SOURCE - Jean Madiran - Présent - 2 juin 2012
«On ira tous au paradis»
Des savants, enfin des érudits, peut-être des pédants, cherchent à nous
persuader qu’un effet bienfaisant du Concile aura été de « desserrer la
tension eschatologique ». Sans forcément être compris, leur discours est
applaudi parce qu’il parle de « desserrer » et que la tendance
mondainement dominante, qu’elle soit religieuse, morale ou politique,
est à coup sûr au desserrage universel, au desserrement des liens, des
obligations, des devoirs, des fidélités, tout desserrer est le premier
pas du nihilisme bourgeois ou universitaire en direction, mais il ne le
sait pas, de tout anéantir.
Dans un très bref mais foudroyant article de Monde et Vie, qu’il a en
outre opportunément reproduit sur son blog, l’abbé Guillaume de Tanoüarn
a décrypté d’une manière radicale la perfidie diabolique d’avoir voulu,
au nom du Concile, desserrer la tension eschatologique dans l’Eglise.
Ce qui, pour le simple fidèle, se dissimule derrière ce mot grec
passablement ésotérique d’eschatologie, c’est tout simplement ce qu’il
avait appris à la première ou à la deuxième page de son catéchisme : «
Nous avons été créés pour connaître Dieu, l’aimer et le servir, et ainsi
obtenir la vie éternelle. » Ou bien : « La fin (le but, la destination)
de la vie chrétienne est la vie éternelle. » On dit plus doctement :
les fins dernières. Au pluriel parce que, si l’on veut un énoncé
complet, elles sont quatre : la mort (dernière chose qui arrive à
l’homme en ce monde), le jugement de Dieu (dernier jugement que l’homme
ait à subir), l’enfer (dernière issue pour les condamnés), le paradis
(dernier état des sauvés).
Le desserrement eschatologique, explique l’abbé de Tanoüarn, consiste
donc « à moins parler des fins dernières ou en tout cas, et plus
exactement, à ne pas les présenter comme un enjeu ». C’est alors,
précise-t-il, « la doctrine du salut universel », et si elle « n’a
jamais été explicitement professée à Vatican II, elle est toutefois dans
l’air que respirent les Pères conciliaires ». Et pas seulement,
ajouterai-je, les Pères conciliaires : nous avons tous chanté, ou du
moins entendu On ira tous au paradis. C’était, il me semble, une chanson
de Michel Polnareff, ce n’était pas un traité de théologie, mais
c’était un signe dans l’air du temps et ce l’est toujours.
Conséquence logique, observe l’abbé de Tanoüarn : « le salut n’est plus
un enjeu de la vie des hommes, la conversion n’est plus une urgence, la
foi n’est pas nécessaire au salut ». Alors à quoi bon une religion ?
Elle n’est plus « une parole de salut », mais « simplement une parole de
sagesse, comme une philosophie ».
L’Eglise peut alors, dans une démocratie moderne, espérer se faire
entendre comme une opinion parmi d’autres. C’est ainsi que les
successifs présidents de la Conférence épiscopale française, plus ou
moins explicitement, surtout le cardinal Ricard puis le cardinal
Vingt-Trois, en des textes que j’ai souvent cités et commentés ici,
s’efforcent d’assurer dans l’espace public, pour leur « opinion
démocratique parmi d’autres », une modeste place que la République
cherche toujours à leur refuser au nom de sa « laïcité ». Même quand
cette opinion consiste à professer que le socialiste Jacques Delors «
incarne les options de Vatican II » et qu’il doit « continuer à inspirer
nos projets et à guider notre action ».
Assurément, il faut là-contre une sagesse naturelle. Il faut une
doctrine sociale. Il faut un art politique. A condition pourtant qu’il
ne s’agisse pas d’un « desserrage » un peu court en philosophie et pas
mal démuni de sagesse.
Mais il faut surtout que Jésus nous garde sous tension… Sous sa tension… eschatologique !
JEAN MADIRAN dans Présent du samedi 2 juin 2012