15 septembre 2005

[Mgr Fellay, fsspx - 30 Giorni] Après l’audience accordée par le pape au supérieur de la Fraternité Saint Pie X - «Nous ne voulons imposer aucun diktat»

SOURCE - Interview de Monseigneur Bernard Fellay - 30giorni.it - Septembre 2005

Après l’audience accordée par le pape au supérieur de la Fraternité Saint Pie X
«Nous ne voulons imposer aucun diktat»


Interview de Monseigneur Bernard Fellay. Le supérieur des disciples de Mgr Lefèbvre raconte sa rencontre avec Benoît XVI et il précise: «Nous ne voulons pas poser de conditions préalables au Saint-Siège»
Interview de Monseigneur Bernard Fellay par Gianni Cardinale

«Aujourd’hui, S. E. R. Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la Fraternité Saint Pie X, a rencontré le Saint-Père Benoît XVI dans sa résidence de Castel Gandolfo. À l’issue de l’audience, il a fait la déclaration suivante: “La rencontre a duré environ trente-cinq minutes, dans un climat serein. Cette audience a été pour la Fraternité l’occasion de manifester qu’elle a toujours été et qu’elle sera toujours attachée au Saint-Siège, Rome éternelle. Nous avons rappelé les sérieuses difficultés bien connues, dans un esprit de grand amour pour l’Église. Nous avons trouvé un accord pour procéder par étapes afin d’essayer de résoudre les problèmes. La Fraternité Saint Pie X prie afin que le Saint-Père puisse trouver la force de mettre fin à la crise de l’Église ‘en instaurant toute chose dans le Christ’”».
C’est ainsi que la Fraternité Saint Pie X a donné la nouvelle de l’audience accordée le 29 août à son supérieur, Mgr Fellay, par Benoît XVI. 30JOURS a pris contact par téléphone avec le successeur de Monseigneur Marcel Lefèbvre dans le quartier général de la Fraternité, à Menzingen, en Suisse.

