3 juillet 2009

[La Vie] Interview exclusive de Mgr Tissier de Mallerais

SOURCE - 03.07.09

«Jamais nous ne signerons de compromis» - par Joséphine Bataille

Parmi les quatre évêques de la Fraternité Saint Pie X, Bernard Tissier de Mallerais, biographe du maître, Mgr Lefèbvre, est considéré comme «l’intellectuel» du groupe, et apparaît comme le tenant d'une ligne dure assumée. Sans équivoque dans sa condamnation du Concile Vatican II, il n'hésite pas à afficher le fond de sa pensée en des termes qui ne font pas de place à la concession. Et avec ce qu'il qualifie de «nouvelle religion» — le catholicisme depuis Vatican II —, il maintient qu'il refusera tout compromis.

A côté, le supérieur général, Bernard Fellay, artisan du rapprochement de la FSSPX avec Rome, cherche très clairement — et c'est son rôle — à ménager la chèvre et le chou, en assurant les fidèles de sa fermeté, et Rome de son esprit de conciliation. L'élocution onctueuse et le sourire toujours aux lèvres, usant et abusant des métaphores, il cultive le flou de ses déclarations comme pour ne fermer aucune porte. Confiant en «l'intervention de la Providence» dans la résolution des conflits même apparemment insolubles, et globalement très politique, l'évêque d'origine suisse ne se départ jamais d'un optimisme — réel ou de façade. D'ailleurs il se dit sûr de la bonne volonté de Benoît XVI, et de la proximité potentielle de leurs pensées respectives. «En fait, le problème n'est pas théologique, mais philosophique», déclarait-il le 29 juin. « Le pape, marqué par la philosophie moderne, insiste sur le sujet; nous, héritiers de la philosophie scolastique, insistons sur l'objet. Mais si ça se trouve, nous parlons de la même chose!»

Rien de semblable chez Mgr Tissier de Mallerais, qui n'envisage nullement les différends sous l'angle de la clarification des interprétations. En 2008, pour la revue américaine de la Fraternité, The Angelus, il disait déjà clairement le fond de sa pensée, désignant à travers les communautés Ecclesia Dei (qui sont en pleine communion avec Rome), la voie à ne pas suivre. «Ils ont dû accepter de ne jamais critiquer le second Concile du Vatican ni la Nouvelle Messe. Ils ont été bâillonnés, et ils ont accepté de demeurer silencieux. C’était là le prix de leur “réconciliation.”», tançait-il.

Depuis la levée des excommunications intervenue le 21 janvier, l'évêque d'origine française n'a pas changé de position, et n'hésite pas à le dire, quand ses deux acolytes — Alfonso de Galarretta, toujours sur la réserve, et Richard Williamson, nettement plus incisif mais clairement mis sur la touche depuis ses déclarations négationnistes — ne font guère entendre leur voix.

Bernard Tissier de Mallerais suivra donc de près les débats théologiques qui sont supposés s'ouvrir avec le Vatican, dès que Benoît XVI aura formalisé le rattachement de la Commission «Ecclesia Dei» — chargée du rapprochement avec les communautés traditionalistes — à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Lundi 29 juin, à l'occasion des ordinations, à Ecône, il livrait à La Vie ses priorités.


Comment la Fraternité Saint Pie X se prépare-t-elle en vue des discussions théologiques qui doivent avoir lieu avec le Vatican?

Le supérieur général de la communauté a nommé tout récemment une commission composée d’une dizaine de prêtres qui sont spécialistes de la doctrine. Ils ont fait leur théologie à Ecône ou sont professeurs de séminaires ; ils seront capables d’exposer nos reproches au Concile et de répondre aux objections qui nous seraient faites. Les quatre évêques de la Fraternité sont également impliqués ; ils ont une fonction de supervision.

Ces discussions devraient donc pouvoir s’ouvrir dès que Rome en aura fixé le cadre?

Non, car il faudra d’abord que nous ayons déterminé l’ordre dans lequel nous aborderons les différents sujets ; il faut aller dans un ordre croissant de difficulté, et résoudre un point après l’autre. Nous allons émettre nos souhaits.

Quels sont-ils?

Il faut commencer par la liturgie ; ce serait le plus simple, car l’on pourra montrer la déficience du nouveau rite des ordinations sacerdotales, par exemple. Déficience qui, en revanche, lorsqu’on parle de la nouvelle messe, tient plutôt de la contradiction pure et simple; car c'est une nouvelle théologie qui s'y exprime, donc une autre religion. Ensuite doivent venir l’œcuménisme et de la liberté religieuse ; des thèmes qui sont beaucoup plus graves, parce qu’ils engagent la foi. La question de la collégialité des évêques ne peut venir qu’à la fin car c’est la plus difficile.

Quand vous parlez de régler les dissensions, est-ce que vous envisagez la voie du compromis, qui permettrait que coexistent vos positions et celles de Rome?

Jamais nous ne signerons de compromis ; les discussions n’avanceront que si Rome réforme sa manière de voir et reconnaît les erreurs dans lesquelles le Concile a mené l’Eglise.

En attendant la résolution des conflits, êtes-vous ouvert, comme Mgr Fellay dit l’être, à l’adoption d’un statut intermédiaire pour la Fraternité?

La condition sine qua non pour que l’on s’interroge sur le statut à donner à la Fraternité Saint Pie X, c’est la résolution de nos dissensions. En attendant, nous conserverons le statut qui est le nôtre actuellement ; il n’y a aucune urgence à le faire évoluer, et nous ne changerons rien à notre apostolat. Par conséquent, les discussions pourront et devront prendre le temps qu’il faudra.

Propos recueillis à Ecône par Joséphine Bataille