15 septembre 2002

[Abbé Hervé Mercury - Nouvelle Revue Certitudes] Le Concile et la Révélation divine

Abbé Hervé Mercury - Nouvelle Revue Certitudes (n°11) - juillet-août-septembre 2002

La cinquième Commission du Symposium avait pour objet l'étude de la Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine. Ce texte est particulièrement important, car il contient les fondements théologiques sur lesquels reposent les documents conciliaires concernant la liberté religieuse, l'œcuménisme et la collégialité. Les divers travaux, présentés par les membres de la Commission, ont mis en relief la difficulté particulière d'une exposition objective de ces principes fondamentaux.
Quelle méthode fallait-il utiliser pour mener à bien une analyse critique juste ? Trois solutions ont été envisagées : la première consiste à reprendre les questions débattues dans l'aula conciliaire et à adopter les positions présentées dans les schémas préparatoires ; la seconde à se servir essentiellement des commentaires des théologiens « qui ont fait le Concile » ; la troisième à entrer dans la perspective propre du texte pour en saisir pleinement le sens.

La première solution paralyse la réflexion théologique, parce que les schémas préparatoires ne sont pas considérés comme des textes à discuter, mais comme les réponses a priori de la doctrine chrétienne. Dans cette perspective, le Concile devrait être rejeté en bloc sans même être examiné et il faudrait en revenir purement et simplement à des thèses plus anciennes, regardées comme plus sûres. Or une telle conception n'est pas sans poser quelques difficultés.
Importance de la méthode
L'un des intervenants a pris pour exemple le débat sur les sources de la Révélation. Ce débat fut lancé le 13 novembre 1962 par la présentation du schéma préparatoire. Le texte proposé fut critiqué avec véhémence, car il se fondait sur la tradition théologique post-tridentine pour affirmer, comme une donnée de la Foi, qu'il y a deux sources séparées de la Révélation : l'Ecriture et la Tradition. A l'époque, cette conception apparaissait comme opposée à tout rapprochement avec les protestants. II fut décidé de ne pas l'adopter et le schéma préparatoire fut rejeté. Une nouvelle perspective commença à se dessiner avec les caractéristiques suivantes : dépassement des polémiques nées du concile de Trente, abandon de la méthode scolastique et ouverture à l'esprit moderne. Sur la question des sources de la Révélation, il fut finalement déclaré qu'il n'y en a qu'une seule : le Christ.
A la lumière de ces faits, la thèse abandonnée pourrait apparaître comme un jalon sûr de la Tradition et Dei Verbum comme l'expression d'un esprit nouveau et dangereux. Mais cette manière de voir ne tient pas compte de la complexité de ces questions théologiques. Dire que le Christ est la seule source de la Révélation n'est pas en contradiction avec les déclarations du Concile de Trente et permet, au contraire, de présenter la vie chrétienne dans toute sa richesse et ses nuances. C'est l'apport positif de Dei Verbum à la théologie. Si l'on fait les distinctions adéquates qui le rendent plus explicite, le texte conciliaire peut contribuer au développement de la Doctrine catholique.
Le reconnaître n'empêche pas d'en dénoncer les ambiguïtés. Mais comment repérer celles-ci ? Un des membres de la Commission a suggéré, dans l'analyse du premier chapitre de Dei Verbum, de se servir exclusivement des commentaires des experts « qui ont fait le Concile ». Par un choix judicieux de citations, il a montré que la conception de la Révélation, telle qu'elle est exposée dans ce passage, est typiquement moderniste. Bien que le texte n'en parle pas formellement, il serait possible d'y retrouver le thème de l'immanence vitale dénoncée autrefois par saint Pie X. La foi n'est plus définie comme une adhésion intellectuelle à un donné objectif reçu dans un enseignement, mais comme la capacité d'entrer en dialogue avec Dieu. Pourtant, le paragraphe 5 affirme nettement : « Au Dieu qui se révèle est due l'obéissance de la foi, par laquelle l'homme s en remet tout entier et librement à Lui dans un complet hommage d'intelligence et de volonté et dans un assentiment volontaire à la révélation qu'il fait. » Le simple recours au texte manifeste donc les limites de la méthode préconisée.
Il ne paraît pas possible aujourd'hui d'envisager une critique objective en restant à l'extérieur du texte comme si les documents conciliaires étaient écrits dans un langage impossible à déchiffrer par soi-même. En effet, le risque est trop grand de lui appliquer alors une grille de lecture qui déformera nécessairement son sens véritable. C'est pourquoi il faut s'efforcer d'entrer dans le texte lui-même et d'y rechercher la signification précise de chaque passage, de chaque expression, presque de chaque mot. Pour cela, les moyens modernes d'analyse apparaissent particulièrement efficaces.

