5 juin 2012

[Paix Liturgique] La pacifiante instauration d'un "ordinariat" par le Saint-Père en faveur de la Fraternité Saint-Pie X est-elle en train de devenir, pour de nombreux évêques français, un nouvel alibi contre l'application du motu prioprio?

SOURCE - Paix Liturgique n°338 - 5 juin 2012

Pour de nombreux évêques français, l'instauration d'un “ Ordinariat ” en faveur de la Fraternité Saint-Pie X est si prévisible et si proche qu'il semble être déjà intégré dans les pastorales mises en place dans leurs diocèses...  
I – PAIX LITURGIQUE ET LA FSSPX
Au fil des semaines, l’hypothèse que le Saint Père érige prochainement un Ordinariat en faveur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X devient de plus en plus tangible… et cette belle issue positive aux négociations entre Rome et Écône dans un avenir très proche n’est plus quelque chose d’incroyable.

Depuis le début, Paix liturgique a souhaité anticiper cet apaisement entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X. C’est ainsi que nous signalons sur notre site internet les messes célébrées par les prêtres de la FSSPX et de ses communautés amies, en plus de celles dites dans le cadre du Motu Proprio Summorum Pontificum.

De la même manière, nous avons toujours tenu compte dans nos études, au sujet de l’évolution du nombre des séminaristes et des ordinations en France, de la composante FSSPX, mais toujours avec une honnêteté qui exigeait que nous distinguions les membres de cette communauté, compte tenu de ses relations avec Rome non encore totalement pacifiées.

Enfin, les plus fidèles de nos lecteurs se souviendront du soutien apporté par Paix liturgique à la communauté FSSPX d’Amiens contrainte de célébrer la messe en plein air pendant plusieurs mois.

Cette attitude n’est que bon sens chrétien et s’est souvent trouvée confortée par des encouragements bienveillants reçus ici et là, en particulier à Rome.
II – LES ÉVÊQUES, LE MOTU PROPRIO ET L’ACCORD ROME-FSSPX
Il est notoire que bon nombre d’évêques de France ne connaissent que très mal le dossier du long rapprochement entre Rome et la FSSPX. Il pourrait aussi paraître étonnant qu’ils se soient tant émus à l’approche du Motu Proprio, alors que celle de la reconnaissance de la FSSPX semble les laisser indifférents. C’est que le Motu Proprio intéressait directement la vie de leurs paroisses, alors que l’officialisation des lieux de culte de la FSSPX ne changera rien – pensent-ils – à la vie de leurs diocèses.

Nous l’avons souvent dit et répété : du Motu Proprio Summorum Pontificum on ne veut pas dans la plupart des diocèses de France. Tout juste tolère-t-on parfois une application – sous contrôle – du Motu Proprio de 1988 (Ecclesia Dei). Près de cinq ans après la promulgation du Motu Proprio Summorum Pontificum, il existe encore des diocèses en France où il n’y a pas la moindre célébration dans la forme extraordinaire, plus de quatre cents groupes de fidèles ont vu leurs demandes de telles célébrations rejetées et rarissimes sont les cas d’application paroissiale du Motu Proprio avec enrichissement mutuel grâce à la coexistence des deux formes de l'unique rite romain au sein d’une même paroisse.

Pour la plupart des simples fidèles, la situation de blocage organisée par de trop nombreux pasteurs est humiliante et profondément blessante. Le manque de charité de tant de curés face aux centaines de groupes de demandeurs est un scandale ecclésial parfaitement incompréhensible.

Nous estimons pour notre part probable que la reconnaissance de la FSSPX va changer la donne en ce qui concerne les instances romaines en charge de la liturgie traditionnelle. Ce n’est pas le lieu et le moment de traiter ce sujet. Nous avons fait et nous ferons encore des propositions « administratives » concrètes. La reconnaissance de la FSSPX va-t-elle changer la donne dans les diocèses ? Pas mal d’évêques, sans trop y réfléchir, ne le pensent pas : pour eux, des marginaux illégaux vont devenir des marginaux légaux, un peu comme les Roms auxquels une municipalité concède le terrain de camping qu’ils occupaient.

Voici huit indices choisis parmi beaucoup d’autres qui montrent que, au fond, l’existence de la FSSPX était déjà bien commode pour un certain nombre d’évêques et le sera plus encore lorsqu’elle sera officielle.

