SOURCE - Côme de Prévigny - Rorate Caeli - 26 juin 2012
Le 18 avril, Andrea Tornielli titrait sur Sacri
Palazzi : « Fellay a dit oui ». Pour lui, l’alliance était
conclue. Toujours bien informé par les responsables romains du dossier, il
s’autorisait à écrire : « Le texte du préambule envoyé
par Mgr Fellay propose quelques modifications mineures de la version donnée par
les autorités vaticanes ». Et tous les jours qui suivirent, les
bruits les plus optimistes se répandirent. A l’appui de ce qu’il savait au
sein du Vatican, de la part des mêmes prélats chargés de l’affaire,
Jean-Marie Guénois, toujours bien renseigné, avançait de son côté : « C'est
une affaire de jours et non plus de semaines […] Ces dernières
semaines, les ultimes réglages ont été finalisés entre Rome et Écône pour
répondre au mieux aux demandes de « clarifications » sollicitées
par le Vatican, le 16 mars dernier. »
Et deux mois plus tard, un brouillard épais
s'abat sur le paysage religieux. Alors que tous les observateurs pensaient
voir le pontife romain trancher une bonne fois pour toutes ce dossier sur lequel
il avait misé une grande partie de son pontificat, après la remise d’un
nouveau document à Mgr Fellay le 13 juin, le communiqué de la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi du 14 envisageait finalement un « moment supplémentaire
de réflexion ». Celui de la Fraternité Saint-Pie X , en date du même
jour, laissait planer le même doute en évoquant une « nouvelle phase de
discussions ». Même si l’on sait que ce genre de rebondissement
est classique en fin de négociation difficile, on se perd en conjectures,
d’autant que le nombre des prélats romains qui pensaient que l’accord
serait formalisé est bien plus important que la poignée de ceux qui paraissent
avoir voulu ce nouveau retardement. Comme si ceux qui accusaient Mgr Fellay
de ne jamais savoir se décider, se retrouvaient soudain avec une poutre dans
l’œil.
Déjà, au sein de la Fraternité, les
esprits pour lesquels un accord avec le Siège apostolique est inenvisageable,
se prenaient à rêver en imaginant que leur action avait porté un coup fatal
à ce funeste processus qui visait, d’après eux, à les anéantir. Si on
suivait leur raisonnement, on aurait plutôt dû imaginer que Rome aurait profité
de la division des quatre évêques pour porter un coup fatal à l’œuvre de
Mgr Lefebvre en menant la démarche jusqu’au bout. Le rebondissement du
13 juin leur donne donc particulièrement tort dans tous les cas.
Que s’est-il alors passé entre avril
et juin ? Au mois de mai, d'après plusieurs sources concordantes, la feria
quarta de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi aurait, sachant
qu’elle agissait selon la volonté du pape, avalisé la dernière mouture
proposée par Mgr Fellay, au terme de plusieurs navettes du texte entre
Rome et Menzingen. Benoît XVI l’avait rêvé - les cardinaux l'auraient
fait. Malgré un certain nombre d’absences et de quelques restrictions de placet
juxta modum, le texte aurait finalement eu l’assentiment de
leurs éminences probablement conscientes qu’elles n’auraient pas à se réunir
éternellement. Ce jour là, l’accord était virtuellement conclu. Sur la base
de positions clairement définies à l’occasion de discussions doctrinales qui
avaient cerné les différends, le pape Benoît XVI s’apprêtait à concéder
à la Fraternité ce que Mgr Lefebvre avait inlassablement demandé au
cardinal Ratzinger : la garantie d’un épiscopat traditionnel indépendant
de la pression des conférences locales.
Si Internet offre un effet loupe aux
prêches enflammés de quelques vicaires traditionalistes qui pensent ébranler
leur hiérarchie en voyant leurs propos diffusés par les sites sédévacantistes,
la toile ne dit mot des réels enjeux qui secouent l’Église. Mgr Fellay
avait atteint à la mi-avril les limites de cette ligne de crête assignée à
la Fraternité par Mgr Lefebvre, au risque même de provoquer le désarroi de
certains de ses confrères qui multipliaient les manifestations de leurs
craintes. Ceux de ses interlocuteurs romains qui ont provoqué ce
rebondissement, ont sans doute peiné à le percevoir. Il
est par ailleurs vraisemblable, qu’ils ont craint que n’enfle la sourde
opposition de l’épiscopat allemand qui posait ses propres ultimatums au
successeur de Pierre. Les extrêmes réticences de Mgr Fellay semblent
indiquer qu’ils se sont réfugiés derrière des formules qui faisaient
l’impasse sur plusieurs mois de clarifications et de pourparlers, risquant
ainsi leur propre désaveu.
Paradoxalement, ils ont rendu un immense
service à Mgr Fellay, en lui permettant de montrer que tout en faisant le
maximum pour la reconnaissance canonique de l’œuvre éminemment romaine de
Mgr Lefebvre, sa fermeté restait entière comme le montre au reste une
lettre de l’abbé Thouvenot frauduleusement divulguée sur Internet. Il
demeure que le pape seul a le pouvoir de lier et de délier. Face à toutes
les oppositions – les plus redoutables étant celles des plus proches,
qui se veulent plus papistes que le pape –, c’est à lui que revient, in
fine, le droit de trancher. Après douze ans de pourparlers, au bout de sept
ans de pontificat, cet homme, qui disait il y a quelques semaines qu’il y
avait eu assez d’injustices portées à l’encontre de la Fraternité, va
poser le point final car il est, en tant que chef de l’Église, le seul à
pouvoir le poser.