SOURCE - Paix Liturgique - lettre 701- 2 juillet 2019
Après notre exploration du sondage IFOP publié par Le Progrès, quotidien de Lyon, en 1976, nous avons posé quelques questions à Christian Marquant, président du mouvement pour la Paix Liturgique. Il se trouve en effet que Paix Liturgique, entre 2001 et 2019, soit 25 puis 43 ans plus tard, a commandité plus de 30 sondages, en France, en Europe et dans le monde, également à des organismes indépendants et professionnels, pour connaitre l’opinion des fidèles catholiques à propos de la liturgie traditionnelle.
Après notre exploration du sondage IFOP publié par Le Progrès, quotidien de Lyon, en 1976, nous avons posé quelques questions à Christian Marquant, président du mouvement pour la Paix Liturgique. Il se trouve en effet que Paix Liturgique, entre 2001 et 2019, soit 25 puis 43 ans plus tard, a commandité plus de 30 sondages, en France, en Europe et dans le monde, également à des organismes indépendants et professionnels, pour connaitre l’opinion des fidèles catholiques à propos de la liturgie traditionnelle.
Paix Liturgique – Quelle est votre première réaction à la lecture du sondage publié par Le Progrès, il y a 43 ans ?
Christian Marquant – J’observe que les deux entreprises, celle du Progrès de Lyon en 1976 et la nôtre entre 2001 et 2019 ne sont pas tout à fait semblables, même si les résultats manifestent des constantes remarquables.
Le sondage de 1976 a été commandé à L’IFOP dans le cadre de l’hypermédiatisation de « l’Affaire Lefebvre », durant l’été 1976, au milieu d’une sorte d’hystérie médiatique, que nous avons évoquée dans le premier volet de cette étude, alors que nos sondages ont tous été organisés « à froid ».
Autre point : les sondeurs de 1976 se sont intéressés à de nombreuses facettes de l’opinion des catholiques d’alors, notamment à leur positionnement sur les affirmations critiques de Mgr. Lefebvre vis-à-vis du Concile et d’une manière plus générale encore l’impression qu’avaient en 1976 ces mêmes catholiques des évolutions ecclésiales mises en œuvre depuis 11 ans (entre 1965 année de la fin du Concile Vatican II et 1976), dans les diocèse et paroisses de France. Nos sondages, beaucoup plus ciblés, se sont limités à mesurer l’opinion des catholiques français sur la question de la messe, ce qui ne représentait qu’un aspect de l’enquête de 1976.
Paix Liturgique – En vous limitant à cette seule question de la messe quelle remarques pourriez-vous formuler ?
Christian Marquant – Je remarque une permanence étonnante.
Le sondage de 1976 révélait que 35 % des catholiques pratiquants, soit plus d’un tiers d’entre eux, souhaitaient continuer à assister à la messe « en latin ». Il est clair que l’attachement à la messe en latin, en 1976, signifiait en fait l’attachent aux formes traditionnelles de la messe. Aucun des sondés ne savait qu’en deux ou trois endroits de France, on disait la nouvelle messe en latin. Pour eux « messe en latin » voulait dire messe comme avant. Or, ce chiffre de 35 % de fidèles de 1976 désireux de vivre leur foi catholique au rythme de ce que le motu proprio Summorum Pontificum a ensuite appelé la « forme extraordinaire » est grosso modo le pourcentage de fidèles que nous retrouvons lors des 30 sondages réalisés entre 2001 et 2019 à la demande de Paix Liturgique.
Cela révèle donc que le chiffre de 1976 ne représentait pas un dernier carré de vieillards nostalgiques ou l’ultime noyau de personnes incapables de se retrouver dans le monde moderne, mais bien une composante profonde, je pourrais-dire braudelienne – un attachement sur la « longue duré » –, de femmes et d’hommes (sauf qu’à l’époque les femmes étaient plus représentées que les hommes dans ceux qui dans ce sondage défendaient les valeurs traditionnelles, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui).
