1 janvier 1970

2 octobre 1965 [Mgr Lefebvre] Douzième intervention au concile (sur les missions)

SOURCE - Mgr Lefebvre - 2 octobre 1965

Vénérables Pères,

Le nouveau schéma sur « L’activité missionnaire de l’Eglise » nous semble bien meilleur que le premier, surtout parce que son objet est mieux défini : « Missions auprès des peuples et des communautés humaines qui n’ont pas encore la foi ou chez qui l’Eglise n’est pas encore suffisamment implantée ». Ainsi s’est exprimé le rapporteur lui-même.

L’ordre suivi dans le schéma semble, lui aussi, plus conforme à la vérité et à la réalité. Permettez-moi pourtant de relever, dans ce schéma, quelques déficiences très graves sur des points de la plus haute importance.
     
1. Déficience dans la définition exacte de la fonction du Souverain pontife et de celle des évêques.
Les passages suivants contiennent une grave ambiguïté et, parfois, des nouveautés doctrinales.
  • Page 7, lignes 19, 20 et 21 : « Cette fonction, après eux, l’Ordre des évêques l’a héritée, avec le Successeur de Pierre… » Page 25, N° 36, il est dit : « Tous les évêques ont été consacrés, non seulement pour régir quelque diocèse, mais pour le salut du monde entier. » Comme si les évêques possédaient juridiction sur toute la terre, ce qui contredit ouvertement la tradition universelle de l’Eglise.
      
    Seul Pierre et les Successeurs de Pierre possèdent le droit strict de paître tout le troupeau ; partant, seuls les pontifes romains possèdent le droit d’envoyer des missionnaires dans le monde entier. Toute l’histoire de l’Eglise romaine le prouve lumineusement. C’est du Saint-Siège romain, de la Ville éternelle, que sont envoyés dans le monde entier les évêques, les prêtres, les religieux. C’est ici qu’ils ont reçu leur mandat et leur mission.
      
    Or, notre schéma ne fait nulle mention de l’œuvre constante des pontifes romains pour le salut de tout le genre humain.
      
    Par contre et selon le droit, les évêques se doivent à leur diocèse, à leur troupeau particulier ; puis, selon la charité, ils doivent leur sollicitude à toutes les âmes.
      
    Telle est la doctrine traditionnelle de l’Eglise, affirmée par tous les pontifes et par toute la tradition, par Pie XII encore, dans son encyclique Fidei Donum. En fait, on ne parle que de la sollicitude obligatoire pour tous les évêques, selon le devoir de charité.
      
    Dans son encyclique Satis cognitum, Léon XIII expose abondamment cette doctrine traditionnelle, exposée clairement aussi dans la constitution Lumen gentium comprise à la lumière de sa note explicative.
          
  • Page 21, N° 27, un autre texte parle de l’ordonnance générale et ne répond pas à la doctrine affirmée dans la constitution sur la fonction épiscopale, surtout après le décret du Souverain pontife glorieusement régnant, au sujet du synode des évêques
Ces textes semblent donc devoir être amendés selon la norme de la doctrine traditionnelle, notamment par affirmation claire de la fonction et des titres à cette fonction des Souverains pontifes et des évêques. Puis, mention historique doit être faite de l’œuvre des Pontifes romains dans l’accomplissement du mandat reçu de Notre-Seigneur.

2. Très déficient est aussi l’exposé du but de l’activité missionnaire. Cela aussi est très grave, car de cet exposé doivent naître les vocations et, à la lumière de ces raisons, sera réglée toute l’activité missionnaire.
  • L’exposé présenté page 9, N° 7, des motifs de l’activité missionnaire, s’il est véridique, produira le tarissement de toute vocation et du zèle apostolique, plutôt qu’une nouvelle impulsion.
     
    La raison véritable et essentielle est le salut des âmes par Jésus-Christ notre Sauveur, au nom de qui seulement l’homme peut être sauvé, parce que tous les hommes sont pécheurs et demeurent dans leurs péchés s’ils sont privés du sang du Christ, lequel se trouve vraiment et intégralement dans la seule Eglise catholique.
     
    Non seulement nous ne trouvons point ici le besoin de l’Eglise, le besoin de la foi et du baptême, le besoin de la prédication pour accomplir la mission salvifique du Christ, mais en lieu et place, on parle de moyens qui dépendent de la volonté de Dieu et sont étrangers à l’économie du salut par l’Eglise.
     
    En effet, la théologie de cet exposé fondamental du schéma n’est pas traditionnelle : la justification par le Christ à travers l’Eglise semble être seulement quelque chose de meilleur, mais non pas indispensable, comme si la nature humaine n’était pas viciée par le péché originel et comme si elle pouvait se sauver par elle-même, toute seule, parce qu’elle reste bonne. Une telle doctrine constitue une théologie nouvelle.
        
