15 mars 2002

[Abbé G. de Tanoüarn, fsspx - Nouvelle revue Certitudes] Quand l'homme est libre de Dieu

SOURCE - Abbé G. de Tanoüarn, fsspx - Nouvelle revue Certitudes - n°9 - janvier-février-mars 2002

Nietzsche restera dans l'histoire de la pensée comme celui qui a annoncé la mort de Dieu. La déclaration la plus caractéristique et la plus conforme à la tonalité intellectuelle fondamentale de l'ingénieux Sarmate se trouve dans un recueil d'aphorismes et de textes courts : Le gai savoir (§125). n importe, je crois, de le citer presque intégralement, pour mieux apprécier l'événement culturel qu'il décrit :
« Vous n'avez jamais entendu parler du fou qui, un beau matin, alluma sa lanterne, courut au marché et cria sans cesse : Je cherche Dieu, je cherche Dieu. Parce qu'il se trouvait là un grand nombre de personnes qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une immense rigolade. Est-ce que le bon Dieu a été perdu ? demanda l'un. Est-ce qu'il s'est échappé comme un gamin ? disait l'autre. Ou encore : S'est-il caché ? A-t-il peur de nous ? Est-il monté sur un navire ? A-t-il émigré ? criaient-ils en ricanant entre eux. L'homme fou bondit vers eux et les transperça de ses regards : Où Dieu est-il allé ? cria-t-il. Je vous Je dis, nous J'avons rué, vous et moi. Nous sommes tous des assassins / Mais comment l'avons-nous fait ? Comment avons-nous pu avaler la mer ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer tout l'horizon ? Qu'avons-nous fait, quand nous avons dégagé la terre de son soleil ? Vers où s'en va-t-il maintenant ? Dans quelle direction nous dirigeons-nous ? Loin de tout soleil ? Ne nous jetons-nous pas en bas continuellement ? En arrière, en avant, de tous côtés ? Y a-t-il encore un dessus et un dessous ? Ne nous égarons-nous pas dans un néant infini ? L'espace vide ne nous soulève-t-il pas de son haleine pour nous aspirer ? Ne fait-il pas maintenant plus froid ? Est-ce que la nuit ne tombe pas toujours et toujours plus nuit ? Ne devons-nous pas allumer les lanternes le matin ? N'entendons nous pas le bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons nous pas l'odeur de la putréfaction divine ? Même les dieux se putréfient ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et nous l'avons tué ! Comment nous consolons-nous, nous les plus assassins de tous les assassins ? La chose la plus sainte et la plus puissante qu'oit jusqu'ici possédée le monde est saignée à blanc, égorgée sous nos couteaux. Qui nous lavera en nous purifiant de ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quels rites d'expiation, quelle fête sacrée devons-nous inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne devrons-nous pas devenir des dieux nous-mêmes, pour seulement apparaître dignes d'eux ? Il n'y eut jamais une action plus grande, et tous ceux oui naîtront après nous appartiennent grâce à cette action, à une histoire supérieure à toutes celles qui ont existé jusqu'à maintenant ». Là, l'homme fou se tut et il regarda bien en face ses auditeurs ; eux aussi se taisaient et ils le regardaient tout surpris. Finalement, il lança à terre sa lanterne qui se brisa en morceaux, et il dit : J'arrive trop tôt, ce n'est pas encore mon heure. Cet événement monstrueux s'est ébranlé, il est en route, il n'est pas encore arrivé aux oreilles des hommes...».
Ce texte est long ; il est essentiel dans l'histoire de la pensée européenne, n établit clairement de quelle nature est cette mort de Dieu, qui est le point de départ de tout intellectuel se posant la question religieuse. Dieu est mort car les hommes l'ont tué. Dieu est mort parce que la liberté humaine ne pouvait plus supporter son existence. Cet événement est d'ordre culturel, ce qui implique que la mise à mort « au couteau », est un acte collectif, un monstrueux prodige du sacrilège. Selon Nietzsche, ce sacrilège doit être la source du bonheur moderne, il est au principe du véritable Gai savoir, de toute philosophie nouvelle : « En vérité, nous les philosophes, les esprits libres, à la nouvelle que Dieu est mort, nous nous sentons illuminés d'une nouvelle aurore ; notre cœur en cela déborde de gratitude, de stupeur, de pressentiment, d'attente ; finalement, l'horizon nous paraît de nouveau libre ; la mer, notre mer est de nouveau ouverte devant nous. Peut-être n'a-t-il jamais existé une mer aussi ouverte ? » (§343)

