30 mai 2007

Situation embarrassante
30 mai 2007 - Jean Madiran - Présent - cité par la.revue.item
Situation embarrassante Deux messes, la récente et la séculaire, sont en fait, dans l’Eglise, en situation de concurrence et contradiction plus souvent que de convivialité.
Mais là n’est pas le plus embarrassant pour la hiérarchie ecclésiastique.
La libération de la messe traditionnelle, visiblement désirée et déjà esquissée, rencontre un obstacle majeur qui explique les hésitations et atermoiements actuels.
On voudrait croire que la messe traditionnelle « n’a jamais été interdite ». Mais cela est à la fois vrai et faux. Elle n’a jamais été interdite valablement. Elle a été interdite en fait, et avec quelle brutalité, avec quel acharnement, avec quelle solennité ! Et si longuement ! C’est d’ailleurs pourquoi on parle de « libéraliser » son usage, en réalité il s’agit de la « libérer » de son interdiction.
Tout le mal, ou du moins le plus agressif, est venu d’une ordonnance de l’épiscopat français installant soudain une telle interdiction. Ce fut l’ordonnance du 12 novembre 1969, devançant et outrepassant énormément les décisions du saint-siège pour l’application de la réforme liturgique. L’ordonnance imposait à partir du 1er janvier 1970 l’usage exclusif, et exclusivement en français, de la messe nouvelle. L’épiscopat confirma et réitéra son interdiction de la messe traditionnelle par l’ordonnance et le communiqué du 14 novembre 1974. C’était verrouillé.
Il n’est malheureusement pas douteux que Paul VI ait voulu la disparition complète de la messe traditionnelle. Il y a sur ce point le témoignage de Jean Guitton à la page 158 de son livre Paul VI secret. Il y a surtout l’allocution consistoriale du 24 mai 1976. Sa volonté ne pouvait cependant pas avoir force de loi contre le rite séculaire de l’Eglise latine : c’est ce qui apparut tout de suite à quelques fidèles et prêtres réfractaires, mais cela ne semble pas avoir été clairement aperçu à cette époque par la plus grande partie de la hiérarchie. Pendant des années, dans la quasi-totalité des diocèses, l’évêque et son clergé proclamèrent avec insistance l’interdiction et l’appliquèrent avec une sévérité allant souvent jusqu’à la férocité. Et dans beaucoup d’endroits l’affaire est loin d’être apaisée aujourd’hui. La situation est terriblement embarrassante parce que toute clarification véritable ne pourra éviter de mettre en lumière de graves défaillances, et prolongées, au sein de la hiérarchie.
Jean-Paul II, en 1980, fit ouvrir une enquête sur la messe par chaque évêque individuellement. Les résultats en furent rendus publics en détail au mois de novembre 1981. Les évêques avaient répondu en masse qu’il n’existait plus aucun problème concernant la messe traditionnelle, tout à fait disparue et oubliée selon eux : il est remarquable qu’en général, dans leurs réponses, ils ne mentionnaient pas l’interdiction. Ils n’en parlaient plus, c’est la preuve qu’à partir de 1978-1980 ils savent désormais à quoi s’en tenir, mais ils omettent de faire savoir dans les paroisses que « l’interdiction n’a jamais existé ».
Quatre ans après l’enquête (Quattuor abhinc annos) Jean-Paul II revient sur la messe traditionnelle sans la déclarer interdite ni obsolète. Deux ans plus tard, il réunit sur ce sujet une commission cardinalice secrète, dont l’existence vient enfin d’être officiellement reconnue par le cardinal Castrillon Hoyos (Présent de jeudi dernier). La commission était pour attester et faire comprendre aux évêques que la messe tradi n’est pas interdite et qu’il y a des mesures à prendre pour en restaurer l’usage. Mais certains secrétariats épiscopaux ayant eu vent des conclusions de la commission, ils manifestèrent et firent manifester auprès du saint-siège une opposition tellement résolue que rien ne fut publié ni entrepris. D’ailleurs un fort parti au sein de la curie romaine est très vivement opposé au retour de la messe traditionnelle. Nous en sommes toujours là. Le « motu proprio » actuellement en attente était annoncé comme accompagné d’un document explicatif à l’intention des évêques. C’est bien un grand nombre d’entre eux, en effet, qui ont besoin d’être éclairés et convaincus. La restauration de la messe ne sera effective qu’à partir du moment où les évêques en seront les artisans, et de bon cœur.
JEAN MADIRAN