Nous pouvons donc aisément tirer cette leçon : l’opposition aux dérives liturgiques postconciliaires n’était pas une réaction générationnelle mais bien une réaction de fond d’une part notable des fidèles, qui par conviction, qui par attachement à leur foi, refusaient les profondes réformes qu’on leur imposait. Je crois qu’on peut parler de sens de la foi. Il est clair que le nombre des récalcitrants aux réformes n’a pas décru, au contraire. Et comme les rangs des vrais partisans des réformes, des « progressistes », ont, eux, fondu, cette non-réception des réformes est aujourd’hui, à la troisième génération, relativement consistante.
Paix Liturgique - Permanence, donc, dans les revendications des fidèles
Christian Marquant – Et, hélas, permanence dans l’attitude des pasteurs, depuis 43 ans, tout aussi surprenante.
Paix Liturgique – Vous êtes vraiment surpris ?
Christian Marquant – Je ne suis pas naïf, si c’est ce que vous voulez me faire dire. Tout de même, ce sondage de 1976 était un sacré événement : jamais un sondage de cette ampleur n’avait été réalisé depuis le Concile. Et c’était un sondage indépendant. Curieusement, l’institution ecclésiastique, qui avait pourtant une grande habitude en France des enquêtes sociologiques (les enquêtes du chanoine Boulard, depuis la dernière guerre) ne s’est jamais souciée de mesurer le sentiment des catholiques à propos des réformes.
Si l’on estime donc que ce sondage donne la première photographie qui ait été réalisée de l’opinion catholique après le Concile, je considère que c’est un épisode essentiel de l’histoire religieuse française contemporaine. Pour moi, il y a un AVANT et un APRES sondage.
Un avant où les évêques et leurs équipes arasaient et reconstruisaient (si l’on peut dire) l’Eglise en pensant qu’ils étaient en accord avec les fidèles. Un après où à la lecture des résultats du sondage – et dont je rappelle que Mgr Badré, qui était loin d’être un imbécile et pouvait avoir son franc-parler, ne contestait AUCUN CHIFFRE – il ne leur était plus possible de le croire ou de dire qu’ils le croyaient. Ils découvraient par exemple que 48 % des catholiques estiment que l’Eglise a été trop loin dans ces réformes, ou que 52 % des catholiques sont inquiets pour l’avenir de leur Eglise…
Paix Liturgique – Autrement dit, Mgr Badré semble avoir entendu ce que disaient les fidèles à travers le sondage…
Christian Marquant – Certes, mais de quelle manière ! En pensant qu’un peu de pédagogie suffirait à tout arranger. En prenant clairement les « opposants » comme des niais que l’on met à l’écart. Et surtout, en ne cherchant à aucun moment à établir un vrai débat pour reconstituer l’Ecclesia déchirée.
Je pense, pour le dire tout net, que dans le cadre que la Conférence des évêques de France, on s’est enfoncé dans la mauvaise foi. Les évêques et les instances épiscopales, comprenant cette fois-ci très nettement qu’un grand nombre de catholiques ne les suivaient pas, manifestaient qu’ils n’avaient pour leur part aucune intention de changer de ligne. Il leur fallait donc – c’est un schéma que l’on retrouve souvent en politique – ne plus être confrontés au REEL de la situation et faire croire que les opposants n’existaient pas. Ou si peu.
Paix Liturgique – Qu’est-ce à dire ?
Christian Marquant – Plusieurs choses. Il leur fallait notamment ne pas se piéger soi-même ou se laisser piéger par des sondages qui enfonceraient le clou : une bonne part des fidèles ne sont pas satisfaits !
Cela explique que pendant les 43 ans qui suivirent, c’est-à-dire jusqu’à aujourd’hui – même si les opposants aux réformes ont réussi à gagner un certain espace de liberté et à bénéficier de la bienveillance de certains évêques –, ce qu’on pourrait appeler « la ligne du parti » n’a pas bougé : ceux qui s’opposent à elle n’existent pas au-delà de groupuscules considérés comme quasi inexistants, étrangers au vrai monde de l’Eglise…
Paix Liturgique – Mais au fil de ces 43 ans, des faits se sont imposés aux yeux des pasteurs pour certains très bruts, pour ne pas dire brutaux, je pense par exemple à la prise de Saint-Nicolas du Chardonnet ou à celle de Port-Marly, près de Versailles, en 1987 ?
