SOURCE - Rivarol - Mgr Tissier de Mallerais - propos
recueillis par Jérôme
Bourbon - publié le 13 juin 2012
Il y a dix ans nous avions interviewé Mgr Tissier de Mallerais à propos de la parution de son épaisse biographie sur Mgr Lefebvre publiée aux éditions Clovis : Marcel Lefebvre. Une vie. L’ex-archevêque de Dakar avait accordé en 1968 un long entretien à RIVAROL qui avait fait date, deux ans avant de fonder la Fraternité Saint-Pie X. A l’occasion de la réédition de son ouvrage L’étrange théologie de Benoît XVI, Herméneutique de continuité ou rupture, par Les Editions du Sel, Couvent de la Haye aux Bonhommes, 49240 Avrillé (19 euros), nous avons à nouveau interrogé Mgr Tissier à un moment où de graves divisions se font jour au sein de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X sur la question d’un accord avec Benoît XVI. Dans cet entretien réalisé le 1er juin l’on peut voir que Mgr Tissier né en 1945 et qui est l’un des quatre évêques sacrés par le prélat d’Ecône le 30 juin 1988, le seul de nationalité française, s’oppose nettement à la stratégie de ralliement à Benoît XVI de Mgr Fellay.
RIVAROL : On parle beaucoup de la “réintégration” imminente de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) dans l’« Eglise officielle ». Qu’en est-il exactement ?
Mgr TISSIER de MALLERAIS : “Réintégration” :
le mot est faux. La Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) n’a jamais quitté l’Eglise.
Elle est au cœur de l’Eglise. Là où est la prédication authentique de la
foi, là est l’Eglise. Ce projet d’“officialisation” de la FSSPX me
laisse indifférent. Nous n’en avons pas besoin et l’Eglise n’en a pas
besoin. Nous sommes déjà sur le pinacle, comme un signe de contradiction qui
attire les âmes bien nées, qui attire beaucoup de jeunes prêtres malgré
notre statut de paria. On voudrait mettre notre lumière sous le boisseau par
notre intégration dans l’orbe conciliaire. Ce statut qu’on nous propose de
prélature personnelle, analogue à celui de l’Opus Dei, est un statut pour un
état de paix. Mais actuellement nous sommes dans un état de guerre dans l’Eglise.
Ce serait une contradiction de vouloir « régulariser la guerre ».
R. : Mais certains dans la Fraternité Saint-Pie X pensent que ce serait quand même une bonne chose. Ne vous sentez-vous pas gênés par cette situation “irrégulière” ?
Mgr TISSIER : L’irrégularité n’est pas
la nôtre. C’est celle de Rome. Une Rome moderniste. Une Rome libérale qui a
renoncé au Christ-Roi. Une Rome qui a été condamnée d’avance par tous les
papes jusqu’à la veille du concile. D’autre part l’expérience des sociétés
sacerdotales qui se sont ralliées à la Rome actuelle est que toutes, les unes
après les autres, y compris Campos et le Bon Pasteur, ont été mises en
demeure d’accepter le concile Vatican II. Et on sait ce qu’est devenu Mgr
Rifan, de Campos, qui maintenant ne voit plus d’objection à célébrer la
nouvelle messe et qui interdit à ses prêtres de critiquer le Concile !
R : Que répondez-vous à ceux qui croient que Rome a changé avec Benoît XVI ?
Mgr TISSIER : Il est exact que Benoît XVI a
fait quelques gestes en faveur de la tradition. Principalement en déclarant que
la messe traditionnelle n’a jamais été supprimée et secondement en
supprimant en 2009 la soi-disant excommunication qui avait été déclarée à
notre encontre à la suite de notre sacre épiscopal par Mgr Lefebvre.
Ces deux gestes positifs ont attiré à Benoît XVI
des plaintes amères de la part de l’épiscopat. Mais le pape Benoît XVI,
tout pape qu’il soit, reste moderniste. Son discours programmatique du 22 décembre
2005 est une profession de l’évolution des vérités de foi selon les idées
dominantes de chaque époque. Malgré ses gestes favorables, son intention réelle
en nous intégrant dans l’orbe conciliaire, ne peut être que de nous ramener
à Vatican II. Il l’avait
dit lui-même à S.E. Mgr Fellay en août 2005 et une note confidentielle de
lui-même, publiée frauduleusement, vient tout récemment de le confirmer.
R. : Mais certains pensent que Benoît XVI venant de la Bavière catholique, et qui est, croient-ils savoir, « d’une profonde piété depuis sa jeunesse », inspire confiance. Que leur répondez-vous ?
Mgr TISSIER : Il est vrai que ce pape est très
sympathique. C’est un homme aimable, poli, réfléchi, un homme discret mais
d’une autorité naturelle, un homme de décision qui a résolu plusieurs problèmes
dans l’Eglise par son énergie personnelle. Par exemple des problèmes de
moralité dans tel ou tel institut sacerdotal. Mais il est imbu du concile.
