SOURCE - Bruno de Jésus - Contre-Réforme Catholique au XXIe siècle - janvier 2003
Il y aura cent ans le 20 juillet prochain, le pape Léon XIII s’éteignait à l’âge de quatre-vingt-treize ans, après avoir occupé le Siège de Pierre pendant vingt-cinq ans. Jamais ne s’éleva sur le cercueil d’un Pape un concert aussi retentissant d’éloges et de regrets.
Il y aura cent ans le 20 juillet prochain, le pape Léon XIII s’éteignait
à l’âge de quatre-vingt-treize ans, après avoir occupé le Siège de
Pierre pendant vingt-cinq ans. Jamais ne s’éleva sur le cercueil d’un
Pape un concert aussi retentissant d’éloges et de regrets.
Et pourtant, le Père Fontaine, jésuite, osera écrire, sans craindre le moindre démenti :
« Jamais Pape n’a plus que Léon XIII accumulé les encycliques et
les documents de toute nature sur les questions bibliques,
philosophiques et théologiques. Et cependant, lequel de ses
prédécesseurs a laissé l’Église de France dans une confusion doctrinale
et une anarchie intellectuelle égale à la nôtre ?»
Le 4 août 1903, les voix des conclavistes se portèrent, comme guidées
par la divine Providence, sur le cardinal Sarto, patriarche de Venise.
L’Église serait sauvée par Rome une nouvelle fois.
Elle le sera encore, cette année même, si Dieu le veut, n’en doutons
point. La rumeur nous en parvient déjà d’Italie en écho à la sainte
espérance des meilleurs. Sous le titre “ Bergoglio en pole position ”, l’hebdomadaire italien L’Espresso avance un pronostic :
LE DOUX ET HUMBLE CARDINAL GEORGES-MARIE BERGOGLIO
« À la mi-novembre on voulait l’élire président des
évêques d’Argentine. Mais il refusa. S’il y avait un Conclave cependant,
il lui serait difficile de refuser son élection comme Pape. Parce que
c’est sur lui que les votes des cardinaux tomberaient en avalanche,
s’ils devaient choisir du jour au lendemain le successeur de Jean
Paul II.
« Lui, c’est Jorge Mario Bergoglio, s. j., archevêque de Buenos Aires. Un nom italien mais Argentin de naissance est propulsé en tête de la liste des “ papabili ”
dans l’hypothèse, de plus en plus vraisemblable, où le prochain Pape
serait un Latino-Américain. Timide, réservé, parlant peu, il ne lève pas
le petit doigt pour faire campagne. Mais c’est précisément ce qui est
jugé comme l’un de ses grands mérites.
« Jean Paul II l’a créé cardinal lors de la dernière
fournée de nominations, en février 2001. Et là aussi Bergoglio s’est
distingué par son style, par rapport à tant de ses collègues qui ont
fêté l’événement. Des centaines d’Argentins s’employèrent à récolter des
fonds et des billets d’avion pour Rome afin de rendre hommage au
nouveau cardinal, mais lui les arrêta. Il les obligea à rester dans leur
patrie et ordonna de distribuer l’argent aux pauvres. À Rome, il fêta
l’événement quasiment tout seul, avec une austérité digne du Carême.
« C’est parce qu’il vit ainsi depuis toujours.
Depuis qu’il est archevêque de la capitale argentine, le luxueux évêché
adjacent à la cathédrale est resté vide. Il habite un appartement
proche, qu’il partage avec un autre évêque âgé et malade. Le soir il
fait la cuisine lui-même, pour tous les deux. Il roule peu en auto. Il
circule en autobus revêtu de sa soutane de simple prêtre.
« Certes, il lui est devenu plus difficile maintenant de circuler incognito.
Dans sa patrie, son visage est toujours plus populaire. Depuis que
l’Argentine s’est enserrée dans une crise terrible et que la réputation
de tous, politiciens, bureaucrates, industriels, magistrats,
intellectuels, a coulé à pic, l’étoile du cardinal Bergoglio est montée
au zénith. C’est la rare lumière vers laquelle tous s’orientent. Et
cependant ce n’est pas le genre à faire des concessions au public.
Chaque fois qu’il s’exprime, il remue son monde et surprend. À la
mi-novembre, il n’a pas offert aux Argentins affamés un docte sermon sur
la justice sociale, mais il leur a dit de reprendre en main le
catéchisme, l’humble catéchisme des dix commandements et des béatitudes.