Christian Marquant – Leurs réactions a toujours était la même : « Nous reconnaissons les faits … MAIS ils ne sont le fait que d’une minuscule minorité d’exaltés, de nostalgiques, voire même d’extrémistes » … Nous savons jusqu’où ces invectives peuvent aller. Cette stratégie, relayée dans l’opinion, a plus ou moins bien fonctionné, plus d’un des catholiques moyens qui fréquentait sa paroisse « ordinaire » n’adhérant pas in petto à la version officielle.
Paix Liturgique – La publication du motu proprio le 7 juillet 2007 n’a-t-elle pas changé la donne ?
Christian Marquant – Il y avait eu auparavant la lettre de 1984 puis le motu proprio de 1988. Autrement dit, il y a eu des tentatives romaines successives et progressives, d’une part, pour prendre en compte une opposition qui persistait et s’amplifiait, et d’autre part, pour inviter les évêques – ceux de France en particulier – à faire des gestes d’apaisement. Mais vous vous rappelez sans doute que quelques jours après la publication de ce texte romain qui avait pour but de calmer les colères et de cicatriser les plaies La Croix expliquait bonnement : « Le motu proprio n’est pas fait pour la France, où depuis longtemps ces choses sont apaisées ». Passez, il n’y a rien voir !
Paix Liturgique – En tout cas, il y eu un grand nombre de demandeurs dans les paroisses.
Christian Marquant – En effet. A l’automne 2007 nous avions recensé 700 de ces groupes, leur nombre devant être largement plus important car nous savions que de nombreux groupes ont essayé de faire avancer leur demande « en toute discrétion » pour lui donner de meilleures chances d’aboutir.
Paix Liturgique – Et quel fut le résultat ?
Christian Marquant – Nous avons donné à plusieurs reprises les chiffres de la croissance de la messe en forme extraordinaire : au total, le nombre des messes traditionnelles a doublé en quelques dix ans. Mais l’opposition des administrations épiscopales et des curés hostiles a bridé au maximum le développement qui aurait pu être.
Je me souviens de quelques courriers stupéfiant comme celui d’un curé d’Issy-les-Moulineaux qui, répondant le 10 août à un courrier du 20 juillet d’un groupe notable de ses paroissiens, déclarait : « La demande dans notre paroisse n’étant pas significative, nous ne pourrons pas répondre favorablement à votre souhait ».
D’autres surent répondre loyalement, certains, il faut le dire, en espérant et en disant que l’expérience ne durerait pas faute de fidèles. Au total, une majorité des demandeurs se retrouvèrent devant le mur du silence, que je ne crains pas de qualifier de négationniste, qui s’était installé depuis 1976 : « Vous n’existez pas et si malgré tout quelques-uns d’entre vous s’agitent, ce ne sont que des agitateurs professionnels (des trotskystes !), dont les intentions véritables ne sont pas de participer à la vie de l’Eglise, mais plutôt de perturber les paroisses et les communautés diocésaines ».
Paix Liturgique – Mais il y eut des prêtres qui tentèrent l’expérience.
Christian Marquant – Il y en eut. Mais ils auraient pu être bien plus nombreux. Et beaucoup d’entre eux étaient plus qu’hésitants.
Je me souviens du cas de la paroisse de Sèvres, dans le diocèse de Nanterre, ou une vingtaine de paroissiens obtinrent du curé l’organisation d’une réunion autour du motu proprio Summorum Pontificum. Elle regroupa plus de 75 personnes, toutes de la paroisse, et il apparut clairement qu’un désir d’ouverture liturgique vers une célébration extraordinaire existait pour de nombreuses familles, familles avec enfants, qui plus est. Conclusion de la réunion : il fallait prier et réfléchir pour ne pas aller trop vite. Onze ans après, on réfléchit toujours …
A Vaucresson, toujours dans le diocèse de Nanterre, un prêtre plus courageux que les autres accepta que soit célébrée ad experimentum une messe en forme extraordinaire dans sa paroisse un dimanche en fin d’après-midi. Plus de 160 fidèles, femmes, hommes et enfants, tous de la paroisse se trouvaient là, avec un beau service d’autel et un belle chorale. Eh bien, le curé estima prudemment qu’il fallait « laisser du temps au temps ». Et cette expérience, qui suivait une demande des fidèles, est restée sans lendemain…
A Notre-Dame de Versailles, des paroissiens démontrèrent que parmi eux se trouvait un nombre significatif – plusieurs centaines de fidèles – qui désiraient la forme extraordinaire. Mieux encore, un nombre plus important affirmaient que même s’ils n’étaient pas attirés par une célébration extraordinaire dans leur paroisse, ils trouvaient normal que celle-ci y soit célébrée en famille et entre amis dans la même paroisse. Or, dix ans plus tard le dossier de Notre-Dame est toujours en attente.
