CHAPITRE PREMIER : LE STATUS QUAESTIONIS
Le débat autour du Concile: Mgr Marchetto et le prof. Alberigo
Au cours de ces derniers mois, en Italie, on a 
vu resurgir le débat au sujet du Concile Vatican II et de son interprétation 
grâce à deux publications importantes, deux livres qui adoptent des positions 
opposées. Il s’agit de Le Concile Œcuménique Vatican II. Contrepoint pour 
son histoire[1], ouvrage qui rassemble les interventions de Mgr Agostino 
Marchetto, actuellement Secrétaire du Conseil Pontifical de la Pastorale pour 
les Migrants et les Itinérants, au sujet de l’interprétation des textes 
conciliaires, et de la Brève histoire du Concile Vatican II[2], un abrégé de 
la célèbre Histoire du Concile Vatican II en cinq volumes, par le prof. 
Giuseppe Alberigo, chef de l’Institut pour les Sciences religieuses de 
Bologne.
  
Pourquoi s’intéresser à la publication des 
énièmes ouvrages sur le Concile Vatican II? Nous l’avons dit : ces deux 
textes constituent une sorte de manifeste des deux positions opposées sur le 
Concile, opposition ouvertement reconnue par les auteurs eux-mêmes, qui n’ont 
pas hésité à se lancer des critiques réciproques.
  
On connaît bien la ligne de « l’école » 
dossettienne de Bologne, qui s’est imposée un peu partout dans le monde 
catholique et non catholique; celle-ci voit dans le Concile une nouvelle Pentecôte 
pour l’Église, un nouveau passage du Saint-Esprit, qui aurait fait retrouver 
à l’Église l’authenticité du message chrétien, qu’elle avait égaré 
au cours des siècles[3]. Dans cette perspective, le Concile aurait amorcé un 
processus de renouvellement, de modernisation (aggiomamento), d’ouverture au 
monde jamais vu auparavant, en mesure d’effacer des années d’opposition 
obscurantiste de l’Église au monde moderne. Un événement, donc, en 
discontinuité avec le passé, chargé de nouveautés radicales, mais aussi un 
événement qui a marqué le commencement d’un processus de renouveau qui ne 
doit pas se limiter à la seule application des décrets conciliaires, mais qui 
doit inciter à continuer le processus de modernisation commencé lors du 
Concile. C’est la célèbre fidélité à « l’esprit du Concile », 
c’est-à-dire la fidélité à l’idéal d’aggiomamento continuel.
  
L’affirmation du prof. Alberigo, à cet égard, 
est très claire : « La priorité du fait « Concile », en tant 
qu’événement qui a réuni une assemblée de plus de deux mille évêques, 
apparaît plus forte, même par rapport à ses décisions, qui ne peuvent pas être 
lues comme des règles froides et abstraites, mais comme une expression et un 
prolongement de l’événement lui-même »[4].
  
Cette théorie d’un nouveau commencement dans 
l’Église est à juste titre attaquée par Mgr Marchetto : « Si, dans l’Église, 
l’ »événement » n’est pas tant un fait important qu’une 
rupture, une nouveauté absolue, la naissance pour ainsi dire d’une nouvelle 
Église, une révolution copernicienne, le passage, en somme, à un autre 
Catholicisme… cette perspective ne pourra et ne devra pas être acceptée, précisément 
en raison de la spécificité catholique »[5].
  
Nous ne pouvons qu’approuver le principe selon 
lequel, dans l’enseignement de l’Église, il ne peut rien y avoir de réellement 
nouveau parce que l’Église, comme l’enseigne magistralement saint Vincent 
de Lérins, « dans sa sage fidélité aux doctrines anciennes, ne cherche, avec 
un zèle suprême, à faire que ceci : perfectionner et affiner ce qu’elle a 
reçu des anciens sous forme d’esquisse; consolider et renforcer ce qui a déjà 
été exprimé avec précision; garder ce qui a déjà été confirmé et défini 
». Toutefois, il nous faut émettre au moins une critique précise à rencontre 
de la position de Marchetto, saluée avec enthousiasme par le cardinal Ruini, et 
partagée à la fois par Jean-Paul II et par le Pontife actuel, tous deux 
partisans d’une lecture du Concile « à la lumière de la Tradition ».
  
Mgr Marchetto accuse à plusieurs reprises la 
ligne d’interprétation de l’école de Bologne d’être « idéologique », 
c’est-à-dire de lire le Concile selon le critère préconçu de l’événement 
en rupture et en discontinuité avec le passé. Alberigo et ses collaborateurs 
s’arrêteraient ainsi arbitrairement sur les textes du Concile qui soulignent 
le plus le moment de la nouveauté, oubliant en revanche ceux qui manifestent la 
continuité avec la Tradition[6]. A cette perspective, Mgr Marchetto oppose 
celle – à son avis plus fidèle aux intentions des pères conciliaires eux-mêmes 
– qui considère le Concile comme un tout[7]. Dans cette optique, on 
comprendrait que, dans les textes conciliaires « il y a eu en somme un 
aggiomamento… la coexistence de nova et vetera, de fidélité et 
d’ouverture, comme le démontrent, du reste, les textes approuvés en Concile, 
tous les textes »[8].
  
Une telle affirmation est en soi problématique, 
car c’est justement sur les nova que se pose la question. Il ne sert à rien 
de démontrer qu’il y a des textes en continuité avec l’enseignement de 
toujours (ce que personne n’a jamais discuté); le problème est au contraire 
la présence d’éléments nouveaux et illégitimes, qui proviennent de la pensée 
moderne, condamnée à plusieurs reprises, et non d’un approfondissement du 
depositum fidei. Mais ce problème, à lui seul, mériterait d’être traité 
à part, et il a déjà fait l’objet d’un nombre considérable d’études.
  
Nous disions que Mgr Marchetto accuse l’école 
de Bologne d’idéologisme. Mais en un certain sens, c’est ce même Mgr 
Marchetto qui tombe à son tour dans une sorte d’idéologisme, lorsqu’il 
affirme : « L’événement, donc, est un synode œcuménique…, il n’y a 
donc pas à considérer comme un préjugé le fait de l’analyser comme tel, à 
partir de ce qu’il est pour la foi catholique, même avec son caractère 
propre, qui ne peut contredire ce que d’autres Conciles œcuméniques ont défini 
»[9].
  
Par cette affirmation, Mgr Marchetto présuppose 
ce qu’il devrait au contraire démontrer, à savoir que le Concile Vatican II 
jouit de l’infaillibilité qui a caractérisé les Conciles œcuméniques précédents 
et, par conséquent, qu’il ne peut rien contenir qui soit en contradiction non 
seulement avec les définitions des autres Conciles, mais aussi avec tout le 
Magistère ordinaire précédent.
  
Voilà le point déterminant, la clé de voûte 
qui soutient toute l’argumentation.
  
Cette question est d’une grande importance et 
ne souffre pas d’être éludée; elle afflige la conscience de nombreux 
catholiques, qui font de la fidélité au Concile Vatican II un problème de 
conscience, et considèrent que la présence d’éléments discutables dans les 
textes du Concile pourrait en quelque sorte saper le dogme de l’infaillibilité 
du Pape, ou mettre en discussion la continuité de l’enseignement de l’Église. 
L’acuité avec laquelle ce problème est ressenti se manifeste également dans 
le fait que le livre de Mgr Marchetto a déjà fait l’objet d’une réédition, 
quelques mois après sa première publication.
  
