15 mars 2005

[chemere.org] Seize questions au prieur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier

SOURCE - chemere.org - mars 2005

Seize questions au prieur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (1)
1. Comment est née la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier ?
La Fraternité est née d’un appel du Christ à une consécration dans la radicalité des conseils évangéliques, et d’un choc : la rencontre avec l'une des grandes misères de notre monde contemporain, l'ignorance religieuse.

Embrasser la Croix que le monde fuit et nous consacrer à la prédication de la Vérité évangélique dans une société marquée par le relativisme : tel a été notre projet de vie, concrétisé en septembre 1979 par la fondation du Couvent Saint-Thomas-d'Aquin à Chémeré-le-Roi, en Mayenne. Actuellement nous sommes quinze religieux, dont huit prêtres et un diacre.
2. Pourquoi une fondation nouvelle ?
Nous avons voulu vivre le charisme de cette vie apostolique avec les moyens éprouvés que nous lègue la tradition. Notre projet ayant mûri en contexte de crise, nous n'avons pas frappé à la porte de l’Ordre des Prêcheurs. La vague des remises en cause – crise liturgique, sécularisation, doutes sur la doctrine de saint Thomas d'Aquin, déviations doctrinales – déferlait sur l’Eglise et atteignait aussi les provinces dominicaines… Une large enquête fut confirmée par ce qu’un Père, qui devait ensuite accéder à de hautes charges dans l’Eglise, m’écrivait en 1977 : « Aucune des options possibles n’offre une vie dominicaine parfaite. La vocation dominicaine devrait être assez forte pour pouvoir la vivre malgré certaines misères actuelles ; tout comme on devient prêtre aujourd’hui souvent malgré les séminaires, mais parce qu’on cherche le sacerdoce ». Nous avons donc tenté de vivre le charisme de saint Dominique dans une fondation nouvelle. Nous avions conscience du statut non canonique de notre entreprise. Dans l’attente d’une régularisation, nous n’avons prononcé que des voeux privés. Partie prenante de la réaction « traditionaliste », nous avons rédigé des travaux sur la crise dans l'Eglise, notamment sur la liberté religieuse. Dès 1980, nous avons multiplié les contacts avec évêques et théologiens. Il nous paraissait capital d'approfondir les questions en débat, et de travailler à l'unité dans la vérité.
3. Quel a été l'aboutissement de ce travail ?
Après des recherches approfondies, nous avons été conduits en 1987 à un changement de position sur la liberté religieuse. Nous nous étions trompés sur un point de notre critique. Le magistère n’a pas promulgué quelque chose de contradictoire avec les enseignements antérieurs, comme nous le pensions auparavant et comme continuent à l'affirmer des opposants des deux bords. La Déclaration du Concile sur ce sujet est « faible, équivoque, dangereuse, mais non pas erronée en son enseignement principal ». On peut, sans dissidence et sans néo-modernisme, être en communion avec le Magistère authentique de l'Église. Le Catéchisme de l'Église Catholique, des encycliques de Veritatis splendor à Ecclesia de Eucharistia confirment une continuité substantielle.
Cela n'exclut pas la possibilité de points de désaccord. Une part du discours et de la pastorale actuels en matière d’oecuménisme, de dialogue interreligieux, de rapports avec la société civile, de collégialité, de liturgie, contribue à la crise d’identité que traverse le catholicisme. Les fidèles ont « le droit et même le devoir » (canon 212 § 2) d’attirer l’attention, dans un esprit constructif, sur les aspects négatifs. Nous l’avons fait respectueusement — par des mémoires au Saint-Siège ou des articles — à propos d’Assise, des repentances, du statut de la messe traditionnelle. Nous sommes conscients qu’il revient à l’autorité un rôle décisif pour dénouer la crise. Des éclaircissements dogmatiques, précisant ceux des textes qui ont donné lieu aux interprétations erronées, nous paraissent notamment nécessaires.
Cette attitude n’a pas été considérée par le Saint-Siège comme un obstacle à notre reconnaissance. Malgré notre petit nombre, la Commission Pontificale Ecclesia Dei nous a érigés, deux mois après notre demande, en Institut de droit pontifical. Dans une audience privée, le Pape nous a félicités de notre étude sur la liberté religieuse qui, tout en montrant la continuité avec le magistère antérieur, affirmait les limites de la Déclaration et les droits du Christ-Roi. Nos Constitutions ont été approuvées définitivement dans un délai très bref, en avril 1995.
