Mgr Richard Williamson est le supérieur du séminaire de La Reja (Argentine) qui relève de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FFSPX), créée par Mgr Marcel Lefebvre. Il fait partie des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988, acte fondateur de la rupture entre Rome et les catholiques traditionalistes. Alors que des pourparlers sont en cours entre le Saint-Siège et la Fraternité, qui pourraient aboutir à la levée des sanctions prononcées par Jean Paul II, et à quelques semaines d’une rencontre essentielle – selon nos informations – entre le pape Benoît XVI et Mgr Bernard Fellay, supérieur général de la FFSPX, Mgr Williamson, considéré comme un tenant de la “ ligne dure ” avec le Saint-Siège, répond à nos questions. Des propos qui, est-il besoin de le préciser, n’engagent ni Mgr Fellay, ni, bien sûr, la rédaction de “ Minute ”.
“ Minute ” : Monseigneur, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X semble avoir hésité ces derniers mois à se réconcilier avec Rome. La situation apparaît confuse. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Mgr Richard Williamson : Les catholiques se trouvent dans une grande confusion parce que l’on perd le dogme de la foi. Pardon de vous interrompre mais que signifie cette expression un peu étrange : “ dogme de la foi ” ? L’expression est de la Vierge Marie elle-même : en juillet 1917, Notre Dame révéla aux enfants de Fatima (à Lucie) ce qu’on appelle le Troisième Secret. Au-delà de la controverse sur la soi-disant “ publication ” par le Vatican de ce texte en 2000, il est incontestable que sœur Lucie en révéla les premiers mots : “ Au Portugal on ne perdra pas le dogme de la foi. ” Ces deux mots vont droit au cœur de la crise qui nous afflige depuis VaticanII. Ils cristallisent trente ans de tension entre Rome et la FSSPX. Le monde moderne dissout la notion même de vérité objective. Les catholiques ne perdent peut-être pas la foi mais ils perdent tout sens du caractère dogmatique de la foi, c’est-à-dire que des papes conciliaires jusqu’au moindre des fidèles, tous croient que la foi catholique est vraie mais ne croient plus que cette foi condamne les erreurs et les fausses religions qui lui sont contraires. Seul un petit reste de fidèles n’a pas suivi le funeste concile dans son renoncement au caractère dogmatique de la foi catholique. Et ce petit reste est constamment tracassé par l’Eglise officielle – et par le monde – qui ne veut absolument pas être condamnée par ceux qui refusent de perdre le dogme de la foi. Donc que le monde perde le sens de la vérité doctrinale, quand l’Eglise catholique ne fait pas son travail, rien de plus normal. Que l’Eglise perde ce sens, c’est un drame : celui du concile de Vatican II, qui, au lieu d’illuminer le monde, a voulu être illuminé par lui ! Or, la force et l’unité de FSSPX, telles qu’on les a connues, venaient de cette clarté doctrinale que Mgr Lefebvre a transmise aux prêtres de sa Fraternité. Mais pour peu que ces prêtres (et évêques) se laissassent influencer par le monde omniprésent et par l’Eglise du concile, ils perdraient leur clarté doctrinale, et à ce moment-là la confusion serait complète.
Pas de salut dans la liberté religieuse ! Que pensez-vous des rencontres récentes entre Mgr Fellay, le supérieur de la Fraternité, et les autorités romaines ? J’ai suivi les événements avec attention au travers des médias, comme tout le monde. De plus, quelques jours après la réunion du 15 novembre à Rome entre Mgr Fellay et le cardinal Castrillón Hoyos, préfet de la Congrégation pour le clergé et président de la commission pontificale Ecclesia Dei, j’ai reçu de Mgr Fellay un rapport sur cette rencontre qui a duré plus de cinq heures. Je dois avouer que la lecture de ce rapport a été pour moi plutôt décevante. Il m’a semblé que le cardinal Castrillón n’y comprenait guère mieux la Fraternité qu’en 2000/ 2001 lors des dernières négociations entre Rome et la Fraternité, lesquelles s’étaient soldées par un échec.