Il est clair que la question centrale est celle 
de la valeur des documents du Concile. L’intention de notre intervention est 
de répondre aux interrogations les plus répandues : les enseignements d’un 
Concile œcuménique (ici Vatican II) jouissent-ils ipso facto de 
l’infaillibilité? Quelles sont les conditions pour qu’un enseignement soit 
infaillible? Est-il possible de mettre en discussion un enseignement officiel de 
la hiérarchie catholique?
  
La conclusion à laquelle nous sommes arrivés, 
et que nous tenterons de présenter, s’articule de la manière suivante :
  
Le Concile Vatican II :
1) quant à la valeur des documents : peut être 
mis en discussion ;
2) quant au contenu des documents : doit être 
mis en discussion ;
3) quant aux conditions actuelles : doit être 
mis entre parenthèses.
Notes[1] A. MARCHETTO, Il Concilio Ecumenico Vaticano II. Contrappunto per la sua storia, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana,2005.[2] G. ALBERIGO, Breve sioria del Concilio Vaticano II, Bologne, Il MuIino, 2005.[3] CF. G. ALBERIGO, Brève histoire…, cit., p. 163.[4] Ibidem, p. 12. Voir aussi cette affirmation de l’auteur, placée en conclusion du livre, et donc plus lourde de sens : « Le repli sur soi de l’impulsion conciliaire impliquerait une déception très large, qui gâcherait un exceptionnel mouvement d’attente et de disponibilité, une authentique occasion historique » (p. 176).[5] A. Marchetto, Le Concile Œcuménique Vatican II, cit., p. 381.[6] Cf. Ibidem, p.359.[7] Cf. Ibidem, p.315.[8] Ibidem, p. 386.[9] Ibidem.
CHAPITRE DEUXIÈME : DE L’INFAILLIBILITÉ
  
S’interroger sur la valeur des documents du 
Concile implique une réflexion plus générale de potestate Magisterii.
  
Aujourd’hui, dans le monde catholique et non 
catholique, sont répandues deux positions extrêmes, toutes deux erronées et 
dangereuses; positions que nous pouvons considérer comme les deux principales 
objections à notre thèse[10].
2.1 Videtur quodOb. 1 : Les infaillibilistes
Il y a ceux que nous pourrions appeler les « 
infaillibilistes », qui considèrent qu’aucune déclaration officielle, à 
plus forte raison si elle est exprimée sous la forme extraordinaire d’un 
Concile, ne peut être mise en discussion, de quelque façon que ce soit. Ils se 
réfèrent souvent à l’obéissance aveugle ignacienne, selon la célèbre 
expression perinde ac cadaver, ou citent la treizième règle du sentire cum 
Ecclesia tirée des Exercices de St Ignace : « Pour ne nous écarter en rien de 
la vérité, nous devons toujours être disposés à croire que ce qui nous paraît 
blanc est noir, si l’Église hiérarchique le décide ainsi. Car il faut 
croire qu’entre Jésus-Christ, notre Seigneur, qui est l’Époux, et l’Église, 
qui est son Épouse, il n’y a qu’un même Esprit qui nous gouverne et nous 
dirige pour le salut de nos âmes, et que c’est par le même Esprit et le même 
Seigneur qui donna les dix commandements qu’est dirigée et gouvernée notre Mère 
la sainte Église »[11].
  
C’est sur la même ligne que semble se placer 
cette affirmation catégorique de Pie XII : « Que si dans leurs Actes, les 
Souverains Pontifes portent à dessein un jugement sur une question 
jusqu’alors disputée, il apparaît donc à tous que, conformément à 
l’esprit et à la volonté de ces mêmes Pontifes, cette question ne peut plus 
être tenue pour une question libre entre théologiens »[12].
  
À ce point, n’apparaissent que deux solutions 
: ou bien s’aligner sur les déclarations des Pontifes, en les considérant en 
continuité avec l’enseignement des prédécesseurs, même si le contraire est 
évident[13] ou bien considérer que le siège est vacant.
Ob. 2 : L’infaillibilité limitées aux décisions ex cathedra
Il y a ensuite ceux qui limitent 
l’infaillibilité aux décisions ex cathedra, laissant sur les autres déclarations 
une liberté de jugement. Pour ceux-là, en général, l’infaillibilité 
concerne uniquement le pape dans l’acte de définir une doctrine en matière 
de foi et de morale, c’est-à-dire quand l’objet a trait aux vérités révélées 
par Dieu, clairement liées à la Révélation (de fide) et/ou quand il parle 
solennellement. Le texte clé de référence est celui du Concile Vatican I : « 
Le Pontife Romain, quand il parle ex cathedra, c’est-à-dire quand, 
accomplissant son office de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit 
en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine en matière de 
foi ou de morale doit être admise par toute l’Église, jouit… de cette 
infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Église fût dotée, 
quand elle définit une doctrine concernant la foi ou la morale »[14]. En conséquence, 
les autres déclarations, c’est-à-dire aussi bien celles qui n’ont pas de 
lien direct avec la dogmatique et la morale que celles qui émanent 
d’encycliques, condamnations, etc., n’auraient aucun caractère 
contraignant, sinon temporairement.
  
On rencontre cette position à plusieurs 
niveaux, du simple fidèle à la haute hiérarchie, spécialement parmi les défenseurs 
du Concile Vatican II. Ceux-ci, en effet, bien qu’ils constatent des 
oppositions théoriquement insolubles entre les textes de Vatican II et certains 
enseignements des Papes précédents, spécialement ceux qui concernent les 
condamnations des différents aspects de la modernité (cf. la célèbre 
affirmation de celui qui était alors le cardinal Ratzinger au sujet de Gaudium 
et Spes, qualifiée de « contre-syllabus »), considèrent ces derniers comme 
des déclarations révisables, dans lesquelles l’Église n’a pas engagé la 
plénitude de son autorité.
2.2 Sed contra
1.  « L’infaillible garantie de 
l’assistance divine n’est pas limitée aux seuls actes du Magistère 
solennel; elle s’étend aussi au Magistère ordinaire, sans toutefois en 
recouvrir ni en assurer de la même façon tous les actes »[15].
  
2.  Pour l’infaillibilité du pape seul 
et du Magistère ordinaire de l’Église, « il faut que la vérité enseignée 
soit proposée comme déjà définie ou comme ayant toujours été crue ou 
admise par l’Église, ou comme attestée par l’accord unanime et constant 
des théologiens comme vérité catholique »[16].
2.2.1 Vérité et autorité
Il nous paraît bon de commencer par une considération 
générale. La crise actuelle a contribué à la naissance d’une mentalité très 
répandue dans le monde catholique, mais qui n’est pas une mentalité 
catholique. Nous voulons parler de cette idée trop banale selon laquelle l’obéissance 
au Pape et aux évêques devrait être aveugle, inconditionnelle, c’est-à-dire 
justifiée par l’autorité qu’ils représentent, indépendamment de ce 
qu’ils enseignent. Une telle mentalité trahit une pensée légaliste, selon 
laquelle une affirmation serait vraie parce que prononcée par une autorité légitime, 
et non par sa vérité intrinsèque. Ainsi, c’est l’autorité qui créerait 
le droit et la vérité, et elle ne se limiterait pas à les reconnaître, les 
garder et les enseigner.
  
