SOURCE - Mgr Lefebvre - Rivarol - 12 septembre 1968
[Second article de Mgr Lefebvre dans Rivarol]
Une dépêche AFP, en date du 30 septembre de la Cité du Vatican, a confirmé la décision de Mgr Marcel Lefebvre de résilier ses fonctions de Supérieur général des Pères du Saint-Esprit «afin de laisser pleine liberté au Chapitre de procéder à l’aggiornamento de la société dans l’esprit Du Concile».
«Connu pour ses opinions conservatrices, poursuit la dépêche, Mgr Lefebvre avait été un des principaux animateurs de la minorité conciliaire et, depuis lors, il avait souvent pris position contre les interprétations, qu’il estimait abusives, des décisions du Concile.»
Mieux que personne, nos lecteurs ont été à même d’apprécier ces prises de position où, pour la défense de la foi, la rigueur doctrinale s’allie à un courage, devenu, hélas, assez rare, dans les hautes sphères de l’épiscopat.
Caractéristiques qu’on retrouve dans la belle étude qu’on va lire et pour laquelle nous exprimons à notre éminent collaborateur, avec notre gratitude, l’expression de notre respectueuse amitié.
L’Église accomplira-t-elle à temps sa véritable rénovation ? Le peut-elle encore ? Si l’Église était une société purement humaine, nous devrions répondre non, car la corruption des idées, des institutions, de la discipline est telle qu’aucun espoir de redressement n’apparaîtrait possible. Cependant, depuis que Dieu veille sur l’humanité afin que la foi ne disparaisse pas, les exemples ne se comptent plus d’une situation humainement désespérée devenant subitement l’occasion d’un extraordinaire renouveau : l’intervention la plus inattendue et la plus sublime que Dieu ait trouvée, dans sa sagesse et sa miséricorde infinie, est la promesse du Messie par Marie après que l’homme, par son péché, eut mérité la damnation.
Depuis cette promesse jusqu’à nos jours, l’histoire de la miséricorde de Dieu envers l’humanité, c’est l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament, et donc toute l’Histoire de l’Église. Or l’Esprit souffle où il veut et se choisit, pour venir au secours de l’Église en détresse, des Pontifes et d’humbles fidèles, des princes et de jeunes pastourelles. Les noms sont sur toutes les lèvres de ceux qui connaissent tant soit peu la véritable histoire de l’Église.
Mais si l’Esprit Saint souffle où Il veut, son souffle a toujours la même origine, les mêmes moyens fondamentaux et la même fin. L’Esprit Saint ne peut faire autre chose que ce que Notre Seigneur a dit de lui : Il ne parle pas de son propre fonds, mais Il parle de ce qu’Il entend… Il me glorifiera, car Il recevra de moi et vous l’annoncera (Jn 16,13). Autrement dit l’Esprit Saint ne peut que faire écho à Notre Seigneur.
C’est pourquoi, sous des modalités extérieures diverses, ceux qu’il a choisis ont répété et fait les mêmes choses, se sont nourris aux mêmes sources pour rendre vitalité à l’Église. Saint Hilaire, saint Benoît, saint Augustin, sainte Élisabeth, saint Louis, sainte Jeanne d’Arc, saint François d’Assise, saint Ignace, le saint Curé d’Ars, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ont tous enseigné la même spiritualité dans ses principes fondamentaux, de pénitence, de prière, de dévotion totale à Notre Seigneur et à la Vierge Marie. D’obéissance sans limite à la Volonté de Dieu, de respect envers ceux qui l’interprètent, cette volonté, depuis les parents jusqu’aux autorités civiles légitimes et aux autorités religieuses. Tous eurent une grande estime des sacrements et spécialement de l’Eucharistie et du Saint Sacrifice de la Messe. Tous manifestèrent le détachement des biens de ce monde et le zèle pour le salut des pécheurs. Ils n’avaient rien de plus cher que la gloire de Dieu, de Notre Seigneur Jésus-Christ, que l’Honneur de son unique Église. L’Écriture Sainte leur était familière et ils vénéraient la Tradition de l’Église exprimée dans les Credo, les Conciles et les catéchismes où se trouve l’authentique doctrine léguée par les Apôtres. C’est dans ces sources qu’ils puisèrent une grâce, une communication particulière de l’Esprit Saint, qui fit d’eux des témoins extraordinaires de la foi et de la sainteté de l’Évangile.
