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Motu proprio : la réaction de Dom Louis-Marie, Père abbé de l’abbaye Sainte-Madeleine |
18 août 2007 - Présent |
— Comment avez-vous reçu le Motu proprio « Summorum Pontificum » ?
— Avec une grande joie, bien sûr. Nous attendions ce document avec une certaine fébrilité depuis presque un an, désespérant parfois de sa promulgation. Pour nos anciens, c’est une sorte de reconnaissance du bien-fondé de leur attachement à la messe traditionnelle et à l’esprit promu par cette forme extraordinaire du rite romain. Mais il faut ajouter que notre attitude doit être avant tout filiale. C’est en fils aimants que nous recevons les décisions du Saint-Siège. Il est difficilement supportable d’entendre les uns et les autres donner de bonnes ou mauvaises notes aux documents émanant du Pape. Au sujet des réformes liturgiques, Dom Prou, abbé de Solesmes, avait rappelé à sa communauté que les désirs du Saint-Père étaient des ordres. C’est en fils que nous recevons ce Motu proprio et que nous regrettons l’attitude réservée ou hautaine adoptée par certains évêques et de nombreux fidèles de Mgr Lefebvre, lesquels ont salué ce document par un : « Peut mieux faire ». — Comment voyez-vous maintenant l’évolution : dans une sorte de parallélisme entre les deux formes du rite romain ou dans une unité à laquelle il faudrait aboutir ?
— Quand on regarde l’histoire de l’Eglise, on constate deux tendances. La première est celle de l’unité du rite. Le Saint Père y fait une allusion en saluant le rôle des bénédictins dans l’unification du rite selon le désir du pape saint Grégoire le Grand. Il semble que ce soit aussi le désir de Benoît XVI selon la lettre écrite par lui, alors qu’il était encore cardinal, au Dr Barth (cf. la lettre Aletheia d’Yves Chiron). Pour cela, il faudra du temps et du travail dans les esprits et dans les livres. Un premier chantier serait de réduire les abus de part et d’autre, que l’on peut résumer selon le mot du philosophe Gustave Thibon : « Ne pas absolutiser ce qui est relatif et ne pas relativiser ce qui est absolu. »
La deuxième serait, d’une part, certaines retouches dans la « forme extraordinaire » comme, par exemple, l’adoption de nouvelles préfaces et des nouveaux saints, la possibilité des lectures en vernaculaire et l’application de quelques modifications de 1964 et 1965, comme Dom Gérard l’a fait pour nous et comme cela se faisait à Ecône jusqu’en 1982. D’autre part, dans la forme ordinaire du rite, une réforme de la réforme doit être promue, comprenant un plus large usage du latin, une plus grande sacralité dans les gestes, une plus grande précision, un plus grand respect des règles et surtout une manifestation plus nette de la foi en la présence réelle.
Il reste néanmoins un espace entre les deux formes du rite qui me semble difficile de réduire totalement. Pour résumer, je reprends l’expression du Père Cassingena-Trévedy qui présente le missel de 1962 comme celui du Ciel sur la terre, le Ciel qui s’impose à la terre, et celui de 1969 comme du Ciel pour la terre, avec un souci fondamental d’adaptation. De plus, l’un est très hiérarchisé (une « pièce montée ») et l’autre plus œcuménique (au sens catholique du terme). Si l’on veut retrouver une unité, il faudrait donc tout remanier, mais progressivement pour ne pas recommencer une révolution cérébrale et légaliste. Cela me semble néanmoins difficile. En revanche, je crois que l’unité du rite n’est pas une exigence pour l’Eglise.
La deuxième tendance que l’on constate dans l’histoire est celle de la pluralité des rites. Il suffit de penser à la vingtaine de rites orientaux et aux divers rites latins (de Braga, mozarabe, ambrosien, romano-lyonnais, dominicain). La forme extraordinaire du rite romain peut tout à fait coexister avec la forme ordinaire, avec cette mission propre et indispensable d’exprimer que, par la forme ordinaire, on ne veut rejeter ni le passé ni le sacré. Le Motu proprio interdit en quelque sorte de célébrer le nouveau rite dans un esprit de rupture avec l’ancien. — Comment faut-il comprendre les mots « ordinaire » et « extraordinaire » qui qualifient les deux formes du rite romain ?
— On peut se référer à la notion de confesseur ordinaire et extraordinaire : dans la paroisse, le confesseur ordinaire est le curé, mais il est courant de faire appel à un confesseur extérieur, qu’on appelle « extraordinaire ». Cela ne veut pas dire que les « ordinaires » soient mauvais !
Le mot « extraordinaire », on peut quand même le comprendre au sens où le rite ancien est supérieur, plus exigeant aussi sur le plan pratique, spécialement pour ceux qui ne comprennent pas le latin. Dans aucun séminaire on n’apprend à célébrer selon le rite de Paul VI ; ici, au contraire, on met six mois à enseigner le rite traditionnel, six mois où nos ordinands disent des « messes blanches », tant il exige de respect et de précision dans les paroles et les gestes. — Cette avancée sur la question liturgique ne semble pas suffisante à certains, qui mettent en avant la nécessité de poursuivre la réflexion critique sur Vatican II parfois jusqu’à prôner la méfiance sur le Motu proprio. Qu’en pensez-vous ?
