17 juin 2012

[Abbé de Tanoüarn - MetaBlog] Lettre ouverte à Mgr Tissier de Mallerais

SOURCE - Abbé de Tanoüarn - MetaBlog - 17 juin 2012

Cher Monseigneur,
 
C'est vous qui m'avez ordonné prêtre. J'ai compté parmi les tous premiers à qui, par la grâce de votre sacre de 1988, vous avez conféré le sacerdoce ministériel, l'un des tous premiers que vous ayez envoyé dans la Vigne du Seigneur pour préparer la Moisson. Je sais ce que je vous dois dans le Seigneur.

Je suis fier de votre paternité, car je sais que, de votre côté, vous avez travaillé valeureusement, dans une grande générosité de coeur et dans une grande précision d'esprit pour faire connaître les positions de la Fraternité Saint Pie X face à la crise actuelle. Votre biographie de Mgr Lefebvre est marquée par ce travail en amont. J'ai souvenir de vous avoir invité, lors de cette publication, pour un exposé sur la liberté religieuse, à Paris ; ensuite, dans la Nouvelle revue Certitudes, j'ai eu l'honneur naguère de publier tel de vos travaux.

Je sais bien que vous n'êtes pas d'accord avec l'accord qui désormais est en vue. Mais votre désaccord est noble. Il s'exprime sans agressivité. Dans l'entretien que vous avez donné le 13 juin dernier au journal Rivarol, vous avez tenu à reconnaître les qualités indéniables de notre pape Benoît XVI. Vous n'êtes pas de ceux auxquels l'agressivité tient lieu de raison.

Vous n'êtes pas non plus de ceux que l'on sent perdus, égarés, parce qu'on leur demande brutalement un virage à 180 degrés et qu'ils n'ont pas l'habitude de virer de bord : manque de souplesse, manque d'exercice. Je pense au sermon de M. l'abbé Pfeiffer, que j'ai connu à Ecône. Il exprime bien ce désarroi, mais sans être capable malheureusement d'articuler la moindre raison de fond à son refus des accords. Je cite :
"Nous allons conclure un accord. Pourtant, après les discussions doctrinales, on nous avait dit : Rome n’a pas changé de position, Rome croit encore au modernisme, Rome rejette toujours la Foi, alors que la Fraternité défend toujours la Foi. Donc, rien n’a changé. C’est ce qu’avait dit Mgr Fellay. Et voici que les choses ont changé depuis : nous allons maintenant devoir conclure un accord, nous allons maintenant être reconnus et régularisés, nous allons maintenant recevoir une prélature personnelle. Mais tous les documents sont secrets, toutes les communications sont secrètes, tout se passe dans le secret. On n’observe pas le secret sur la vérité. On ne garde pas secret quelque chose de bien, on garde secret un mensonge, on garde secret quelque chose de mal, on garde secrète une tromperie. Ce qui explique le secret de ces dernières années, c’est que si Mgr Fellay, les abbés Pfluger et Nély et les autres supérieurs de la Fraternité Saint-Pie X nous avaient dit la vérité avec audace il y a un ou deux ans, tout le monde se serait révolté. Au lieu de cela, on nous a dit : Ayez confiance, vous ne connaissez pas tous les détails. Vous n’êtes que des moutons idiots, stupides, imbéciles".

Il faut bien sûr entendre ce désarroi "On nous a dit... Et maintenant on nous dit alors que rien n'a changé". Mais il ne constitue pas, en soi, une raison de refuser l'accord avec Rome. Ce n'est pas du tout votre perspective à vous, Monseigneur. Votre refus à vous n'est empreint d'aucune peur, d'aucune blessure... Il porte sur le fond, sur la vérité, qui seule nous attire, seule nous motive, seule nous rend féconds pour le Royaume... et seule peut nous absoudre, si par malheur nous dévions de la voie étroite.

Cher Monseigneur, ce n'est pas dans ces termes excessivement personnels que vous posez solennellement la question de l'accord avec Rome. Pour vous, il y a une opposition théologique entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X et il faut la formuler. Je vous cite :
Je voudrais que nous produisions un texte qui, renonçant aux finasseries diplomatiques, affirme clairement notre foi et par conséquent notre refus des erreurs conciliaires. Cette proclamation aurait l’avantage premièrement de dire la vérité ouvertement au pape Benoît XVI qui est le premier à avoir droit à la vérité et deuxièmement de restaurer l’unité des catholiques de tradition autour d’une profession de foi combative et inéquivoque.
 Je vois mal, je l'avoue, la portée de votre première raison, parce que je n'en saisis pas le fondement. Je suis très sensible, en revanche, à votre deuxième argument : un texte inéquivoque sur le Concile, pour les 50 ans de son ouverture, permettrait aux traditionalistes de savoir pour quoi ils expriment leur désaccord, au delà du Sensus fidei dont ils font preuve. Un texte clair, c'est l'union de tous les chrétiens de bonne volonté. L'absence de texte clair, c'est la désunion, avec un risque de surenchère dans la critique dont les circonstances actuelles nous montrent qu'il ne faut pas le prendre à la légère. Personnellement, je milite pour la clarté depuis 2002, le Symposium de Paris, au cours duquel 60 prêtres étaient venus des quatre coins du monde (vous en étiez cher Monseigneur), pour célébrer de manière ouvertement, clairement et respectueusement critique, les 40 ans du Concile. Nous avions, à cette occasion déjà, produit un texte en huit points, qui plus tard a constitué l'Appendice 3 de mon livre Vatican II et l'Evangile. A ce titre au moins, on le trouve encore sur Internet. Il me paraît que la modération du ton et la précision des références de ce travail collectif peuvent en permettre une utilisation nouvelle... et que ce document soit éventuellement revu et amplifié bien sûr.