Lorsqu’il dit que la solution du problème de la FSSPX est une des tâches
principales de son pontificat, il ne voit pas où est le vrai problème. Il le
situe mal. Il le voit dans notre soi-disant schisme. Or le problème n’est pas
celui de la FSSPX, c’est le problème de Rome, de la Rome néo-moderniste qui
n’est plus la Rome éternelle, qui n’est plus la maîtresse de sagesse et de
vérité, mais qui est devenue source d’erreur depuis le concile Vatican II
et qui le demeure aujourd’hui. Pourtant la solution de la crise ne pourra
venir que de Rome. Après Benoît XVI.
R : Alors comment voyez-vous la solution de ce désaccord jugé par beaucoup scandaleux de la FSSPX avec Benoît XVI ?
Mgr TISSIER : Il est vrai que la FSSPX est
une « pierre de scandale » pour ceux qui résistent à la vérité
(cf 1 Petr 2, 8) et cela est un bien pour l’Eglise. Si nous étions “réintégrés”,
nous cesserions par le fait-même d’être cette épine enfoncée dans le flanc
de l’église conciliaire, d’être un vivant reproche à la perte de la foi
en Jésus-Christ, en sa divinité, en sa royauté.
R : Mais, Monseigneur, vous avez écrit avec vos deux collègues une lettre à S.E. Mgr Fellay pour refuser un accord purement pratique avec Benoît XVI. Quelles sont les raisons de ce refus ?
Mgr TISSIER : La diffusion de notre lettre
est due à une indiscrétion dont nous ne sommes pas coupables. Nous refusons un
accord purement pratique parce que la question doctrinale est primordiale. La
foi passe avant la légalité. Nous ne pouvons pas accepter une légalisation
sans que le problème de la foi soit résolu. Nous soumettre maintenant sans
condition à l’autorité supérieure imbue de modernisme serait nous exposer
à devoir désobéir. Alors à quoi bon ? Mgr Lefebvre disait dès 1984 :
« on ne se place pas sous une autorité quand cette autorité a tous les
pouvoirs pour nous démolir ». Et je crois que c’est sagesse. Je
voudrais que nous produisions un texte qui, renonçant aux finasseries
diplomatiques, affirme clairement notre foi et par conséquent notre refus des
erreurs conciliaires. Cette proclamation aurait l’avantage premièrement de
dire la vérité ouvertement au pape Benoît XVI
qui est le premier à avoir droit à la vérité et deuxièmement de restaurer
l’unité des catholiques de tradition autour d’une profession de foi
combative et inéquivoque.
R. : D’aucuns croient que le statut de prélature personnelle qu’on vous propose vous garantira suffisamment de tout péril d’abandonner le combat de la foi. Que répondez-vous ?
Mgr TISSIER : C’est inexact. Selon le
projet de prélature, nous ne serions pas libres d’implanter de nouveaux
prieurés sans la permission des évêques locaux et en outre toutes nos récentes
fondations devraient être confirmées par ces mêmes évêques. Ce serait donc
nous asservir tout à fait inutilement à un épiscopat globalement moderniste.
R. : Pouvez-vous nous préciser ce problème de foi que vous souhaitez voir résolu en premier lieu ?
Mgr TISSIER : Volontiers. Il s’agit, comme
Mgr Lefebvre le disait, de
la tentative du concile Vatican II de réconcilier l’Eglise avec la révolution,
de concilier la doctrine de la foi avec les erreurs libérales. C’est Benoît XVI
lui-même qui l’a dit dans son entretien avec Vittorio Messori en novembre
1984 en disant : « le problème des années 1960 (donc celui du
concile) était l’acquisition des valeurs les mieux mûries des deux siècles
de culture libérale. Ce sont des valeurs qui, bien que nées hors de l’Eglise,
peuvent trouver leur place, une fois purifiées et corrigées, dans sa vision du
monde. Et c’est ce qui a été fait. » Voilà l’œuvre du concile :
une conciliation impossible. « Quelle conciliation peut-il y avoir entre
la lumière et les ténèbres ? », dit l’Apôtre, « quel
accord entre le Christ et Bélial ? » (2 Cor 6, 15). La manifestation
emblématique de cette conciliation est la Déclaration sur la liberté
religieuse. A la place de la vérité du Christ et de son règne social sur les
nations, le concile place la personne humaine, sa conscience et sa liberté.
C’est le fameux « changement de paradigme » que confessait le
Cardinal Colombo dans les années 1980.
Le culte de l’homme qui se fait Dieu à la place du culte de Dieu qui s’est
fait homme (cf. Paul VI,
discours à la clôture du concile, 7 décembre
1965). Il s’agit d’une nouvelle religion qui n’est pas la religion
catholique. Avec cette religion nous ne voulons aucun compromis, aucun risque de
corruption, aucune apparence même de conciliation, et c’est cette apparence
que nous donnerait notre soi-disant “régularisation”. Que le Cœur immaculé
de Marie, immaculé dans sa foi, nous garde dans la foi catholique.
Propos recueillis par Jérôme
BOURBON.