A - Diocèse de Versailles

À Rambouillet, Mgr Éric Aumonier (proche d’Écône et des milieux traditionnels de la Cité catholique par ses origines familiales) n’a toujours pas favorisé la célébration hebdomadaire de la messe. En effet, ce n’est qu’une fois par mois que les fidèles de Rambouillet attachés à la liturgie traditionnelle bénéficient de la messe dominicale selon la forme extraordinaire du rite romain. Une célébration voulue ad experimentum à l’origine mais qui continue à l’être aujourd’hui, quatre ans plus tard. En dépit de la preuve évidente d’une demande, d’un groupe stable de près de 200 fidèles et de l’esprit de concorde qui règne au sein de la paroisse, la messe demeure mensuelle et l’évêque refuse le rythme hebdomadaire.

Or, la FSSPX célèbre désormais chaque dimanche à quelques kilomètres de Rambouillet, aux Essarts le Roi. Bref, il est bien possible que Mgr Aumonier se dise qu’après tout, la présence de la FSSPX lui permet de ne pas « troubler » les paroisses diocésaines avec l’introduction de la messe dans la forme extraordinaire.

Même scénario à Poissy et à Mantes où l’application du texte de Benoît XVI est bloquée. Mais l’évêque de Versailles sait parfaitement qu’une messe est déjà célébrée chaque dimanche par la FSSPX à Mantes même, ce qui lui évite de se mettre en frais.

B - Diocèse de Paris

À Paris, si Mgr Vingt Trois n’accorde pas la messe à Saint-Étienne-du-Mont (5ème arrondissement) malgré une forte demande locale, il sait que Saint-Nicolas-du-Chardonnet et ses 4000 à 5000 paroissiens dominicaux (dont plusieurs centaines originaires du 5ème arrondissement) auront demain une situation canonique régularisée… Et s’il refuse la messe à Notre-Dame-de-Clignancourt (18ème arrondissement) après en avoir laissé partir le jeune vicaire qui y avait introduit la forme extraordinaire, il sait que la chapelle Sainte-Germaine que dessert la FSSPX dans l’arrondissement voisin (17ème) remplit les besoins sans avoir à motuproprioser une ou plusieurs paroisses…

C - Diocèse de Vannes

À Lorient, Mgr Centène ne se soucie pas non plus des demandeurs de l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum. Il faut dire que dans cette ville, la forme extraordinaire est déjà célébrée par la FSSPX pour plusieurs centaines de catholiques du secteur pastoral.

D - Diocèse de Reims

L’archevêque de Reims, Mgr Thierry Jordan, qui fit ses premières armes comme l’un des secrétaires du cardinal Villot, malgré ou à cause de ses origines familiales ( proche lui aussi de la cité catholique ), a été et est toujours connu comme l’un des plus farouches adversaires de la contamination traditionnelle du clergé diocésain français. Il n’accorde pas la messe hebdomadaire dans sa ville épiscopale, mais il sait mieux que quiconque que celle-ci y est déjà célébrée par la Fraternité avec en prime l’ensemble des services catéchétiques et spirituels… qu’il serait bien incapable de faire “ accepter ” à l’aile la plus avancée de son presbyterium…

E - Diocèse de Langres

À quoi bon appliquer le Motu Proprio Summorum Pontificum à Langres ou à Saint-Dizier doit se dire Mgr Gueneley puisque la FSSPX célèbre chaque dimanche à Joinville, soit à mi-distance de ces deux villes ?

F - Diocèse d’Angoulême

Si, en Charente, Mgr Dagens (de l’Académie française) ignore les demandes et les demandeurs d’Angoulême et de Cognac, il sait que la Fraternité de la Transfiguration, communauté amie de la FSSPX, se chargera des fidèles qui veulent la forme traditionnelle et en déchargera les paroisses.

G - Diocèse d’Arras

À Arras, Mgr Jaeger, que « les événements » –- comprenez la promulgation du Motu Proprio Summorum Pontificum – avaient co
ntraint à « rompre la trêve estivale » pour se fendre d’un commentaire aux prêtres et diacres de son diocèse le 10 juillet 2007 n’a précisément jamais eu besoin de se prononcer à propos de son application concrète. En effet, avec six lieux de culte desservis par la FSSPX sur son territoire épiscopal, Mgr Jaeger a pu considérer que les besoins des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain étaient parfaitement satisfaits par le clergé de la Fraternité. Là encore, est-il abusif d’imaginer que la FSSPX enlève et enlèvera une belle épine du pied de Mgr Jaeger ?