4. Et les dominicains ?
Les autorités de l'Ordre des Prêcheurs (dont nous ne dépendons pas canoniquement) ont plutôt mal pris notre reconnaissance par la hiérarchie. Un dialogue a été noué pour étudier la possibilité d'entrer dans la Famille dominicaine. Cette formule reconnaîtrait notre parenté, sans nuire à l'autonomie juridique et au charisme spécifique. Il faudra du temps pour que les choses aboutissent, en particulier pour que notre spécificité liturgique soit ressentie comme légitime. Nous avons déjà reçu d’un Maître de l’Ordre la participation aux biens spirituels de l’Ordre. Les contacts sont nombreux avec des pères de diverses provinces. Ce sont des dominicains qui prêchent habituellement nos retraites de communauté. Des Pères nous ont dit retrouver dans notre Couvent la vie qu’ils avaient connue avant la crise.
5. Pourquoi votre Institut est-il sous le patronage de saint Vincent Ferrier ?
Parce que c'est une sorte « d'apôtre des temps difficiles ». Dans un temps où s'accumulent les catastrophes — guerres, peste et Grand Schisme —, saint Vincent (1350-1419) fait rayonner les facettes de la grâce de saint Dominique : aspects intellectuel, spirituel et apostolique. C'est de lui qu'est cette sentence d'une vérité brûlante en nos temps de misère liturgique : « La Sainte Messe est l'acte le plus haut de la contemplation »2. Sa prédication des perspectives eschatologiques, sa conception de la chrétienté, son énergie sont une leçon pour la modernité occidentale, qui glisse dans le suicide de civilisation par matérialisme et désespoir.
6. Quelle est la spiritualité de votre communauté ?
Le coeur de cette vocation dominicaine est contemplatif. La finalité est « la prédication et le salut des âmes ». Ce n'est pas uniquement une vocation d'intellectuel. Les moniales, les frères convers, les missionnaires, les artistes sont de véritables dominicains ! Tous abordent les choses sous l'angle de la lumière de la vérité. Sainte Catherine de Sienne, dans son magnifique Dialogue – qui est comme la charte de la spiritualité dominicaine –, dit que l'aspect spécifique de la charité cultivé par Dominique, c'est le « salut des âmes par la lumière de la science »3.
Outre l'étude de la vérité sacrée, la vie dominicaine comprend les observances conventuelles et la célébration solennelle de la liturgie. L'idée de Dominique était d'amener par ces moyens les religieux à être pénétrés du dépôt révélé et à le communiquer par une « prédication découlant de l’abondance de la contemplation ».
Dans cette atmosphère de joie caractéristique du « Patriarche apostolique », nous nous efforçons de vivre un approfondissement marial de la spiritualité dominicaine : « Contempler et communiquer aux autres la vérité contemplée... par Marie ».
7. D'où vient cette note mariale spécifique ?
D’une nécessité pour les temps actuels : celle de la présence de la Vierge Marie, dont saint Louis-Marie de Montfort et saint Maximilien Kolbe ont perçu l'importance pour les âmes en quête de salut dans le désarroi du monde moderne. II nous a semblé très important d'expliciter cette note mariale présente dans la vocation dominicaine : que toute notre vie soit dans l'ambiance mariale, que notre prédication manifeste le rôle de Marie dans l'économie du salut.
L'instrument pédagogique qui rend cela possible, c'est le saint Rosaire. C’est saint Dominique qui en a reçu de Marie l’intuition primordiale. Dès les origines, le Rosaire a été non seulement une méthode de prière, mais aussi une formule d'apostolat. Le père Vayssière, un grand contemplatif dominicain qui fut longtemps gardien de la Sainte-Baume en Provence, disait que le Rosaire est « un enchaînement d’amour de Marie à la Trinité »4. Nous mettons en oeuvre cette pédagogie, qui conduit de Marie à la Trinité, notamment dans les « retraites du Rosaire ».
8. Comment expliquez-vous aux retraitants le rôle de la Sainte Vierge dans la rédemption ?
Dostoïevski a eu cette sentence étonnante : « La beauté sauvera le monde » 5. Sa pensée doit être entendue sur le plan spirituel : c'est le Christ qui sauve les âmes, mais c'est Marie qui les amène au Christ. Aller à Dieu par Marie est plus facile, parce que la Vierge est le condensé maximum de la beauté divine dans la création, et que la beauté est attirante. Marie est certes une pure créature, elle est notre soeur. Mais elle est aussi « la Femme revêtue du soleil » de la Trinité (cf. Ap 12, 1). Bernanos dit qu’elle est « plus jeune que la race dont elle est issue, et bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain »6, car elle est d’avant le péché dont la Rédemption du Christ la préserve. C’est pourquoi elle nous amène au mystère de Dieu avec une douceur et une profondeur inégalables. La retraite du Rosaire a pour but précisément de nous concentrer sur ce rôle salvifique de la Sainte Vierge.