C’est, a-t-il expliqué, parce que “ c’est cela, le chemin de Jésus ”. Et une fois qu’on l’a pris au sérieux, on comprend que “ fouler aux pieds la dignité d’une femme, d’un homme, d’un enfant, d’un vieillard est un péché grave qui crie vers le Ciel ”, et on décide de ne plus le faire.
« Les autres évêques suivent ses traces. Pendant
l’Année sainte 2000, il a fait endosser les habits de pénitence publique
pour les fautes commises durant les années de la dictature. Le résultat
est qu’après cet acte de purification, l’Église s’est retrouvée capable
de demander à la nation entière de reconnaître ses propres fautes dans
le désastre où elle se trouve plongée aujourd’hui. Au Te Deum
de la dernière fête nationale, le 25 mai dernier, l’homélie du cardinal
Bergoglio a eu une audience record. Le cardinal a demandé aux Argentins
de faire comme le Zachée de l’Évangile. C’était un fourbe usurier. Mais
il prit conscience de sa bassesse morale et grimpa sur le sycomore, pour
voir Jésus et se laisser regarder et convertir par Lui.
« Tous les politiques, depuis la droite jusqu’à
l’extrême-gauche meurent d’envie de recevoir une de ses bénédictions.
Même les femmes de la Plaza de Mayo, ultra-radicales et anticatholiques
débridées, le traitent avec respect. Il a été jusqu’à ouvrir des brèches
dans les positions bétonnées de certaines d’entre elles, lors
d’entretiens privés. Une autre fois il est apparu au chevet d’un
ex-évêque, Jerônimo Podesta, qui s’était marié en rébellion contre
l’Église et était en train de mourir pauvre et oublié de tous. Sa femme
est depuis lors devenue une de ses fans.
« Mais Bergoglio aussi a eu ses propres difficultés
avec le monde ecclésiastique. Il est jésuite, de ces jésuites à
l’ancienne, fidélissimes de saint Ignace. Il est devenu provincial de la
Compagnie de Jésus en Argentine, précisément à l’époque où se
déchaînait la dictature et où tant de ses confrères étaient tentés
d’empoigner un fusil et d’appliquer les leçons de Marx. Il est de fait
que, déposé du poste de provincial, il retourna dans l’ombre. En 1992,
l’archevêque de Buenos Aires de l’époque, Antonio Quarracino, le repêcha
et en fit son évêque auxiliaire.
« Et depuis lors a commencé son ascension. Sa
première – et quasi unique interview – en tant qu’archevêque de Buenos
Aires, il l’a accordée à un petit journal de paroisse, “ Estrellita de Belem ”,
comme pour dire que l’Église fait partie des minorités et ne doit pas
cultiver des illusions de grandeur. Il voyage le moins possible, à Rome,
au Vatican, le strict nécessaire quatre ou cinq fois par an, quand on
l’appelle. Il prend une petite chambre à la Maison du clergé, via della
Scrofa et à 5 h 30 du matin on le trouve déjà en train de prier dans la
chapelle.
« Il excelle dans les conversations à deux. Mais
quand on l’y oblige, il se débrouille très bien en public. Au dernier
synode des évêques, durant l’automne 2001, on lui demanda, de but en
blanc, de prendre la place du rapporteur du programme qui avait déclaré
forfait. Il s’en chargea avec maestria, au point qu’à la fin du
Synode, au moment de nommer les douze évêques qui feraient partie du
conseil de secrétariat, il fut élu avec le maximum de voix.
« On pensa alors, au Vatican, à l’appeler pour diriger un important dicastère. “ Je vous en prie, si je vais à la Curie, je meurs... », implora-t-il. Et on lui fit grâce.
« Depuis lors l’idée de le faire revenir à Rome
comme successeur de Pierre a commencé à se propager avec une intensité
croissante. Les cardinaux latino- américains s’orientent de plus en plus
vers lui. Le cardinal Joseph Ratzinger également. Le seul des grands
cardinaux de Curie qui hésite, quand il entend prononcer son nom, est le
secrétaire d’État Angelo Sodano, lui précisément qui a la réputation
d’en tenir pour l’idée d’un Pape sud-américain. » (Sandro Magister, L’Espresso no 49 du 28 novembre 2002)
APRÈS JEAN-PAUL II, BERGOGLIO
Le journal argentin La Nación du 4 décembre
2002 cite largement l’hebdomadaire italien, et publie dès le lendemain
les propos recueillis par sa correspondante à Rome au cours d’une
entrevue avec le vaticaniste italien, Sandro Magister :
« Rome. Sandro Magister, le vaticaniste de l’hebdomadaire l’Espresso qui
vient de consacrer un grand article au cardinal Jorge Bergoglio qu’il
considère comme l’un des mieux placés parmi les candidats à la
succession de Jean-Paul II, a passé hier une journée fort agitée due aux
répercussions de son article. Il y soutenait que l’archevêque argentin
était en première position, ce qui suscite la curiosité des milieux
argentins avides d’informations supplémentaires.
