SOURCE - Benjamin Barthe, Coline Cardi - L'Humanité - 13 juillet 2000
Ordre moral. Traditionalistes catho et cadres d'extrême droite sont à l'origine des recours en Conseil d'État contre Baise-moi et la pilule du lendemain.
Ordre moral. Traditionalistes catho et cadres d'extrême droite sont à l'origine des recours en Conseil d'État contre Baise-moi et la pilule du lendemain.
Les associations familiales étrennent leurs galons médiatiques acquis dans la bataille du PACS pour reprendre la main à un mois de la célébration du jubilé de la Sainte Famille.
Assommés par l'adoption du PACS en octobre dernier, les croisés de l'ordre moral ont perdu une bataille mais ils n'ont pas perdu la foi. Leur activisme s'est vu récompenser le 30 juin dernier par une double décision du Conseil d'État. D'une part, l'annulation de la délivrance de la pilule du lendemain aux élèves des collèges et lycées par les infirmières scolaires. D'autre part, le retrait du visa d'exploitation accordé au film de Virginie Despentes Baise-moi et, par voie de conséquence, sa relégation dans les bas-fonds du X. Dans ces deux cas, les sages de la place du Palais-Royal ont été saisis par des associations catholiques et familiales, qui portent en bandoulière leur haine de l'IVG et de l'homosexualité. Ce faisant, les gardiens du droit ont donné raison à des militants qui ne font pas mystère de leur engagement à l'extrême droite et dont certains ne répugnent guère à piétiner la loi pour mieux asséner leurs idées.
C'est à l'association Promouvoir, basée à Carpentras, que le film de Virginie Despentes doit son auréole de martyre. Jointe sur place par téléphone, une adhérente d'un âge certain précise l'objet du mouvement : " Nous luttons contre la pédophilie et la pornographie. " Puis, à vois basse : " Enfin... contre tout ce qui a trait au... sexe ". A-t-elle vu l'objet du scandale ? " Non, mais tout le monde a été choqué, même les gens qui ne sont pas catholiques. Il suffit de lire les bonnes revues. C'est un film qui va à l'encontre de la morale judéo-chrétienne. " André Bonnet, quarante-quatre ans, père de huit enfants, n'a pas ces pudeurs. Le président de Promouvoir, créé en 1996 et qui fédère aujourd'hui 500 membres et sympathisants, a vu Baise-moi dès sa sortie, le 28 juin dernier. " J'ai failli sortir de la salle au bout de dix minutes, en hurlant au crime ! Pensez donc ! Un malheureux qui fait le cochon à quatre pattes et qui se prend un coup de pistolet dans l'anus ! C'est de la barbarie. Ce film n'a rien à faire à côté de Pocahontas et de Fantasia 2000. "
Juge au tribunal administratif de Lyon, procédurier accompli, M. Bonnet n'en est pas à son coup d'essai. Il a déjà fait condamner deux éditeurs pour diffusion de revue pornographique et s'apprête à traîner la FNAC d'Avignon en procès pour avoir disposé dans ses bacs " des BD avec des fellations en gros plans juste à côté des albums de Boule et Bill ". Il précise : " J'aime bien la BD, mais je suis plus Dupuis qu'Humanoïdes associés. " S'il avait pu, sûr que M. Bonnet aurait aussi porté plainte contre la Gay Pride. " Cette manifestation est tellement ignoble, ces gens qui se touchent dans la rue... c'est à vomir. " Tenace, le pourfendeur du porno veut guider ses victimes sur le chemin de la rédemption. " J'ai envie de demander à Virginie Despentes : ømais qu'est qui vous est arrivé pour en être là. Il n'y a pas que la nuit, tournez vous vers le positif, vers la lumière. "
Or, chez Bonnet et consorts, la " lumière " tire sur le brun sans vergogne. En une dizaine d'années, le responsable de Promouvoir a goûté à toutes les cuisines de l'extrême droite française. D'abord cadre de l'éphémère Combat pour les valeurs de Philippe de Villiers, il passe chez Le Pen en 1997, affligé par " l'opportunisme " du vicomte. Il s'installe à cette époque à Carpentras pour boire de plus près la parole du père Gérard Calvet, l'abbé du monastère du Barroux. Autrefois proche de Mgr Lefebvre, Don Gérard est retourné dans le giron papal sans rien renier à la " prédication antimoderniste ", dont il chante les louanges dans les pages du quotidien Présent. " Le Barroux est l'une des plates-formes idéologiques centrales de tous les mouvements anti-avortement, souligne Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique Golias. Le père Calvet est un traditionaliste rallié. Il célèbre toujours la messe en latin, comme il y a 200 ans. "