Il devient plus facile, dans le souffle de ces textes, de reconstituer la scène primitive, pour mieux évaluer le traumatisme d'où est née la modernité : c'est la liberté de l'homme qui a rencontré Dieu et qui, de rage, l'a supprimé... Toute l'histoire de la pensée allemande est l'histoire de cet affrontement entre la transcendance de Dieu et la puissance de l'homme.

« Rien d'extérieur, rien de supérieur ! » répétait déjà le mage Paracelse, à la fin de la Renaissance. L'effort de pensée auquel on assiste à partir de Rousseau et de Kant (dès la fin du XVIIIème siècle) consiste explicitement à installer la volonté toute puissante de l'homme au coeur de l'être même. Pour cela, il faut d'abord cultiver l’agnosticisme, c'est la phase kantienne. L'esprit humain ne peut rien connaître au-dessus du monde sensible ; il ne reste à l'homme que le libre élan de la croyance pour pallier les absences et les étourderies de l'Etre suprême. Cette liberté est absolue, elle renvoie à une loi que l'homme se donne à lui-même, indépendamment de toute réalité extérieure. C'est le pur sens du devoir qui le guide et qui le fait renaître dans une autre peau, comme un homme libre et non comme un esclave. Quant à son Dieu, ce n'est plus celui de la Bible, qui se révèle par des paroles de feu et entend être servi sans faiblesse. Non, le Dieu nouveau est en avant de l'homme et comme à son service, puisque tout doit être subordonné au nouveau règne des fins qui s'instaure, à la dignité inaliénable de la personne. Le Dieu de Kant est un dieu qui est personnel - au sens où il est personnel à chacun...

Mais Kant ne fait que traduire en une rhétorique rigoureuse ce qui est comme l'esprit de son temps. N'est-ce pas Madame de Staël, la fille de Necker, qui déclarait à la même époque : « Il n'est aucune question ni de morale ni de politique dans laquelle il faille admettre ce que l'on appelle l'autorité. La conscience des hommes est en eux une révélation perpétuelle et leur raison un fait inaltérable. » (cité par Lucien Jaume, L'individu effacé p. 69).

L'idée de la conscience comme révélation nous mènerait d'ailleurs, si on la suivait, bien au-delà de Kant, du côté de Fiente et des théoriciens romantiques de l'intuition intellectuelle. Le Sujet absolu, libéré de l'expérience sensible, libéré du réel, fait surgir un monde moral et religieux de son propre élan et, en quelque sorte, de son propre fond. Ce qu'il nomme sa croyance, c'est cette élaboration idéale dans laquelle il s'identifie lui-même comme le nouveau fondement de la vérité et l'origine de la lumière. « La croyance n'est pas une science, mais une décision de la volonté de donner à la science sa pleine valeur » (Fichte, La destination de l'homme, Aubier P. 147). La volonté est bien ici au coeur d'une sorte de nouveau cogito : Je veux donc je suis, et je suis voulant... « Je suis absolument mon propre ouvrage » (ibid). La révélation qui s'effectue dans ma conscience consiste dans la manifestation de cet ordre nouveau du vouloir universel, tel qu'il m'apparaît infailliblement, tel qu'il apparaît à ma conscience : je me perçois comme nécessairement destiné à cette liberté du vouloir et tout ce qui pourrait paraître contrarier cette liberté devrait être considéré comme pure apparence.