En nos temps troublés où le démon est déchaîné, il est réconfortant de contempler cette créature transparente qui, selon le mot magnifique du cardinal dominicain Cajetan — célèbre commentateur de saint Thomas d’Aquin au XVIe siècle. —, « touche aux confins de la divinité »7. Il est bon de nous laisser enfanter par elle à la grâce et à la gloire. Saint Louis-Marie Grignon de Montfort l’exprime dans son fameux Traité de la vraie dévotion à Marie : « Le Saint-Esprit, par l'entremise de la Sainte Vierge, réduit à l'acte sa fécondité, en produisant en elle et par elle Jésus-Christ et ses membres »8. Cette attention au rôle de Marie est une note spirituelle propre de notre Fraternité, reconnue par le Saint-Siège dans notre décret d'érection.
9. Avez-vous d'autres caractéristiques spécifiques ?
La différence avec l'Ordre des Prêcheurs n'est pas dans la finalité, mais dans les moyens. D’après saint Thomas, cela légitime la différence des Instituts religieux. Un exemple est donné par l’Ordre des Chartreux et la Fraternité des Moines de Bethléem et de l’Assomption, à qui les Chartreux ont reconnu la « paternité de saint Bruno ». Pour nous, nous tâchons de vivre le charisme de saint Dominique :
  • dans une vie contemplative structurée par les moyens traditionnels de la vie religieuse (clôture, silence, port de l’habit, observances monastiques) ;
  • par une étude de la pensée de saint Thomas d’Aquin, pour sa valeur de vérité et non uniquement d’un point de vue historique ;
  • avec, pour la Messe et l’Office, une liturgie propre tirée de la tradition dominicaine (livres liturgiques en vigueur jusqu'à la réforme postconciliaire).
Ces trois « points saillants » sont reconnus dans notre décret d’érection.
Nous tenons à la sagesse des anciens qui nous ont précédés. II y a là un défi lancé à notre médiocrité. Dans la poursuite de la sainteté, nous sommes invités à un esprit de docilité vis-à-vis des moyens de la vie religieuse légués par la tradition. Cette piété filiale n'empêche pas l'ouverture et l'adaptation. Elle ouvre le coeur à la joie du sacrifice, et nous aide à devenir « amoureux de la beauté spirituelle »9. Concrètement, une vie régulière et une liturgie qui viennent du Moyen-Age ne sont pas incompatibles avec les outils techniques de la modernité, comme Internet et le TGV, ni avec l’intérêt pour les sciences modernes ou les questions d’actualité brûlante !
10. Pouvez-vous nous dire un mot du rit dominicain ?
C ‘est une des formes traditionnelles du rit latin. Elle était en vigueur depuis longtemps lorsque saint Pie V (qui était dominicain) unifia en 1570 les variantes en usage dans les diocèses. Il voulut que les rits qui avaient plus de deux siècles d'ancienneté puissent se maintenir. C'est ainsi que certains diocèses (Lyon, Tolède, Milan) et certains ordres religieux (Chartreux, Carmes, Dominicains) ont gardé leur rit propre. Remarquons que ces religieux disaient toujours la messe dans le rit de leur Ordre, même dans le ministère paroissial. Le rit dominicain est assez proche à la messe lue, de la messe romaine traditionnelle. Il en diffère toutefois pour les prières préparatoires, le rit de l'offertoire en une seule présentation des oblats, l'écartement des bras après la consécration, le baiser de paix, la communion du prêtre. Les usages dominicains sont dans l'ensemble plus anciens que ceux de la messe romaine. C'est un rit très beau dans sa sobriété. La messe solennelle est splendide. Elle diffère notablement de la messe romaine, surtout par le rôle accru du diacre et du sous-diacre (avec des lavabos après certaines de leurs fonctions), les amples mouvements symétriques des ministres, le remplissage du calice à la banquette. L'ensemble fait partie des trésors de l'Église d'Occident.
11. Comment se déroule une journée dans votre couvent ?
Nous avons la Messe quotidienne (chantée les jours de fête) ; les offices divins de laudes, sexte, vêpres (chantées les jours de fête) et complies (chantées tous les jours) ; le silence dans les « lieux réguliers » ; le chapitre des coulpes une fois par semaine ; les jeûnes de l'avent et du carême ; deux demi-heures d'oraison silencieuse.
 