Cette position peut être résumée de la façon 
suivante : « Le propre du catholicisme, ce n’est pas la vérité, attestée 
et maintenue par l’autorité, mais l’autorité, censée être la source même 
d’une « vérité » qui n’a pas de valeur en soi mais seulement 
par le dictamen qui la consacre »[17]. Mais cette position, nous le redisons, 
n’exprime pas celle de l’Église catholique, qui a reçu de Notre Seigneur 
un tout autre enseignement. Jésus lui-même a voulu souligner que « ma 
doctrine n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé. Si quelqu’un 
veut faire sa volonté, il saura si cet enseignement vient de Dieu, ou si je 
parle de moi-même » (Jn VII, 16-17). Et son vas electionis, saint Paul, ne dit 
pas autre chose : « Si quelqu’un, fût-ce nous-même, fût-ce un ange du 
ciel, venait vous prêcher un évangile différent du nôtre, qu’il soit anathème 
! » (Gal. 1,8). Enfin, le texte de Pastor Aeternus qui définit 
l’infaillibilité du Pape souligne lui aussi qu’« aux successeurs de 
Pierre, l’Esprit Saint fut promis non pour qu’ils proposent, par sa révélation, 
une nouvelle doctrine, mais pour qu’ils gardent religieusement et enseignent 
fidèlement, grâce à son assistance, la révélation transmise par les Apôtres, 
c’est-à-dire le dépôt de la foi»[18].
  
La perspective catholique est claire : 
l’autorité est au service de la vérité. Il n’est donc en aucune façon 
possible d’exiger l’obéissance lorsque l’enseignement proposé est 
contraire à la vérité. Cela ne signifie pas que le jugement sur la vérité 
soit laissé au libre-arbitre de chacun. Entre les deux extrêmes (obéissance 
absolue et libre-arbitre), il y a une gradation, qui sera l’objet de la suite 
de notre exposé. Mais il est nécessaire de redire que l’autorité se pose 
dans l’Église comme un moyen, et non comme une fin. En effet, c’est 
justement à cause de cette grande confusion au sujet du rapport entre autorité 
et vérité que les « révolutionnaires » ont pu greffer sur le tissu 
catholique les germes de la crise actuelle, sans que les « anticorps » ne réagissent 
à cette terrible infection. Ils ont en effet abusé de l’obéissance pour 
imposer leurs fausses doctrines, et chaque fois que quelqu’un a tenté de 
manifester son désaccord, ils ont utilisé l’accusation de désobéissance 
pour isoler le malheureux et briser ainsi toute résistance. C’est ce mauvais 
usage de la vertu d’obéissance que Mgr Lefebvre a magistralement défini 
comme « le coup de maître de Satan ».
2.2.2 Magistère infaillible et Magistère canonique[19]
Le Magistère de l’Église, dont le pouvoir réside 
soit chez le Pontife seul, soit dans l’épiscopat cum Petro et sub Petro, ne 
se prononce pas toujours au même niveau.
  
Le degré le plus haut du Magistère comprend la 
divine Révélation que Jésus a confiée à son Église pour qu’elle la garde 
et la transmette fidèlement. À ce niveau, l’infaillibilité du Magistère 
est garantie.
Suivons pas à pas l’affirmation de Billot : 
« Potestas infallibilis magisterii pro objecto primario habet res fidei et 
morum quae in deposito catholicae revelationis formaliter explicite vel 
formaliter implicite continentur »[20].
  
Le théologien jésuite considère l’objet (quae 
continentur in deposito catholicae revelationis), c’est-à-dire tout ce que le 
Christ a enseigné aux Apôtres et tout ce que ces mêmes Apôtres ont appris de 
l’Esprit Saint, et qui nous est livré aussi bien par les Écritures que par 
la Tradition non écrite. Cela signifie qu’à ce niveau, l’infaillibilité 
du Magistère « s’étend seulement aux vérités révélées par Dieu 
sumaturellement »[21].
  
« Secundario vero [potestas infallibilis 
magisterii] extenditur ad alias etiam veritates in se non revelatas, quae tamen 
requiruntur ut revelationis depositum integrum custodiatur, et nominatim quidam 
ad multiplices propositionum censuras et ad facta dogmatica »[22]. Cela 
signifie que le Christ a promis son assistance spéciale non seulement pour que 
l’Église reçoive et transmette fidèlement son enseignement, mais aussi pour 
qu’elle le garde et le développe au cours des siècles. C’est pourquoi le 
Magistère infaillible s’étend aussi aux vérités incluses dans les précédentes, 
mais non encore explicitement exprimées quoad nos, et aussi à ces énonciations 
dont il garantit la vérité de façon absolue (définitions infaillibles, mais 
non dogmatiques), bien qu’elles ne soient pas objet de foi divine.
  
À ce point, le cardinal Journet fait une réflexion 
très importante et lourde de conséquences; il affirme que, pour les trois 
classes de vérités indiquées ci-dessus, le Seigneur Jésus donne à son Église 
une assistance spéciale, une assistance absolument infaillible. Mais le Magistère 
de l’Église, ajoute le cardinal, « ne fonde pas, il conditionne 
l’assentiment infaillible de foi. Et pourtant c’est la plus haute fonction 
à laquelle il lui soit donné d’atteindre : à ce moment… il n’y a plus 
rien dans son initiative qui ne soit résorbé dans l’assistance divine»[23].
  
Le Magistère infaillible fait donc fonction 
d’instrument de communication de la vérité révélée ; il est vraie cause 
seconde, son action ne fonde pas l’infaillibilité du contenu (laquelle est en 
revanche fondée sur Dieu, qui ne peut ni se tromper ni tromper), mais en 
quelque sorte la garantit.
  
À ce point, on peut comprendre 
l’infaillibilité de l’enseignement du Pontife romain quand, ex cathedra, il 
définit une vérité comme révélée, comme cela a été proclamé par Vatican 
I. En effet, le Pape ne fait pas autre chose que déclarer solennellement ce que 
Dieu lui-même a révélé par le Christ ou les Apôtres; l’obéissance au 
Pape est en fait l’obéissance directe à Dieu lui-même, et indirecte au Pape 
comme son instrument et son intermédiaire.
  
Les problèmes, pour ainsi dire, commencent à 
un autre niveau, à savoir celui de ce que l’on appelle communément les « vérités 
spéculatives secondaires ». Ce dernier adjectif peut induire une désagréable 
équivoque, celle de faire penser que ces vérités n’auraient pas 
d’importance pour la conservation de la foi.
En réalité, il existe de très nombreuses vérités 
qui, soit n’appartiennent pas au depositum fidei, mais lui sont liées (comme 
par exemple les vérités philosophiques de la philosophia perennis, qui a trouvé 
chez saint Thomas sa plus haute expression, et que l’Église a donc maintes 
fois ordonné d’enseigner et de suivre), soit n’ont pas encore été définies 
par l’Église de façon irréformable (par exemple les conclusions théologiques 
universellement enseignées ou crues).
  