Qu’avez-vous pensé du discours de Benoît XVI le 22 décembre 2005, établissant notamment une distinction entre le texte et l’esprit du concile Vatican II ? Ce discours semble présenter le programme de son pontificat. Son idée force est que le concile Vatican II serait la solution des problèmes entre l’Eglise et le monde moderne et que la clef de cette solution serait le principe de la liberté religieuse. Benoît XVI défend ce principe avec trois arguments. Premièrement, il cite le texte de l’Evangile : “ Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ”, comme si César n’avait rien à rendre à Dieu ! Mais la “ socialité ” étant intrinsèque à la nature humaine, tout homme doit à Dieu un culte non seulement individuel mais aussi social. Donc César en tant que chef de la société doit rendre un culte public à Dieu. Deuxièmement, les martyrs chrétiens, dit Benoît XVI, sont morts pour des raisons de conscience, donc pour la liberté religieuse. C’est faux. Ils sont morts pour la vraie foi de Notre Seigneur Jésus-Christ. Troisièmement, Benoît XVI dit encore des martyrs sous l’Empire romain qu’ils ont refusé le culte de l’empereur et donc qu’ils ont refusé la religion de l’Etat. C’est faux. Ce qu’ils refusaient était ce culte faux et non le principe d’une religion d’Etat. Or ce principe de la liberté religieuse est au cœur de la perte du dogme de la foi. Il est au cœur de ce monde moderne anti-catholique. Il est responsable de la dissolution à laquelle nous assistons de toute pensée, de toute doctrine, de toute vérité. Le discours du 22 décembre montre donc que la Rome du concile n’a pas changé. Le dogme de la foi y est toujours miné. Donc il me semble que Benoît XVI, malgré son apparente bonne volonté, peut difficilement promouvoir le vrai bien de l’Eglise, parce qu’il ne le comprend pas.
Que peuvent donc espérer de ce pontificat les catholiques fidèles à la Tradition ? A moins d’un grand miracle de Dieu pour rendre aux hommes de l’Eglise du concile leur sens du dogme de la foi, il ne semble pas qu’il y ait grand-chose, humainement parlant, à espérer de ce pontificat. Mais “ divinement parlant ”, les catholiques doivent garder une grande espérance car cette situation inédite de l’Eglise leur fait gagner d’immenses mérites !
“ Que reste-t-il à discuter ? ” Pensez-vous que le dialogue avec Rome soit possible ? Il me semble que, depuis les sacres de 1988, le dialogue entre cette Rome conciliaire et la FSSPX est bien difficile, voire impossible. “ Cum negante principia nequit disputar ” : “ Il est impossible de discuter avec quelqu’un qui nie les principes ”, dit l’adage scolastique. Or, ainsi que le soulignait Mgr Lefebvre en rompant le dialogue avec Rome en 1988 pour procéder aux sacres des évêques, cette Rome – en l’occurrence le cardinal Ratzinger à ce moment là ! – cherche avec les principes du concile à déchristianiser le monde alors que la Fraternité cherche à le christianiser. L’opposition est diamétrale ! Que reste-t-il à discuter ? De plus, le dialogue lui-même n’est pas sans danger, car il suscite faux espoirs, controverses et déceptions s’il n’aboutit pas. Son ouverture même doit être mûrement réfléchie. Or je sais que depuis la rupture des conversations entre la Rome conciliaire et la Fraternité en 2001, le cardinal Castrillón voulait absolument renouer les contacts. La visite du supérieur général et du premier assistant de la Fraternité pour honorer le nouveau pape au mois d’août lui en a offert l’occasion…
Tout dialogue est-il donc définitivement exclu ? Si la discussion doit avoir lieu, le grand principe doit être la primauté de la doctrine de la foi. La tension entre cette Rome conciliaire et la FSSPX n’est pas peu de chose : il y va de cette foi catholique sans laquelle aucun être humain ne peut sauver son âme. Alors les intérêts de cette foi passent bien avant les intérêts ou de cette Rome ou de la FSSPX.
