31 mars 2006

Nouvelles de Rome et d’ailleurs
Jérôme Bourbon - Rivarol - 31 mars 2006

Nouvelles de Rome et d’ailleurs

Joaquin Navarro-Valls, le directeur de la salle de presse du Vatican, l’a confirmé : à l’invitation du président Ahmet Necdet Sezer, Benoît XVI se rendra en visite officielle en Turquie du 28 au 30 novembre. Le jour de la fête de saint André, patron du patriarcat œcuménique de Constantinople, Josef Ratzinger rencontrera à Istanbul Bartholomé Ier, plus haute autorité de l’Eglise orthodoxe grecque, afin de « poursuivre le dialogue entre les Eglises chrétiennes engagé par son prédécesseur Jean Paul II ». Dans un long article intitulé « L’adhésion de la Turquie bénie par Benoît XVI ? », qui lui avait valu à l’époque un abondant courrier, Camille Galic avait, le 23 septembre dernier, critiqué ce qui n’était encore qu’un projet de Benoît XVI : « Certes, le patriarcat du Phanar est infiniment mieux disposé à son égard que celui de Moscou par exemple. Mais depuis ce que les Grecs appellent La Catastrophe (des années 1922-25), le siège d’Istanbul déserté des chrétiens ne représente plus rien. Si le voyage se concrétise, ce qu’à Dieu ne plaise, c’est donc moins avec l’orthodoxie qu’avec l’islam que Benoît XVI paraîtra prendre langue. (…) Or, remarquait notre directrice, Josef Ratzinger, alors cardinal, déclarait le 20 septembre 2004 au Giornale del Popolo que « l’intégration de la Turquie dans l’Europe serait une grande erreur » et même une aberration « anti-historique » allant « à l’encontre de l’âme européenne et des réalités ». Comment peut-il envisager un an plus tard un déplacement qui s’apparenterait aux yeux du monde entier à une reconnaissance de la Turquie comme pays « ouvert » et « tolérant » dont l’admission dans l’Union européenne serait donc normale et légitime ? »
DIALOGUE POUSSE AVEC LES JUIFS ET LES MUSULMANS
De fait, le dialogue avec les musulmans semble un axe essentiel du règne de Benoît XVI qui, malgré l’assassinat du Père Santoro le 5 février devant son église de Trébizonde par un « fou d’Allah », a encore appelé le 16 mars les chrétiens et les juifs à coopérer avec l'islam « pour le bien de l'humanité », en recevant au Vatican une délégation de l'American Jewish Committee : « Le judaïsme, le christianisme et l'islam croient en un Dieu unique, Créateur du paradis et de la Terre. Il en découle donc que les trois religions monothéistes sont appelées à coopérer les unes avec les autres pour le bien commun de l'humanité et à servir la cause de la justice et de la paix dans le monde », a ainsi déclaré Josef Ratzinger. Il y a un mois, le Vatican et le grand rabbinat d'Israël avaient déjà signé un communiqué commun sur l'importance de parvenir au dialogue avec l'islam : « Nous pensons qu'il est de notre devoir d'engager et d'impliquer le monde musulman et ses dirigeants au dialogue respectueux et à la coopération. »
Plus encore qu’avec les mahométans qu’il avait reçus en marge des JMJ cet été, le successeur de Jean Paul II privilégie du reste les rapports avec la communauté juive. Après la visite de la synagogue de Cologne et avant la participation désormais imminente à un office dans la synagogue de Rome où son prédécesseur s’était rendu il y a tout juste vingt ans, Josef Ratzinger a encore célébré devant les membres de American Jewish Committee le « riche patrimoine commun entre les juifs et les chrétiens », ce qui « rend uniques nos relations parmi toutes celles entre les diverses religions du monde entier ». Et l’occupant du siège de Pierre d’évoquer devant ses hôtes « la récente célébration du 40e anniversaire de la Déclaration du concile Vatican II, Nostra Aetate, qui a renforcé notre volonté commune de mieux nous connaître et de promouvoir un dialogue caractérisé par l'amour et le respect mutuels » et qui a mis fin à « l'enseignement du mépris » envers les juifs accusés pendant près de 2.000 ans d'avoir "tué" le Christ. Par ailleurs, Benoît XVI, au cours de son voyage en Pologne en mai prochain, se rendra comme Jean Paul II à Auschwitz où il stigmatisera une nouvelle fois l’ « Holocauste » et le national-socialisme. Nul doute que les origines allemandes de Josef Ratzinger et son bref engagement (obligatoire, rappelons-le) dans les Jeunesses hitlériennes le conduisent à donner encore davantage de gages que son prédécesseur, et plus rapidement encore comme le souligne la revue Sodalitium (1) dans son éditorial du n° 58 en rappelant la nouvelle « doctrine sur la « saine laïcité de l’Etat », la révocation de la décision de Jean Paul II ( !) de béatifier le père Dehon, accusé par les juifs d’antisémitisme (…), la communion sacrilège donnée Place Saint-Pierre au pasteur protestant de Taizé, Roger Schutz (…), la rencontre scandaleuse (…) avec le vieux camarade Hans Küng, hérétique formel avoué ».
