| « Le monde diabolique ne peut pas s’agenouiller » | 
| 2 juin 2008 - Yves Chiron - aletheia.free.fr | 
| « Le monde diabolique ne peut pas s’agenouiller       » - par Yves Chiron La liturgie est au cœur de l’action et de       l’enseignement de Benoît XVI. Ses interventions et décisions en la       matière sont fréquentes et d’importance. Qu’il s’agisse de       discours, d’allocutions, d’homélies, du motu proprio libérateur du 7       juillet 2007, ou de décisions et d’initiatives personnelles. Pour Benoît XVI, la question liturgique n’est pas       une simple affaire de « pratiques cultuelles ». Ce qui est en jeu dans       la liturgie, c’est la compréhension de Dieu et du monde, notre relation       au Christ et à l’Eglise. Il y a quelques années, dans un livre consacré       à la liturgie, celui qui allait devenir Benoît XVI la définissait comme       une « relation à Dieu » et une anticipation de la vie future : « Le       rapport à Dieu détermine tous les rapports, ceux des hommes entre eux et       ceux des hommes avec le reste de la Création. L’adoration, qui nous       relie à Dieu, est donc constitutive de l’existence humaine. Elle       l’est d’autant plus qu’elle permet à l’homme de dépasser sa vie       quotidienne, de participer déjà à la façon d’exister “du ciel“,       du monde de Dieu. En ce sens, la liturgie anticipe la vie future […] et       donne sa véritable envergure à la vie présente. Sans cette ouverture       vers le Ciel, notre vie ne serait qu’une existence emmurée et vide[1].       » C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre deux       initiatives que le Pape a prises ces dernières semaines. À Rome, une paroisse personnelle (c’est-à-dire non       limitée par un territoire mais constituée de fidèles venus à titre       personnel) a été confiée à la Fraternité Saint-Pierre. Dans un       important entretien accordé à L’Homme nouveau[2], l’abbé       Berg, supérieur de la FSSP, précise que cette paroisse dévolue       exclusivement à la forme extraordinaire du rit romain a été « voulue       par Benoît XVI » et proposée par le cardinal Ruini, vicaire du pape       pour le diocèse de Rome. Il s’agit d’une église située au cœur de       Rome, dédiée à la Santissima Trinità. La FSSP dispose de neuf autres paroisses personnelles       dans le monde : six aux Etats-Unis, deux au Canada et une au Nigéria. La Santissima       Trinità est la première confiée à la FSSP en Europe. L’abbé       Berg espère que cette décision de Benoît XVI « ouvrira une porte aux       autres évêques européens ». On rappellera, néanmoins, que d’autres paroisses       personnelles de rite traditionnel existent déjà en France : l’église       Saint-François de Paule, à Toulon, érigée en paroisse personnelle par       Mgr Rey en septembre 2005 ; l’église Saint-Eloi, à Bordeaux, érigée       en paroisse personnelle par le cardinal Ricard en février 2008 et confiée       à l’Institut du Bon Pasteur ; sans compter les cas particuliers, tel       celui de la « paroisse personnelle de la Croix glorieuse », à       Strasbourg et Colmar, confiée à l’abbé Gouyaud, mais dont il n’est       pas sûr qu’elle corresponde vraiment au statut canonique de la paroisse       personnelle. Quelques semaines après l’annonce d’une paroisse       personnelle de rit tridentin à Rome, Benoît XVI a donné, une deuxième       fois, l’exemple, le jour de la Fête-Dieu. Célébrant la messe de la       solennité du Saint-Sacrement, à Saint-Jean-du-Latran, il a distribué la       communion aux fidèles selon l’usage traditionnel : les fidèles étaient       à genoux pour recevoir le Corps du Christ sur la langue. Dans son homélie, le pape a insisté sur le geste       d’adoration et d’humilité que constitue la communion reçue à genoux       : « Adorer le Dieu de Jésus-Christ, qui, par amour s’est fait pain       rompu, est le remède le plus valide et radical contre les idolâtries       d’hier et d’aujourd’hui. S’agenouiller devant l’Eucharistie est       une profession de liberté : qui s’incline devant Jésus ne peut et ne       doit pas se prosterner devant aucun autre pouvoir terrestre, si fort fût-il.       