Schelling, sur la même ligne, tentera de donner un corps à cette subjectivité tendue vers le Bien, c'est-à-dire vers l’autoréalisation d'elle-même. Selon lui, « la liberté est le concept général positif de l'en-soi » (Recherches philosophiques sur l'essence de la liberté, 159). « La volonté est l'être originel et tous les prédicats de celui-ci ne conviennent qu'à elle : absence de fondement, éternité, indépendance à l'égard du temps, acquiescement à soi-même. Toute la philosophie ne tend qu'à ce seul but : trouver cette expression suprême ». (op. cit. 161). Le commentaire de Heidegger sur ce texte de Schelling est éloquent : « C'est dans le vouloir que ce philosophe trouve les prédicats que, de tout temps, la pensée métaphysique attribue à l'Etre, dans leur forme ultime, dans leur forme la plus élevée et par conséquent parfaite. (...) Tout étant a le pouvoir de son être dans la volonté et par la volonté » (Qu'appelle-t-on penser ? P. 68). L'être est liberté. Le Bien n'est rien d'autre que cette liberté qu'a chaque être de se constituer lui-même, de se donner à lui-même.

Au fond, la philosophie des droits de l'homme ne dit pas autre chose ; lorsqu'elle articule, en son article 6, que la loi est l'expression de la volonté générale, elle renvoie aux calendes grecques l'examen d'un ordre objectif du monde et envisage l'humanité citoyenne comme capable de se donner à elle-même sa loi ; dans cette perspective, chaque individu n'a d'autre bien que celui qu'il se donne à lui-même. L'autodétermination de chacun renvoie à l'autoconstitution de l'être moral, qui est l'être même en tant qu'il est esprit et donc l'intime de chaque individu et le nouveau bien commun de l'humanité.
Les marchands de rêve seuls ont droit de cité
Ainsi, dira Nietzsche, un peu plus tard mais dans la même ligne de pensée, c'est en se créant lui-même que l'homme devient ce qu'il est. Cette perspective n'est pas aussi éloignée qu'elle en a l'air de celle de Marx, lui aussi prophète d'une humanité nouvelle. Différence ? Tandis que Nietzsche croit au Surhomme, Marx se confie dans l'Humanité, et en particulier dans la force révolutionnaire des prolétaires. Mais pour Nietzsche, la morale individuelle apparaît comme l'art de l'impossible ; quant à Marx, il envisage la politique comme une technique visant à réaliser l'utopie. Ceux qui ne seraient pas marchands de rêve sont priés de s'abstenir...

Et la religion direz-vous ? Ni Marx, ni Nietzsche n'envisagent qu'elle puisse avoir un avenir dans le monde que laissent entrevoir leurs prophéties pourtant contrastées. Mais, selon certains spécialistes de l'intériorité, de même qu'il y a une morale de l'Age nouveau, de même qu'il y a des politiques qui apprivoisent l'utopie, il doit y avoir de nouvelles religions. Ou plutôt de nouvelles religiosités, de nouvelles manières de vivre les vieilles religions. A l'image de l'état d'esprit qui prédomine désormais, la religiosité devient l'expression d'un vouloir qui se projette aux dimensions de la destinée que l'homme se donne à lui-même. Dans cette perspective, l'homme ne vit plus "au plaisir de Dieu", c'est Dieu qui doit se formuler au gré de l'homme. Dieu n'est rien d'autre que cette révélation prodigieuse de la liberté de l'homme qui se réalise lui-même en s'identifiant progressivement à son projet.

Je crois que toutes les difficultés que peut ressentir l'intellectuel aujourd'hui lorsqu'il doit rencontrer Dieu se trouve résumées dans ces formules.