Les étudiants ont quatre ou cinq heures consacrées à l'étude (Écriture sainte, philosophie, théologie, liturgie, droit canonique, histoire, …). Les frères convers étudient la doctrine catholique, selon ce qui est nécessaire à leur vocation. Le reste de la journée est consacré à la préparation des divers apostolats, à la rédaction d’une revue trimestrielle et aux « obédiences », c’est-à-dire les tâches pratiques nécessaires à la vie commune, selon des « spécialités » variées : jardin, cuisine, bricolage, arts, accueil... Sans oublier les temps de vie fraternelle, les deux récréations quotidiennes, le sport et les promenades.
12. Quel est votre programme d’étude ?
La formation des novices est répartie sur deux ans : compléments catéchétiques, étude des Constitutions de la Fraternité, spiritualité, Ecriture sainte, latin, chant grégorien – le « chant propre de la liturgie romaine » 10. Pour l'art chrétien et la culture générale, nous bénéficions d'intervenants de qualité.
 
Les frères convers (qui ne se destinent pas au sacerdoce) complètent leur formation technique ou artistique (chant, orgue, reliure, menuiserie...) et les frères étudiants abordent la philosophie, avec l’IPC (Faculté libre de Philosophie). L'accent est mis sur l'étude des textes du Docteur commun, notamment ses Commentaires d’Aristote, le caractère « architectonique » de sa sagesse, son originalité par rapport aux divers systèmes philosophiques.
 
Le cycle de théologie est suivi au couvent sous forme des sessions de dogme et de morale données par des professeurs extérieurs.
 
Certains pères acquièrent des diplômes universitaires : à la Sorbonne pour la philosophie, à l'Université catholique d'Angers ou à l’Université de Fribourg en Suisse pour la théologie. Cela nous permet de constater deux choses. Premièrement, saint Thomas donne une formation féconde, qui manque à beaucoup d'universitaires actuels. Deuxièmement, cette formation thomiste habilite à discerner les erreurs et à saisir les éléments de vérité de la culture moderne. Elle permet une ouverture paisible de l'esprit, sans crispation... et sans complexe.
 
Tout cela dans la visée apostolique de l’étude voulue par saint Dominique : « Notre étude doit tendre par principe, avec ardeur et de toutes nos forces, à nous rendre capables d'être utiles à l'âme du prochain ».
13. Comment se traduit cette dimension apostolique de votre vie ?
Notre existence est marquée par l'alternance de la vie conventuelle et des sorties apostoliques. Celles-ci sont plus ou moins fréquentes et prolongées, selon les nécessités, et selon le tempérament de chacun des frères. Dans la vie dominicaine, que Catherine de Sienne qualifiait de « religion toute large, toute joyeuse et toute parfumée »11, il y a place pour un large éventail au sein d'une même angoisse pour le salut des pécheurs et d'un même enthousiasme apostolique.