Certains fidèles semblent fatigués du combat de la Tradition. Que leur dites-vous ? Courage ! Méditez, méditez, méditez les fins dernières ! Que profitera à un homme de gagner tout Rome s’il y laisse miner sa foi ? Qu’importe-t-il à un homme de perdre ses amis, sa tranquillité, son prestige, jusqu’à son foyer et – apparemment – même son Eglise, s’il garde le dogme de la foi et, en gardant cette foi, peut encore sauver son âme ? Tout lasse, tout passe, sauf l’éternité ! Dieu ne nous oublie pas. Chacun des cheveux de nos têtes est compté. C’est une vérité de foi. Il est le maître du temps. Il nous sauvera à l’heure qu’il a fixée. D’ici là, il nous voit dans nos difficultés et sa grâce ne nous manquera jamais. Prenons donc courage et attendons sereinement l’heure de Dieu.
La Fraternité a passé les 35 ans. Que diriez-vous de son bilan ? Telle qu’elle a été fondée par Mgr Lefebvre, la Fraternité a été à la pointe du combat de la foi et l’est encore, mais elle n’y serait plus si elle compromettait le dogme de la foi. Mgr Lefebvre n’a jamais abandonné la messe de Saint-Pie V [la messe en latin, Ndlr] parce qu’elle exprime cette doctrine. Il a formé les prêtres de la Fraternité par cette doctrine et cette messe, et par cette messe ces prêtres ont maintenu la foi du petit troupeau de Notre Seigneur. Les fidèles ont pour la Fraternité une grande estime et affection, mais les meilleurs d’entre eux cesseraient de la suivre si elle se compromettait avec ces Romains qui ont perdu le dogme de la foi.
La Fraternité a-t-elle des rides ? L’environnement de la FSSPX a beaucoup changé depuis les années 1970 et 1980 : l’Eglise conciliaire s’est enfoncée dans ses erreurs et sa décadence tandis que nous avons vu apparaître divers mouvements se réclamant de la tradition catholique mais qui ne partagent pas complètement les positions de la Fraternité. Autrement dit la confusion des âmes est toujours plus grande.
Comment la Fraternité s’est-elle adaptée à ces évolutions ? Il y a un merveilleux texte du père Garrigou-Lagrange : “ Miséricorde et fermeté doctrinale ne peuvent subsister qu’en s’unissant ; séparées l’une de l’autre elles meurent et ne laissent plus que deux cadavres : le libéralisme humanitaire avec sa fausse sérénité et le fanatisme avec son faux zèle. On a dit : “L’Eglise est intransigeante en principe parce qu’elle croit, elle est tolérante en pratique parce qu’elle aime.” Les ennemis de l’Eglise sont tolérants en principe parce qu’ils ne croient pas, et intransigeants en pratique parce qu’ils n’aiment pas. ” (Dieu, son existence et sa nature, Paris 1923, p. 725) Jusqu’en 1991, la Fraternité a eu sous les yeux la conjonction admirable de foi et de charité en la personne de son fondateur, Mgr Lefebvre. Depuis qu’il nous a quittés, nous pouvons être tentés, soit de manquer à la charité en nous enfermant dans la justesse de notre foi, soit de manquer à la foi en ayant trop de compassion pour les erreurs du monde qui nous entoure, y compris celles de l’Eglise conciliaire. Il nous faut et croire et aimer. De là nous pouvons nous interroger : avons-nous toujours le zèle missionnaire de notre fondateur ? Son ardeur et sa fermeté à défendre la foi ?
