10 juillet 2009

[Présent] Sainte-Anne d’Auray retrouve la splendeur de la liturgie traditionnelle

SOURCE - Présent - 10 juillet 2009
Jeanne Smits
- Numéro daté du 11 juillet 2009

A l'occasion de l'ordination de deux prêtres de l'Institut du Bon Pasteur

Depuis combien de temps la basilique Sainte-Anne d’Auray n’avait-elle pas connu la solennité et la richesse d’une célébration pontificale selon le rite aujourd’hui qualifié – à juste titre, serait-on tenté de dire ! – d’extraordinaire ? L’ordination sacerdotale de deux diacres formés par l’Institut du Bon Pasteur, le samedi 4 juillet en la basilique dédiée à la Mère de la Vierge Marie, a été l’occasion ou plutôt le providentiel prétexte de cette nouvelle avancée vers une remise en perspective liturgique dans l’Eglise. Avec Dieu au centre. Avec le saint Sacrifice offert sur le maître autel. Avec le grégorien, les motets anciens et les cantiques traditionnels bretons. Trois heures de cérémonie, à cette aune-là, passent bien vite. N’est-ce pas le lieu et le moment où le ciel touche la terre?

Les deux ordinands étant Bretons, le choix du Morbihan pour cet événement central qui allait les faire prêtres pour l’éternité était, somme toute, normal, même si l’Institut du Bon Pasteur, depuis sa création en 2006, n’a pas d’attaches particulières dans ce diocèse. On l’attendait plutôt à Bordeaux, où il est officiellement accueilli, ou encore à Rome, où ses séminaristes suivent une partie de leur formation.

D’ailleurs la presse locale – surtout Ouest-France, claquemuré dans son ringard cléricalisme démocrate-chrétien – aurait préféré que l’événement se déroulât n’importe où, mais ailleurs. Une véritable kabbale médiatique fut montée quelques jours avant les ordinations par les différents journaux bretons qui dénoncèrent l’attitude de l’évêque de Vannes, Mgr Raymond Centène, coupable à leurs yeux d’accueillir une «communauté traditionaliste» dirigée par l’abbé Laguérie, ancien curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et issu du mouvement «lefebvriste», donc forcément quelque part «intégriste».

D’où quelques commentaires bien fielleux, comme celui-ci de Christian Gouerou (nous respecterons ses fautes d’orthographe !) dans le quotidien de François-Régis Hutin dont il ne faut surtout pas sous-estimer l’influence : avec quelque 800 000 exemplaires vendus chaque jour, Ouest-France pèse lourd dans la vie bretonne. «La cérémonie ne va pas sans grincements de dents», pouvait-on y lire à l’avant-veille des ordinations. «Qu’en pense le clergé local ? “Vous comprendrez bien que je ne souhaite pas m’exprimer, répond le père André Guillevic, en charge de la paroisse. Nous ne faisons qu’obéir à ce qui nous ait (sic) demandé par Rome par l’intermédiaire de l’annonciature (re-sic) apostolique de Paris.” Ce qu’il faut comprendre, et que les prêtres ne peuvent dire, c’est que le clergé local a d’abord refusé ces ordinations avant de devoir dire “amen”. L’évêque de Vannes s’y serait lui-même opposé.»

On appréciera le ton de cette réponse, que l’abbé de Tanoüarn, de l’Institut du Bon Pasteur lui aussi, a dénoncé de manière cinglante sur son blog.

L’opposition de Mgr Centène, suggérée par le recteur (qui tout de même accueillait les ordinations !) n’est pas avérée. La réalité des faits, c’est que grâce à son accord, deux nouveaux prêtres ont pu être donnés à l’Eglise, qu’ils ont pu être ordonnés «au pays», entourés de leurs proches qui, pour certains d’entre eux, devaient découvrir la liturgie traditionnelle pour la première fois. Cela aussi, c’est un apostolat !

Un certain nombre de catholiques attachés à la liturgie traditionnelle ont pris argument du communiqué plutôt froid par lequel Mgr Centène a voulu mettre fin aux polémiques déclenchées contre lui dans la presse pour dénoncer – sur le Forum catholique, par exemple – «son» texte «lamentable». Mgr Centène a fait dire, alors qu’il était absent de son diocèse, que l’IBP est une «société cléricale de droit pontifical», qu’il a «pris avis auprès de la Nonciature apostolique», qu’il n’y avait pour celle-ci «pas de raison de leur opposer un refus». Et de préciser que l’ouverture de la basilique «n’engage ni les options ou orientations du diocèse ni les choix liturgiques des diocésains», d’autant que les deux nouveaux prêtres «n’exerceront pas de ministère dans le diocèse de Vannes».

On peut trouver cela timide, manquant de chaleur, à la limite de l’hostilité. Mais nous touchons sans doute là de très près l’hostilité militante qui dans les diocèses bretons, où subsistent tant de prêtres de la génération soixante-huitarde qui s’opposent ouvertement ou sournoisement à tout ce qui met en cause leur manière de faire, frappe toute tentative de «réforme de la réforme». Mgr Centène a fait dire quelques évidences pour couper court à la fronde, quelques évidences qui se trouvent être des vérités dénuées de toute fioriture ; mais la réalité, c’est qu’il a tenu bon. Qui dira un jour les persécutions et peut-être même le martyre subi par ces nouveaux évêques aux prises avec un «appareil» bien rodé, installé, appuyé sur la raideur et l’arrogance d’équipes liturgiques et pastorales qui croient détenir l’autorité dans des diocèses où la pratique religieuse s’est étiolée? Qui dira les œuvres que, discrètement, ils ont soutenues, épaulées, pour que la doctrine de l’Eglise soit toujours enseignée et vécue?

A Sainte-Anne d’Auray, c’est dans une basilique comble et dans une atmosphère de grandeur et de sérénité que deux jeunes prêtres ont reçu le pouvoir de rendre Jésus notre Dieu présent sur les autels. Ils ont été ordonnés par un prélat italien, Mgr Appignanesi, archevêque émérite de Potenza en Italie, venu avec beaucoup de bonté remplacer Mgr Joseph Madec, trop souffrant pour conférer le sacrement mais présent d’un bout à l’autre de la cérémonie. Le lendemain, une première messe fut célébrée en l’église Saint-Patern de Vannes en présence de Mgr Appignanesi. Autant de « petits pas bien décidés » vers la restauration liturgique.

Le lendemain, j’entendais un bon villageois morbihannais commenter la photo des ordinations qu’il avait vue dans le journal du coin : «Il y a eu deux ordinations à Sainte-Anne d’Auray. Ils sont comme les prêtres d’autrefois. Des vrais prêtres, quoi!»

JEANNE SMITS