SOURCE - Anne Le Pape - Présent - 10 janvier 2015
Mgr Schneider est né dans une famille originaire d'Alsace dont les ancêtres, vivant à Odessa, ont été déportés par Staline dans les montagnes de l'Oural. Ses parents ont ensuite vécu au Kisghistan, où il est né, puis ont pu ensuite émigrer en Allemagne de l'Ouest. Il est entré dans l'ordre des chanoines réguliers de la Sainte- Croix, en Autriche, puis a été ordonné prêtre par Mgr Manoel Pestana, évêque brésilien, défenseur de la foi catholique traditionnelle. Docteur en théologie, professeur de séminaire au Kazakhstan, il y a été nommé évêque auxiliaire, en 2006, par Benoît XVI. Il explique à Présent les raisons de son combat en faveur du rétablissement de l'usage de la communion sur la langue, signe de respect nécessaire, selon lui, au renouveau de l'Eglise.
— Monseigneur, on entend souvent, pour justifier la communion dans la main, l'argument du retour aux sources. Cet argument estil fondé ?
— Cet argument est un mythe, ou peutêtre une tromperie intentionnelle, parce que la réalité est assez différente. En vérité, le rite de la communion dans la main pratiqué de nos jours nous vient des communautés calvinistes et n'a rien à voir avec la coutume des premiers siècles. Les documents littéraires et iconographiques nous révèlent que, pendant les premiers siècles, dans certains endroits, la sainte communion était déposée dans la paume de la main droite, et non dans la main gauche comme on le fait aujourd'hui. Ensuite, le fidèle inclinait profondément la tête jusqu'à la paume de la main et prenait la sainte hostie directement avec ses lèvres puis, éventuellement, avec la langue, les parcelles eucharistiques qui avaient pu rester dans la paume. Les hommes se lavaient les mains avant la communion.
La paume des femmes devait être recouverte d'un linge blanc et ce linge était purifié après la communion. Il y a une autre différence de poids, c'est qu'à partir du IVe siècle, aussi bien en Orient qu'en Occident, les fidèles ont communié généralement une ou deux fois par an. Une certaine loi psychologique fait que l'on accomplit une action rare et sacrée avec plus de soin et d'attention que les actions fréquentes ou quotidiennes. Si donc l'on réalise souvent une action sacrée, les gestes doivent être d'autant plus attentifs et révérencieux, afin d'éviter la routine.
Enfin, reste cet important aspect théologique qui dit : la liturgie connaît par nature une croissance organique tendant à la profondeur et à une plus grande perfection, parallèle à la croissance de la foi. Le retour aux expressions de la liturgie ou de la foi dans leur état embryonnaire est une erreur théologique, c'était d'ailleurs une prétention typique des hérétiques. Dans son encyclique classique sur la liturgie Mediator Dei, le pape Pie XII a condamné une telle attitude, l'appelant « archéologisme liturgique .
— Vous montrez que c'est aux temps de persécution que la conscience du respect dû au saint sacrement est la plus grande. L'absence de persécution dans nos pays occidentaux explique t-elle à elle seule un certain manque de respect ?
— L'absence de persécution n'explique pas en elle-même le manque de respect. Avant le concile Vatican II, il y eut en Europe une longue période sans aucune persécution, néanmoins le respect envers le Très Saint Sacrement était très profond et général. La cause médiate, à mon avis, réside dans la réforme liturgique en général, qui a réduit les gestes et les paroles claires de la sacralité à un minimum, et en particuler dans le style de la liturgie de la messe, devenu imprécis, laissant place à la créativité ou à la subjectivité du célébrant et des autres participants. La cause immédiate du manque de respect est sans aucun doute le rite moderne de la communion dans la main lui-même, un rite du point de vue objectif et phénoménologique assez banal et de caractère profane, inventé par les calvinistes pour lesquels l'Eucharistie est un pur symbole.