Nous, chrétiens, nous ne agenouillons que devant le Saint-Sacrement,       parce que nous savons et nous croyons qu’en lui l’unique vrai Dieu est       présent, lui qui a créé le monde et l’a tant aimé qu’il lui a donné       son Fils unique. » Cette remise à l’honneur d’une pratique       traditionnelle par Benoît XVI avait été annoncée, pour ainsi dire, par       Mgr Malcolm Ranjith, secrétaire de la Congrégation du Culte Divin et de       la Discipline des Sacrements. Il y a quelques mois, il avait préfacé un       livre sur la Sainte communion, publié à la Libreria Editrice Vaticana       par un évêque d’Asie Centrale, Mgr Athanasius Schneider. Dans sa préface,       Mgr Ranjith affirmait qu’il était temps « de revoir et, si nécessaire,       d’abandonner » la pratique de la communion reçue debout et dans la       main. « Il est plus nécessaire, écrivait aussi le secrétaire de la       Congrégation du culte divin, d’aider les fidèles à retrouver une foi       vive dans la présence réelle de l’Eucharistie[3] ». La Conférence des Evêques de France – ce qui ne       signifie pas tous les évêques de France – a réagi officieusement à       la cérémonie exemplaire, au sens littéral, de Saint-Jean-du-Latran.       Elle l’a fait dans son bulletin d’informations Infocatho. Le       refus, maladroitement exprimé, est à peine voilé : « Ce qui est       possible dans une messe pontificale, célébrée par le Pape, ayant       toujours à ses côtés un grand nombre de prêtres empressés à       l’entourer […] paraît plus difficile lorsqu’un seul prêtre est       disponible pour assurer la communion de deux ou trois cents personnes.       Canoniquement, c’est à l’évêque du diocèse de décider       actuellement en cette matière liturgique. » En se plaçant au seul point de vue pratique, le       bulletin d’informations de la CEF esquive la question de fond.       L’adoration n’est-elle pas constituante de la communion ? Cette       adoration, en esprit, ne doit-elle pas se traduire, aussi, par le corps ?       Le futur Benoît XVI, dans le livre déjà cité, consacrait un chapitre       complet au « corps dans la liturgie ». Il rappelait, dans de belles       pages, le sens théologique de l’agenouillement[4]. « On voudrait       aujourd’hui nous détourner de l’agenouillement », écrivait le       cardinal Ratzinger. La pratique de l’agenouillement n’est pas       culturelle, liée à une époque. Elle a, dans la religion chrétienne, un       fondement théologique. Le cardinal Ratzinger renvoyait à l’épître       aux Philippiens (2, 6-11) : « que tout, au nom de Jésus, s’agenouille,       au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers. » Il citait       aussi les Pères du désert, « l’histoire du démon contraint par Dieu       à se montrer à un certain abbé Apollon ; le démon est tout noir,       hideux, d’une maigreur effrayante, mais surtout il n’a plus de genoux.       Le monde diabolique ne peut pas s’agenouiller ». Celui qui est devenu Benoît XVI concluait ces pages       par une incitation à revenir à la pratique de l’agenouillement : « Il       se peut bien que l’agenouillement soit étranger à la culture moderne       – pour la bonne raison que cette culture s’est éloignée de la foi.       Elle ne connaît plus Celui devant lequel l’agenouillement est le seul       geste nécessaire. La foi apprend aussi à nous agenouiller. C’est       pourquoi une liturgie qui ne connaîtrait plus l’agenouillement serait       intrinsèquement malade. Il faut réapprendre à nous agenouiller, réintroduire       l’agenouillement partout où il a disparu, afin que, par notre prière,       nous restions en communion avec les apôtres et les martyrs, en communion       avec le cosmos tout entier, en union avec Jésus-Christ. » [1] Cardinal Joseph Ratzinger, L’Esprit de la       liturgie, Ad Solem, 2001, p. 18. [2] L’Homme nouveau du 24 mai 2008 (10, rue       Rosenwald, 75015 Paris), 4 euros le numéro. [3] Préface à Mgr Athanasius Schneider, Dominus       est. Riflessionni d un vescovo dell’Asia Centrale sulla sacra Communione,       Libreria Editrice Vaticana, 2008, p. 8. Cf. Aletheia n° 120, 9 février       2008. [4] L’Esprit de la liturgie, op. cit., p.       146-153. | 