CREATION DE QUINZE NOUVEAUX CARDINAUX ET REFORME DE LA CURIE
Les quinze nouveaux cardinaux qu’a créés Benoît XVI le 24 mars, veille de l’Annonciation, s’inscrivent clairement dans la continuité de Jean Paul II. Douze font partie du collège électoral, les trois autres ayant plus de 80 ans. Soucieux de respecter le plafond des 120 électeurs fixé par Paul VI, Josef Ratzinger a élevé au cardinalat trois chefs de dicastères : l’Américain Joseph Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le Slovène Mgr Franc Rode, préfet de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique et l’Italien Mgr Agostino Vallini, préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique. Un nouveau cardinal parmi les électeurs est français, l’archevêque de Bordeaux Jean-Pierre Ricard, président de la conférence des évêques de France et membre de la commission Ecclesia Dei chargée des fidèles attachés au rite tridentin. En revanche, l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, n’a pas reçu la barrette pourpre. D’aucuns y ont vu un désaveu voire un camouflet, tel Henri Tincq, le chroniqueur religieux du Monde. En fait, Mgr Aaron Jean-Marie Lustiger étant encore en âge de voter, le chef de l’église conciliaire a dû juger plus sage de ne pas doter Paris de deux électeurs.
A noter également la promotion du Chinois Mgr Joseph Zen Ze-Kiun, évêque d’Hongkong, Benoît XVI souhaitant un rapprochement et, à terme, une fusion, entre l’Eglise patriotique chinoise entièrement contrôlée par le régime communiste et l’Eglise clandestine. Le nouveau collège cardinalice compte 193 membres dont 120 électeurs : 100 cardinaux sont européens, 32 issus de l’Amérique latine, 20 états-uniens, 20 asiatiques, 17 africains et 4 océaniens.
Par ailleurs, Benoît XVI, qui a fêté le 3 mars les 75 ans de Radio Vatican créée par Pie XI en 1931 au lendemain des accords du Latran signés avec Mussolini, entend réformer profondément la curie. C’était d’ailleurs le 23 mars l’objet de la réunion consultative des cardinaux et des chefs de dicastère romains qui s’est déroulée à huis-clos. Benoît XVI, qui a abandonné son titre de patriarche de l’Occident, souhaite aller encore plus loin que Jean Paul II dans la collégialité mise en œuvre depuis Vatican II. Paul VI avait abandonné la tiare. Benoît XVI l’a carrément retirée des armes pontificales, la remplaçant par le pallium archiépiscopal. Simple détail héraldique ? Non pas. « Le Pape n’est pas un souverain absolu » a ainsi déclaré Josef Ratzinger en prenant possession de la basilique du Latran. Le vaticaniste A Tornielli écrivait dans Il Giornale du 8 mai 2005 à propos de « ce Pape qui ne parle jamais de pontificat mais toujours de « ministère pétrinien » que, justement, « le monde orthodoxe et oriental attendait un retour à l’image de la papauté comme ministère de l’évêque de Rome. » Nul doute en tout cas que Benoît XVI souhaite un rapprochement avec les orthodoxes mais aussi avec les anglicans, la nomination de Mgr Levada à la congrégation pour la doctrine de la foi, allant clairement dans ce sens (RIV. du 15/7/05).