Paix Liturgique – Que d’occasions manquées…
Christian Marquant – Que de gâchis ! Car, je pourrais continuer longtemps : à Rambouillet, le curé accepta de célébrer ad experimentum une messe dominicale. Devant le succès de l’expérience, il accepta de poursuivre cette célébration, mais une fois par mois. C’est ainsi que depuis près de 10 ans maintenant une messe mensuelle accueille environ 150 fidèles à la messe traditionnelle dans l’église de Rambouillet. Mais pas question de célébrer chaque dimanche : « Il faut que les fidèles participent aux deux rites ». Demande-t-on cela à ceux qui assistent à la messe moderne ? Et encore : « Vous êtes trop nombreux ; vous accordez une messe chaque dimanche déséquilibrerait la paroisse ». Qui veut noyer son chien…
Paix Liturgique – Mais toutes les paroisses qui refusent de s’ouvrir à la messe traditionnelle continuent bien à vivre.
Christian Marquant – A vivre ou à survivre. Il faut tout de même savoir que dans les paroisses « qui marchent », le nombre des messes a été divisé par trois. Qu’aujourd’hui encore, les baptêmes, les mariages continuent à se raréfier. Qu’il n’y a plus de relève sacerdotale : un quart, parfois un tiers des prêtres des diocèses de la région parisienne viennent d’Afrique.
Et concrètement, en plus de l’hémorragie de pratiquants qui avait commencé en 1965 et qui n’a jamais cessé depuis, ceux d’entre les fidèles qui renâclaient ouvertement devant les réformes et qui constituaient auparavant une partie notable des forces vives des paroisses ont été exclus. Le clergé considérait qu’ils auraient pu provoquer des désordres par la seule possibilité d’ouvrir des débats sur les besoins réels des fidèles. Et puis un certain nombre d’entre eux ont préféré le silence comprenant très vite qu’à moins de taire leur mal-être ils seraient priés d’aller se transporter dans les chapelles « intégristes » avec femmes et enfants. Franchement, on a souvent traité ce dit « intégrisme » de secte, mais un certain nombre de paroisses ne sont-elles pas devenues de véritables sectes ? En tout cas nous pouvons considérer qu'elles ne sont plus majoritairement de vrais paroisses réunissant le diverse composantes de la communauté territoriale...
Paix Liturgique – Pouvez-vous conclure, sans être trop pessimiste ?
Christian Marquant – Je suis résolument optimiste ! La situation de dégradation constante de l’Eglise que nous connaissons ne pourra pas être éternellement subie comme une fatalité. Pour le problème dont nous parlons dans cet entretien, qui n’est que l’un de ceux qu’il s’agira de résoudre, il suffirait que les pasteurs acceptent d’ouvrir les yeux sur leur peuple, qu’ils acceptent de voir la réalité telle qu’elle est, et très concrètement qu’ils prennent le « risque » d’instaurer un véritable dialogue dans la justice et la charité.
Vous savez, on parle beaucoup aujourd’hui, en politique, de la « montée des populismes », qui est due notamment à ce que les « élites » ne veulent pas entendre les revendications de leurs citoyens. Dans l’Eglise, les choses devraient être complètement différente, puisque depuis Vatican II, on ne cesse de nous parler des droits du Peuple de Dieu. Voilà, c’est tout simple : en liturgie, il suffirait d’écouter le Peuple de Dieu.