15 septembre 2007





Le Motu proprio Summorum pontificum et le bien commun de l’Eglise
Septembre 2007 - Abbé Gouyaud - Saint-Joseph (Strasbourg)
Le Motu proprio Summorum pontificum et le bien commun de l’Eglise Sans entrer dans le détail d’un passé – qui est aussi un passif – chargé de vicissitudes, Benoît XVI énonce sobrement que le Missel antérieur à la réforme liturgique « n’a jamais été juridiquement abrogé, et […] par conséquent, en principe, est toujours resté autorisé ». Les historiens analyseront un jour avec intérêt ce phénomène admirable d’une chose qui, pendant près de quarante ans, était en principe autorisée mais a été en pratique interdite ! La logique de la concession du missel tridentin (Indult de 1984) se situait elle-même dans cette perspective positiviste d’interdiction ou d’autorisation. Cette problématique-là est désormais dépassée.
Apparemment, dans ce dossier, les évêques perdent la main. Benoît XVI entend « délivrer les évêques de la nécessité de réévaluer sans cesse » leur réponse aux demandes émanant de fidèles souhaitant bénéficier de cette liturgie. Mgr Grallet, archevêque de Strasbourg, écrit pertinemment : « En dégageant les évêques de la concession des autorisations en la matière, [le pape] souhaite éviter que la question ne s’envenime au niveau des diocèses, comme cela s’est déjà passé. » On se souvient que Jean-Paul II demandait aux évêques de s’associer à sa volonté de « faciliter la communion ecclésiale » aux fidèles catholiques attachés aux formes liturgiques de la tradition latine « grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations ». La lettre et le Motu proprio de Benoît XVI prennent acte du peu de zèle d’un certain nombre d’évêques de s’associer, au moins sur ce point, à la volonté du successeur de Pierre ! Benoît XVI propose désormais aux évêques un nouveau mode d’exercice de leur autorité : ne plus céder aux groupes de pression que sont trop souvent devenues différentes instances de conseil mais exaucer le désir des pauvres qui demandent cette liturgie et auxquels les curés auront opposé une fin de non recevoir.
En réalité, Benoît XVI confie clairement la forme extraordinaire du rite romain aux diocèses ! Certains « traditionalistes » eussent souhaité que l’on déclarât la liturgie tridentine « rite propre » avec les conséquences ecclésiales et pastorales que cela comporte : ordinariat spécifique, ministère échappant à la juridiction des évêques résidentiels. Subtilement, Benoît XVI affirme l’unicité du rite romain et la dualité de ses formes. Et, pour la célébration de cette forme, il ne se tourne pas d’abord vers des instituts érigés ad hoc comme à des sociétés prestataires de services ; il s’adresse principalement aux curés qui accueillent le tout-venant sans sectorisation a priori de leur sollicitude pastorale. Il s’agit donc précisément – et c’est là le génie de Benoît XVI – d’une normalisation de cette forme liturgique par sa dévolution au niveau le plus élémentaire qu’est la paroisse. Le Pape évite de ce fait à cette liturgie d’être marginalisée et aux fidèles qui souhaitent y participer d’être « ghettoïsés ».
Aux instituts « Ecclesia Dei », le Pape demande la cohérence : « Evidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. » D’une part, la lettre de Benoît XVI situe bel et bien la légitimité de l’usage du missel traditionnel dans l’acceptation du missel rénové. D’autre part, qui pourra sans ciller affirmer que l’exclusivité de la forme extraordinaire ne correspond pas de fait à une mise en cause de la forme ordinaire, mise en cause qui a posé des problèmes ecclésiologiques - comme la rupture de communion - qui font partie de « l’état de la question » qui nous occupe. La réaction de certains traditionalistes à ce passage de la lettre de Benoît XVI sera sans nul doute éloquente.
A l’opposé de toute approche dialectique, Benoît XVI souhaite un enrichissement réciproque, une émulation entre les deux formes liturgiques. Que la nouvelle forme s’inspire de la sacralité de l’ancienne et que l’ancienne ne se sclérose pas jusqu’à se priver des apports positifs de la réforme – car la liturgie doit croître organiquement à la manière d’un corps vivant. On reconnaît là ce que J. Ratzinger demandait à la mouvance traditionnelle, laquelle dans son ensemble, hélas, ne l’a pas entendu sur ce point : que l’on tienne compte des principes essentiels (participation des fidèles, unité de l’action liturgique, mise en valeur de la Parole de Dieu) de la Constitution conciliaire sur la liturgie y compris quand on célèbre selon l’ancien missel. D’un autre côté, Benoît XVI demande aux tenants de la nouvelle forme de s’en tenir aux prescriptions rituelles, tant la créativité arbitraire en manière liturgique a été calamiteuse, mettant en avant le célébrant ou l’assemblée et occultant le Christ, véritable sujet de la liturgie. A terme, pour le bien de toute l’Eglise, c’est la fameuse « réforme de la réforme » qui reste l’objectif de Benoît XVI.
Dans la perspective de ce bien commun, c’est-à-dire de la communion de toutes les Eglises à laquelle il préside, Benoît XVI vise la « réconciliation interne au sein de l’Eglise ». J. Ratzinger a étudié attentivement la genèse des schismes. Certains biens ou vérités ont émigré hors du périmètre visible de l’Eglise faute d’être suffisamment aimés et vécus in sinu. Promouvoir à nouveau ces éléments en leur donnant un espace vital suffisant, c’est résorber le schisme en le rendant superflu à partir de l’intérieur même de l’Eglise. A considérer l’histoire des ruptures dans l’Eglise, « on a l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ». N’est-ce pas reconnaître le caractère bilatéral des responsabilités dans ces situations de crise ? Résolument hostile à toute forme d’idéologie – comme celle consistant à privilégier un dialogue avec ceux qui sont les plus éloignés des fondamentaux catholiques, Benoît XVI estime qu’œcuménisme bien ordonné commence par dissident le plus proche, en l’occurrence la mouvance de Mgr Lefebvre ! Au fond, le Pape invite chacun moins à un élargissement de la forme traditionnelle de célébrer qu’à un élargissement du cœur.
Christian Gouyaud, curé