Des renouveaux s’imposent, mais…
Telles sont les constatations historiques de l’action de l’Esprit Saint qui nous permettent de croire que l’Église peut toujours se renouveler par la sanctification de ses membres. Dieu n’a jamais abandonné son Église. Il ne l’abandonnera pas aujourd’hui, mais les épreuves, les apparences de triomphe de l’Esprit mauvais, du Prince de ce monde, peuvent être un objet de scandale, c’est-à-dire de chute et d’abandon de la foi pour beaucoup. Ceux-là ont tort qui se laissent dérouter par les faux prophètes, qui prêchent que leur temps ne ressemble en rien aux temps qui précèdent et que l’Évangile d’hier ne peut plus être l’Évangile d’aujourd’hui. Le Christ est de tous les temps : Jesus Christus heri, hodie et in saecula, « Jésus-Christ hier, aujourd’hui et pour tous les siècles ». C’est saint Paul qui nous l’enseigne.
Hélas, il faut bien l’avouer, le concile Vatican II devait, aurait dû être le concile du renouveau par un retour aux sources, comme il est de règle dans l’Église. En effet, à mesure que l’Église militante chemine, il peut se faire que le message s’estompe, que les ennemis de l’Église réussissent à étouffer le bon grain, que la négligence des pasteurs atténue la foi, que les moeurs se corrompent, que la chrétienté prête une oreille bienveillante aux persiflages de ce monde pervers.
Alors, des renouveaux s’imposent, mais, à l’exemple de Notre Seigneur qui n’est que l’écho du Père, de l’Esprit Saint qui est l’écho du Fils, les apôtres n’ont cessé de répéter à leurs disciples : retenez ce qui vous a été dit, demeurez dans la doctrine qui vous a été enseignée, gardez le dépôt de la foi, ne vous laissez pas circonvenir par les faux prophètes menteurs fils de perdition, destinés au feu éternel avec tous ceux qui les suivent. Qu’on relise les épîtres de saint Paul à Timothée et à Tite, les épîtres de saint Pierre, de saint Jacques, de saint Jean.
Si l’on recherche dans saint Jean Chrysostome, saint Hilaire, saint Augustin le critère de leur jugement sur les erreurs de leur temps, ils en reviennent toujours à ce qu’ont enseigné ceux qui ont entendu les apôtres ou les témoins directs des apôtres et spécialement ce qu’ont enseigné ceux qui ont succédé sur les sièges des apôtres en particulier sur le siège de Pierre.
Plus tard, on fera appel plus spécialement aux conciles et aux Pères de l’Église, témoins de la doctrine des Anciens. Tout l’enseignement des séminaires s’efforcera d’être l’écho fidèle de cette tradition de la Révélation, qui est un fait passé, mais toujours source de vie pour tous les temps jusqu’à la consommation des siècles.
L’orgueil de nos temps modernes
Comment expliquer que, depuis quelques années, cette règle d’or de l’Église a paru être abandonnée jusqu’au jour béni du 30 juin dernier qui nous a rendu la foi de Pierre, écho de cette tradition immuable et féconde pour tous les temps ? On ne peut l’expliquer que par l’orgueil de nos temps modernes, qui se croient des temps nouveaux, « des temps où l’homme enfin a compris par lui-même sa dignité, où il a pris une plus grande conscience de lui-même, à tel point qu’on peut parler de métamorphose sociale et culturelle dont les effets se répercutent sur la vie religieuse… Le mouvement même de l’histoire devient si rapide que chacun a peine à le suivre… Bref, le genre humain passe d’une notion plutôt statique de l’ordre des choses à une conception plus dynamique et évolutive : de là naît, immense, une problématique nouvelle, qui provoque à de nouvelles analyses et à de nouvelles synthèses… ».
