SOURCE - François Wenz-Dumas - Libération - 5 février 1996
On se serait cru retourné au début du siècle, quand les inventaires
On se serait cru retourné au début du siècle, quand les inventaires
imposés par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat déchiraient les villages entre pro et anticurés. Pourtant, cela se passait hier sur fond d'architecture futuriste du quartier du Pavé neuf de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). Le face-à-face opposait une petite centaine de militants laïques à deux cents catholiques intégristes venus dire une messe pour consacrer la pose de la première pierre d'une église financée par leurs dons.
Pour prévenir tout affrontement, les autorités avaient déployé vers 10h30 un cordon de policiers à la sortie de l'hôtel Adagio, où venait d'officier «monseigneur» Alfonso de Galaretta, un des quatre évêques ordonnés naguère par feu l'évêque traditionaliste Mgr Lefebvre. Mais ni les militants laïques, ni les intégristes catholiques n'étaient venus pour en découdre, malgré quelques slogans («Eglise intégriste, église fasciste») qui ne faisaient pas dans la dentelle. Et le vent glacial de ce dimanche matin a suffi à refroidir les velléités bagarreuses.
Le cortège de fidèles traditionalistes put ainsi gagner le terrain où sera édifiée leur chapelle dédiée à saint Martin. Ironie de l'histoire, la rue où elle doit être bâtie est consacrée à Jules Ferry. Autre curiosité locale, il aura fallu l'élection en juin dernier d'un maire socialiste, le rocardien Michel Pajon, pour que le permis de construire refusé par son prédécesseur UDF-PR, Antoine Pontone, soit enfin accordé. C'est au mois de septembre que la demande formulée par l'Ancre (Association noiséenne catholique pour la continuité du rite dans l'Eglise) a abouti, provoquant l'indignation de militants de gauche et d'extrême gauche.
«Je n'avais légalement aucun moyen de refuser ce permis de construire, se défend Michel Pajon, et je ne pouvais pas prendre le risque de faire condamner la ville.» Ce à quoi les militants laïques comme Patrick August, responsable d'une association de parents d'élèves et candidat malheureux contre Pajon à la tête d'une liste de gauche indépendante en juin dernier, rétorquent qu'il était toujours possible de préempter le terrain. «Je ne pense pas que l'on fasse avancer la cause laïque en adoptant une attitude aussi intégriste que celle que l'on veut dénoncer», se défend le maire de Noisy-le-Grand qui, à l'instar des autorités religieuses officielles, estime que «moins on parlera de ces gens-là, moins on fera avancer leurs idées».
Le fait que le futur bâtiment de culte soit également une petite curiosité architecturale a aussi joué dans la décision du maire de Noisy de ne pas mener de guérilla administrative contre ce projet. Il s'agit en effet d'une chapelle en pierres de taille, édifiée en 1860 à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) et désaffectée de 1881 à 1990. Démontée en 1992, elle est rachetée deux ans plus tard par l'association traditionaliste. Elle doit être remontée à l'identique, apportant une note très «vieille France» dans ce quartier pavillonnaire de Noisy-le-Grand.
On en eut hier un avant-goût lors de la cérémonie de bénédiction de la première pierre, avec promenade des bannières en l'honneur de saint Martin et du Sacré-Coeur, puis de l'encensoir aspergeant d'eau bénite le périmètre sur fond de psaumes en latin. Au premier rang, les scouts «Godefroy-de-Bouillon» arboraient leur grand uniforme et les familles catholiques BCBG leurs chaussettes blanches et jupes plissées bleues. «Voyez-vous, explique un vieux monsieur très digne, tous les socialistes ne sont pas forcément mauvais. Prenez monsieur Pajon, le maire de Noisy-le-Grand, il s'est montré plus juste que son prédécesseur, qui était pourtant de droite.» Un sentiment partagé par Michel Paulin, leader local du Front national, qui était venu hier suivre les cérémonies, «à titre personnel et en tant qu'élu».
C'est pour dénoncer cette visible collusion entre l'extrême droite et les traditionalistes que la quasi-totalité des organisations de gauche noiséennes avait appelé à manifester hier. Laissant le maire socialiste assumer seul sa décision de respecter la stricte neutralité républicaine à l'égard des mouvements religieux, même extrémistes.
François Wenz-Dumas