— Le refus du fond de la doctrine de Vatican II et des principes de ses décisions disciplinaires est une prémisse fausse, incompatible avec la doctrine catholique concernant l’assistance du Saint-Esprit à son Eglise. Du faux, il peut suivre n’importe quoi, même si on raisonne rigoureusement. Si, du côté « progressiste », le coup de maître de Satan a souvent été de faire avaler à beaucoup de fidèles sous le prétexte d’obéir, et d’accepter le concile, des abus que le concile n’avait nullement cautionnés, il a aussi été, du côté « traditionaliste », sous le prétexte de fidélité à la Tradition, de faire avaler à certains des discours, des prises de position et des actes absolument contraires à toute la Tradition divine et apostolique. — Le Pape suggère et souhaite que les nouveaux saints puissent être intégrés dans le calendrier traditionnel. Que cela vous inspire-t-il ? Et pour ce qui est du « dimanche de la Miséricorde », comment pourrait-il trouver sa place dans l’ordonnancement du temporal ?
— Il est normal d’intégrer les nouvelles fêtes de saints dans le calendrier : cela s’est toujours fait dans l’Eglise. Entre saint Pie V et Pie IX, cent nouveaux saints sont entrés au calendrier, et entre Pie IX et Jean XXIII, encore cent autres environ. Pour ne rien dire des changements de degrés et parfois de dates de leurs fêtes.
Quant au dimanche de la Miséricorde, il a lieu le dimanche in albis. Il ne semble pas (sauf erreur de ma part) que sa célébration liturgique oblige le remplacement des textes de la liturgie dominicale du jour. Cela fait quelques années que nous célébrons ce dimanche de la Miséricorde au monastère avec les textes du dimanche in albis qui conviennent très bien.
Nous avons déjà mené un travail sur le sanctoral à la suite des rencontres de Fontgombault, y compris sur le bréviaire. Pour l’heure c’est un travail sans autorité, pas encore utilisé. A Campos, Mgr Rifan a déjà intégré de nouveaux saints et bienheureux. — Le Motu proprio ne constitue-t-il pas un appel à faire développer l’étude du latin, du grégorien, de la liturgie… pour faire mieux comprendre les splendeurs de la liturgie traditionnelle ?
— Selon le nouveau Code de droit canonique (can. 928), la messe peut être célébrée en latin, ou dans une traduction approuvée. Chaque prêtre a donc le droit de célébrer en latin même le nouveau rite. Cela, beaucoup l’ignorent, même parmi les évêques. Le vernaculaire a été imposé comme norme universelle par un abus de pouvoir, non conforme aux décisions du Saint-Siège concernant le nouvel Ordo. Malheureusement, Paul VI a fermé les yeux et parlé, et agi comme si le vernaculaire était devenu la règle en dehors des monastères. N’était-ce pas transformer un fait accompli en apparence de droit ? Ainsi, lorsqu’on parle de messe en latin, de nos jours, presque plus personne ne songe à la messe de Paul VI. Ce qui tend à conforter l’idée – erronée – que le latin est l’apanage de la messe de saint Pie V.
De toute façon, l’étude du latin est une nécessité pour rester en contact avec notre passé, et donc avec tous les textes (chrétiens ou païens) écrits dans cette langue admirable, et il faut donc l’encourager pour des raisons beaucoup plus vastes. Il est inacceptable qu’il existe en France des séminaires où, contrairement au droit (can. 249), le latin n’est plus enseigné.
Quant au grégorien, de soi, il n’est pas non plus réservé à la messe de saint Pie V, et l’exhortation apostolique Sacramentum caritatis, qui concerne de soi le nouveau rite, rappelle l’importance du grégorien. D’autre part, la messe de saint Pie V n’avait pas toujours été célébrée en grégorien : c’était saint Pie X qui avait redonné son droit de cité à cette monodie sobre et contemplative, au sein des polyphonies baroques plus ou moins exubérantes, pour ne rien dire des musiques dépourvues du sens du sacré qui pullulaient (et pullulent de nouveau, sous une forme encore pire), sans d’ailleurs interdire la polyphonie sacrée.
L’étude de la liturgie a son importance, mais je voudrais déclarer à certains « traditionalistes » que la liturgie ne se limite pas à une spiritualité des rubriques jusqu’au baiser des burettes, et à certains liturgistes promoteurs du nouveau rite, que la liturgie ne comprend pas seulement l’étude de l’histoire de la liturgie et la réduction de celle-ci à des reconstructions professorales en chambre à partir de quelques données écrites de l’Antiquité chrétienne et du Moyen Age. De plus, la liturgie n’est pas principalement objet d’étude (bien que l’étude des rubriques et celle de l’histoire de la liturgie soient toutes deux indispensables), la liturgie est action du Christ et de toute l’Eglise. C’est donc un drame dans lequel on se coule, et auquel on conforme sa manière de penser. La Règle de saint Benoît ne nous dit-elle pas de son côté : « Psalmodions de telle sorte que notre esprit concorde avec notre voix. » Les textes lus, et les gestes accomplis doivent modeler, sculpter notre vie intérieure, par le biais des vérités qu’elles véhiculent souvent sous forme symbolique ou poétique. Ne desséchons pas notre étude de la liturgie par des attitudes trop cérébrales, mais imprégnons-nous des textes et des attitudes pour élever notre esprit jusqu’à Dieu et nous disposer à recevoir sa charité dans ses sacrements. Propos recueillis par Jeanne Smits et Olivier Figueras
Article extrait du n° 6402 de Présent, du Samedi 18 août 2007 |
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