Avec des prémices comme celles-là on peut s’attendre à tout, sauf au retour de l’esprit évangélique, car il était sans doute d’ordre statique.
Il est donc radicalement condamné. D’ailleurs, bien d’autres textes vont le confirmer : « Une société de type industriel s’étend peu à peu, transformant radicalement les conceptions de la vie en société. » L’on affirme ce que l’on souhaite voir se produire : une nouvelle conception de la société qui n’aura rien à voir avec la conception chrétienne selon la Doctrine sociale de l’Église.
À temps nouveau nouvel Évangile, nouvelle religion. Parlant de nous, catholiques, ou plutôt des croyants, on écrit : « Qu’ils vivent donc en très étroite union avec les autres hommes de leur temps, et qu’ils s’efforcent de comprendre à fond leurs façons de penser et de sentir, telles qu’elles s’expriment par la culture (singuliers conseils qui font écho à l’Évangile qui nous demande d’éviter les doctrines perverses)… Qu’ils marient la connaissance des sciences et des théories nouvelles, comme les découvertes les plus récentes, avec les moeurs et l’enseignement de la doctrine chrétienne pour que le sens religieux et la rectitude morale marchent de pair chez eux avec la connaissance scientifique et les incessants progrès techniques ! Ils pourront ainsi apprécier et interpréter toutes choses avec une sensibilité authentiquement chrétienne… »
Pour ma part, je pense que ces croyants y perdront la foi chrétienne, ni plus ni moins.Voilà les conclusions du fait affirmé, confirmé et réaffirmé sans cesse : « Nos temps sont des temps nouveaux auxquels il faut marier l’Évangile et la Tradition. » La règle d’or de l’Église est complètement inversée par l’orgueil des hommes de notre temps. On n’est plus à l’écoute de la parole toujours vivante et féconde de Notre Seigneur, mais nous devons « marier » les théories nouvelles avec les moeurs et l’enseignement de la doctrine chrétienne. (GS, n° 62-6).
Cet aggiornamento se condamne lui-même. Il serait inconcevable que ces paroles sortent de la bouche du Divin Maître. La racine du désordre actuel est dans cet esprit moderne ou plutôt moderniste, qui refuse de reconnaître le Credo, les Commandements de Dieu et de l’Église, les Sacrements, la morale chrétienne, comme la seule base et source de renouveau pour tous les temps jusqu’à la fin du monde. En définitive c’est le rejet de Notre Seigneur Jésus-Christ incompatible avec nos temps modernes, qui sont, paraît-il, des temps que Notre Seigneur ne pouvait pas prévoir et, par conséquent, auxquels son message ne pouvait pas être adapté…
Revenir à la règle d’or de toute la Tradition
Il faut donc revenir à la règle d’or de toute la Tradition, comme vient de le faire le pape Paul VI le 30 juin et le 25 juillet, tant pour la foi que pour les moeurs, pour lesquelles il ne peut y avoir de nouveau mariage en prévision. Il faudra revenir à la Tradition : dans l’autorité du pontife romain, il faut qu’apparaissent à nouveau ses pouvoirs signifiés par la tiare, qu’un tribunal protecteur de la foi et des moeurs siège à nouveau en permanence, que les évêques retrouvent leurs pouvoirs et leur initiative personnelle et que leurs problèmes communs soient résolus en de vrais conciles régionaux sous l’autorité du Pasteur Suprême.
Il faudra bien, un jour, libérer le vrai travail apostolique à réaliser dans un diocèse de tous les impedimenta par lesquels on l’a paralysé aujourd’hui et qui, avec de bonnes intentions, font disparaître l’essentiel du message : la gloire de Dieu et de Notre Seigneur, la sanctification des âmes par Notre Seigneur Jésus-Christ, l’enseignement et l’éducation vraiment chrétiens dispensés par le prêtre, par les religieux, la remise en ordre de la société chrétienne où l’évêque et le prêtre ont la place officielle due au sacerdoce dans toute société.