Comme cause général du manque de respect, on peut indiquer une catéchèse et une prédication doctrinalement très défectueuses, et même quelquefois purement protestantes. Il faut effectuer des gestes liturgiques comme on croit sinon, tôt ou tard, on finit par croire selon les gestes que l'on a accomplis.
— Comment, d'un point de vue catéchétique, pourrait-on mieux former les enfants au respect dû au saint sacrement ?
— Il faut dispenser une doctrine eucharistique simple et très claire, avec des exemples émouvants de la vie des saints ou de celle d'enfants aimant l'Eucharistie. Très utiles seraient aussi des histoires sur les miracles eucharistiques ou sur les conversions grâce à l'effet du mystère eucharistique.
Mais l'exemple des adultes est lui aussi pédagogiquement indispensable : l'enfant devrait voir comment le prêtre, comment son père, sa mère, son ou sa catéchiste font une génuflexion respectueuse devant le Très Saint Sacrement ou s'agenouillent en recevant la sainte communion, avec un grand recueillement, ou restent agenouillés et absorbés dans l'action de grâce après la sainte communion. Exempla trahunt !
— Que pensez-vous du fait de diffuser des ouvrages sur les miracles eucharistiques?
— La diffusion d'ouvrages sur les miracles eucharistiques a une force apologétique très particulière. Ces miracles sont un témoignage éloquent de la vérité de la présence réelle et de la transsubstantiation. Mais accepter un tel témoignage et se laisser convaincre demande une grande honnêteté intellectuelle et une recherche sincère de la vérité, sans préjugés. Notre-Seigneur Jésus-Christ révélera dans sa miséricorde sa présence eucharistique à de telles âmes.
— A quelle place dans l'église qui l'abrite pensez-vous que l'on doit mettre le saint sacrement ?
— Le tabernacle contient la présence réelle du corps et du sang de notre Dieu incarné, avec son âme humaine et avec la plénitude de sa divinité. Nulle part ailleurs, dans tout l'univers visible, notre Dieu n'est aussi réel et proche de nous, avec son infini feu d'amour rédempteur, que dans le tabernacle. Le tabernacle est plus que le Buisson ardent, est plus que le temple de Salomon. Le tabernacle est déjà une présence mystérieuse de la Jérusalem céleste, avec l'Agneau immolé placé au centre de la ville céleste elle-même. Donc ce qui est logique, et même impérativement nécessaire du point de vue de la foi catholique, est de placer le Christ eucharistique, c'est à dire notre Agneau immolé et vivant dans le tabernacle, au centre de nos églises.
— Vous assurez que revenir à la communion à genoux et dans la bouche vaudra un grand nombre de grâces à l'Eglise militante. Mais que préconisez-vous pour généraliser ce retour : la suppression de l'indult, déjà ancien (1969), autorisant la communion dans la main? Qu'entendez-vous par « norme liturgique à instaurer aboutissant à la disparition de la communion dans la main»?
— Il faut, bien sûr, procéder par étapes. Parmi les fidèles qui reçoivent la sainte communion dans la main, la plupart le font avec une totale bonne foi. Les uns agissent par docilité, par obéissance, parce que le curé ou même l'évêque l'ont conseillé ou imposé. Il existe cependant probablement aussi des personnes qui communient ainsi parce qu'elles ne croient pas en la présence réelle. Notons enfin que certaines personnes communient dans la main avec une foi et une dévotion profondes et sont motivées par des préférences subjectives, oubliant malheureusement les conséquences objectives nocives de cette pratique liturgique.
Il faudrait tout d'abord, fréquemment, donner aux enfants et aux adultes une catéchèse et une prédication intégrales et précises sur l'Eucharistie, et spécialement sur la grandeur et la sublimité de la sainte communion. Ensuite, il faudrait expliquer concrètement les dangers réels et fréquents de la perte et du vol des parcelles eucharistiques, mettant en évidence surtout le fait horrible que Notre-Seigneur présent dans la sainte Eucharistie, en d'innombrables églises, est piétiné par les fidèles. Puis il faut informer les fidèles que la communion dans la main est une exception à la loi liturgique, dite indult, insistant en même temps sur le fait que la communion sur la langue et à genoux est la règle. Ceci exige logiquement de mettre un prie-Dieu, un banc de communion ou, mieux encore, une balustrade à disposition des fidèles, afin de ne pas discriminer ceux qui ont le droit de recevoir la sainte communion sur la langue et à genoux.