Lorsque les sages d'autrefois, lorsque les philosophes tentaient de contempler le monde, ils voyaient une Intelligence à l'œuvre : « c'est l'Esprit qui a tout ordonné », disait Anaxagore en une intuition sublime, qui fonde toute la philosophie grecque. L'esprit divin, cette Intelligence unique, suprême et souveraine avait posé des lois régissant le monde physique et d'autres lois régissant le monde moral. La liberté de l'homme ne pouvait se penser elle-même comme bénéfique qu'à l'intérieur de cet ordre décrit par la sagesse divine. Elle apparaissait comme l'art de déterminer les moyens d'agir, « étant sauf l'ordre de la fin » comme disaient les scolastiques. Quel est donc cet « ordre de la fin »? Justement l'ordre de la sagesse divine, sur lequel l'homme n'a pas prise, car ce n'est pas lui qui peut décider du bien et du mal.
Faire du Moi le plus passionnant des mondes
Aujourd'hui, il n'en est pas de même ; l'homme se sent en droit de décider de tout, et ce n'est pas la faute des philosophes. « C’est au crépuscule que l'oiseau de Minerve prend son envol » aimait à répéter Hegel. Les philosophes n'ont fait qu'entériner cette nouvelle mentalité qui était le legs fait par l'élite du XVIIIème siècle au siècle suivant. Au lieu de concevoir un monde ordonné, dans lequel l'homme évolue en se conformant à une loi qui n'est pas arbitraire mais qui donne à l'existence vagabonde de ranimai humain sa consistance spirituelle, voilà qu'on envisage de mettre le monde et ses lois entre parenthèses, d'oublier l'ordre naturel, en considérant uniquement le sujet humain dans sa capacité à se donner à lui-même un univers selon son goût. Le romantisme n'est pas seulement un mouvement qui marque une étape dans l'histoire de l'art, c'est une nouvelle façon d'être, qui, même lorsqu'elle se tourne vers le culte de la Tradition et de ses ruines - Mourras ne s'y est pas trompé - présente plus d'une accointance avec la Révolution. Avant même les constructions spéculatives des philosophes qui ne font que prendre acte de ce qui se passe, il faut bien reconnaître que c'est la vie de l'homme qui a changé, en s'intériorisant jusqu'à faire du Moi le plus passionnant des mondes, un monde que l'on n'a jamais fini d'explorer (voir le célèbre journal d'Amiel) et en s'extériorisant dans des productions toujours plus sophistiquées, constituant comme l'horizon de son existence nouvelle. C’est sans doute cette extériorisation du vouloir humain qui produit le mirage de la technique, critiqué si violemment par Heidegger. Mais si la technique nous a donné un monde nouveau, n'est-elle pas capable de nous donner des dieux nouveaux?

n faut en tout cas que les religions réalisent, toutes, leur aggiornamento, qu'elles s'adaptent à ce new deal spirituel, qu'elles aillent à la rencontre des préoccupations des sujets libres et égaux en droit qui peuplent la société moderne, qu'elles épousent ce double mouvement du vouloir humain : l'intériorisation, puisqu'une religion doit être au service de la spiritualité humaine ; l'extériorisation, parce qu'une religion doit aujourd'hui se présenter elle-même dans un contexte mondial et donc relativiser ses prétentions à la vérité. Cultivant cet intimisme international, les religions seront vraiment au service de l'homme, selon l'intuition génialement moderne et vraiment révolutionnaire de Sa Sainteté le pape Paul VI. Ce n'est plus l'homme qui sert Dieu, c'est Dieu qui sert l'homme. Ce renversement a une portée incalculable.

Le grand Pan est mort, disait paraît-il Symmaque, le dernier des païens, en déplorant la disparition du vieux Panthéon et de ses dieux. On pourrait en dire autant aujourd'hui, si l'on inscrit les religions dans ce courant d'irrépressible liberté qui emporte non seulement les penseurs, plutôt retardataires, mais l'ensemble de l'humanité, allègrement invitée à la fête de la liberté. L'attitude religieuse traditionnelle, faite de soumission à la justice divine et d'espérance dans la Bonté du Principe, disparaît de plus en plus face à la volonté humaine, qui ne supporte plus que ce qui est son oeuvre.
Maelström libertaire et homogénéisation planétaire
Le concile Vatican n a représenté l'effort de l'Eglise catholique pour anticiper la mondialisation religieuse, c'est-à-dire pour s'adapter à l'avance à cette nouvelle donne, que les intellectuels catholiques avaient appréhendée à travers la philosophie allemande et la pratique française de la laïcité, et qui aujourd'hui se généralise et devient obligatoire bien au-delà de ces deux pays. Les mal-pensants sont ceux qui refusent la nouvelle alliance réalisée sous le signe de la liberté humaine et s'imaginent encore qu'il existe un ordre transcendant, celui de la nature (je ne parle même pas de l'ordre de la grâce). 