Ces vérités sont garanties prudentiellement (à 
la différence de l’autorité absolue, qui concerne les vérités spéculatives 
primaires) dans la mesure où, à la différence de ce qui a été exposé précédemment 
au sujet du pouvoir déclaratif du Magistère, l’Église n’est plus une 
simple intermédiaire des divins enseignements; « elle agit en vertu de son 
pouvoir canonique, promulgateur de ce qu’il convient ou non d’enseigner et 
de croire, si l’on veut préserver l’intelligence des fidèles des dangers 
qui menacent leur foi… À ce moment, l’Église n’intervient pas, comme 
dans la foi divine, à titre de simple condition de notre assentiment. Elle est 
elle-même le fondement immédiat d’un assentiment (dont le fondement médiat 
est Dieu, qui régit l’Église) qu’on peut appeler… obéissance ecclésiastique, 
foi ecclésiastique, assentiment religieux, pieux assentiment »[24].
Quel type d’obéissance, donc, doit-on à ce type de Magistère?
Tout d’abord, il faut souligner que, au sein 
de ce vaste domaine des vérités qui jouissent d’une assistance prudentielle, 
il y a une différence décisive. Il existe en effet des enseignements que l’Église 
a proposés de façon constante et universelle, dans lesquels elle entend user 
en plénitude de son autorité prudentielle. Dans ce cas, « nous n’hésiterons 
pas à dire que le Magistère les propose en vertu d’une assistance pratique 
prudentielle, qui est vraiment et proprement infaillible, en sorte que nous 
serons sûrs de la prudence de chacun de ces enseignements, et en conséquence 
pratiquement sûrs de la vérité intrinsèque, spéculative, de chacun d’eux 
»[25]. Dans ce cas on parle non pas de vérité infaillible, mais de certitude 
infaillible (infallibilis securitas).
  
Il y a par ailleurs des enseignements dans 
lesquels l’Église n’entend pas user en plénitude de son autorité 
prudentielle ; dans ce cas, « nous dirons que le Magistère ne les propose que 
d’une manière faillible »[26].
  
De cela, nous pouvons conclure ce qui suit :
- dans le cas du Magistère déclaratif, par le 
fait que l’on obéit proprement à Dieu et à l’Église seulement en tant 
que médiation, l’obéissance due sera d’ordre théologal (propre à la 
vertu théologale de foi);
- quant au Magistère prudentiel, en revanche, 
l’obéissance due dépend du degré avec lequel le Magistère engage son 
autorité : « Si le Magistère est naturel, l’obéissance sera, de soi, 
naturelle. Si le magistère se réalise d’une manière analogique et 
surnaturelle, la vertu de docilité et d’obéissance se réalisera, elle 
aussi, d’une manière analogique et surnaturelle »[27].
  
Dans le cas de l’assistance prudentielle 
faillible, il est donc possible que le Pape ou une Congrégation romaine se 
trompent. Que devra-t-on faire dans ce cas? « Licebit dissentire… licebit 
dubitare… ; nec tamen pro reverentia auctoritatis sacrae fas erit publice 
contradicere… ; sed silentium servandum est quod obsequosium vocant »[28]. 
Toutefois, nous faisons seulement remarquer que, dans le cas de péril proche 
pour la foi, même la répréhension publique est nécessaire[29].
2.3 Solution des difficultés
Ad. 1 : Les infaillibilistes: aucune déclaration 
officielle ne peut être mise en discussion, de quelque façon que ce soit.
  
Le texte de saint Ignace est très précis :
« Pour ne nous écarter en rien de la vérité, 
nous devons toujours être disposés à croire que ce qui nous paraît blanc est 
noir, si l’Église hiérarchique le décide ainsi ». Le verbe utilisé nous 
renvoie immédiatement au premier degré du Magistère, le Magistère 
infaillible. On a vu, en effet, que l’acte correspondant à cet enseignement 
est l’obéissance de la Foi, laquelle adhère à la vérité révélée par 
Dieu et transmise par l’Église, en vertu de l’autorité même de Celui qui 
révèle.
  
Cette obéissance « aveugle » du point de vue 
humain (dans le sens où l’on ne saisit pas l’évidence rationnelle de la vérité 
révélée) est en réalité éclairée par la vertu théologale de Foi, dont la 
certitude est supérieure à quelque évidence intellectuelle que ce soit, en 
vertu de Dieu qui révèle. Mais dans les cas où l’Église hiérarchique 
n’entend rien définir, une telle obéissance surnaturelle serait 
disproportionnée par rapport à son objet. Nous le répétons : l’obéissance 
due dépend du degré avec lequel le Magistère engage son autorité. C’est 
ainsi qu’est résolue cette première difficulté.
  
On peut raisonner de la même façon sur 
l’enseignement de Pie XII. Le Pontife lui-même, en effet, spécifie que 
l’assentiment doit être donné « selon l’intention et la volonté des 
Pontifes ». Il s’agit encore ici de l’importance de l’intention de 
vouloir définir quelque chose ou d’engager au plus haut degré son autorité.
Ad. 2 : Infaillibilité limitée aux décisions ex cathedra
À cette objection, nous avons amplement répondu 
dans le corps de notre argumentation, quand nous avons parlé du Magistère 
canonique. Nous réaffirmons la notion selon laquelle l’infaillibilité du 
Magistère s’étend au-delà de l’enseignement ex cathedra défini lors du 
Concile Vatican I, dans les conditions rapportées ci-dessus. Billot l’exprime 
très clairement : « Quidquid ab Ecclesia sive solemni iudicio, sive ordinario 
et universali magisterio tamquam a Deo revelatum proponitur, fide divina 
credendum est, et pertinaciter obnitens incurrit haeresim. Caetera vera ab eodem 
magisterio definita, non divina, sed ecclesiastica fide videntur esse credenda 
»[30].
  