Je suis revenu moi même à ce texte, plusieurs fois, lors de conférences au Centre Saint Paul (la dernière au mois de janvier pour célébrer l'entrée dans le demi-siècle, il y en eut je crois quelques échos sur Metablog). La vraie Tradition est critique ! Rien à voir avec l'accord ou l'absence d'accord avec Rome. Il s'agit pour nous de jouer notre partition, de prendre notre responsabilité dans l'Eglise. "Agere ut pars", agir comme une partie dans la grande Eglise, comme dit Cajétan définissant le constitutif formel de notre appartenance au Corps mystique. En agitant le chiffon rouge de l'herméneutique, Benoît XVI a indiqué dès la première année de son Pontificat, que le Concile devait être interprété à nouveaux frais, contre un certain "esprit du Concile" dont le pape a montré le caractère délétère. Il faut que nous participions tous à cette réception nouvelle et correctrice d'un texte autour duquel se sont cristallisés - en pour et en contre - cinquante ans de vie de l'Eglise.

Cher Monseigneur, vous contestez, je l'ai vu, le principe même de l'herméneutique. Mais le contestant, vous alimentez vous même cette interprétation multiforme du Concile. Tout évêque que vous soyez, vous ne pouvez pas trancher sur un tel sujet, vous ne pouvez pas vous-même écrire à ce sujet des Anathema sit. Il faut bien vous résigner à être ce que vous êtes : un interprète critique. Comme moi, même si je ne suis qu'un simple prêtre. Pourquoi ne pas travailler ensemble - et avec beaucoup d'autres, Instituts ED toutes chapelles confondues - non seulement pour la FSSPX, mais pour toute l'Eglise ?

Je crains votre refus et je voudrais, à l'avance, en produire ici une raison possible. Elle est tirée de votre entretien à Rivarol.
Avec cette religion [conciliaire] nous ne voulons aucun compromis, aucun risque de corruption, aucune apparence même de conciliation, et c’est cette apparence que nous donnerait notre soi-disant “régularisation”.
 Ce qui me gène ici n'est pas que vous parliez de "religion" conciliaire. Je crois que le terme est juste. Le Concile n'a pas touché à la foi catholique, mais il a ambitionné d'accompagner la création d'une véritable religion nouvelle, optimiste et humaniste comme l'étaient les 30 Glorieuses. Cette religion nouvelle, les 20 dernières années nous le démontrent par les faits, elle ne marche pas. Elle a contribué à accélérer le mouvement de sécularisation qui vide les églises, au lieu de se présenter comme une réponse à ce mouvement.

Ce qui me gène c'est que vous - oui : vous - vous teniez tellement à avoir l'air, c'est que vous écriviez qu'il faudrait fuir non seulement une conciliation forcément imbécile (au sens étymologique de ce terme), mais d'abord, mais surtout "l'apparence de cette conciliation". Parlant d'"apparence", vous savez très bien que l'accord avec Rome ne vous ferait pas dévier d'un iota sur les justes reproches que vous faites au Concile et qu'aujourd'hui, volens nolens, toute l'Eglise est prête à entendre de votre bouche d'évêque catholique. Qui craignez-vous de scandaliser ? Les hystériques de Virgo Maria ? Leur scandale est pharisaïque et non réel.

Cher Monseigneur, en signant l'accord avec Rome, peut-être donnerez-vous à certains esprits mal tournés l'apparence du scandale. Mais en ne signant pas, alors que l'évêque de Rome vous le demande, ce n'est pas l'apparence que vous risquez, mais la réalité du scandale. Je prie à vos intentions et vous remercie de la noblesse avec laquelle pour lors vous montrez à tous que "la vraie tradition est critique".

Permettez que j'emprunte au livre tout récent de Philippe Le Guillou, Le Pont des anges (Gallimard) un petit mot qui justifie cette lettre : "Il faut tout faire pour éviter les conservateurs étroits. Vous êtes un homme de Dieu, tout le monde le sait, ici... et là-haut. Ne nous décevez pas !"