18 juillet 2009

[Monde&Vie] Que faut-il attendre du dialogue entre Rome et la FSSPX ?

Monde&Vie - Claire Thomas - 18 juillet 2009


Que faut-il attendre du dialogue entre Rome et la FSSPX ?

Portraits des acteurs du Renouveau

Marginalisée mais toujours au centre des débats, la Fraternité Saint-Pie X fait couler beaucoup d’encre en ce moment…

Le pape Benoît XVI a publié le 8 juillet dernier un Motu proprio daté du 2 dans lequel il officialise la réorganisation de la Commission Ecclesia Dei qui, depuis le 2 juillet 1988 était chargée de dialoguer avec la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et de réincardiner les prêtres qui souhaitaient rester fidèles à la Tradition dans ses formes immémoriales. Le titre de ce document est éloquent : Ecclesiae unitatem. Les premières lignes sont une revendication claire de son autorité pontificale. La charge de l’unité de l’Eglise incombe au pape. Et à personne d’autre ! Il est « le principe et le fondement permanent et visible de l’unité des évêques et des fidèles ». On trouvera peu de textes depuis la fameuse Nota praevia que Paul VI avait été obligé d’adjoindre à la Constitution Lumen gentium, qui affirment avec une telle force le rôle invariable du pape dans l’Eglise.

Dans l’esprit de Benoît XVI, il est patent que les discussions doctrinales qui mobiliseront la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (ex-Saint Office) à laquelle la Commission Ecclesia Dei vient d’être rattachée, devront être une occasion de manifester son autorité. Il prévient. Il avertit. On ne saurait être plus clair. A la fin du texte, il précise qu’ultimement, il s’impliquera personnellement dans le jugement à porter sur les discussions qui auront eu lieu.

Existe-t-il un document symétrique de Mgr Fellay, érigeant une structure de dialogue avec Rome. Oui. Il s’agit d’un texte du 27 avril 2009. Mgr Fellay nomme un certain nombre de prêtres comme débatteurs ou comme consulteurs et il donne lui aussi ses objectifs. Il s’agit pour lui de « faire résonner plus fortement dans l’Eglise la voix de la doctrine traditionnelle ». Il émet un vœux : « Puissent ces discussions déboucher sur les bases d’un véritable renouveau doctrinal pour l’Eglise notre Mère ». On ne peut s’empêcher de remarquer que la perspective de Mgr Fellay est très différente de celle du pape. Il ne cherche pas d’abord un quelconque « retour à l’unité » pour répondre à « l’appel de Dieu ». Il entend plutôt apporter à l’Eglise universelle le charisme de vérité qui est celui de la FSSPX dans la crise de l’Eglise.

Deux perspectives très différentes

Cela étant posé, sa marge de manœuvre, comme responsable au plus haut niveau est extrêmement étroite. D’une part il se défend de vouloir faire la leçon à l’Eglise universelle, comme il le dit vigoureusement dans l’entretien du 21 juin dernier qu’il a donné à Die Presse, à l’occasion des ordinations de Zaitzkofen, très mal vues par les évêques allemands, qui, s’appuyant sur les déclarations négationnistes de Mgr Williamson, avaient cherché à en obtenir l’interdiction : « Nous ne pouvons pas prétendre dicter comment et quoi penser dans l’Église. Cela n’a jamais été notre conception. Nous disons simplement ce que l’Église a toujours enseigné, tandis qu’à présent règne la confusion. Nous demandons la clarté. » Ailleurs Mgr Fellay précise, de manière un peu plus offensive : « Je comparerais notre rôle à celui d’un thermomètre, qui indique que le corps a de la fièvre. Et donc, qu’il y a un problème qui doit être résolu. Ce n’est pas notre problème particulier, mais celui de la direction de toute l’Église. L’Église souffre d’une crise grave, mais à Rome on veut si bien la soigner, que la maladie ne cesse de se développer sans qu’on puisse y voir de fin ! Nous proposons les mesures qui peuvent vraiment aider. »

Il ne dit pas quelles sont ces mesures, mais on devine qu’il ne se contenterait pas du Motu proprio de 2007 sur la liberté de la messe traditionnelle et qu’il entend obtenir bien davantage.