Le point clé, qui implique l’obéissance de 
la foi, est le fait que l’on enseigne quelque chose « tamquam a Deo revelatum 
» ; dans le cas de la foi ecclésiastique, en revanche, il est nécessaire, 
encore une fois, que quelque chose soit défini, ce qui renvoie à la 
distinction faite précédemment entre une assistance prudentielle faillible et 
une assistance prudentielle infaillible.
Notes[10] Note méthodologique importante : nous construisons notre argumentation, dans ce deuxième chapitre, selon le schéma classique de la Summa Theologiae, dont la clarté logique et explicative est inégalée. Nous présentons les videtur quod, c’est-à-dire les possibles objections à la thèse (abrégées par le sigle « ob. » suivi du numéro correspondant), qui seront résolues à la fin (sigle « ad. » suivie du numéro correspondant). Entre ces deux moments, nous développerons le corpus de l’argumentation.[11] SAINT IGNACE DE LOYOLA, Exercices spirituels, § 365.[12] Pius PP. XII, Humani generis, 12 août 1950[13] Je me souviens que l’un de mes amis, bien connu en Italie pour ses positions conservatrices, me répondit un jour, face aux preuves d’oppositions évidentes entre les positions de Jean-Paul II et celles de ses prédécesseurs : « J’adopte, par rapport aux encycliques de Jean-Paul II, le comportement que Dei Filius recommande face à d’apparentes oppositions entre la foi et la raison : puisqu’il ne peut pas y avoir d’opposition, je considère que l’opposition n’est qu’apparente, même si pour l’instant on n’arrive pas à le démontrer ».[14] Concile Vatican I, Pastor Aetemus, 18 juillet 1870.[15] LABOURDETTE, Revue Thomiste, 1950, p. 38.[16] Dict. de Théologie Catholique, article Infaillibilité du pape, VII, col. 1705.[17] L. MÉROZ, L’obéissance dans l’Église. Aveugle ou clairvoyante?, Genève, Claude Martingay, p. 39. À noter que l’auteur fait cette affirmation pour la réfuter par la suite, car il ne partage pas ce point de vue.[18] Concile Vatican I, Pastor Aeternus, 18 juillet 1870. SALAVERRI affirme que le Concile Vatican I, bien qu’implicitement, a défini que « le Magistère est traditionnel, c’est-à-dire institué non pas pour enseigner des vérités nouvelles, mais pour garder, défendre et annoncer le dépôt de vérité reçu » (I. Salaverri, Sacrae Theologiae Summa, t.1, III, § 512).[19] Le terme « canonique », en référence au Magistère, n’est pas habituel en théologie. Le cardinal Journet l’emploie pour indiquer que, dans ce cas, l’Église utilise son pouvoir canonique pour enseigner ou condamner quelque chose qui, bien que non contenu dans la Révélation divine, en conditionne toutefois la sauvegarde et la promulgation.[20] L. BILLOT, De Ecclesia Christi, I, th. XVII.[21] B. BARTMANN, Manuel de Théologie Dogmatique, II, § 141.[22] L. BILLOT, De Ecclesia Christi, cit.[23] Ibidem, p. 446.[24] Ibidem, p. 454.[25] Ibidem, p. 456.[26] Ibidem.[27] Ibidem, p. 454.[28] I. SALAVERRI, Sacrae Theologiae Summa, cit, III, § 675.[29] Cf. Saint Thomas d’Aquin, Summa theologiae, II, II, q. XXXIII, a. 4, et aussi Super Epistolam ad Galatas, lect. II.[30] L. BILLOT, De Ecclesia Christi, cit., th. XVIII.
CHAPITRE TROISIÈME : LE CONCILE VATICAN 
II EN QUESTION
  
Après avoir clarifié les principes que la réflexion 
théologique séculaire nous livre, il nous reste à voir de quelle façon ces 
principes sont applicables au problème en question, à savoir le Concile 
Vatican II.
  
Qu’il nous soit permis, avant tout, de mettre 
en évidence un corollaire de l’argumentation précédente. On pourrait se 
demander, en effet, si ce que nous venons d’exposer est également applicable 
à un Concile œcuménique, c’est-à-dire à ce qui est communément considéré 
comme un acte de Magistère extraordinaire.
Nous recourons encore une fois au raisonnement 
du cardinal Journet : « Le pouvoir de régir l’Église universelle réside 
d’abord dans le souverain Pontife, puis dans le collège épiscopal qui lui 
est uni ; et il peut être exercé soit uniquement par le souverain Pontife, 
soit solidairement par le souverain Pontife et le collège épiscopal : le 
pouvoir du souverain Pontife seul et le pouvoir du souverain Pontife uni au collège 
apostolique constituant non pas deux pouvoirs adéquatement distincts, mais un 
seul pouvoir suprême considéré d’une part dans la tête de l’Église 
enseignante, où il réside tout entier et comme dans sa source, d’autre part 
à la fois dans la tête et dans le corps de l’Église enseignante… »[31].
  
La conséquence de cette vérité est que les décisions 
d’un Concile « ne sont péremptoires que lorsqu’elles sont prononcées en 
collaboration actuelle avec le souverain Pontife, ou ratifiées ultérieurement 
par lui »[32].
  
La distinction entre l’enseignement donné par 
le Pape seorsim ou simul cum Episcopis[33] concerne donc la modalité 
d’exercice du Magistère (le Chef seul ou le Chef et le corps enseignant tout 
entier), et non son essence.
  
Le degré avec lequel le Magistère s’exprime 
dépend donc encore une fois de la volonté, de l’intention du Pape et des Évêques 
unis à lui. Il n’y a pas de coïncidence définitive entre Magistère 
extraordinaire (dans le cas présent par l’indiction d’un Concile) et Magistère 
infaillible.
  
Les deux caractéristiques, en effet (caractère 
extraordinaire et infaillibilité), se placent à deux niveaux qualitativement 
différents. Alors que le caractère ordinaire ou extraordinaire se réfère à 
la modalité d’expression du Magistère, l’infaillibilité concerne 
l’autorité que l’Église entend engager dans un enseignement déterminé. 
On imagine en général que plus le niveau hiérarchique exprimant un 
enseignement est élevé, plus l’autorité de l’Église est engagée; par 
conséquent, l’enseignement du Pape ou celui d’un Concile œcuménique 
comporteraient automatiquement la plénitude d’autorité (infaillibilité) de 
l’Église. Mais il n’en est pas ainsi, car la modalité avec laquelle le 
Magistère s’exprime est un élément important mais non décisif.
  
Pour que l’on ait un enseignement infaillible, 
il est certainement nécessaire que ce soit le souverain Pontife qui enseigne 
(seul ou au travers d’un Concile); mais cette condition n’est pas 
suffisante. Il y a en effet deux autres éléments qui conditionnent l’autorité 
d’un enseignement : l’intention et la matière traitée.
  
Nous proposons donc la distinction suivante :
1. quant à la modalité, on peut avoir un 
Magistère soit ordinaire, soit extraordinaire. Ce dernier peut s’exprimer à 
travers le caractère extraordinaire du Pape (ex cathedra) ou à travers un 
caractère extraordinaire collégial (Concile œcuménique).
2.  quant à l’autorité engagée, un 
enseignement peut jouir d’une infaillibilité absolue, prudentielle 
infaillible ou prudentielle faillible, comme nous l’avons vu au deuxième 
chapitre, suivant l’intention manifestée et la matière enseignée.
  
Il est clair, à présent, que le problème 
central réside dans ces deux éléments : l’intention et la matière.
3.1. L’intention
Lorsqu’on s’interroge sur la valeur d’un 
document, il faut vérifier quelle intention ont eue le Pape ou le Concile dans 
l’acte d’enseigner, intention qui peut se manifester soit par des formules 
très claires (« Nous définissons », « nous déclarons »…), soit sans 
elles[34].
  
Le fait que cette intention soit un élément 
fondamental et déterminant la valeur d’un document a toujours été 
implicitement admis, et même explicitement enseigné. Nous avons déjà vu que 
les textes théologiques à l’appui de l’adhésion à l’enseignement du 
Pape, même quand celui-ci s’exprime de façon ordinaire, renvoient à la 
question de son intention.
  
Quel est le fondement de cette vérité? 
Pourquoi la référence insistante à l’intention d’un enseignement?
  
La réponse à ces questions est d’une 
importance cruciale pour qui veut s’orienter dans la crise actuelle. En effet, 
s’il est vrai que l’Église a dû faire face à des périodes plus ou moins 
longues de crise, il n’en est pas moins vrai que la période que nous vivons a 
une particulière gravité. Dans la réflexion des plus grands théologiens 
catholiques ne se trouve mentionné nulle part le cas ou, pendant un demi-siècle, 
le Pape ou un Concile véhiculent des erreurs. D’où l’importance de partir 
de prémisses bien fondées.
  