  • Partant, la pratique de l’apostolat, elle aussi, n’est point traditionnelle. On s’en aperçoit à la lecture des numéros 11, 12 et 13. Cette ordonnance de l’apostolat est fondée sur des principes naturalistes et non pas surnaturels. Ce n’est point ainsi qu’agirent Jésus-Christ et les apôtres : ils prêchèrent, non seulement « aux âmes bien disposées », comme il est dit au N° 13, mais à tous les hommes, dont une partie acceptait la foi et l’autre partie refusait cette foi et se retirait.
     
    On veut préparer et former plutôt des prédicants que des prédicateurs. Mais qui peut savoir si l’auditeur est bien disposé ou non ? Cela est le mystère de la grâce du Christ.
     
    Cette description doit être plus évangélique et doit engendrer la confiance dans les moyens surnaturels.
        
  • Pourquoi est-il dit, page 13, ligne 5 : « L’Eglise interdit de contraindre quiconque à embrasser la foi, ou de l’y amener ou de l’y solliciter par des artifices importuns » ? Cette phrase est injurieuse pour les missionnaires et fort loin du zèle pour le salut des âmes que nous trouvons dans l’Evangile et dans les Actes des apôtres.
     
    Puisse ce schéma, si important dans l’Eglise, devenir une source de rénovation de l’apostolat missionnaire, puisque l’apostolat est la vie de l’Eglise elle-même !
D’autres observations de moindre importance, je les transmets par écrit au Secrétariat général.

J’ai dit.
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Remarques transmises par écrit au Secrétariat général du concile :
  • Page 7, N° 5 : La description de la mission de l’Eglise, lignes 23 à 30, ne semble pas suffisante. Après le verbe « qu’elle amène », il faut indiquer « par l’observance des ordres reçus ». La formule correspondrait mieux aux paroles du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant… et leur enseignant à observer tout ce que Je vous ai ordonné… », comme il est dit, du reste, au début.
      
  • Page 7, N° 5 : Observation de moindre importance. Pourquoi ne pas dire, à la ligne 37 : « Le sang des martyrs est une semence de chrétiens », pour que la citation soit authentique ?
      
  • Page 9, N° 8, lignes 49 et 50 : « Que le Christ soit… d’une humanité nouvelle ». De quelle humanité nouvelle, à laquelle tout le monde aspire, s’agit-il donc ici ? Cette humanité nouvelle semble être terrestre. Or, peut-on dire que tout homme aspire à une nouvelle humanité terrestre comme à une fin ultime !… Le texte est ambigu.
       
  • Page 12, N° 13, lignes 33 à 39 : Ici encore, on ne trouve pas l’esprit évangélique de la prédication. « Il faut l’annoncer… aux âmes… bien disposées… » Or, qui peut devenir juge des dispositions des âmes ? Et vraiment, la prédication devrait se limiter aux gens qui paraissent, au jugement humain, être bien disposés ? Une telle vue ne correspond ni à l’esprit évangélique ni à l’esprit de foi. « Et maintenant, Seigneur, considère… » (Actes des apôtres, IV, 29). La Tradition apostolique nous montre que, après une prédication, d’aucuns s’en vont incrédules, d’autres, au contraire, convertis.
       
  • Page 14, lignes 17 à 25 : Qu’on dise quelques mots d’exhortation à la charité envers les protestants et les orthodoxes. Mais nous devons éviter, dans les nouvelles communautés chrétiennes, le scandale de l’indifférentisme et le passage de l’Eglise aux hérétiques ou aux schismatiques et cela pour des raisons futiles.
       
    En outre, il est faux de dire simplement « les frères séparés sont disciples du Christ, régénérés par le baptême », puisque dans la majorité des sectes protestantes, le baptême est invalide par vice soit de forme, soit de matière, soit d’intention.
     
    Si, dans les territoires de vieille chrétienté, l’œcuménisme n’est pas raison de scandale, chez des néophytes il existe certainement un grave danger et, chez eux, en de multiples cas, on ne peut favoriser la coopération avec des hérétiques et des schismatiques.
         
  • Page 16, le N° 18 doit prendre la place du N° 17 : les religieux n’ont pas rang après les catéchistes.
        
  • Page 21, lignes 5 et 6 : La raison donnée ici à l’existence des institutions semble insuffisante. Il faut exprimer d’autre manière ces raisons, qui sont : la vie religieuse, c’est-à-dire l’imitation du Christ ; la vie de la communauté et de la famille ; et, ainsi, la plus grande efficacité dans l’apostolat.
        
  • Page 23, ligne 35 : Il faut supprimer les mots « et doivent », comme une expression trop impérative.
        
  • Page 27, lignes 42 et 43 : « Qui touchent aux structures fondamentales de la vie sociale ». Ces termes sont ambigus. D’après l’expérience évidente, la doctrine sociale de l’Eglise, en particulier sur le droit de propriété privée, apporte le plus grand progrès économique des familles, chez les peuples à économie faible. Le socialisme, au contraire, empêche tout à fait le progrès économique chez ces mêmes peuples, par l’institution du collectivisme. Nous devons donc veiller, dans cette question, à mentionner expressément la doctrine sociale catholique. « Qui touchent aux structures fondamentales de la vie sociale, suivant les normes de la doctrine sociale catholique».