| Le Motu proprio Summorum pontificum     et le bien commun de l’Eglise     Sans entrer dans le détail d’un passé – qui est aussi un passif –     chargé de vicissitudes, Benoît XVI énonce sobrement que le Missel antérieur     à la réforme liturgique « n’a jamais été juridiquement abrogé, et     […] par conséquent, en principe, est toujours resté autorisé ». Les     historiens analyseront un jour avec intérêt ce phénomène admirable     d’une chose qui, pendant près de quarante ans, était en principe autorisée     mais a été en pratique interdite ! La logique de la concession du missel     tridentin (Indult de 1984) se situait elle-même dans cette perspective     positiviste d’interdiction ou d’autorisation. Cette problématique-là     est désormais dépassée. Apparemment, dans ce dossier, les évêques perdent la main. Benoît XVI     entend « délivrer les évêques de la nécessité de réévaluer sans     cesse » leur réponse aux demandes émanant de fidèles souhaitant bénéficier     de cette liturgie. Mgr Grallet, archevêque de Strasbourg, écrit     pertinemment : « En dégageant les évêques de la concession des     autorisations en la matière, [le pape] souhaite éviter que la question ne     s’envenime au niveau des diocèses, comme cela s’est déjà passé. »     On se souvient que Jean-Paul II demandait aux évêques de s’associer à     sa volonté de « faciliter la communion ecclésiale » aux fidèles     catholiques attachés aux formes liturgiques de la tradition latine « grâce     à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations ».     La lettre et le Motu proprio de Benoît XVI prennent acte du peu de zèle     d’un certain nombre d’évêques de s’associer, au moins sur ce point,     à la volonté du successeur de Pierre ! Benoît XVI propose désormais aux     évêques un nouveau mode d’exercice de leur autorité : ne plus céder     aux groupes de pression que sont trop souvent devenues différentes     instances de conseil mais exaucer le désir des pauvres qui demandent cette     liturgie et auxquels les curés auront opposé une fin de non recevoir.
 En réalité, Benoît XVI confie clairement la forme extraordinaire du     rite romain aux diocèses ! Certains « traditionalistes » eussent souhaité     que l’on déclarât la liturgie tridentine « rite propre » avec les conséquences     ecclésiales et pastorales que cela comporte : ordinariat spécifique,     ministère échappant à la juridiction des évêques résidentiels.     Subtilement, Benoît XVI affirme l’unicité du rite romain et la dualité     de ses formes. Et, pour la célébration de cette forme, il ne se tourne pas     d’abord vers des instituts érigés ad hoc comme à des sociétés     prestataires de services ; il s’adresse principalement aux curés qui     accueillent le tout-venant sans sectorisation a priori de leur sollicitude     pastorale. Il s’agit donc précisément – et c’est là le génie de     Benoît XVI – d’une normalisation de cette forme liturgique par sa dévolution     au niveau le plus élémentaire qu’est la paroisse. Le Pape évite de ce     fait à cette liturgie d’être marginalisée et aux fidèles qui     souhaitent y participer d’être « ghettoïsés ».
 Aux instituts « Ecclesia Dei », le Pape demande la cohérence : «     Evidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés     qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe,     exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du     nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et     de sa sainteté. » D’une part, la lettre de Benoît XVI situe bel et bien     la légitimité de l’usage du missel traditionnel dans l’acceptation du     missel rénové. D’autre part, qui pourra sans ciller affirmer que     l’exclusivité de la forme extraordinaire ne correspond pas de fait à une     mise en cause de la forme ordinaire, mise en cause qui a posé des problèmes     ecclésiologiques - comme la rupture de communion - qui font partie de «     l’état de la question » qui nous occupe. La réaction de certains     traditionalistes à ce passage de la lettre de Benoît XVI sera sans nul     doute éloquente.
 A l’opposé de toute approche dialectique, Benoît XVI souhaite un     enrichissement réciproque, une émulation entre les deux formes     liturgiques. Que la nouvelle forme s’inspire de la sacralité de     l’ancienne et que l’ancienne ne se sclérose pas jusqu’à se priver     des apports positifs de la réforme – car la liturgie doit croître     organiquement à la manière d’un corps vivant. On reconnaît là ce que     J. Ratzinger demandait à la mouvance traditionnelle, laquelle dans son     ensemble, hélas, ne l’a pas entendu sur ce point : que l’on tienne     compte des principes essentiels (participation des fidèles, unité de     l’action liturgique, mise en valeur de la Parole de Dieu) de la     Constitution conciliaire sur la liturgie y compris quand on célèbre selon     l’ancien missel. D’un autre côté, Benoît XVI demande aux tenants de     la nouvelle forme de s’en tenir aux prescriptions rituelles, tant la créativité     arbitraire en manière liturgique a été calamiteuse, mettant en avant le célébrant     ou l’assemblée et occultant le Christ, véritable sujet de la liturgie. A     terme, pour le bien de toute l’Eglise, c’est la fameuse « réforme de     la réforme » qui reste l’objectif de Benoît XVI.
 Dans la perspective de ce bien commun, c’est-à-dire de la communion de     toutes les Eglises à laquelle il préside, Benoît XVI vise la « réconciliation     interne au sein de l’Eglise ». J. Ratzinger a étudié attentivement la     genèse des schismes. Certains biens ou vérités ont émigré hors du périmètre     visible de l’Eglise faute d’être suffisamment aimés et vécus in sinu.     Promouvoir à nouveau ces éléments en leur donnant un espace vital     suffisant, c’est résorber le schisme en le rendant superflu à partir de     l’intérieur même de l’Eglise. A considérer l’histoire des ruptures     dans l’Eglise, « on a l’impression qu’aux moments critiques où la     division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas     fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et     l’unité ». N’est-ce pas reconnaître le caractère bilatéral des     responsabilités dans ces situations de crise ? Résolument hostile à toute     forme d’idéologie – comme celle consistant à privilégier un dialogue     avec ceux qui sont les plus éloignés des fondamentaux catholiques, Benoît     XVI estime qu’œcuménisme bien ordonné commence par dissident le plus     proche, en l’occurrence la mouvance de Mgr Lefebvre ! Au fond, le Pape     invite chacun moins à un élargissement de la forme traditionnelle de célébrer     qu’à un élargissement du cœur.
 Christian Gouyaud, curé
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