Dans l’entretien qu’il a confié à La Vie, le 3 juillet dernier, Mgr Tissier de Mallerais fait entendre le même son : il ne cherche pas à obtenir quoi que ce soit de Rome, il veut lui apporter quelque chose. Mais il ne prend pas les mêmes précautions que son supérieur pour le dire : « Jamais nous ne signerons de compromis ; les discussions n’avanceront que si Rome réforme sa manière de voir et reconnaît les erreurs dans lesquelles le Concile a mené l’Église ».

Mgr Tissier de Mallerais ne va pas trouver le pape comme on va vers le juge de la foi et vers « le principe et le fondement permanent et visible de l’unité entre les prêtres et les fidèles ». Il estime à l’inverse, et il ne se prive pas de le dire, même à un périodique qui ne passe pas vraiment pour philo-traditionaliste, que c’est Rome qui doit changer, que le principe et fondement n’est plus le principe et fondement et qu’il doit le redevenir, en renonçant aux erreurs qui l’ont entaché.

Mgr Tissier de Mallerais a sa petite idée sur le modus operandi de ces dialogues. Il cherche d’abord l’angle d’attaque le plus facile : « Il faut commencer par la liturgie ; ce serait le plus simple, car l’on pourra montrer la déficience du nouveau rite des ordinations sacerdotales, par exemple. Déficience qui, en revanche, lorsqu’on parle de la nouvelle messe, tient plutôt de la contradiction pure et simple ; car c’est une nouvelle théologie qui s’y exprime, donc une autre religion. Ensuite doivent venir l’œcuménisme et la liberté religieuse ; des thèmes qui sont beaucoup plus graves, parce qu’ils engagent la foi. La question de la collégialité des évêques ne peut venir qu’à la fin car c’est la plus difficile ». Les catégories théologiques mises en œuvre sont redoutables et inquiétantes : théologie nouvelle donc religion nouvelle (comme s’il n’y avait pas, à chaque époque des théologies nouvelles dans l’Eglise). Enfin « question de foi ». Dans ce dernier cas, dans le cadre du vieux Palais du Saint Office, cette jolie bâtisse, ce sobre Palazzo à colonnades, qui s’élève depuis le XVIe siècle dans le prolongement de Saint Pierre de Rome, les discussions doctrinales opposeraient un Mgr Tissier devenu inquisiteur et gardien de la foi aux inquisiteurs en titre, membre du Saint Office, qu’il lui faudra bien appeler prévaricateurs, s’il entend jouer lui-même leur propre partition. Ce scénario rappelle les adresses de l’abbé de Nantes à Paul VI sur Jean Baptiste Montini (nom civil du pape Paul VI), hérétique, schismatique et scandaleux… Leur efficacité a été particulièrement douteuse.

On se demande comment dans ce contexte « la paternelle bienveillance » dont fait état Benoît XVI par rapport à « la Fraternité Saint Pie X » trouvera à s’exercer. Le pape est-il demeuré inconscient de cette atmosphère particulièrement lourde, qui se manifeste au fil des entretiens depuis maintenant plusieurs années ? Je ne le crois pas. Il suffit d’avoir égard aux guillemets dont le pape entoure, dans son texte, le nom « Fraternité saint Pie X », comme pour lui dénier la légitimité même de ce nom… Non Benoît XVI n’est pas dupe. Dans la lettre aux évêques qu’il a envoyée le 12 mars dernier, il pointait « la suffisance et la présomption, la fixation sur certains unilatéralismes » comme caractérisant certains traditionalistes… S’il est conscient des blocages que risque de rencontrer la Commission de discussion, son plan est certainement aujourd’hui de tenter, à l’occasion de ces dialogues, une ouverture bien plus large, qui permettrait de récupérer tout ou partie des 502 prêtres membres de la Fraternité Saint Pie X, mais surtout qui constituerait pour lui une occasion, de remettre de l’ordre dans l’Eglise.

Remettre de l’ordre dans l’Eglise

Pour ce faire, son dispositif a considérablement évolué. Jusqu’à la fin du mois de juin, le principal interlocuteur romain des traditionalistes était le cardinal Dario Castrillon Hoyos, un diplomate colombien, qui avait traité avec les FARC dans des circonstances mémorables et qui en gardait une aura de diplomate de choc. Pour cet ancien patron de la Commission Ecclesia Dei, le problème avec la Fraternité Saint Pie X était avant tout un problème de politique ecclésiastique, pas de doctrine. Il a redit sa conviction dans l’entretien auto-justificatif qu’il a donné le 17 mars dernier à Il Tiempo, après qu’il ait été mis en cause par le Père Federico Lombardi, porte-parole du pape : « Les lefebvristes n’ont pas été excommuniés pour des motifs de doctrine, mais parce qu’ils avaient été ordonnés sans autorisation ». Les solutions qu’offrait Dario Castrillon étaient du même ordre que le problème qu’il identifiait comme un problème avant tout disciplinaire.