Trois points de dérapage qui forment la clef d'une interprétation hétérodoxe
Un des intervenants s'est d'ailleurs servi des outils fournis par la linguistique pour rendre compte du discours d'ouverture de Jean XXIII. Il a mis à jour sa structure interne et a montré qu’il ne présente aucune argumentation cohérente prouvant la nécessité d'une ouverture au monde. Il s'agit finalement d'un morceau de dialectique, destiné à amener insensiblement les esprits à adopter sans examen le point de vue de l'orateur.
Faut-il en conclure que le "bon Pape" était un libéral ou un crypto-moderniste ? Un participant a estimé que la réponse devait être nuancée. Pour défendre la mémoire de Jean XXIII, il s'est appuyé sur l'encyclique Veterum sapientia qui traite de la formation du clergé. Dans ce document, le pontife romain présentait en détail le programme des études ecclésiastiques et insistait particulièrement sur l'enseignement en langue latine, comme le plus sûr garant de la préservation de la Foi.
Ces exemples montrent qu'il n'est jamais possible de se dispenser d'une étude sur la lettre même des textes. L'ambiguïté, inhérente aux textes de Vatican II, n'est pas un prétexte suffisant. Au contraire elle suppose plus d'attention, car un texte ambigu ri est pas un texte hétérodoxe. II ne suffit pas de le mettre en regard de la Doctrine pour que l'erreur saute aux yeux. L'ambiguïté ne parait que dans certains passages, susceptibles d'une double interprétation, que ne contredisent pas les autres parties du texte. Ce sont ces expressions ambivalentes qu'il convient de situer avec précision.
Un membre de la Commission a présenté le résultat de ses investigations sur les paragraphes 7 et 8 du chapitre 2 qui regarde la transmission de la Révélation divine. Il a énuméré trois « points de dérapage » qui forment la clef d'une interprétation hétérodoxe.
Malgré un rappel littéral du Concile de Trente, Dei Verbum établit, en effet, une distance entre la Révélation, assimilée au Christ Seigneur en personne, et la Bonne Nouvelle qu'il a proclamée. De ce fait, la Révélation ne nous est pas complètement accessible puisque le Christ est un Mystère insondable qui nous échappe. Nul ne peut donc prétendre posséder en son entier la Vérité révélée. De ce relativisme fondamental se déduit aisément la nécessité d'un oecuménisme qui reconnaisse les valeurs inhérentes aux autres groupes religieux, l'obligation d'une liberté qui assure l'indépendance religieuse à tout homme et l'exigence pour toute autorité religieuse d'admettre le pluralisme.
Une telle perspective permet d'éviter un contresens au sujet de la formule controversée du § 8 : « cette Tradition qui vient des Apôtres se poursuit (proficit, progresse) dans l’Eglise, sous l'assistance du Saint-Esprit ». Malgré les apparences, il n'est pas question ici du développement progressif du dogme, parce que le dogme, en tant que norme de la foi, est considéré comme une donnée relative qui varie en fonction de la tradition propre à chaque groupe humain.
Le point important se trouve plutôt dans la phrase suivante : « l'Eglise, tandis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paroles de Dieu. » Ce qui importe dans la marche eschatologique de l'Eglise, c'est que l'interprétation qui est faite du dogme, à chaque moment de l'histoire, ne parviendra jamais à épuiser le Mystère. C'est pourquoi l'Eglise tend vers une plénitude quelle n'atteindra pas ici-bas.
Cette expression n'est pas claire. Elle constitue l'ambiguïté. Evidemment on peut l'entendre en ce sens que l'homme ne peut pas comprendre Dieu parfaitement et cette interprétation est conforme à la Foi. Mais elle peut signifier aussi que notre discours sur Dieu ne nous permet pas de le connaître réellement, de savoir vraiment comment il est, d'exprimer adéquatement ce qu'est l'Etre divin en vérité. Selon cette conception, seule l'expérience mystique qui n'est pas l'apanage des catholiques, nous donne une véritable connaissance de Dieu. Cette théorie met en jeu les principes les plus élémentaires de notre foi. Elle s'apparente à l'agnosticisme dont elle constitue une forme mitigée. Comme tel, nous ne pouvons y adhérer.
Toute analyse critique des textes conciliaires conduit finalement à distinguer, dans un même passage, les interprétations conformes à la Foi de celles qui s y opposent ou qui engendrent le doute. La mise en cause du Concile apparaîtra légitime dans la mesure où nous mettrons en lumière les ambiguïtés objectives qui s'y trouvent et que nous en proposerons une interprétation orthodoxe. Dans le cadre de discussions avec les membres du Clergé ou les autorités romaines, ce devrait être notre but puisque c'est précisément ce qu'entendait Mgr Lefebvre quand il demandait « de lire le Concile à la lumière de la Tradition. »