Les frères étudiants sont associés à l’apostolat dès la profession. Chacun est prêcheur à sa façon. Tel frère convers, à qui Dieu a donné un talent artistique, prêchera par la beauté qui attire à la vérité. N'oublions pas que Fra Angelico, le patron des artistes, est dominicain ! Ceux qui restent au couvent soutiennent la parole de ceux qui sortent par la prière. L'apostolat est le fait de tout le couvent, l'orientation pour le salut des âmes marque la tonalité de nos travaux conventuels et de notre contemplation.
14. Quels sont les axes principaux de votre apostolat ?
1. L'approfondissement de la vie chrétienne par les Retraites du Rosaire, ouvertes à tous à partir de dix-huit ans, ou prêchées à des communautés religieuses. Ces retraites constituent, dans la ligne de notre note mariale, l’un de nos apostolats spécifiques. Il y a aussi des récollections et des pèlerinages, comme ceux de la Pentecôte à Chartres ou les camps d'été en France et à l'étranger (jusqu'en Europe de l'Est et au Moyen-Orient). Nous insistons spécialement sur les richesses de la vie de la grâce.
 
2. La formation doctrinale : aider les chrétiens à avoir une culture religieuse au niveau de leur culture profane, notamment par notre revue Sedes Sapientiæ. Trimestrielle, elle traite de façon abordable de philosophie et de théologie, mais aussi d’actualité religieuse, d’art chrétien, de liturgie, de spiritualité. Nous publions aussi la collection « Classiques spirituels », assurons l’aumônerie de collèges, animons des cafés-caté dans le Quartier latin. Enfin nous aidons l’Association Scoutisme et Résurrection (ASR) et le Rassemblement des Jeunes Catholiques (RJC), et nous participons aux JMJ (Juventutem pour 2005).
 
3. Une aide à la famille, première cellule de la vie chrétienne : catéchèse pour enfants et adultes ; sessions de fiancés ; accompagnement de foyers (Domus Christiani) ; camps canoë (garçons de 16-17 ans) ; camps-vélo (garçons de 12-15 ans) ; aumôneries scoutes (notamment Europa-Scouts). Nous n’oublions pas les célibataires suivis dans le Cercle des Célibataires Chrétiens.
15. Pouvez-vous nous parler de l’histoire et de l’esprit de votre revue ?
Sedes Sapientiæ est une revue de culture générale catholique. Elle a eu des débuts très modestes, sous la forme d’un petit bulletin ronéotypé qui contenait un article de spiritualité, un texte d’initiation thomiste, et les nouvelles de notre communauté. A l’été 1987, elle prend sa forme actuelle imprimée, de format modeste, comptant 64 à 112 pages par livraison. L’éditorial de ce numéro 21, la « Lettre à un ami », souligne trois caractères de la publication : – primat de l’intelligence, pour l’approfondissement doctrinal de la foi ; – rigueur contre l’erreur, selon la fonction du sage dessinée par l’Aquinate au début de la Somme contre les Gentils 12 ; – « l’esprit catholique qui est un esprit d’analogie et d’intégration »13, selon les belles paroles de l’abbé Victor-Alain Berto.
 
Au début essentiellement réalisée par les frères, Sedes Sapientiæ a vu le nombre et la qualité des contributions extérieures grandir, jusqu’à représenter aujourd’hui plus des deux tiers : universitaires, chercheurs, spécialistes de l’art, philosophes, chroniqueurs, historiens, religieux et théologiens, sans compter quelques cardinaux ou évêques.
 
L’esprit dans lequel veut travailler la revue est celui de saint Thomas d’Aquin : souligner l’harmonie de la foi et de la raison, cultiver la piété filiale envers l’être historique de l’Eglise, adhérer au Magistère vivant, sans dissentiment qui s’érige en magistère parallèle, sans « la complaisance d’esprit, qui tend à faire de l’autorité, dans des matières de soi soumises à la raison et à la conscience, la règle de la vérité »14.
 