Quand le FN éclate, M. Bonnet suit Mégret, qu'il juge davantage fréquentable que Le Pen. Il est aujourd'hui l'un des principaux cadres du Mouvement national républicain (MNR), où il cogite sur la réforme des institutions. Il est vrai que monsieur le juge est un homme de principe : " Si l'on m'apporte la preuve que Bruno Mégret est antisémite, je démissionne. " Des principes néanmoins perfectibles, car, pour stigmatiser l'action de la ministre de la Culture, les preuves deviennent aussitôt accessoires. La théorie du complot suffit. " Il y a des groupes de pression qui cherchent à imposer une vision déviante du sexe. Catherine Tasca est liée à ces lobbies. "
À coups sûrs, ces élucubrations ne déplaisent pas à la dizaine d'associations qui ont obtenu du Conseil d'État le retrait de la circulaire Royal sur la pilule du lendemain. Parmi les plus actives figurent Choisir la vie, Union pour la vie, le Comité pour sauver l'enfant à naître et l'Alliance pour les droits de la vie. Toutes gravitent dans la nébuleuse traditionaliste et cultivent des liens plus ou moins solides avec l'extrême droite. À l'image de leur avocat, Me Delvolvé, professeur à la faculté d'Assas, proche de l'Opus Dei et qui ouvra un temps comme conseiller de Le Pen quand le DPS, le service d'ordre frontiste, fut mis en cause. Ces associations partagent avec Promouvoir la conviction qu'un ordre naturel, divin, donc intangible, s'impose à tous les hommes, catholiques ou non, et qu'il supplante les lois de la société. À ce titre, elles s'autorisent divers bras d'honneur à la législation française. Les militants de Choisir la vie, présidé par Michel Raoult, sont par exemple invités à escroquer le fisc en amputant de leur impôt leur part de la somme que l'État consacre chaque année au remboursement de l'avortement.
De leur côté, Union pour la vie et le Comité pour sauver l'enfant à naître couvent avec bienveillance les commandos anti-IVG qui s'enchaînent dans les salles d'opération au mépris de la loi Veil. Le second est d'ailleurs un satellite de Travail, Famille, Propriété, un mouvement d'extrême droite d'obédience brésilienne, qui soutint dans les années soixante-dix les propriétaires terriens en butte aux paysans gagnés par la théologie de la libération et qui s'est recyclé depuis dans la défense de l'ordre moral. Quant à l'Alliance pour les droits de la vie, elle fonctionne comme le holding de Christine Boutin, la madone UDF des anti-PACS. Colonne vertébrale du mouvement pro-vie français, la Boutin SA bataille aussi contre l'euthanasie, la famille recomposée, la pilule, l'IVG, l'union libre, etc.
L'offensive de ces groupuscules peut s'apprécier dans la logique de l'après-PACS. Forts d'une capacité inédite à médiatiser leurs coups, les pro-vie l'ont aussitôt employée pour atténuer les contrecoups d'une défaite cinglante. Mais au-delà ? Pour Thierry Meyssan, responsable du Réseau Voltaire, les mégrétistes se servent de l'affaire Baise-moi comme d'un appât en direction des troupes villiéristes mises au ban du RPF. " Bonnet est au MNR, mais, comme ancien cadre du vicomte, il fonctionne comme une tête de pont. C'est une façon de montrer que Mégret n'est pas un méchant païen, que lui aussi défend les valeurs catholiques. " Christian Terras, de Golias, analyse pour sa part ces manouvres à la lumière de la Fête de la famille. Le grand raout des associations catholiques doit se tenir en août au Puy (Haute-Loire), sous l'égide de son évêque, le très conservateur Mgr Brincard. " Il n'est pas neutre que ces affaires sortent aujourd'hui. Tous ces groupes se préparent au jubilé de la Sainte Famille, qui doit être le point d'orgue d'une année de reconquête. " Et faute de prendre la législation pro-IVG en défaut, les militants s'attaquent à la culture. Leur prochaine cible pourrait être Fantasmes, un brûlot sud-coréen sous influence SM, sorti mercredi dernier et que l'infatigable M. Bonnet a déjà mis dans son collimateur. La décadence n'a décidément pas de frontières.