Jean Madiran – Présent – 10 septembre 2004
Le Figaro d'hier a eu le privilège de recueillir une déclaration capitale de l'abbé de Cacqueray, supérieur de la FSSPX pour la France, après l'exclusion des deux Bordelais:
«Aucune
autre exclusion n'est enclenchée. Les choses pourraient être éclaircies
si l'abbé de Tanoüarn acceptait d'exprimer qu'il ne partage pas les
positions des abbés Laguérie et Héry.»
Loin de nous l'idée aventureuse de nous immiscer dans une affaire spécifiquement cléricale, et intérieure à la Fraternité. Toutefois il n'est pas possible non plus de totalement l'ignorer, depuis qu'elle a été rendue publique le 22 août, à Bordeaux, par un communiqué du supérieur général de la FSSPX, et ensuite le 25 août par un article retentissant : «Du rififfi chez les cathos tradi », écrit avec beaucoup de Verve et d'entrain par Céline Pascot, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Minute que dirige Jean-Marie Molitor. Au demeurant l'affaire pourrait bien n'être pas seulement intérieure ; dans la mesure où sont en question des «positions» qu'il s'agit d'accepter ou de désapprouver, chacun, même simple laïc, peut avoir un avis.
Concernant justement les « positions », tendances et affinités intellectuelles, j'ai remis la main sur un livre paru au début de 2001 (achevé d'imprimer en décembre 2000). Nos lecteurs s'en souviennent peut-être, surtout s'ils ont à l'époque suivi notre conseil de le lire (comme de lire, un peu plus tard, celui de Mgr Tissier de Mallerais, quelles que soient nos réserves éventuelles à l'égard de certaines affirmations de l'un et de l'autre). Le livre de 2001 a pour titre : La Tradition sans peur. Voyez la conjonction : premièrement l'auteur, l'abbé Paul Aulagnier ; deuxièmement, ce sont des « entretiens avec l'abbé Guillaume de Tanoüarn ». Troisièmement, la préface est de l'abbé Philippe Laguérie. Et, quatrièmement, l'édition est de Dominique et Jean-Marie Molitor, « sans qui ce livre n'aurait pas pu voir le jour ». En matière de « positions », on y lisait entre autres (p. 244): «Il faut sortir de nos tranchées, de nos ghettos, il faut, je le répète, sans peur, nous mettre au service de l'Eglise universelle, en utilisant notre liberté pour critiquer les nouvelles orientations (...), et aussi pour souligner tout ce qui va dans le bon sens, sans nous perdre dans l'opposition stérile et dans la critique systématique. »
Aujourd'hui on voit s'esquisser un curieux parallélisme entre le religieux et le politique. Les têtes qui dépassent semblent bien être la vraie cause des difficultés ; et au FN comme à la FSSPX, la demande de débat se heurte à la menace d'exclusion. Je ne crois pas beaucoup à l’« exclusion », je ne crois pas du tout au « débat ». Pourquoi pas au « dialogue » ! Le dialogue, le débat fructueux, ils sont dans Platon, qui tient lui-même la plume (si je puis dire) pour chacun des interlocuteurs. Us sont dans la Somme théologique de saint Thomas, où chaque article commence par l'énoncé de toutes les objections possibles. Je crois à la controverse : contre les idées adverses. Mais pour les têtes qui dépassent, et qui sont de la famille, et qui bien sûr sont beaucoup plus incommodes que celles qui ne dépassent pas, la solution pourrait bien n'être ni dans le débat qu'elles réclament ni dans la rétractation qu'on leur demande.
Il faudrait plutôt trouver pour chacune sa vraie place, qui n'est pas forcément le Mexique, et à cette place lui laisser toute l'autonomie nécessaire à sa respiration. Dans l'ordre politique, bien que n'étant point spécialiste de la matière électorale, j'imagine assez invivable que le président du parti ait seul, comme par délégation, le pouvoir de décider sans appel qui sera candidat jusque dans les plus petites communes, au lieu de faire confiance aux désignations locales. Analogiquement il doit en être un peu de même pour les paroisses. Et pour les rédactions des revues et bulletins ! L'excès de centralisation est dans l'air du temps, par contagion il est partout, et pas seulement dans les administrations de l'Etat. Et puis, les têtes qui dépassent sont souvent, dans la controverse publique, les plus justement, les plus fortement, les plus exactement critiques à l'égard de la laïcité républicaine et des autres mensonges dominants, n'allons pas nous en priver. La famille politique et religieuse qui est la nôtre a sans doute besoin en ce moment de mieux apprendre la cohabitation amicale d'autonomies respectueuses de leurs propres limites. J'espère n'avoir pas franchi les miennes?