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       | Au delà du motu proprio |         | Septembre 2007 - Pierre de       Charentenay, s.j. - revue-etudes.com |       | Au delà du motu proprio     Le motu proprio « Summorum pontificum », publié le samedi 7 juillet     par Benoît XVI, a fait autant de bruit dans les médias qu’il a troublé     les esprits de chrétiens. Le public a pu être perturbé, en effet, par les     reportages et les commentaires, à la radio comme à la télévision, qui     donnaient une soudaine visibilité universelle à la messe en latin, comme     si elle devenait une possibilité comme une autre et était centrale dans     les questions relatives à la foi. En réalité, le texte du motu proprio,     comme la lettre du Pape qui l’accompagne, fait du Missel de 1962 en latin     une forme extraordinaire de la liturgie, et maintient l’usage du Missel de     Paul VI comme « la forme normale de la liturgie eucharistique ». Dans une     homélie du dimanche suivant, un prêtre des Alpes a trouvé les mots pour     remettre cet événement à sa place: un geste de réconciliation qu’il     importe de faire là où quelques groupes le demandent, mais une liturgie     qui continue sous le mode ordinaire, car on serait bien en peine     d’utiliser une langue que l’on ne connaît point. Pour évoquer cette     distance de la majorité de l’Eglise par rapport au latin, rappelons que     la réforme liturgique a été votée dès la première session du Concile     par 98 Bad parameter formatdes évêques du monde, il y a près de cinquante     ans. Un prêtre de la région parisienne, interrogé sur la messe en latin,     répondait: « Je suis préoccupé par un problème autrement grave: l’une     de mes églises est occupée depuis trois mois par des sans-papiers, sans     que l’on voie de solution à ce conflit. » Cette réflexion en dit long     sur le décalage entre les préoccupations des uns et des autres. Que, dans certains monastères ou quelques paroisses, des messes en latin     soient dites ne pose pas de problème majeur, c’est déjà le cas     aujourd’hui; et, dans leur majorité, les diocèses ont trouvé une     coexistence entre ces rites. Si, ici ou là, les négociations sont plus     difficiles, c’est plutôt le statu quo qui l’emportera, sans     bouleversement. Mais les chrétiens du fond de l’église, ceux qui ne sont     pas les plus actifs et qui suivent d’un peu loin la vie ecclésiale,     risquent d’être troublés par tant de commentaires, et dans     l’incertitude quant à leur fidélité. Espérons que la paix liturgique     tant réclamée trouvera ici sa forme définitive, sans esprit de conquête     ou de revanche.
 Mais, l’ampleur de ce débat a quelque chose d’inquiétant, car il     semble fermé sur lui-même, réglant des comptes avec un passé mal digéré.     Les cris de victoire de la Fraternité Saint Pie X « La tradition n’a pas     encore gagné la guerre, mais elle vient certainement de remporter une     importante bataille » manifestent que, derrière l’usage d’un rite, la     demande est tout autre. Les commentaires de Mgr Bernard Fellay, successeur     de Mgr Lefebvre, le confirment : « Notre constance à défendre la lex     orandi a été prise en compte. C’est donc avec la même fermeté qu’il     nous faut poursuivre, avec l’aide de Dieu, le combat pour la lex credendi,     le combat de la foi. » L’article de Bernard Sesboüé sur « L’Institut     du Bon Pasteur » (cf. Etvdes, juin 2007, p. 779-792) avait montré que la     division dépassait une querelle de rite et qu’une scission demeurait à     l’intérieur même de la communion entre prêtres, puisque les membres de     l’Institut du Bon Pasteur sont dispensés de toute participation à une     concélébration de la messe de Paul VI. Si ces derniers veulent vraiment     retrouver la communion ecclésiale, pourquoi n’acceptent-ils pas la     communion eucharistique? Le débat lancé par le motu proprio n’est donc     pas clos.
 Pourtant, dans la période qui suivra la publication de ce texte, on ne     pourra s’arrêter à débattre de questions internes à l’Eglise. Elle     doit s’affronter à la culture d’aujourd’hui, c’est-à-dire remplir     sa mission d’évangélisation dans le monde de ce troisième millénaire.     Or, les conditions de cette mission sont considérablement différentes, non     seulement par rapport à la mission d’origine, mais aussi par rapport aux     années du concile Vatican II.