VERS UNE REGULARISATION DE LA FRATERNITE SAINT-PIE X ?
Ouvert à l’égard des autres religions, le successeur de Jean Paul II semble l’être également envers les traditionalistes. Après avoir reçu en audience et à sa demande Mgr Bernard Fellay le 29 août dernier à Castel Gandolfo (RIV. du 2/9/05), Benoît XVI paraît désireux de lever l’excommunication (par Jean Paul II) des quatre évêques sacrés par Mgr Marcel Lefebvre le 30 juin 1988. Par ailleurs, Josef Ratzinger, avec lequel le fondateur de la FSSPX avait signé un protocole d’accord le 5 mai de la même année (avant de se rétracter le lendemain), souhaite réintégrer pleinement la Fraternité Saint-Pie X dans le giron de l’église conciliaire comme l’a encore montré la réunion du 23 mars dont toute la matinée a été consacrée à l’avenir du dialogue avec la FSSPX. « Nos bras sont ouverts aux lefebvristes. Il s’agit d’étudier le meilleur moyen de les accueillir » a déclaré – selon Le Monde du 25 mars – le cardinal colombien Dario Castrillon Hoyos, préfet de la Congrégation du clergé et président de la commission Ecclesia Dei.
Après nous avoir confié en octobre (RIV. n°2735) qu’il y faudrait « plus d’un pontificat », Mgr Fellay, défendu par le site www.honneur.org, déclarait devant l’Association des journalistes d’information religieuse: « Je suis convaincu que nous aboutirons. Nous avons eu une discussion longue, la plus fructueuse de toutes, et abordé des questions de fond. Rome veut régler rapidement le problème et l'audience papale, que nous avons sollicitée en mai dernier, nous a vite été accordée. Le Magistère privilégie une approche pragmatique. Nous, nous freinons car nous ne voulons pas d'une solution en surface. Le pape a chargé le cardinal Castrillon Hoyos de dialoguer avec nous. Celui-ci, dans une interview à une télévision italienne, a expliqué que nous ne sommes pas hérétiques mais que nous devons les uns et les autres rechercher une communion plus parfaite. C'est un langage nouveau. » Et le supérieur général de la FSSPX de se « réjouir » du discours du 22 décembre à la curie de Benoît XVI à propos de Vatican II qui vaut « par sa clarté, sa précision et sa volonté de poser de vraies questions ». Quant à « la question sur l'ancienne et la nouvelle messe, sur laquelle les esprits se focalisent, (elle) est, au fond, seconde, la liturgie n'étant que l'expression de la foi. Ce qui est premier, c'est la vision de la foi. Avec Benoît XVI, ajoute Mgr Fellay, la discussion va se concentrer sur la question de l'acceptation du concile. Nous allons repartir de la formule proposée en 1988 par Mgr Lefebvre ‑ "Nous acceptons le concile examiné à la lumière de la Tradition." » Enfin, s’agissant du statut que Rome pourrait accorder à la FSSPX, son supérieur général évoque « celui de l’administration apostolique » :. « Concernant l'autorité de l'évêque, nous aurions un régime d'exemption, comme c'est le cas dans le diocèse de Campos au Brésil. Rome permettrait aux fidèles de la Fraternité Saint-Pie X de bénéficier d'une autorité parallèle sans se soustraire pour autant à l'évêque local. »
Un accord à plus ou moins long terme n’est donc pas inenvisageable. Les disciples de Mgr Lefebvre l’accepteraient-ils dans leur majorité ? L’abbé Paul Aulagnier, exclu de la FSSPX en octobre 2003 pour sa défense vigoureuse des accords de Campos, et à qui l’on doit un historique sur La bataille de la messe 1969-2005 (2), est un chaud partisan d’un arrangement avec Rome : « La Fraternité Saint-Pie X doit accepter la solution romaine : l’administration apostolique » écrit-il sur son site Internet Item. L’abbé Guillaume de Tanoüarn, exclu de la FSSPX en mars 2005 pour « laguérisme » et qui vient de signer un essai L’Evidence chrétienne (3) reprenant ses conférences de Carême de l’an dernier a obtenu de Rome, tout comme les abbés Claude Barthe et Marc Guelfucci, un rescrit les lavant de toute censure en échange de leur volonté de « préparer les conditions d’une réception authentique du concile». Ayant fondé l’Association cultuelle Saint-Marcel et le centre Saint-Paul, l’abbé de Tanoüarn est lui aussi favorable à une « régularisation canonique » de la Fraternité.