Sedes Sapientiæ n’hésite pas à aborder des sujets brûlants dans l’Eglise et la cité, faisant notamment régulièrement le point sur la situation de la mouvance Ecclesia Dei. La revue s’efforce constamment de concilier la rigueur et la clarté sur les enjeux avec le respect des personnes dans la controverse. Elle s’attache surtout à donner la formation de fond aujourd’hui plus indispensable que jamais. Notre public est loin de se réduire au milieu traditionaliste, et atteint des personnes très diverses : étudiants, éducateurs, parents, prêtres, séminaristes, communautés religieuses, professionnels, bibliothèques. Des lecteurs nous disent que la revue est en passe de devenir dans certains milieux un instrument de référence. En tout cas, un haut dignitaire de l’Eglise nous encourageait récemment en nous écrivant : « Votre engagement à diffuser l’enseignement de l’Eglise est un précieux service rendu à la foi ».
16. Quels types de vocations trouve-t-on dans la vie dominicaine ?
On a dit à juste titre qu'il avait fallu trois saints pour manifester la richesse de la grâce de Dominique. Catherine de Sienne la contemplative, Pierre de Vérone l'apôtre et Thomas d'Aquin le savant : trois rayons sortant de « la grâce unique de notre Père »15. Catherine de Sienne n'est pas une intellectuelle, et réduire la vie dominicaine à l’étude est contraire à la vérité historique.
 
Dans la vie d'un couvent, il y a les pères, qui étudient et qui prêchent, chacun selon les modalités qui conviennent à ses aptitudes : homélies, retraites, articles, cours, conférences, confessions, directions spirituelles, aumôneries d’écoles, scoutisme, accompagnements de pèlerinage, etc. Les étudiants qui se préparent à la prêtrise ou au diaconat. Et les frères convers, qui ont la même profession religieuse que les pères. C’est grâce à eux que le couvent est cette « maison de la contemplation » qu'a voulue saint Dominique, et non une résidence de gens affairés ou de remueurs d'idées. Les pères et les étudiants ont un besoin vital de la présence de ces frères au scapulaire noir. Ils participent à l'office choral, s’investissent dans un art ou une technique utile à l’apostolat, collaborent à l’apostolat (catéchisme, accompagnement de camps de jeunes), et le rendent possible par leurs travaux. 
 
Cette complémentarité a été voulue dès les origines. La diversité des dons au service de la prédication nourrit l'affection que la Règle de saint Augustin nous recommande : « Vivez unanimes dans la maison, ayant une seule âme et un seul coeur ». Les frères convers rappellent que la fécondité de l'apostolat découle de la vie cachée en Dieu et du sacrifice de la croix.
Fr. Louis-Marie de Blignières
mars 2005

1 Cet entretien est paru dans le numéro 91 de Sedes Sapientiæ (mars 2005) et en version abrégé dans L' homme nouveau, n° 1337 du 2 janvier 2005.
2 « Missa est actus altius contemplationis quod possit esse », Quadragesimale, sermo 39, Sabbato post Oculi, Sancti Vincentii Ferrerii Opera, studio Caspari Erhard, Augustæ Vindelicorum, MDCCXXIX, p. 124 D.
3 Dialogue, ch. 158, trad. Hurtaud, t. 2, Paris, Téqui, 1976, p. 273.
4 Marcelle Dalloni, Le Père Vayssière, biographie et textes spirituels, Paris, Alsatia, 1957, p. 166.
5 L’Idiot, IIIe partie, ch. 5, Paris, Hachette, 1972, t. 2, p. 100 ; cité par Jean-Paul II, Lettre aux artistes du 4 avril 1999, in La Documentation catholique, n° 2204, p. 458, note 25.
6 Journal d’un curé de campagne, Paris, Plon, 1936, p. 259.
7 Thomas de Vio Cajetan, Commentaire sur la Somme de théologie de saint Thomas d’Aquin, in IIam IIæ, q. 103, a. 4.
8 Traité de la vraie dévotion à Marie, n° 21.
9 Règle de saint Augustin.
10 Concile Vatican II, Constitution Sacrosanctum Concilium sur la liturgie, n° 116.
11 Dialogue, ch. 158, op. cit., p. 275.
12 Somme contre les Gentils, I, 1.
13 Pour la sainte Eglise romaine, Paris, éd. du Cèdre, 1976, p. 24.
14 Abbé V.-A. Berto, Principes de la direction spirituelle, Paris, éd. du Cèdre, 1951, renvoyant à la Somme de théologie, II II, q. 104, a. 5, ad 2.