Monseigneur Fellay, quelle est la signification de cette audience?
BERNARD FELLAY: Il s’est agi d’une rencontre qui s’est insérée, j’oserais dire normalement, dans le cadre d’un dialogue entre nous et Rome qui a commencé en 2000 et qui a connu un développement peut-être lent, mais bien orienté vers ce que nous désirons et ce que désire le Saint-Siège: une relation normale de Rome avec sa Tradition et par conséquent de la Fraternité avec Rome, de manière telle que la Fraternité puisse continuer son apostolat sans les ombres qui existent aujourd’hui.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à demander cette audience?
FELLAY: Avant tout, l’amour de l’Église. Et ensuite, le fait qu’il y a un nouveau pontife, et qu’il a été naturel pour nous de demander une audience pour révérer le nouveau successeur de Pierre, notre pape, et lui rendre hommage. C’est la première raison. Et puis, dans le sillage du dialogue de ces cinq dernières années, nous désirions aussi essayer de comprendre ce qu’on peut attendre pour l’avenir, et présenter au pape ce qui est selon nous le status quæstionis... Le problème posé par la Fraternité se résoudra naturellement par la réconciliation de l’Église actuelle avec son passé. «J’ai la conviction», disait le pape Pie XII, «que l’Église de Pierre doit revendiquer son passé; autrement elle creusera sa propre tombe». [Cf. Georges Roche et Philippe Saint Germain: Pie XII devant l’histoire, Paris 1972, pp. 52-53, ndr].
Vous avez donc eu l’occasion de réaffirmer vos conditions pour accélérer les étapes d’une totale réconciliation?
FELLAY: Nous ne voulons pas poser de conditions préalables au Saint-Siège. Nous ne voulons imposer aucun diktat. Ce n’est pas notre position. Nous disons seulement que si on veut construire un pont, on doit penser avant tout aux piles qui doivent le soutenir.
La première serait la libéralisation de l’usage de ce qu’on appelle la messe tridentine.
FELLAY: Ce qui nous intéresse, c’est que l’Église change ce climat d’hostilité généralisée, qui tourne parfois à la persécution, envers tout ce qui est considéré comme traditionnel, envers tout ce qui est lié à la Tradition. Ceci fait qu’il est impossible, pour les catholiques liés à la Tradition, de mener une vie normale. Pour changer ce climat, nous suggérons que soit formellement déclaré ce qui est déjà une situation existante de droit, à savoir que la messe de saint Pie V n’a jamais été abolie et que par conséquent, elle peut être célébrée librement par tous. Cette requête ne nous semble pas exorbitante, et cela serait très utile pour changer le climat hostile qui entoure tout le monde traditionaliste.
Et puis la deuxième pile du pont serait la révocation des excommunications prononcées par le Saint-Siège en 1988.
FELLAY: Dans notre milieu, on ne se fie pas aux autorités ecclésiastiques, à cause des souffrances subies par le passé et jusqu’à aujourd’hui; et pour surmonter cette défiance, la révocation de la soi-disant excommunication serait une solution très opportune, d’autant plus qu’elle se fonde sur un prétendu schisme qui, en réalité, n’existe pas.
Vous êtes satisfait de la faço­n dont s’est passée l’audience?
FELLAY: Elle s’est bien passée. Bien sûr, il reste un peu de désappointement parce qu’il n’y a pas eu assez de temps pour tout dire. C’était d’ailleurs impossible en trente minutes d’audience. On ne pouvait rien attendre de plus que ce qui a eu lieu. Il est important que le pape nous ait reçus et c’est bon signe qu’il nous ait donné tout ce temps avec bienveillance. L’atmosphère a été sereine, même si les problèmes existants n’ont pas été passés sous silence.
Lorsque le cardinal Joseph Ratzinger a été élu pape, vous n’avez pas caché votre satisfaction parce qu’au fond, il s’agissait de votre “candidat préféré” parmi les “papabili” du Sacré Collège.
FELLAY: C’est vrai, et je le pense toujours après l’audience. Le pape actuel a de nombreux points en sa faveur. Il connaît très bien notre cas, plus que tout autre peut-être, et il le connaît depuis le début. Il connaît très bien aussi la curie romaine, et c’est très important pour le pontificat. Le caractère sacré de la liturgie lui tient à cœur, et il est conscient de l’importance de la doctrine; cela joue aussi en sa faveur. Et enfin, il semble vouloir gouverner la curie, et cela nous fait plaisir.
Quel pourra être, à votre avis, l’obstacle principal pour arriver à une réconciliation totale?
FELLAY: La compréhension du Concile Vatican II. Le simple fait qu’on dise qu’il faut lire Vatican II à la lumière de la Tradition signifie que les textes conciliaires en eux-mêmes ne sont pas clairs et qu’ils ont donc besoin d’une interprétation; et cette ambiguïté de fond ne peut pas ne pas être considérée comme une des causes de la crise actuelle de l’Église.
Ne vous suffirait-il pas de rappeler que le Concile Vatican II a été un concile pastoral et non dogmatique?
FELLAY: C’est justement pour cela que nous nous permettons de faire des observations critiques sur certains documents conciliaires. Si le concile avait proclamé des dogmes, nous ne pourrions certainement pas nous le permettre. D’autre part, pour ce qui n’est pas déclaré de manière infaillible par le magistère, il devrait y avoir, dans des limites raisonnables, une liberté de critique, sans pour autant qu’on encoure des persécutions.
Vous voudriez donc en quelque sorte avoir la liberté d’exprimer des jugements différents sur la condition historique de l’Église...
FELLAY: C’est d’ailleurs ce qui arrive habituellement dans l’Église d’aujourd’hui. Combien de prêtres, combien d’enseignants ou d’évêques le font sans pour autant être l’objet d’inquisitions ou de soupçons? Le paradoxe, c’est que cette possibilité nous est déniée a priori.
Y a-t-il des résistances au sein de la Fraternité par rapport à ces entrevues avec le Saint-Siège?
FELLAY: Il y en a, mais c’est seulement à cause de ce manque de confiance dans les autorités ecclésiastiques que j’ai expliqué tout à l’heure. C’est un phénomène que je ne peux pas nier, et cela explique la prudence avec laquelle nous avançons dans le dialogue. C’est d’ailleurs pour cette raison que je comprends parfaitement aussi la prudence du Saint-Père. Je comprends que si le Saint-Père fait quelque chose en notre faveur, il se heurtera sans aucun doute à des obstacles et à des résistances énormes.
Quelle pourrait être la prochaine étape de ce dialogue avec Rome?
FELLAY: Nous attendons quelque chose de Rome en faveur de la Tradition, pas envers nous en particulier, mais envers les fidèles liés à la Tradition. Un geste qui démontre que la Tradition est une chose normale dans l’Église, qu’elle n’est pas liée à des concessions ou à des indults. Ceci est déjà affirmé de manière nominale, mais dans les faits, il n’en est pas ainsi.
Même parmi les personnalités ecclésiastiques qui considèrent la Fraternité et ses liens avec la liturgie préconciliaire avec sympathie, on voit parfois se manifester des perplexités dues à certaines sorties qui semblent évoquer des nostalgies irrecevables pour un ancien régime, pour une alliance entre le trône et l’autel désormais dépassée par l’histoire...
FELLAY: Le fait qu’il n’y ait plus d’états catholiques signifie qu’il n’y a plus de protection pour l’Église et que sont approuvées des lois contraires à la morale chrétienne, avec des conséquences désastreuses pour le salut des âmes. Nous ne pouvons pas nous taire à ce sujet.
Mais, comme vous le dites vous-même, il n’existe plus désormais d’états catholiques, étant donné aussi la crise de l’Église que vous dénoncez vigoureusement...
FELLAY: C’est vrai du point de vue des faits, et il faut donc agir avec la prudence nécessaire dans ce domaine. Nous savons très bien que la foi se communique par la grâce de Dieu. On ne peut prétendre imposer la foi à personne par la violence. Et puis, qui pourrait le faire aujourd’hui? Mais du point de vue des principes, on ne peut exclure la possibilité que la foi puisse se répandre de manière telle que puisse naître, pour le salut des âmes et pour une vie satisfaisante des hommes, une réalité politique qui uniformiserait sa propre législation et la loi divine.
Avez-vous constaté des réactions à votre égard de la part d’évêques catholiques après l’audience du 29 août?
FELLAY: Non, il n’y en a pas eu jusqu’ici. Ils attendent peut-être de voir ce qui va arriver.
Monseigneur Fellay, vos positions critiques à l’égard de l’œcuménisme encouragé par le Saint-Siège après le Concile Vatican II sont connues; mais avez-vous des contacts avec d’autres Églises ou d’autres communautés ecclésiales?
FELLAY: Il y a des contacts avec des prêtres et des évêques orthodoxes. Il arrive parfois qu’ils s’adressent à nous avec sympathie parce qu’ils nous considèrent comme des schismatiques anti-romains, ce qui ne nous plaît pas du tout. Nous ne sommes pas schismatiques et nous tenons énormément aux liens avec Rome. Il est aussi arrivé que des évêques orthodoxes aient demandé d’adhérer à l’Église catholique à travers une adhésion à notre Fraternité. Je leur ai toujours répondu qu’ils doivent s’adresser à l’évêque de Rome, au pape. Nous ne sommes pas, et nous ne voulons pas être une Église parallèle, et je ne suis pas un anti-pape!