Le point central à saisir est qu’un 
enseignement du Pape ou d’un Concile n’entraîne pas ipso facto une obéissance 
inconditionnelle : celle-ci dépend et est proportionnée à l’intention avec 
laquelle le Magistère entend engager son autorité. Voyons maintenant comment 
le démontrer.  Pour construire notre argumentaire, nous partirons de 
certains textes de la réflexion théologique de saint Thomas d’Aquin.
L’action providentielle « respecte » l’ordre créé
Tout d’abord, « intelligendum est Deum 
operari in rebus, quod tamen ipsae res propriam habeant operationem »[35]. La 
causalité universelle de Dieu est telle que non seulement elle ne supprime pas, 
mais elle soutient la causalité propre des créatures. Par exemple, il est 
certain que c’est Dieu qui nous donne le soleil ou la pluie, mais cela 
n’invalide pas la sphère de la causalité physique, connaissable par la 
raison humaine.
  
Le même raisonnement doit être fait sur cette 
causalité particulière qu’est la liberté humaine. Dans ce cas aussi, non 
seulement Dieu ne sacrifie pas, mais il se configure comme nécessaire et source 
de la liberté de l’homme. En effet, seule la toute-puissance peut donner sans 
rien perdre de sa puissance, elle seule peut communiquer sous forme de don pur, 
et donc sans rester dépendante du don qu’elle fait. L’incompatibilité 
apparente entre toute-puissance et liberté dans la philosophie moderne est due 
au fait que Dieu n’est plus considéré comme Dieu, mais comme réalité 
immanente au monde.
  
Donc, pour saint Thomas, la totalité causative 
de la Cause première n’est pas un facteur inhibant mais constitutif de la 
causalité des causes secondes. En d’autres termes : Dieu fait en sorte que 
nous puissions être réellement la cause de nos choix précisément dans la 
mesure où notre être dépend de Lui. Par conséquent, si nous ne dépendions 
pas de Lui, qui est le Tout-Puissant, nous ne pourrions pas être libres, car 
c’est le propre de la toute-puissance – et seulement d’elle – de rendre 
libres.
  
Ce qu’il faut retenir, dans la profonde réflexion 
de saint Thomas, c’est que la causalité universelle de Dieu (cause première), 
tant dans l’ordre naturel que dans l’ordre surnaturel, ne mortifie pas mais 
fonde la causalité créée (cause seconde), et en conserve les particularités 
: « ex causis necessariis per motionem divinam sequuntur effectus ex 
necessitate ; ex causis autem contingentibus sequuntur effectus contingentes »[36].
  
Or, l’être humain est un être libre, caractérisé 
par deux facultés essentielles, l’intelligence et la volonté, qui lui 
permettent d’accomplir des actes humains, c’est-à-dire des actes dans 
lesquels il n’est pas simplement cause, mais cause libre. Les actes humains se 
différencient des actes de l’homme en ceci que ces derniers sont accomplis 
par l’homme, mais non librement. Dans l’acte humain, en revanche, on dit que 
l’homme est sui actus dominus.
  
Un texte de la Summa contra Gentiles montre que 
les actes humains ne sont aucunement mortifiés par l’action divine : « Finis 
autem ultimus cujuslibet creaturae est ut consequatur divinam similitudinem… 
Agens autem voluntarium assequitur divinam similitudinem in hoc quo libere agit; 
ostensum est enim (1.1, c. LXXXVIII) liberum arbitrium in Deo esse. Non igitur 
per providentiam subtrahitur voluntatis libertas »[37].
Voilà donc le point central : l’action 
providentielle « respecte » l’ordre créé, et donc ne soustrait pas à la 
liberté humaine ce qu’elle a établi comme devant être laissé au 
libre-arbitre humain.
  
Or, l’acte humain est toujours caractérisé 
par trois composantes : l’objet qui spécifie l’acte, l’intention de celui 
qui agit; les circonstances dans lesquelles il agit. De ces trois éléments, 
celui qui constitue l’aspect formel, c’est l’intention, c’est donc l’élément 
fondamental pour juger de la moralité d’un acte, puisque c’est 
l’intention qui indique la tension vers la fin (motus voluntatis in finem)[38].
  
De tout cela, il ressort clairement que là où 
il n’y a pas d’intention, il n’existe pas à proprement parler d’acte 
humain.
Application du principe: l »‘action providentielle «respecte» l’ordre créé », au domaine théologique
En appliquant ces considérations au domaine théologique, 
on peut en tirer de fécondes réflexions.
  
Prenons, par exemple, le cas de l’inspiration 
de la Sainte Écriture. On sait que ce qui distingue particulièrement la 
perspective catholique de la perspective islamique, c’est le fait que 
l’inspiration divine ne se substitue en aucune façon aux facultés des écrivains 
sacrés, ce qui serait le cas si l’on considérait l’inspiration comme une 
sorte de dictée. Au contraire, l’intervention divine présuppose et utilise 
les capacités humaines des hagiographies. Nous retrouvons ici le principe 
thomiste selon lequel la cause première (l’inspiration divine) conserve 
toutes les caractéristiques propres à la cause seconde (l’auteur humain), si 
bien que ce dernier est, dans son propre ordre, vraie cause. Les écrivains sacrés 
ont donc agi par intelligence et par volonté ; leurs actes n’ont pas été « 
remplacés » par l’intervention divine, mais élevés par elle.
  
Pensons maintenant à l’action sacramentelle. 
L’Église enseigne que le ministre du sacrement doit avoir l’intention, même 
si non actuelle, de faire ce que fait l’Église, c’est-à-dire d’ordonner 
son action à la fin pour laquelle Dieu l’a instituée. Sans cette intention, 
le sacrement est invalide. Nous retrouvons clairement le principe thomiste déjà 
énoncé : dans l’action sacramentelle aussi, Dieu ne demande pas un acte mécanique, 
mais un acte humain, caractérisé par l’intention.
  
Si ce principe est valable pour le munus 
sanctificandi, on ne comprend pas pourquoi il ne devrait plus être valable pour 
le munus docendi.
  
L’enseignement de la foi est fait par des 
ministres ordonnés à cette fin. Or, ces ministres sont des êtres humains, et 
ils gardent leurs caractéristiques humaines. Si le Pape ou un Concile, dans 
l’acte d’enseigner, n’ont pas l’intention d’enseigner quelque chose 
comme étant révélé par Jésus-Christ, comme toujours enseigné par l’Église, 
ou qu’ils n’entendent pas user de la plénitude de leur autorité (infallibilis 
securitas), on ne voit pas pourquoi l’assistance divine devrait se substituer 
à la médiation humaine, voulue par Dieu comme humaine.
  
Par conséquent, c’est uniquement dans le cas 
où le Pontife entend exercer la plénitude du Magistère que lui est garantie 
cette infaillibilité active et passive in docendo, qui lui permet non seulement 
d’être guidé dans la définition d’une vérité, mais aussi d’être 
corrigé et arrêté in extremis s’il se dirigeait vers l’enseignement 
d’une hérésie.
  
C’est le principe thomiste bien connu : gratia 
non tollit naturam, sed perficit. Dans son assistance à l’Église, Dieu ne se 
substitue pas aux médiations, mais les suppose dans l’intégrité de leurs 
facultés et les élève au-dessus des simples possibilités humaines. Ces médiations, 
en tant que libres, doivent toutefois vouloir collaborer avec la grâce divine, 
en prédisposant tout ce qui leur est propre pour pouvoir recevoir la plénitude 
de l’assistance divine.
3.2. La matière
Le deuxième aspect déterminant est ce qui est 
enseigné : la matière.
  
Dans une étude présentée au Congrès de Si Si 
No No de 2004, le professeur Pasqualucci a analysé le texte du second Concile 
de Nicée (787), qui invalida le conciliabule de Constantinople de 753, créé 
ad hoc pour approuver les thèses iconoclastes.
  
Dans ce texte sont formulées expressément les 
conditions requises pour la validité d’un Concile, parmi lesquelles figure la 
« profession d’une doctrine cohérente avec les précédents conciles »[39]. 
Face à un concile (celui de Constantinople) qui avait contredit les 
enseignements des Conciles précédents, la position des pères réunis à Nicée 
fut nette : « Comment un concile, qui ne concorde pas avec les six conciles 
saints et œcuméniques qui l’ont précédé, pourrait-il être le septième? 
»[40]. Il est intéressant de remarquer la logique de ce passage : un Concile 
est orthodoxe parce que son contenu est orthodoxe, et non l’inverse.
  
L’orthodoxie de la doctrine, sa conformité à 
l’enseignement constant de l’Église, est donc la condition sine qua non de 
validité d’un Concile[41].
  
Ce principe, qui renvoie à ce que nous 
affirmions au sujet du rapport autorité-vérité, manifeste de façon limpide 
la mens catholica : l’autorité est au service de la vérité; elle est un 
moyen pour que la vérité soit communiquée. L’autorité, autrement dit, ne 
crée pas la vérité, elle la reconnaît, la garde et l’enseigne.
  
Le sophisme sous-jacent à tant de conceptions 
erronées de l’autorité peut être énoncé de la façon suivante : une chose 
est vraie, elle est légitime, parce qu’elle est enseignée ou posée par 
l’autorité. La perspective catholique, au contraire, de même que celle de 
toute saine philosophie, affirme : puisqu’une chose est vraie et légitime, 
elle est enseignée et posée par l’autorité.
  
Ce ne sont pas des détails sans importance : le 
rapport essentiel se trouve inversé, car la raison d’être de l’autorité, 
c’est sa fonction instrumentale par rapport à un ordre objectif préexistant. 
Il est bon de le redire : l’autorité légitime est le moyen, et non la fin. 
C’est pour cette raison que la théologie affirme que le Magistère est la 
norme proche de la foi; que signifie « norme proche », en effet, s’il n’y 
a pas une norme éloignée à laquelle elle doit elle-même se conformer?
3.3 Contenu et intention du Concile Vatican II
Dans le cas du Concile Vatican II, il est 
possible d’effectuer le « parcours » suivant : à partir de la constatation 
objective de propositions erronées dans les textes, on peut remonter au vice de 
l’intention même du Concile. La difformité du contenu par rapport au Magistère 
infaillible (absolute ou prudentialiter) est la ratio cognoscendi de la 
difformité de l’intention.
  
Il a déjà été beaucoup dit et écrit sur ces 
deux aspects. Nous renvoyons donc aux études correspondantes, qui mettent bien 
en lumière tant les aspects problématiques des textes conciliaires que 
l’anomalie des intentions déclarées des papes du Concile dans leurs discours 
avant, pendant et après le Concile.
  
Il ne nous reste ici qu’à rappeler ce que ces 
études ont démontré, avec abondance de documentation :
1. Le Concile Vatican II n’a pas une intention 
conforme à celle de l’Église.
  
En effet, il n’a pas été convoqué pour défendre 
et développer le depositum ni condamner les erreurs modernes, mais pour 
d’autres finalités, étrangères à la nature de l’Église. Voici les 
intentions de Jean XXIII ;
2. L’aggiornamento : « Le but de ce Concile 
n’est pas la discussion de tel ou tel thème de la doctrine fondamentale de 
l’Église », mais d’étudier et exposer la doctrine « à travers les 
formes de l’étude et de la formulation littéraire de la pensée 
contemporaine»[42].
  
3. L’œcuménisme terrestre de la non 
conversion : « Voilà ce que propose le IIe Concile Œcuménique du Vatican, 
[qui]… prépare en quelque sorte et aplanit la voie menant à l’unité du 
genre humain, fondement nécessaire pour faire que la cité terrestre soit à 
l’image de la cité céleste »[43].
  
4. La non condamnation des erreurs : « L’Épouse 
du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de 
brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, 
elle répond mieux aux besoins de notre époque en mettant davantage en valeur 
les richesses de sa doctrine »[44].
  
L’exposé de Paul VI est encore plus clair :
5.  L’autoconscience de l’Église : « 
L’heure est venue. Nous semble-t-il, où la vérité concernant l’Église du 
Christ doit de plus en plus être explorée, ordonnée et exprimée, non pas 
peut-être en ces formules solennelles qu’on nomme définitions dogmatiques, 
mais en des déclarations par lesquelles l’Église se dit à elle-même, dans 
un enseignement plus explicite et autorisé, ce qu’elle pense d’elle-même 
»[45].
  
6. L’intention œcuménique : « La 
convocation du Concile… tend à une œcuménicité qui voudrait être totale, 
universelle »[46].
  
7. Dialogue avec le monde contemporain : « Que 
le monde le sache : l’Église le regarde avec une profonde compréhension, 
avec une admiration vraie, sincèrement disposée non à le subjuguer, mais à 
le servir; non à le déprécier, mais à accroître sa dignité ; non à le 
condamner, mais à le soutenir et à le sauver »[47].
  
Toutes ces intentions déclarées ne peuvent en 
aucune façon engager la plénitude d’autorité de l’Église, qui a reçu 
une tout autre mission du Seigneur Jésus-Christ. C’est pourquoi, face aux 
textes conciliaires, il faut suivre les indications du secrétariat général du 
Concile lui-même (16 novembre 1964) : « Étant donné la coutume des conciles 
et le but pastoral du Concile actuel, celui-ci définit que ne doivent être 
considérés comme étant de l’Église, que les points concernant la foi et la 
morale, par lui clairement déclarés comme tels. En ce qui concerne les autres 
points proposés par le Concile, en tant que ceux-ci sont un enseignement du 
Magistère suprême de l’Église, tous les fidèles doivent les recevoir et 
les comprendre selon l’esprit du Concile lui-même, comme il résulte tant de 
la matière traitée que de la manière par laquelle il s’exprime, selon les règles 
de l’interprétation théologique ».
  
Il ressort de tout cela que le Concile Vatican 
II doit être considéré comme assisté prudentiellement par le Saint-Esprit, 
mais non selon l’infaillibilis securitas ; et ce parce que le Concile n’a 
pas l’intention de définir quoi que ce soit, ni par rapport à la Révélation, 
ni par rapport à des conclusions théologiques. Par ailleurs, il n’y a pas la 
moindre certitude « de la vérité intrinsèque, spéculative »[48] de chacun 
des enseignements du Concile.
  