Une autre mesure utile serait que l'évêque diocésain publie une lettre pastorale spécifique sur l'Eucharistie et la sainte communion, invitant instamment et de manière argumentée les fidèles à recevoir le Seigneur Eucharistique sur la langue et à genoux. Le Saint-Siège devrait faire la même chose vis-à-vis de tous les évêques et de tous les diocèses du monde. Le dernier pas dans un tel processus serait la prohibition formelle de la pratique de la communion dans la main.
— Vous rappelez des vérités fort oubliées par beaucoup. Sentez-vous des oppositions à vos analyses, à vos conclusions, au sein même de l'Eglise ? Recevez-vous des soutiens ?
— De nos jours, on pense souvent que l'Eglise, c'est le clergé, et plus concrètement l'épiscopat, et encore plus concrètement le pape. Certainement, jamais le pape ne pourra dire : « L'Eglise, c'est moi. » Une telle attitude révélerait une vision très unilatérale du mystère et de la réalité de l'Eglise. C'est le concile Vatican II qui a élargi la compréhension du mystère de l'Eglise selon l'enseignement des Pères de l'Eglise (en particulier saint Cyprien, saint Augustin, saint Jean Damascène) en précisant : « L'Eglise universelle apparaît comme un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit Saint » (Lumen gentium, 4). Le baptême, la véritable foi et la communion visible avec le successeur de l'apôtre Pierre sont des éléments indispensables pour être un vrai membre de l'Eglise.
Il semble que, de nos jours, la véritable foi est vécue plus purement et défendue plus courageusement, non tant par les membres du clergé et de l'épiscopat, mais plutôt par les simples fidèles, parfois même par des enfants et des jeunes gens, par l'ecclesia docta. En effet, le concile Vatican II a enseigné : « La collectivité des fidèles, ayant l'onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20. 27), ne peut se tromper dans la foi. Ce don particulier qu'elle possède, elle le manifeste moyennant le sens surnaturel de foi qui est celui du peuple tout entier, "des évêques jusqu'aux derniers des fidèles laïcs" [Saint Augustin, De Praed. Sanct. 14, 27]. Il s'attache indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf. Jude 3), il y pénètre plus profondément par un jugement droit et la met plus parfaitement en oeuvre dans sa vie » (Lumen gentium, 12).
Or, dans mes efforts pour promouvoir la vérité sur l'Eucharistie et le respect singulier dû à cet ineffable mystère, je reçois plus de soutien de la part des simples fidèles que de la part des évêques.
Récemment, j'ai rencontré une famille catholique exemplaire en Allemagne. Le petit garçon, Johannes (neuf ans), a une foi pure et un amour intense pour Jésus Eucharistique, irradiant une candide innocence. Chaque fois qu'il est confronté à la communion dans la main, il sent une tristesse et un malaise dans son âme et s'apitoie sur le pauvre Jésus présent dans la sainte Eucharistie. Un jour, il a dit à sa mère : «Maman, si un jour je deviens pape, j'interdirai la communion dans la main. »
Ces paroles ont touché profondément mon âme et m'ont rappelé spontanément ce qu'a dit Notre-Seigneur des pharisiens et des scribes : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants (Matt 11,25).»
Parfois, j'ai l'impression que la vraie mesure de l'incroyable misère dans laquelle se trouve de nos jours Notre-Seigneur pendant la distribution de la sainte communion est paradoxalement caché à un grand nombre d'évêques et de prêtres, et révélée aux petits dans l'Eglise.
Propos recueillis par Anne Le Pape anne-le-pape@present.fr