunes à l'origine des groupes de demandeurs de l’application du motu proprio, que ce soit en Indonésie, au Costa Rica, à Hong-Kong ou en Slovénie.

4) Nous ne pouvons que relayer l’appel de l’abbé Raffray à soutenir l’œuvre de l’IBP en Amérique latine : « Les nombreuses vocations originaires de ces pays catholiques, de culture latine, doivent être encouragées et soutenues, car ce sont là des semences d’espérance pour notre Europe chrétienne ! Pour cela, nous avons besoin de l’aide de nouveaux bienfaiteurs, notamment pour financer la formation de nos séminaristes et mener à bien tous nos projets. J’en profite pour remercier ici de tout cœur ceux qui nous soutiennent déjà, aussi bien par leurs prières que par leur aide financière : il est très consolant pour nous, prêtres, de voir que les fidèles savent se mobiliser et sont prêts à faire parfois de grands efforts pour participer à l’œuvre d’évangélisation, apportant ainsi leur pierre pour la construction du Royaume de Dieu. Deo Gratias ! »

> Cliquer ici pour soutenir l’apostolat de l’IBP en Amérique Latine.
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1) M. l'abbé Raffray enseigne à l'Université Pontificale Angelicum (voir notre lettre 526).

(2) Moins marxisante que jadis, la théologie de la Libération demeure très libérale religieusement.

(3) « Il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. » (Benoît XVI, Lettre aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum)