SOURCE - Céline Hoyeau et François-Xavier Maigre - La Croix - 20 mai 2010
Alors que l’édition 2010 du pèlerinage des traditionalistes Notre-Dame de chrétienté, entre Paris et Chartres, commence vendredi 21 mai, portrait d’une génération de jeunes chrétiens insaisissables
«Il y a du bon à prendre partout ! » Emmanuel [...], 21 ans, navigue sans complexe entre les innombrables propositions adressées aux jeunes par les mouvements chrétiens. Engagé avec égal enthousiasme au sein des Guides et Scouts d’Europe, du mouvement Chrétiens en grande école ou dans la logistique du pèlerinage étudiant à Chartres, il estime que chacun de ces lieux apporte « quelque chose d’unique, de différent » à sa vie spirituelle. « Pour moi, l’essentiel est de servir l’Église », résume l’étudiant en école de commerce, qui confie « tenir énormément à cette diversité ».
De fait, ils sont nombreux à « surfer » d’un groupe à l’autre, sans se soucier des clivages sociologiques et des antagonismes idéologiques qui ont longtemps façonné les mouvements dans l’Église de France : tel est étiqueté comme « social », tel autre « identitaire », tel autre encore « charismatique », ou « tradi »…
Maxime, 24 ans, illustre cet art du grand écart : ce futur ingénieur affirme se sentir aussi à l’aise dans les veillées de prière de Taizé que dans les hôpitaux parisiens où il anime des messes, dans un rassemblement de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) qu’au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté organisé dimanche 23 mai, comme chaque année par les fidèles traditionalistes à Chartres...
Phénomène marginal ?
Ce n’est pas un hasard si le cardinal André Vingt-Trois a choisi d’intervenir ce week-end pour la première fois au cours du « ppèlerinage de chrétienté ». Une manière pour l’archevêque de Paris d’approfondir le lien avec des groupes vivants et plus contrastés qu’on le croit, dans la mesure où cette marche draine des fidèles de toutes provenances.
Dans ses activités auprès des étudiants, le P. Hubert Hirrien, aumônier national des Chrétiens en grande école (CGE), a pu lui aussi constater que les frontières et les positionnements sont aujourd’hui « plus poreux qu’il y a dix ou quinze ans ». « Une part des étudiants se balade un peu plus. Mais un certain nombre demeure dans un seul lieu d’Église, nuance-t-il. Les deux types de parcours coexistent. »
Pour Florian Meyer, secrétaire national de la JOC, le phénomène reste « marginal » : « Chez nous, cela concerne un ou deux jeunes par région. » Et si le brassage est « bien réel » lors des grands rassemblements du mouvement comme celui de La Courneuve il y a un an (20 000 participants), son ampleur reste toutefois « difficile à évaluer », ajoute le jociste.
Que cherchent ces « cathos mutants » ?
Les événements de masse, type JMJ ou pèlerinage « Aux sources » l’an dernier en Terre sainte, sont « autant d’occasions pour sortir des cases, remarque le P. Hirrien. Les jeunes découvrent que l’Église est plus large que le groupe auquel ils appartenaient. » Une tendance accentuée selon lui par « la culture du réseau », en particulier Facebook, qui favorise aussi cette mobilité.
Mais que cherchent, au fond, ces « cathos mutants » ? « Participer à des groupes très différents me permet de garder un certain équilibre », explique simplement Anaïs, investie dans la fraternité Aïn Karem (évangélisation de rue) et vice-présidente de l’aumônerie étudiante de Créteil, où elle a donné des cours d’alphabétisation aux étrangers et de soutien aux jeunes en difficulté.
Cet été, elle envisage par ailleurs de rejoindre le festival missionnaire Anuncio : « C’est en me confrontant à des personnes qui ne vivent pas leur foi de la même façon que moi qu’à mon tour je grandis en me questionnant sur ma propre manière d’agir. »
De l’extérieur, ce «bricolage» peut parfois «sembler incohérent»
Il y a aussi, chez beaucoup, le désir d’une vie chrétienne plus cohérente, comme le relève Lætitia, qui dit « jongler » en permanence : « J’ai besoin de traduire ma foi dans l’action et pas seulement dans la prière. On a prévu de monter un groupe dans mon école de commerce, pour proposer temps de célébration et projets solidaires. »
Il n’est pas toujours facile, pour ces jeunes « transfuges », de faire accepter leur choix : « Dans la paroisse de mes parents, je suis le conservateur ; à Paris je suis vu comme le progressiste ! » s’amuse Florian, 23 ans. Originaire d’un milieu rural, près de Pithiviers, il a passé son enfance au sein de l’ACE et du MRJC.
Depuis trois ans à Paris, l’étudiant en géographie navigue entre « milieux tradis », communauté de l’Emmanuel, et groupes de prière divers. Il est aussi servant d’autel à Saint-Germain-des-Prés et se plaît à jeter des ponts autour de lui : « Au moment de la levée des excommunications des évêques lefebvristes, j’ai participé à une réunion de Chrétiens en monde rural, chez mes parents. C’était très tendu. J’ai essayé de renvoyer chacun à ses propres limites et leur dire qu’il y avait besoin d’un recentrage, ni trop dans l’action, ni trop dans le rite, mais dans la foi, ce qu’encourage Benoît XVI. »
Des formes renouvelées d’annonce de l’Évangile
De l’extérieur, ce « bricolage » peut parfois « sembler incohérent », relève Ignacio Gonzalez Sexma, jésuite (1), qui se demande si cette diversité ne risque pas d’empêcher des « engagements forts et de longue durée ».
Ces pratiques « dérangent » ceux qui pensaient que « l’évolution de l’Église irait forcément dans leur sens », reconnaît Mgr Benoît Rivière, président du Conseil pour la pastorale des jeunes à l’épiscopat. « Paradoxalement, ces jeunes nous apprennent aussi que l’Église n’est pas un club et qu’aucun groupe ne peut revendiquer d’être le tout de la vie chrétienne », analyse l’évêque d’Autun, qui rappelle « qu’aucun engagement social ne peut durer sans une vie intérieure profonde ».
D’une certaine manière, « ils sont moins politiques et plus spirituels », avance de son côté le P. Hirrien : « À l’inverse des générations des années 1960-1970, qui considéraient l’Église comme une machine trop puissante, eux la voient davantage comme une institution fragilisée. Ils ont conscience d’être une minorité. Ça donne des formes renouvelées d’annonce de l’Évangile, plus explicites. »
Céline HOYEAU et François-Xavier MAIGRE
Alors que l’édition 2010 du pèlerinage des traditionalistes Notre-Dame de chrétienté, entre Paris et Chartres, commence vendredi 21 mai, portrait d’une génération de jeunes chrétiens insaisissables
«Il y a du bon à prendre partout ! » Emmanuel [...], 21 ans, navigue sans complexe entre les innombrables propositions adressées aux jeunes par les mouvements chrétiens. Engagé avec égal enthousiasme au sein des Guides et Scouts d’Europe, du mouvement Chrétiens en grande école ou dans la logistique du pèlerinage étudiant à Chartres, il estime que chacun de ces lieux apporte « quelque chose d’unique, de différent » à sa vie spirituelle. « Pour moi, l’essentiel est de servir l’Église », résume l’étudiant en école de commerce, qui confie « tenir énormément à cette diversité ».
De fait, ils sont nombreux à « surfer » d’un groupe à l’autre, sans se soucier des clivages sociologiques et des antagonismes idéologiques qui ont longtemps façonné les mouvements dans l’Église de France : tel est étiqueté comme « social », tel autre « identitaire », tel autre encore « charismatique », ou « tradi »…
Maxime, 24 ans, illustre cet art du grand écart : ce futur ingénieur affirme se sentir aussi à l’aise dans les veillées de prière de Taizé que dans les hôpitaux parisiens où il anime des messes, dans un rassemblement de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) qu’au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté organisé dimanche 23 mai, comme chaque année par les fidèles traditionalistes à Chartres...
Phénomène marginal ?
Ce n’est pas un hasard si le cardinal André Vingt-Trois a choisi d’intervenir ce week-end pour la première fois au cours du « ppèlerinage de chrétienté ». Une manière pour l’archevêque de Paris d’approfondir le lien avec des groupes vivants et plus contrastés qu’on le croit, dans la mesure où cette marche draine des fidèles de toutes provenances.
Dans ses activités auprès des étudiants, le P. Hubert Hirrien, aumônier national des Chrétiens en grande école (CGE), a pu lui aussi constater que les frontières et les positionnements sont aujourd’hui « plus poreux qu’il y a dix ou quinze ans ». « Une part des étudiants se balade un peu plus. Mais un certain nombre demeure dans un seul lieu d’Église, nuance-t-il. Les deux types de parcours coexistent. »
Pour Florian Meyer, secrétaire national de la JOC, le phénomène reste « marginal » : « Chez nous, cela concerne un ou deux jeunes par région. » Et si le brassage est « bien réel » lors des grands rassemblements du mouvement comme celui de La Courneuve il y a un an (20 000 participants), son ampleur reste toutefois « difficile à évaluer », ajoute le jociste.
Que cherchent ces « cathos mutants » ?
Les événements de masse, type JMJ ou pèlerinage « Aux sources » l’an dernier en Terre sainte, sont « autant d’occasions pour sortir des cases, remarque le P. Hirrien. Les jeunes découvrent que l’Église est plus large que le groupe auquel ils appartenaient. » Une tendance accentuée selon lui par « la culture du réseau », en particulier Facebook, qui favorise aussi cette mobilité.
Mais que cherchent, au fond, ces « cathos mutants » ? « Participer à des groupes très différents me permet de garder un certain équilibre », explique simplement Anaïs, investie dans la fraternité Aïn Karem (évangélisation de rue) et vice-présidente de l’aumônerie étudiante de Créteil, où elle a donné des cours d’alphabétisation aux étrangers et de soutien aux jeunes en difficulté.
Cet été, elle envisage par ailleurs de rejoindre le festival missionnaire Anuncio : « C’est en me confrontant à des personnes qui ne vivent pas leur foi de la même façon que moi qu’à mon tour je grandis en me questionnant sur ma propre manière d’agir. »
De l’extérieur, ce «bricolage» peut parfois «sembler incohérent»
Il y a aussi, chez beaucoup, le désir d’une vie chrétienne plus cohérente, comme le relève Lætitia, qui dit « jongler » en permanence : « J’ai besoin de traduire ma foi dans l’action et pas seulement dans la prière. On a prévu de monter un groupe dans mon école de commerce, pour proposer temps de célébration et projets solidaires. »
Il n’est pas toujours facile, pour ces jeunes « transfuges », de faire accepter leur choix : « Dans la paroisse de mes parents, je suis le conservateur ; à Paris je suis vu comme le progressiste ! » s’amuse Florian, 23 ans. Originaire d’un milieu rural, près de Pithiviers, il a passé son enfance au sein de l’ACE et du MRJC.
Depuis trois ans à Paris, l’étudiant en géographie navigue entre « milieux tradis », communauté de l’Emmanuel, et groupes de prière divers. Il est aussi servant d’autel à Saint-Germain-des-Prés et se plaît à jeter des ponts autour de lui : « Au moment de la levée des excommunications des évêques lefebvristes, j’ai participé à une réunion de Chrétiens en monde rural, chez mes parents. C’était très tendu. J’ai essayé de renvoyer chacun à ses propres limites et leur dire qu’il y avait besoin d’un recentrage, ni trop dans l’action, ni trop dans le rite, mais dans la foi, ce qu’encourage Benoît XVI. »
Des formes renouvelées d’annonce de l’Évangile
De l’extérieur, ce « bricolage » peut parfois « sembler incohérent », relève Ignacio Gonzalez Sexma, jésuite (1), qui se demande si cette diversité ne risque pas d’empêcher des « engagements forts et de longue durée ».
Ces pratiques « dérangent » ceux qui pensaient que « l’évolution de l’Église irait forcément dans leur sens », reconnaît Mgr Benoît Rivière, président du Conseil pour la pastorale des jeunes à l’épiscopat. « Paradoxalement, ces jeunes nous apprennent aussi que l’Église n’est pas un club et qu’aucun groupe ne peut revendiquer d’être le tout de la vie chrétienne », analyse l’évêque d’Autun, qui rappelle « qu’aucun engagement social ne peut durer sans une vie intérieure profonde ».
D’une certaine manière, « ils sont moins politiques et plus spirituels », avance de son côté le P. Hirrien : « À l’inverse des générations des années 1960-1970, qui considéraient l’Église comme une machine trop puissante, eux la voient davantage comme une institution fragilisée. Ils ont conscience d’être une minorité. Ça donne des formes renouvelées d’annonce de l’Évangile, plus explicites. »
Céline HOYEAU et François-Xavier MAIGRE