1 janvier 1970

7 novembre 1969 [Radio Vatican] Entretien avec le cardinal Garrone

SOURCE - Radio Vatican - 7 novembre 1969

Éminence, voici ma question : on parle beaucoup du nouvel Ordo missae en des sens divers. Paris-Presse, voyez ce titre imprimé : « Le cardinal Ottaviani écrit au Pape Paul VI : les nouveaux rites transforment la messe en banquet de bienfaisance... » Accepteriez-vous de nous dire votre sentiment sur cette question ?
Je me sens un peu en cette matière, face à toutes ces réactions, l'âme d'un chrétien moyen ; je m'étonne et je cherche à comprendre.
D'où viennent selon vous ces réactions ?
Certaines ont un ton si vif et atteignent une telle violence verbale, même une telle violence d'idées, que j'ai quelque peine, pour mon compte, à ne pas y voir une querelle de tendances. Et ma tentation quelquefois est de revenir au mot de Talleyrand : que tout ce qui est exagéré est insignifiant. Car il s'agit, avec cet Ordo, d'un acte du Saint-Père, un acte de l'autorité suprême de l'Eglise. Il est vrai qu'aujourd'hui pour certains... Mais, en tout cas, il y a au fond de certaines de ces réactions évidemment une souffrance digne de respect et qui mérite qu'on s'interroge, pour la comprendre et tâcher, dans la mesure où on le peut, d'y répondre.
Que reproche-t-on à ce nouvel Ordo, somme toute?
Je pense qu'on lui reproche avant tout d'être nouveau. Certains ont du nouveau un besoin presque maladif, et d'autres éprouvent, sans doute par contrecoup, une réaction maladive d'opposition à tout ce qui porte ce caractère. On comprend d'ailleurs qu'après des années et des années de fréquentation du mystère eucharistique dans un certain cadre qui portait nos souvenirs les plus chers, qui était incorporé à notre sensibilité, on éprouve quelque appréhension, peut-être même, ici ou là, quelque effroi à penser qu'on a touché quelque chose à ce centre de notre expérience religieuse la plus intime. Mais on peut se demander si vraiment dans cet Ordo missae tout est si nouveau qu'on a l'air de le croire. Ceux qui ont voulu suivre les prescriptions de l'Eglise ont déjà pu s'acclimater à ce nouvel Ordo de bien des façons : l'essentiel en demeure les prières eucharistiques (canon) ; or voilà des mois que ces prières sont en usage et que nos fidèles en ont pris l'habitude et souvent, semble-t-il, même le goût.
Mais on a dit, Eminence, que ce nouvel Ordo contiendrait des erreurs théologiques?
Ce serait tout de même énorme, mon Père ! J'ai lu avec attention, comme il se doit, non seulement le texte de l'Ordo missae mais l'instruction qui le précède, et j'ai peine à comprendre de telles réactions. Il me semble que ce qu'on peut trouver d'apparent silence dans une phrase a son explication dans le fait que la chose est dite ailleurs. Cette instruction, lue d'un bout à l'autre dans un esprit qui ne soit pas un esprit de suspicion, apporte le sentiment évident que nous sommes dans la ligne et dans la coulée de la tradition de l'Eglise et qu'un Père du Concile de Trente y trouverait son bien.
Mais on a dit aussi que cet Ordo était la victoire d'un parti?
J'ai un peu peur de la réponse qui me vient à l'esprit : je me demande en entendant cela s'il ne faudrait pas penser que c'est, plutôt que la victoire d'un parti, la défaite d'un autre !
Je pense aussi aux fidèles qui ne voient pas toutes ces nuances. Ne vont-ils pas être désorientés par toutes ces batailles et par le nouveau texte qu'ils vont recevoir ?
C'est la vraie question. C'est là sans doute qu'il faut s'arrêter avec le plus de soin. Cet Ordo missae a besoin d'être expliqué. Il a besoin d'être préparé. Il demande à être bien réalisé, et cela demandera évidemment du temps.

Il ne me semble pas, très sincèrement, que le petit peuple doive être désorienté par cet Ordo. J'ai célébré une fois déjà la messe suivant cet Ordo, dans le cadre des préparations que faisait l'épiscopat italien. Je n'ai éprouvé aucune désorientation et il ma semblé que les fidèles qui participaient à cette messe, parfaitement exécutée bien sûr, s'y trouvaient très à leur aise. Les fidèles qui sont engagés dans la messe dite selon ce nouvel Ordo ne peuvent pas ne pas se sentir enrichis du point de vue de la liturgie de la Parole. Ils ne peuvent pas ne pas accepter avec joie cette part qui leur est offerte presque physiquement dans l'offrande des dons. Ils ne peuvent pas ne pas trouver dans la prière universelle la compensation à telle ou telle prière qui leur était familière dans l'ancien Ordo, mais qui était mise exclusivement sur les lèvres du prêtre et qui maintenant est devenue la leur. Ils ne peuvent pas ne pas être heureux d'entendre des textes comme ceux des nouvelles prières eucharistiques dont ils peuvent tout comprendre, et qui les mettent progressivement au contact du mystère du Christ et de son mémorial.
Cependant, ce nouvel Ordo, avec ses possibilités de choix, ne craignez-vous pas qu'il puisse se prêter à certains abus... parfois?
Tout peut donner lieu à abus, si l'on veut prendre la question par ce point. Les choses qu'on regrette dans l'Ordo ancien ne prêtaient-elles pas elles-mêmes aux abus ? Est-ce que le fait pour un prêtre de pouvoir lire les textes de la messe sans que personne ne puisse se rendre compte s'il les lisait bien ou mal ne représentait pas une possibilité d'abus ?
Que diriez-vous par exemple, Eminence, à un curé qui vous interrogerait là-dessus?
Je lui dirais qu'il a un beau travail devant lui, travail qui n'est pas facile, travail qui apportera certainement, je pense, de très grandes joies, à condition qu'il veuille ne pas aller au-delà de ce que l'Eglise lui prescrit ou lui demande et qu'il ne veuille pas imposer à ses fidèles autre chose que ce que l'Eglise leur impose.
Et à un chrétien, un bon chrétien, Eminence, que diriez-vous?
Je lui expliquerais que cet Ordo missae a été inspiré en grande partie par le souci de lui donner dans la célébration de la messe la part qu'il y a effectivement de droit, qu'on l'invite à comprendre, qu'on l'invite à participer et qu'il doit s'efforcer d'entrer dans cette ligne dont il sera le principal bénéficiaire.
En votre âme et conscience, qu'en pensez-vous?
Mon Père, je serai sincère : j'aime le latin de la messe. C'est ainsi que j'ai dit la messe depuis plus de quarante ans : j'aime le canon romain qui est celui de ma première messe. J'aime l'Ordo missae ancien, mais j'aime encore plus l'Eglise et j'ai confiance en elle et je suis persuadé qu'en lui obéissant, je suis sur le chemin du meilleur profit spirituel.