Cette fois, à la plus grande joie de bien des traditionalistes, s’exprimant par exemple sur le Forum catholique, le pape, a renvoyé, avec les félicitations d’usage, le cardinal Castrillon, atteint par la limite d’âge. La lettre qu’il lui fait parvenir pour ses 80 ans est extrêmement chaleureuse. Il faut dire que l’on murmure au Vatican que le cardinal Castrillon, avec l’efficacité qu’on lui connaît, avait fait partie des grands électeurs de Benoît XVI au dernier Conclave, n’hésitant pas à « torpiller » publiquement son challenger pour le trône de Pierre, le cardinal Bergoglio. La reconnaissance de Benoît XVI n’est donc pas de pure forme.

Mais, comme en témoigne la Lettre du 12 mars à tous les évêques du monde, c’est une autre politique qu’initie Benoît XVI. Reconnaissant que le problème de la FSSPX est doctrinal et non disciplinaire, il rompt en visière avec la politique du cardinal Castrillon Hoyos. Et c’est pourquoi il commence son texte par un non équivoque : « Moi, le pape… ».

Par ailleurs, au nom de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, c’est rien moins que le cardinal Levada, préfet, qui se trouve désormais en charge du dossier. Pour l’assister, le secrétaire de la Commission est le Père Guido Pozzo, un ami du regretté Mario Marini, membre de la Commission Ecclesia Dei, très apprécié pour la sincérité de ses convictions.

Pozzo est un prélat, issu du personnel de la Congrégation à la tête de laquelle se trouvait le cardinal Ratzinger jusqu’en avril 2005, ne l’oublions pas ! Il a été sous-secrétaire de la prestigieuse Commission Théologique Internationale. C’est sur ses épaules que va reposer l’héritage du cardinal Castrillon Hoyos, alors que la maladie qui le mine empêche Mgr Camille Perl, adjoint de Castrillon et ami du pape, d’occuper ce poste. Mgr Pozzo pourra aussi compter sur la Congrégation pour le Culte Divin, dont le président le cardinal Canizarès est, de notoriété publique, favorable à la diffusion de la Messe traditionnelle. Son nouvel adjoint, Mgr Joseph Augustine Di Noia, dominicain, ancien directeur de la revue The Thomist aux Etats Unis, est lui aussi un homme du pape, qui l’avait choisi personnellement comme sous-secrétaire (n° 3) du Saint Office, en le faisant venir des Etats Unis.

Avec de tels hommes à des postes clés, le projet du pape se met en place. Quel est-il ? il me semble que, sans le vouloir d’ailleurs, Mgr Marc Aillet, nouvel évêque de Bayonne, l’a parfaitement défini dans une longue interview qu’il a donnée dans L’Homme nouveau : « J’interprète le Motu proprio Summorum pontificum comme une première étape, qui consiste à réaliser le réapprentissage de la forme extraordinaire, pour réduire l’écart entre la manière de célébrer selon les deux formes et retrouver les mêmes principes théologiques qui président à l’une et à l’autre forme liturgique. Dans une seconde étape, cela conduira peut-être à une réforme du Missel, qui pourra s’insérer dans les intuitions du mouvement liturgique et qui réduira ainsi ce que la mise en œuvre de la réforme liturgique a pu avoir d’arbitraire ».

Pour mettre en œuvre un tel plan, le pape peut désormais compter sur des collaborateurs dévoués et efficaces, à Rome même. Mais reste à savoir de quelle manière la Fraternité saint Pie X s’insèrera dans ce processus. Il semble qu’au jour d’aujourd’hui les modalités de cette insertion sont encore à imaginer. Il est douteux que le dialogue théologique, tel que le présente Mgr Tissier de Mallerais à La Vie permettent de trouver des solutions. On se demande si le monde traditionaliste, qui a salué son départ de manière parfois indécente, ne risque pas de regretter très vite la politique expéditive mais efficace menée par le cardinal Castrillon Hoyos…

Claire Thomas