Yves Chiron - Aletheia n°31 - 3 septembre 2002
Deux livres de Jean Madiran
Lire un livre ou un article de Jean Madiran provoque toujours la sensation d’entrer en relation avec un esprit délié, à l'acribie exceptionnelle. Certains ont lancé, jadis, des mots d'ordre pour que "leurs" fidèles se désabonnent d'Itinéraires, d'autres, ailleurs, plus tard, pour d'autres raisons, ont lancé des mots d'ordre de "ne plus lire Présent". On n'épiloguera pas sur les effets de ces deux campagnes. On constatera, simplement, que de tels mots d'ordre témoignent, par contrepoint, de l'influence, redoutée, de Jean Madiran et de l'acuité de ses analyses.
Un premier livre, Une Civilisation blessée au coeur, a été imprimé en mai 2002 ; le second, La Révolution copernicienne de l'Eglise, en juin suivant. Le premier s'intéresse au temporel, à la lumière de la loi naturelle ; le second s'intéresse, et s'interroge, sur l'Eglise, à la lumière de la Tradition. L'ensemble forme un diptyque, en sept chapitres de part et d'autre, et chaque livre compte exactement le même nombre de pages.
Mais, d'un livre à l'autre, l'argumentation procède différemment.
Dans Une Civilisation blessée au coeur - quel beau titre ! -, chaque "chronique" est suivie d'une "didactique", à la lumière de la loi naturelle qui est devenue si "étrangère au monde contemporain".
Dans La Révolution copernicienne dans l'Eglise, les analyses s'articulent autour d'une question essentielle : "Sous des angles différents, d'une manière plus ou moins superficielle ou approfondie, c'est toujours la même question qui est en question dans l'Eglise : l'”évolution conciliaire” qui a été provoquée par Vatican II est-elle conforme, est-elle contraire à la doctrine antérieure des papes et des conciles ?".
On ne résumera pas ces deux livres.
De La Civilisation blessée au coeur, on retiendra, entre autres choses, le rappel de "la survivance médiatico-culturelle, en Europe, de conditionnements intellectuels issus du marxisme-léninisme" (p. 22). On sera attentif au constat que "l’athéisme tient l’Etat, la justice, l’éducation publique, les spectacles et les médias" (p. 57). Notre civilisation, "blessée au coeur", est à l’agonie, parce que, selon l’expression de Soljenitsyne rappelée par Madiran, elle s’est enfermée dans "la prétention dramatique de vouloir réaliser le bien de l’homme en se passant de Dieu". On relèvera encore le chapitre très subtil sur l’ "aphobie", une inconscience disait Aristote, un péché disait saint Thomas d’Aquin.
La Révolution copernicienne dans l’Eglise ne devrait pas plaire aux esprits manichéens et aux amateurs d’axiomes simplistes. On sera attentif aux recensions qui paraîtront ici et là, ou qui, justement, ne paraîtront pas.
On sera pleinement d’accord avec Jean Madiran quand il fait remarquer : "Le concile Vatican II n’est pas l’origine du désastre spirituel. Il est une cause seconde. Il en a d’abord été le fruit, passant les promesses des fleurs ; et ensuite il a tout aggravé, parce qu’il conférait une autorité officielle - et même le monopole de l’autorité officielle - aux hommes et aux idées de la décomposition" (p. 67), "Les Chenu, les Teilhard, les Congar (etc.) ne sont pas nés de Vatican II, c’est l’inverse : c’est Vatican II qui procède de leurs utopie" (p. 69).
Il faut être attentif, parallèlement, à ce que dit Madiran de ce même concile : Vatican II a été interprété et appliqué par ceux-là même qui en avaient élaboré les textes et les avaient signés. Ce n’est même pas seulement le caractère, disparate, des textes et leur autorité, incertaine, qui posent problème. C’est "l’intention" qui a présidé au concile qui est en cause, "une intention viciée" dit Jean Madiran (p. 62-63), énoncée dans le célèbre discours de Jean XXIII, le jour de l’ouverture du concile, le 11 octobre 1962 (p. 63-66).
On sera d’accord encore avec la conclusion de Jean Madiran : "On n’en sortira pas tant que Vatican II, concile pastoral, ni infaillible ni irréformable, demeurera en attente de son sort définitif. Seule l’Eglise pourra le déterminer. Elle commencera peut-être par essayer de le purger de cette intention mauvaise [...] Elle pourra aussi le rectifier, le réformer ou l’abolir ; ou bien l’oublier ? Ce n’est pas à nous d’en décider. Simple laïc du rang, simple militant de l’Eglise enseignée, notre rôle était de refuser l’inacceptable. Nous l’avons fait de toutes nos forces. Nous ne cesserons pas."
Jean Madiran n’est pas inattentif à un phénomène aussi massif que celui des JMJ (qui témoignent, dit-il, des "aspirations" et des "insuffisances" de la nouvelle génération). Il s’interroge aussi sur la conversion de la Russie, promise à Fatima (p. 96-101). Il l’estime encore à venir mais il prévient en même temps : "Cela ne se produira pas forcément comme le rigoureux enchaînement d’une suite de théorèmes dans la géométrie euclidienne", il n’est pas exclu que la conversion de la Russie soit "longuement laborieuse". Il y a des précédents historiques.
- Une Civilisation blessée au coeur, Éditions Sainte-Madeleine (84330 Le Barroux), 109 pages, 13 euros.
- La Révolution copernicienne dans l’Eglise, Consep (BP 30107, 75327 Paris cedex 07), 109 pages, 18 euros.
- La revue Kephas a changé d'adresse : 8 bis boulevard Bessonneau, 49100 Angers, tél : 02 41 86 48 86. Le n° 2, 155 pages, 15 euros, reproduit l’important discours de Jean-Paul II sur l’Europe chrétienne. On trouve aussi, entre autres, un article de Judith Cabaud sur Eugenio Zolli, rabbin converti, et Pie XII et un article du père de Laubier sur les diocèses catholiques aujourd’hui en Russie.
- Dans le dernier numéro de Pacte (23 rue des Bernardins, 75005 Paris, n° 67, le numéro 2,50 euros), on lira avec profit l’intéressant éditorial de l’abbé de Tanoüarn sur la "nouvelle religion" de Vatican II. L’expression est juste si on limite le mot "religion" à son sens étymologique. Citant la fameuse expression de Paul VI “l’Eglise a pris une nouvelle conscience d’elle-même”, l’abbé de Tanoüarn commente : "Cette nouvelle conscience transforme les rapports entre l’Eglise et le monde et donne au chrétien une nouvelle identité, une nouvelle manière d’être lui-même devant Dieu et devant les hommes. C’est en ce sens - et en ce sens seulement, mais ce n’est pas rien -, c’est en s’en tenant à cette perspective qu’on peut soutenir l’idée que Vatican II inaugure une nouvelle religion, une nouvelle manière d’entrer en relation avec Dieu et avec ses semblables." On rejoint là l’"intention" nouvelle discernée par Jean Madiran dans la Révolution copernicienne.