Il va de soi que c’est en souriant que nous laissons entendre que ces évêques qui freinent des quatre fers l’application du Motu Proprio sont des « éclaireurs de la réconciliation »… En un autre sens, il existe aussi, en France, de vrais anticipateurs d’un apaisement général. Et puis, il y a aussi les actes anachroniques : le très récent incident d’Orléans où nous voyons Mgr Blaquart refuser l’accès de sa cathédrale aux pèlerins de Pentecôte de la Fraternité sous prétexte que la cathédrale était le lieu symbolisant la communion entre l’Église locale et le pape ; ou encore, en 2011, l’interdiction faite aux pèlerins de la FSSPX par Mgr Planet, évêque de Narbonne et Carcassonne, d’accéder au sanctuaire de Notre-Dame de Marceille, à Limoux, et de très nombreux faits récents de ce type dans de multiples diocèses, derniers mouvements d’humeur, bien dérisoires au demeurant, face à une réintégration de la FSSPX au sein de l’Église de France.
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 –  La réserve émise par la majorité des évêques français quant à l’application pleine et entière du Motu Proprio trouve (et va trouver plus encore) un alibi par le fait qu’une telle célébration existerait déjà dans leur diocèse dans le cadre de la FSSPX ? Ce serait certainement leur prêter trop de machiavélisme (sans parler d’une connaissance de l’avancement du dossier Saint-Pie X que la plupart n’ont pas) : mais incontestablement, ils pensent que cette présence les arrange bien. À supposer que ce soit vraiment le cas, ils feraient alors une analyse à très courte vue : la régularisation de la FSSPX va plus encore banaliser la liturgie traditionnelle et, à terme, doper le processus du Motu Proprio dans les paroisses… et les séminaires. Il faut savoir que les fidèles de la FSSPX font souvent partie des demandeurs paroissiaux. Demain, ce sera encore plus vrai. Et… les bataillons de prêtres de la FSSPX seront tout disposés à aider les prêtres qui leur demanderont d’assurer les messes paroissiales extraordinaires qu’ils ne peuvent ou ne savent assurer.

De fait aujourd’hui, de droit demain, la Fraternité Saint-Pie X est une composante de la configuration chrétienne des diocèses de France. C’est ainsi.

2 –  Un exemple (qui est loin d’être le seul) d’anticipation bienveillante et clairvoyante du futur statut de la FSSPX dans l’Église nous a été livré il y a quelques semaines par Mgr Bonfils – administrateur apostolique du diocèse d’Ajaccio jusqu’à l’arrivée du nouvel évêque en avril dernier – qui a célébré le 11 mars 2012 des confirmations dans la forme extraordinaire du rite romain pour les fidèles de la chapelle desservie par la Fraternité Saint-Pie X à Ajaccio. Il se trouve, pour le coup, que la FSSPX de France a mal réagi, ce qui indique qu’un certain “ rodage ” sera nécessaire des deux côtés dans les rapports nouveaux à établir. Un geste évidemment permis par l’attitude ouverte du prieur local de la Fraternité mais qui témoignait d’une véritable et remarquable disposition épiscopale à entrer dans les volontés du Saint-Père. Tout le contraire de notre énumération à la Prévert d’évêques sourds voire hostiles à la réconciliation voulue par Benoît XVI.


3 –  De nombreux demandeurs paroissiaux de la forme extraordinaire du rite romain nous l’ont rapporté : certains évêques ou vicaires généraux laissent échapper que « si vous voulez la messe en latin, vous n’avez qu’à aller chez les lefebvristes ». Mais il ne s’agit pas d’une invitation anticipant la réconciliation espérée mais plutôt d’une invitation à aller voir ailleurs et à ne plus les ennuyer avec la messe « fesses au peuple » comme on ose encore le dire parfois ! Bref, il s’agit de la même logique d’exclusion qui, dans les années 70, a vidé les paroisses les plus avant-gardistes de leurs fidèles désireux de continuer à vivre leur foi dans le respect du sacré et la continuité liturgique et catéchétique : “ La diversité et la tolérance c’est parfait, mais ce n’est pas pour vous. Si vous n’êtes pas satisfaits de nos choix pastoraux et liturgiques, personne ne vous retient. ”

4 –  L’attitude de ces évêques s’inscrit incontestablement dans une vision incapable de comprendre l’attrait des fidèles pour la forme extraordinaire du rite romain et, partant, le geste du Saint Père.