Sur quels points devront désormais porter les efforts de la Fraternité ? Nous devons, me semble-t-il, armer davantage nos futurs prêtres contre les erreurs du monde libéral. La bonne doctrine classique ne suffit plus. Les séminaristes ont besoin d’une formation contre-révolutionnaire fondée notamment sur les grandes encycliques anti-libérales des papes pré-conciliaires auxquelles Mgr Lefebvre tenait tant. De même, les prêtres de la Fraternité doivent former des laïcs qui comprennent en profondeur les origines de cette crise de l’Eglise et du monde dont VaticanII n’est qu’une suprême manifestation. A défaut d’une telle formation, les laïcs suivraient tôt ou tard le courant commode de l’apostasie universelle. Une foi ainsi éclairée est naturellement apostolique et missionnaire, c’est-à-dire charitable. Les prêtres comme les laïcs doivent avoir pour la multitude des âmes égarées qui nous entourent le souci qu’a pour elles notre mère l’Eglise catholique.
Des départs qui auraient pu être évités La FSSPX a perdu de nombreux prêtres ces dernières années. Cela a été très douloureux pour les intéressés et pour les fidèles. Quelles en sont les causes ? Y a-t-il des remèdes ? Tout d’abord ne pensons pas qu’il n’y ait que la Fraternité qui perde des prêtres. L’apostasie universelle, la dislocation des familles et de la société ont fragilisé les hommes et en emportent constamment de tous les côtés. Dès lors, les séminaires doivent ressembler plus à une famille et moins à une caserne. Nous autres supérieurs devons veiller à maintenir un contact paternel avec nos prêtres et nous demander si nous n’aurions pas pu éviter certains départs.
La FSPPX va élire son prochain supérieur général au mois de juillet. Quels seront pour vous les enjeux de cette élection ? Nous avons vu qu’au cœur de cette crise est la perte du sens de la vérité, de la primauté de la doctrine et de la pureté de la foi catholique. Voilà donc ce que devra maintenir en priorité le prochain supérieur général. De là, il lui sera plus facile de faire comprendre et pratiquer cette vraie charité dont parle saint Paul et dont les âmes ont éperdument besoin.
Mais, Monseigneur, qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Eh bien, le futur supérieur général aura à piloter la petite barque de la Fraternité parmi des vagues de plus en plus hautes ! Nous voyons bien que le changement du monde s’accélère, les anciens repères disparaissent l’un après l’autre. L’Eglise conciliaire se délite et nous allons voir le clergé officiel se raréfier encore. En même temps, les autres religions acquièrent chaque jour plus de droits dans nos vieilles chrétientés. Le poids des idéologies antichrétiennes se fait lourd, celui de l’Etat démocratique aussi. Les structures familiales faiblissent, même chez les catholiques. Tout ceci pèse directement sur la vie des fidèles et de notre congrégation. A vue humaine, rien n’apparaît capable de freiner cette décadence. Le supérieur général aura donc la charge de maintenir la foi et le zèle de nos prêtres dans cet environnement qui s’éloigne toujours plus de la réalité, naturelle et surnaturelle.
La Fraternité est-elle donc à une croisée de chemins ? Oui. Ou elle prend la route héroïque des cimes et, refusant prestige et honneur, accepte d’être honnie et persécutée par le monde. Elle sera alors aimée et suivie par le “ petit troupeau ” de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ou bien elle prend la route du confort et de la facilité, en se compromettant avec le monde et l’Eglise du monde, c’est-à-dire l’Eglise conciliaire. Elle sera alors peu à peu abandonnée par les brebis, qui ne reconnaîtront plus en elle la voix du Divin Maître.
Quelles seront les qualités les plus importantes du futur supérieur général pour affronter ces enjeux ? D’abord être fort dans la foi, et ensuite humain, surtout envers ses prêtres. Il lui faudra aussi jugement, prudence et capacité d’adaptation pour discerner et sauvegarder l’essentiel. C’était là une des grandes qualités de Mgr Lefebvre lui-même. Par contre le supérieur n’a pas besoin d’être un saint. Pour un supérieur, la sainteté est un luxe, pour ainsi dire. Saint Thomas d’Aquin l’a dit une fois pour toutes : “ Qu’il enseigne, s’il est savant. Qu’il prie, s’il est saint. Qu’il gouverne, s’il est prudent. ”.
Un dernier message ? Veillons et prions Notre Dame. Propos recueillis par “ Minute ” |