Que reste-t-il de l'Eglise dans ce maelström libertaire ? Pas grand-chose. Pas grand-chose en tout cas de l'ancienne Eglise, celle qui jusqu'à Jean XXIII inclusivement osait se dire mère et maîtresse des peuples. Aujourd'hui, l'Eglise accepte de considérer que c'est le contraire qui est vrai, que le grand mouvement d'unification et d'homogénéisation planétaire doit la trouver à son service. Jusqu'à Pie XII, elle a osé répéter la vieille sentence du IVème concile de Latran : hors de l'Eglise, point de salut. Elle pouvait le répéter autrefois parce qu'elle savait bien qu'elle n'était pas seulement un organisme humain, une institution humaine, une organisation non gouvernementale par exemple. Ses limites réelles n'étaient pas celles que définissait son droit, le célèbre droit canon. Aujourd'hui, elle n'est pas sûre de ne pas avoir à partager le corps mystique du Christ avec d'autres Eglises et d'autres confessions chrétiennes. Elle ne peut plus répéter cette formule. Elle se sent réduite à son aspect juridique, limitée à son extérieur en quelque sorte. C'est pour cela qu'elle se fait désormais un devoir de ne pas répéter la formule : hors de l'Eglise point de salut.

Dans les dernières lignes du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau avait pu déclarer : « Quiconque ose dire : Hors de l'Eglise point de salut doit être chassé de l'Etat. Un tel dogme n'est bon que dans un gouvernement théocratique, dans tout autre, il est pernicieux. » L'Eglise du Concile donnerait massivement raison à ce citoyen de Genève. C'est que Jean-Jacques avait merveilleusement compris comment l'homme moderne est essentiellement liberté et perfectibilité indéfinie. Aucune religion n'est en droit de fixer elle-même des limites à ce prodigieux développement de l'espèce que l'on nomme les Lumières, et, dans l'ordre religieux, aucune autorité ne doit s'imposer au libre exercice de la raison (pour Rousseau, le Genevois d'origine calviniste, surtout pas celle de l'Eglise catholique...)

Pour rencontrer Dieu en vérité aujourd'hui, un homme simple a donc besoin de rien moins que d'un Chemin de Damas, ce qui ne coûte rien à la bonté inventive du Très-Haut. Je suis persuadé qu'il existe aujourd'hui, beaucoup plus de chemins de Damas qu'on ne le pense, tant il est vrai que l'essentiel reste toujours invisible pour les yeux.
Proposer au Très Haut une approche pluraliste
L'intellectuel est tout à fait défavorisé parce que son chemin de Damas à lui, il devra le médiatiser dans un bain de culture assez peu ragoûtant, qui est celui que nous avons essayé de décrire. Dans ces conditions, évidemment, il ferait beau voir que Dieu lui apportât sa grâce sur un plateau, l'intello (l'étudiant, le "jeune" inculte mais qui a déjà tout compris, le vieux qui se répète et qui ne s'en rend pas compte), tous ces raisonneurs seraient encore capables de mettre en discussion l'intervention divine et de proposer au Très-Haut une approche pluraliste et réellement respectueuse de la diversité des races et de l'égalité des sexes, au terme de laquelle il apparaîtrait que la non-ingérence du divin dans l'humain doit être reconnue dans tous les cas comme la meilleure solution.

Il ne faudrait peut-être pas oublier que, si Dieu est mort, c'est parce que la liberté de l'homme l'a tué. Au couteau, précise Nietzsche, qui ne prétend pas avoir perpétré lui-même ce meurtre, même si y acquiesce et s'en réjouit.

Ceux qui croient pouvoir retrouver Dieu, sans se préoccuper d'expier ce crime, sans chercher à sortir de ces miasmes, ne comprennent pas qu'ils sont souvent à la poursuite d'une image (rassurante, sécurisante, paternelle) et non de la réalité divine. C'est le drame de toutes les nouvelles religiosités, de tous les personnalismes religieux de n'avoir pas compris qu'on ne bâtit pas une démarche religieuse authentique, avec les prémices du nihilisme européen et de la mort de Dieu.

J'ose dire que, devant l'histoire, c'est cette responsabilité-là que le mouvement traditionaliste porte sur ses épaules : retrouver le culte d'avant la mort de Dieu, fermer la parenthèse subjectiviste et révolutionnaire, redécouvrir l'autorité sacrée devant laquelle chacun devra plier le genou, s'il ne veut pas crever de son délire libertaire.