Redonner aux séminaires leur véritable fonction, la formation de saints prêtres remplis de foi, de science et de zèle pour la gloire de Notre Seigneur et le salut des âmes. Recréer des sociétés religieuses pépinières d’âmes saintes et généreuses manifestant au monde la présence de l’Esprit Saint dans l’Église et dans les âmes par l’exercice d’une charité héroïque dans tous les domaines et dans toutes les contrées. Restaurer les écoles catholiques et Universités catholiques sans se préoccuper des programmes d’État qui laïcisent les écoles catholiques.
Rendre aux familles chrétiennes le sens de la vraie foi et de la chrétienté, les mettant en garde contre les séductions du monde. Organiser des ligues ou tiers ordres de familles décidées à être chrétiennes dans tout leur comportement vis-à-vis de la société moderne corrompue.
Soutenir les organisations patronales et ouvrières décidées à collaborer fraternellement dans le respect des devoirs et des droits de tous, s’interdisant le fléau social de la grève, qui n’est autre qu’une guerre civile froide, instaurant des organismes de dialogue et d’entente, ainsi que des tribunaux paritaires dirimant les litiges en dernier ressort.
Enfin, promouvoir une législation civile conforme aux lois de l’Église et aider à la désignation de représentants catholiques décidés à orienter la société vers une reconnaissance officielle de la Royauté sociale de Notre Seigneur.
Telle semble devoir être la vraie rénovation de l’Église, désirée par les vrais fidèles, car celle qu’on attendait du Concile fut viciée par l’introduction de l’esprit moderne et de son orgueil antichrétien au Concile même et depuis surtout.
Une jeunesse visiblement inspirée par l’Esprit Saint
Or, pour la consolation de ceux qui souffrent, nous voudrions qu’ils sachent que, si l’Esprit Saint les a consolés dans les derniers actes du Saint-Père d’une manière ineffable, l’Esprit Saint se manifeste dans la naissance d’une jeunesse visiblement inspirée par lui : jeunesse vigoureuse, généreuse, assoiffée de vérité, d’amour de Notre Seigneur, de la Vierge Marie, de l’Église. Jeunesse aux moeurs pures et saines, décidée à ne pas se laisser séduire par les mirages de ce monde, réagissant contre la subversion, prête à réaliser de belles et grandes initiatives.
Et cette jeunesse pousse comme génération spontanée dans tous les pays, sous tous les parallèles. Elle est la même, ayant la même orientation, les mêmes désirs, les mêmes enthousiasmes, signe évident que c’est le même Esprit Saint qui l’anime.
Le 10 août paraissait un magnifique article dans le journal romain Il tempo intitulé « I canti della Vandea sulle montagne Emiliane », article enthousiaste de Valsassina, qui a passé ses vacances avec ces jeunes universitaires, sous la tente et qui raconte ses impressions. Dans le soustitre, il a souligné que ces jeunes alternaient la récitation du Chapelet avec les sessions d’études et les exercices physiques.
Pour ceux qui ont été à Lausanne et ont côtoyé les huit cents jeunes venus au Congrès, ils en ont gardé une immense espérance. Désormais, de jeunes universitaires, de jeunes employés réfléchissent, s’instruisent et éclairent leur foi, ils prient avec ferveur, ont une grande dévotion à la Vierge Marie, ils veulent retrouver les principes et la grâce qui ont fait la chrétienté d’autrefois, afin de bâtir une société chrétienne de leur temps sur les mêmes bases éternelles. Ils découvrent alors la vraie place de Notre Seigneur et de l’Église dans la société familiale, économique, politique.
Et de ces groupes, évidemment, sortent de nombreuses et saintes vocations. Daigne le Seigneur faire surgir de cette jeunesse de nouveaux François d’Assise, Dominique, Ignace, Vincent de Paul, Jean-Marie Vianney, Don Bosco ! À nous par nos prières, par notre générosité, par nos encouragements, d’aider de toute manière cette jeunesse à construire la cité chrétienne, c’est-à-dire à édifier le corps du Christ, afin d’apporter aux hommes dans la paix, la justice, le salut éternel de leurs âmes.