 Nous assistons, en effet, à un mouvement de fond qui modifie totalement     les données de cette mission d’évangélisation: une disjonction radicale     entre la foi chrétienne et la culture. Cette séparation ne signifie ni la     disparition de la foi chrétienne, ni celle de l’Eglise du Christ; mais     elle rend l’exercice de sa mission beaucoup plus difficile qu’autrefois,     parce que la culture ne soutient plus la pratique chrétienne. Le Breton,     disait-on jadis, perdait la foi en arrivant à la gare Montparnasse!     Aujourd’hui, ce n’est plus seulement Dieu qui change en Bretagne (selon     le titre d’un livre célèbre il y a vingt ans), ce sont tous les chrétiens     qui sont en difficulté dans une modernité difficile à vivre.
 La foi n’a pas disparu; elle est vécue quotidiennement par tous les     pratiquants, dans de multiples renaissances, autant dans des mouvements que     dans des monastères, des paroisses et des centres vivants; et les 10 000     catéchumènes adultes dans l’Hexagone manifestent une réelle soif     spirituelle.
 Pourtant, en France, le tissu ecclésial est de plus en plus distendu.     Depuis cinquante ans, la pratique religieuse a fortement baissé, et le     nombre de prêtres suit la même courbe globale, comme celui des religieux -     malgré le maintien à un niveau très faible du nombre d’ordinations     depuis une trentaine d’années. Les religieuses, elles-mêmes, ne peuvent     plus assurer les multiples tâches ni la très grande présence qui était     la leur.
 Le catholique d’aujourd’hui se trouve alors face à un double défi:     d’une part, vivre sa foi dans un contexte de liberté, de loisirs, de     consommation, de distraction - au sens pascalien du terme - qui ne facilite     pas une orientation de sa vie vers Dieu; d’autre part, participer à une     vie ecclésiale dont les structures sont de moins en moins visibles et de     plus en plus lointaines.
 Sur ces deux points, le motu proprio ne dit rien ; ce n’était     pas son objet. Il s’agissait de régler un problème interne. La même     remarque peut d’ailleurs être faite à propos du document de la Congrégation     pour la doctrine de la foi, publié peu après sur les Eglises chrétiennes,     qualifiant l’Eglise catholique de véritable Eglise du Christ.
 Mais la période qui suit devra s’ouvrir au rapport au monde, affronter     les difficultés de ce temps et donner les moyens aux catholiques de vivre     leur foi dans des communautés chrétiennes qui pourront les soutenir.
 Il ne revient pas à une revue de donner des solutions, mais de poser     pour le moins des questions. La communauté chrétienne peut-elle remplir désormais     son rôle de soutien de la foi de chaque croyant? Le prêtre, responsable de     la communauté, est le plus souvent débordé, tiraillé entre de multiples     tâches, courant d’une paroisse à l’autre, chargé de nombreux     clochers. En dehors de Paris et des très grandes villes de France, le tissu     ecclésial se distend par la simple diminution des rassemblements     eucharistiques. Les communautés chrétiennes territoriales sont devenues si     étendues, que leurs responsables sont loin de la vie quotidienne de chacun.     Comment les communautés vivront-elles lorsqu’il n’y aura plus que vingt     ou trente prêtres dans certains diocèses? La question des ministères est     ainsi posée. Elle a déjà beaucoup évolué avec la multiplication des     diacres et la diversification des missions données à des laïcs ce qui     permet d’assurer une présence ecclésiale essentielle. Mais d’autres évolutions     sont nécessaires pour rendre l’Eucharistie plus accessible aux communautés.
 Chacun pourra alors s’affronter à la difficulté de vivre en chrétien     dans la culture contemporaine. Ce défi n’est pas le moindre. Le mode de     vie matériellement facile que nous avons dans nos pays, la liberté extrême     et l’absence de repères qui le caractérisent, demandent de la part des     chrétiens un enracinement très profond de leur foi, y compris face à la dérision     dont ils sont l’objet dans les médias. Il revient alors à l’Eglise     d’encourager et de soutenir les croyants, en s’appliquant à elle-même     cette devise si souvent citée: « N’ayez pas peur. » De quoi     aurions-nous peur, en effet, si nous croyons profondément à la force de     l’Evangile, à sa capacité d’appel de tout homme, à sa puissance de     conversion? Encore faut-il y mettre du nôtre, en prenant en compte les     changements de ce monde.
 PIERRE DE CHARENTENAY s.j.
 Source : Etudes     - Septembre 2007
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