C’est Mgr Aumonier qui déclare dans Témoignage Chrétien du 23 février dernier : « Ces demandes d’autorisation de messe selon le rite ancien sont de plus en plus nombreuses depuis une dizaine d’années. C’est une réalité indéniable, très visible de l’extérieur [...] mais cela ne concerne en réalité qu’une minorité de fidèles. »
Eh oui, Monseigneur, volà bien " un mystére pour les fidéles " nous sommes de plus en plus nombreux mais nous sommes toujours plus minoritaires voire de plus en plus " inexistants" …

5 –  Ce déni de la réalité non seulement ecclésiale mais aussi tout simplement numérique que représentent les catholiques désireux de bénéficier des bienfaits du Motu Proprio Summorum Pontificum se retrouvait déjà dans l’enquête confiée à Mgr Planet, évêque de Carcassonne, lors de l’assemblée des évêques à Lourdes en mars 2010 (voi
r notre lettre N° 221 du 14 mars 2010). Cette “ enquête ”, qui devrait servir de support aux échanges entre évêques et Curie lors des prochaines visites ad limina, présente un intérêt plus que limité dans la mesure où elle se contente de dresser la liste de ce qui existait à la date anniversaire des trois ans du Motu Proprio sans prendre en compte les demandes exprimées et non satisfaites. Bref, rien de plus que les informations que fournissent de nombreux sites dirigés par des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain qui ont, de surcroît, l’avantage de mettre à jour en temps réel ces données.

6 –  Les évêques qui demeurent immobiles en fait d’application du Motu Proprio, par anticipation (en tout cas de facto) de la future structure juridique SPX, sont logiques avec eux-mêmes mais tournent résolument le dos aux véritables enjeux soulevés par la réconciliation voulue par le Souverain Pontife, tout d’abord avec Summorum Pontificum et bientôt avec la FSSPX. Ils ignorent la réalité : les fidèles qui répondent à nos sondages qu’ils assisteraient volontiers à la messe selon la forme extraordinaire si elle était célébrée dans leurs paroisses sont bien plus nombreux que les fidèles qui assistent aux messes des communautés Ecclesia Dei et de la FSSPX. Benoit XVI entend rendre à l’Église universelle la richesse de la forme extraordinaire sans exclusive. Avec le Motu Proprio il ne s’agit pas de telle ou telle communauté Ecclesia Dei, y compris la future structure SPX. Ce texte s’adresse à l’Église universelle. Les communautés traditionnelles (FSSP, FSSPX, ICRSP, IBP) rendent d’immenses services. Mais elles sont en quelque sorte des communautés de suppléance : c’est dans les paroisses, dans les cathédrales, dans les séminaires que la messe dans la forme extraordinaire (et “ tout ce qui va avec ”, catéchismes, mouvements de jeunesse) doit être réintroduite.

7  –  Les rares applications paroissiales du Motu Proprio ont révélé que l’essentiel des fidèles qui y participent ne viennent pas pour l’immense majorité des lieux de culte traditionnels préexistants. Ce que prouve le fait que les effectifs des lieux de culte des communautés (FSSP, FSSPX, ICRSP, IBP) ne baisse nullement. A quoi on peut ajouter que la seule levée des excommunications des évêques de la FSSPX a fait s’élever partout (messes Motu Proprio, messes Ecclesia Dei, messes FFSSPX) le nombre des pratiquants « extraordinaires », le bon peuple chrétien ne faisant pas dans la nuance canonique. Pas besoin d’être grand clerc, c’est bien le cas de le dire, pour imaginer que, par exemple à Paris, l’officialisation de la FSSPX confortera tout autant Saint-Nicolas que Saint-Eugène et que Sainte-Jeanne-de-Chantal !

8 –  De sorte que, la véritable anticipation de la nouvelle situation ecclésiale à venir – il n’est jamais trop tard pour bien faire – serait de se pencher sur les “ silencieux ”, qui constituent en France - et dans toute l'Europe - un socle incompressible de 34 % des fidèles catholiques et qui veulent vivre leur foi catholique, dans leurs paroisses, au rythme de la messe traditionnelle et que nous retrouvons, malgré leur discrétion, à chaque sondage. Et non plus de considérer le trésor que constitue la forme extraordinaire du rite romain pour l’Église universelle comme une infection à cantonner à un ghetto plus ou moins toléré par la continuation presque générale d’une véritable politique d’apartheid liturgique. Apartheid, mot venu de l’afrikaans qui signifie « développement séparé », a servi à qualifier la politique des Afrikaners qui pendant plusieurs dizaines d’années ont tenté de séparer la vie et l’évolution des diverses communautés de leur pays avec l’insuccès final et la réprobation universelle que l’on sait.