« Sur quoi se base-t-il pour affirmer avec une telle
conviction que l’actuel archevêque de Buenos Aires pourrait être le
prochain Pape, premier Pape latino-américain, et le premier Pape
jésuite ? Sandro Magister, cinquante-neuf ans, dont trente ans passés
comme vaticaniste (journaliste spécialiste du Vatican), a expliqué sa
pensée dans une entrevue à La Nación. Bien qu’il ne le
connaisse pas personnellement, la personnalité au profil bas de
Bergoglio lui semble à l’opposé de celle du cardinal Tettamanzi, ex-archevêque de Gênes et actuel archevêque de Milan, considéré par beaucoup comme le premier “ papabile ” italien.
« De plus, dit-il, l’archevêque de Buenos Aires
incarne directement ce qu’attend le Collège cardinalice du prochain
Pape : quelqu’un dont le style rompe avec le charismatique et
extraordinaire Karol Wojtyla, quelqu’un dont la manière d’être soit plus
sobre, plus intérieure, “ qui exprime d’une façon plus directe l’essence de l’Évangile ”.
« Pour Magister, Bergoglio n’est pas seulement bien
vu du cardinal allemand Joseph Ratzinger, mais il l’est aussi du
cardinal Camillo Ruini, président de la Conférence épiscopale italienne,
qui est “ le plus puissant et le plus influent des cardinaux italiens ”.
– Pourquoi avez-vous consacré un article à Bergoglio ?
– Je ne le connaissais pas personnellement, mais j’ai commencé à le
connaître de l’extérieur, ces derniers mois. J’ai commencé à le
remarquer comme une personnalité singulière et très rare à ce niveau de
la haute hiérarchie. J’ai écouté des gens de son entourage au Vatican,
parlant de lui avec intérêt. Rome est une ville où les sommités de
l’Église mondiale passent sans s’arrêter, mais j’ai remarqué que toute
l’attention converge progressivement sur lui comme un candidat possible.
– En quel sens pensez-vous que sa personnalité est “ singulière ” ?
– C’est à cause de sa simplicité, de son austérité. Il fuit tout ce
qui ressemble aux honneurs et à la “ carrière ”, et aussi à cause de sa
profonde spiritualité. Par exemple, lorsqu’on parle d’un candidat à la
succession, on mentionne le nom de Dionigi Tettamanzi, l’actuel
archevêque de Milan, eh bien ! par certains côtés, Bergoglio est presque
à l’opposé de Tettamanzi.
– Pourquoi ?
– Parce que Tettamanzi est un ecclésiastique qui fit une campagne
publicitaire incroyable, hors du commun, dans le but de conquérir la
cathédrale de Milan.
– Et cela n’a pas plu?
– Tettamanzi est parvenu à son but, mais cela lui a nui pour son
image de marque au Conclave. Avec toute cette propagande, il est rentré
dans l’ombre comme successeur possible.
– Mais il existe des groupes qui le soutiennent à la suite, par exemple, du cardinal Sodano dont vous dites dans votre article qu’il n’appuierait pas Bergoglio.
– Sodano est un personnage indéchiffrable. Jusqu’à hier, il semblait
soutenir l’hypothèse d’un Pape sud-américain contre l’hypothèse
italienne. Certains pensent qu’il le faisait pour freiner une éventuelle
candidature italienne qu’en réalité le secrétaire d’État vise pour
lui-même. À présent qu’il existe un candidat latino-américain en vue, il
ne penche plus dans ce sens.
– Que pensez-vous des autres Latino-Américains fortement pressentis comme “ papabili ”, tels Oscar Rodriguez Madariaga (Honduras) et le Mexicain Norberto Rivera Carrera?
– En réalité, ils ne furent jamais de véritables candidats, seulement les médias les ont présentés comme tels.
– Il y en a qui pensent qu’avec un article comme celui que vous avez écrit sur Bergoglio, votre véritable intention pourrait être de le “ brûler ”.