Tel n’est pas du tout le point de vue de Mgr Richard Williamson qui, dans un tonitruant entretien publié par Minute le 8 mars, à moins de quatre mois d’un chapitre général qui doit renouveler les instances dirigeantes de la FSSPX, réaffirme son opposition à un accord avec « l’Eglise du concile qui n’a pas changé ». Le doyen des quatre évêques de la Fraternité épingle au passage Mgr Fellay auquel sont reprochés sa gestion des séminaires, son renvoi abusif de prêtres, son manque d’ardeur à défendre « le dogme de la foi », etc. Aussi sévère, le site sédévacantiste www.virgo-maria.org animé par l’abbé Marchiset accuse carrément (4) la direction de la FSSPX de trahison dans ses négociations actuelles avec « l’abbé Ratzinger ». Mgr Fellay précisait le 27 mars sur , le site de la FSSPX : « Rome et Ecône – pour faire court – sont aujourd’hui conscientes de la situation dramatique de l’Eglise, ‑ c’est bien le futur Benoît XVI qui a dit que l’Eglise était comme « un bateau qui prend l’eau de toutes parts » ‑, sur ce point nous sommes d’accord, mais là où nous ne nous entendons pas c’est sur la cause de cette crise. Rome n’envisage comme principale responsable que la société sécularisée, hédoniste et consumériste, qui ignore ou combat le message évangélique, tandis que, nous, nous affirmons que le concile Vatican II, en s’ouvrant à l’esprit du monde moderne, a fait entrer en son sein des principes comme la liberté religieuse ou l’œcuménisme qui sont contraires au message évangélique et responsables de la situation actuelle. Nous visons bien autre chose qu’une « fausse interprétation » superprogressiste du Concile. On comprend bien que les autorités romaines n’envisagent que difficilement de remonter à Vatican II comme à la cause de la crise, car cela équivaudrait à remettre en cause le concile auquel elles demeurent fortement attachées. Et en l’état, (…) aucune discussion doctrinale n’est possible… »
Une chose est sûre : la Fraternité Saint-Pie X est actuellement à la croisée des chemins et de son accord ou de son refus d’accord avec Benoît XVI dépend l’avenir d’une grande partie de la résistance traditionaliste à la nouvelle église née de Vatican II.
Jérôme BOURBON,
(1) Loc. Carbignano, 36. 10020 Verrua Savoia TO Italie. www.sodalitium.it. Une messe mensuelle qui n’est pas en communion (non una cum) avec Benoît XVI a lieu désormais à Paris. Rens. au : 06-81-68-78-14.
(2) 159 pages, Editions de Paris, 19 euros.
(3) 234 pages, Objections, 17 euros ou 23 euros fco. L’abbé de Tanoüarn dirige également la nouvelle revue Objections (12 rue Saint-Joseph, 75 002 Paris. 70 euros l’abonnement annuel).
(4) Le Comité international de recherches scientifiques sur les origines et la validité de Pontificalis Romani tend à démontrer l’invalidité des nouveaux sacres d’évêques. Trois volumes très fouillés ont déjà paru : les tomes I, II et les Notitiae du ome III (Rore Sanctifica, 68 euros le tout. Editions Saint-Rémi, BP 80, 33410 Cadillac. Tél. et fax : 05-56-76-73-38).