– Du point de vue de Bergoglio lui-même, c’est certain, cet article
n’est pas utile : quelqu’un qui généralement est en pleine carrière n’a
pas intérêt à être favorisé par un excès de publicité. Mais il n’en est
pas toujours ainsi. Quand il s’agit d’un personnage très particulier,
parler de lui c’est mettre en valeur une figure peu connue.
– Personne ne connaissait Karol Wojtyla avant son élection au pontificat...
– Mais Bergoglio n’est pas Karol Wojtyla, et je crois que les
cardinaux ne désirent pas élire quelqu’un qui répète les
caractéristiques de Wojtyla. Ils demandent quelqu’un qui ne soit pas
démesurément médiatique, quelqu’un d’un style plus sobre, plus
intérieur. Le collège cardinalice n’est pas enclin à demander au Pape
qu’il soit un grand acteur ; cela ressort du discours fait au synode de
l’année 2001, consacré à la figure de l’évêque. Là sont révélés les
défis de l’Église future, et comment devra être le prochain Pape : un
Pape qui prêchera la Croix et reviendra à l’essence de l’Évangile. Il
est évident qu’un personnage comme Bergoglio exprime tout à fait cette
exigence de retour à l’Évangile, de sobriété par laquelle l’Église doit
affronter ses combats en montrant son être profond.
– Et Bergoglio est-il bien vu du Pape ?
– Je ne sais pas. Il l’a fait cardinal et je crois qu’il doit l’estimer. »
NOTRE-DAME PITIÉ !
Sous le titre Notre-Dame pitié ! l’abbé de Nantes écrivait
le 15 août 1972 une supplique à la bienheureuse Vierge Marie pour
qu’Elle intercède auprès de notre Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, en
faveur de l’Église, et qu’Elle reçoive mandat d’intervenir promptement
(CRC n° 59, août 1972). Il demandait trois choses : un autre Pape, la
conversion de nos évêques, et un nouveau Concile pour jeter l’anathème
sur le précédent, du vivant même de ceux qui l’ont fait. Pour Pape, il
demandait « un témoin de la majorité modérée du dernier Concile, qui
soit un homme de grande science, dénué de parti pris, lui-même
directement mêlé à tous les débats difficiles des dix dernières années ». Et il suggérait : « le cardinal Felici ? » (CRC n° 60, septembre 1972).
Six ans plus tard, ce vœu fut exaucé, et au-delà, en la personne d’Albino Luciani, ami de Felici, qui parut aussitôt « un nouveau saint Pie X qui s’ignore », capable de « tout restaurer dans le Christ ».
Et c’est pourquoi il fut assassiné par les tenants de l’Antichrist,
auxquels Dieu a donné permission de nuire encore quelque temps. Jusqu’à
quand ? Jusqu’à la disparition de tous ceux qui ont fait le Concile,
contrairement à la troisième demande de l’abbé de Nantes ? Trente ans
ont passé, et il ne reste plus qu’une quarantaine de survivants, dont
Karol Wojtyla toujours là, devenu la Tête, le Chef, responsable direct,
immédiat de tout le mal persistant qu’il décide ou qu’il tolère. Plus
que jamais, il faut qu’il parte. Ce que l’abbé de Nantes écrivait de
Paul VI vaut plus que jamais de son successeur qui s’est toujours dit
son « fils » : « Pour les âmes qui se perdent en masses,
pour l’Église qui s’effondre, pour son propre salut éternel, il est
urgent que Jean-Paul II soit mis en demeure, par le Ciel si ce n’est par
les hommes tous trop lâches pour remplir un tel devoir, de quitter. Je
crains pour lui la mort soudaine et imprévue, je crains pour l’Église
une fin qui ne s’accompagne pas d’une grande leçon, d’une rétractation,
pourquoi pas?»
Après avoir réaffirmé sa foi dans l’Église à l’encontre des « gens lucides et tourmentés » qui vont répétant que « forcément le successeur fera regretter le prédécesseur », il s’appuyait sur « toute l’histoire de la papauté » pour exprimer sa confiance dans l’avenir : « L’institution
du Conclave est excellente. Comme toutes les choses humaines, elle
connaît parfois une défaillance mais, comme les êtres bien vivants, elle
s’en souvient et répare le mal quand les conséquences s’en font sentir. »
Ce qu’il disait du cardinal Felici vaut aussi bien, aujourd’hui, pour le cardinal Georges-Marie Bergoglio (prononcer : Bergolio) : « J’en parle sans crainte de compromettre personne, je prévois l’élection du cardinal Bergoglio, et déjà je prie pour lui.»
frère Bruno de Jésus.