En effet, et c’est le deuxième aspect :
8. Certains enseignements du Concile Vatican II 
ne sont pas conformes au Magistère infaillible de l’Église; ils se situent même 
souvent sur une ligne opposée au Magistère précédent. C’est le cas, par 
exemple, de renseignement sur la liberté religieuse, sur le rapport Église-État, 
sur l’œcuménisme.
Notes[31] C. JOURNET, L’Église du Verbe Incarné, cit., p. 531.[32] Ibidem, p. 536.[33] Nous laissons de côté la question amplement débattue par les théologiens, à savoir s’il y a un ou deux sujets de l’infaillibilité : « La question débattue est la suivante : le Collège des évêques avec le Pape et subordonné au Pape d’une part, et d’autre part le Pape comme personne publique, sont-ils deux sujets immédiats de l’infaillibilité non distincts, ou le sujet immédiat de toute l’infaillibilité de l’Église est-il le seul Pontife Romain, par lequel l’infaillibilité est communiquée au corps épiscopal, comme de la tête aux membres? (I. SALAVERRI, Sacrae Theologiae Summa, cit., t.I, tr. III, I.II, § 637).[34] Cf. Ibidem, p. 578 : « Le « sens » d’un acte pontifical, son intention de dirimer définitivement une question, peut apparaître avec évidence, indépendamment de toutes les formules conventionnelle ».[35] Summa Theologiae, I, q. CV a. 5 : « il faut comprendre que Dieu agit dans les choses de telle sorte que celles-ci gardent leur opération propre ».[36] Summa Theologiae, I-II, q. X, a. 4 : « [La divine Providence] meut tous les êtres selon leur condition, de telle sorte que, sous la motion divine, des causes nécessaires produisent leurs effets de façon nécessaire, et des causes contingentes produisent leurs effets de façon contingente ».[37] Summa contra Gentiles, I, c. LXXII : « La fin dernière de toute créature est d’atteindre la ressemblance divine… Celui qui agit de façon volontaire atteint la ressemblance divine précisément dans le fait d’agir librement; on a vu en effet (l. I, c. LXXXVIII) que Dieu a un libre-arbitre. Par conséquent, le libre-arbitre n’est pas soustrait par la Providence ».[38] Pour une analyse détaillée de l’intentio, cf. Summa Theologiae, I-II, q. XII.[39] G. ALBERIGO, Introduction à Décisions des conciles œcuméniques, Turin, UTET, 1978, p. 34.[40] Cit. in V. PERI : Les Conciles et les Églises. Recherche historique sur la tradition d’universalité des synodes œcuméniques, Rome 1965, pp. 24-25.[41] Pour un approfondissement de cette question, nous renvoyons à la conférence du professeur Pasqualucci publiée dans Penser Vatican II quarante ans après. Actes du VIe Congrès Théologique de Si Si No No. Rome- Janvier 2004. Courrier de Rome, 2004, pp. 75-128.[42] Ioannes XXIII PP., Discours d’ouverture de la première session, 11 octobre 1962, in Les documents du Concile Œcuménique Vatican II, Padoue, Gregoriana Editrice, 1967, pp. 1078-1079.[43] Ibidem,p. 1082.[44] Ibidem,p. 1084.[45] PAULUS VI PP., Discours d’ouverture de la deuxième session, 29 septembre 1963, in Les documents du Concile Œcuménique Vatican II, cit., p. 1095.[46] Ibidem,p. 1098.[47] Ibidem,p. 1100.[48] C. JOURNET, L’Église du Verbe Incarné, cit., p. 456.
CONCLUSION
  
Reprenons point par point la thèse que nous 
avons présentée au début de cette étude.
Valeur des documents
Nous avons tout d’abord affirmé que le 
Concile Vatican II, quant à la valeur des documents, peut être mis en 
discussion, et ce en conséquence des considérations faites sur l’intention 
du Concile lui-même. Contrairement à l’affirmation de Mgr Marchetto, le 
Concile n’a pas eu l’intention d’engager la plénitude de l’autorité 
magistérielle, ou du moins il ne l’a pas fait sur les points les plus 
controversés.
  
Les positions sur la liberté religieuse, par 
exemple, ou encore sur l’œcuménisme, sont présentées par le Concile comme 
des « vérités » adaptées au contexte culturel d’aujourd’hui. Par conséquent 
elles ne concernent pas, comme le disait le cardinal Journet, « ce qu’il 
convient ou non d’enseigner et de croire, si l’on veut préserver 
l’intelligence des fidèles des dangers qui menacent leur foi », mais plutôt 
ce qu’il convient de penser pour mieux dialoguer avec le monde contemporain; 
domaine qui n’engage pas la plénitude de l’autorité magistérielle.
  
Mgr Marchetto présuppose donc une plénitude 
d’autorité qui n’existe pas. Il a certainement le mérite de s’être 
opposé au monopole du prof. Alberigo et de l’institut de Bologne, mais sa « 
solution », en réalité, ne résout rien, parce qu’elle refuse a priori une 
analyse des contenus problématiques des documents conciliaires.
Contenu des documents
Ensuite, quant au contenu des documents, le 
Concile doit être mis en discussion.
  
Si en effet l’absence d’intention 
d’engager la plénitude de l’autorité magistérielle laisse la possibilité 
de l’erreur, la constatation des erreurs présentes dans les textes constitue, 
on l’a vu, un motif suffisant pour mettre en discussion les parties problématiques 
du Concile.
  
Il n’est pas possible d’invoquer une lecture 
du Concile selon la Tradition si, par ailleurs, on constate la présence d’éléments 
qui semblent contraires à cette Tradition.
  
Très probablement, le problème est de savoir 
en quoi consiste cette Tradition, c’est-à-dire de savoir si elle est considérée 
comme depositum transmis et développé, ou si elle est comprise suivant 
l’acception progressiste, qui la lie au changement, même in « essentialibus 
».
  
Face à des affirmations conciliaires qui ont 
constitué matière à des condamnations répétées par le passé, s’applique 
le principe : contra facta non valet argumentum.
Conditions actuelles
Enfin, quant aux conditions actuelles, les 
points problématiques du Concile doivent être mis au moins entre parenthèses. 
Cette considération pratique peut sembler surprenante; en réalité, elle nous 
semble la plus adaptée au moment que nous sommes en train de vivre.
  
L’urgence d’un retour à la saine doctrine 
n’est plus à démontrer. Cette urgence, même Rome la reconnaît, face à 
l’impressionnant processus de déchristianisation d’un côté, et 
d’affaiblissement du catholicisme de l’autre, qui se déroule sous nos yeux. 
Mais le plus souvent, on court le risque de s’enliser sur la question de 
Vatican II. On fait de ce Concile ce qu’il n’est pas, à savoir le fondement 
ultime de la fidélité à l’Église catholique, tant pour ceux – et ce sont 
les plus nombreux – qui le défendent que pour ceux qui le critiquent. Voilà 
la position qui risque le plus de paralyser l’action apostolique et de 
gaspiller de l’énergie.
  
Il est nécessaire, avant tout, de reconnaître 
que ce Concile ne peut pas être considéré de la même manière que les 
Conciles œcuméniques qui l’ont précédé, lesquels ont défini des dogmes, 
condamné des hérésies, invoqué la plénitude de leur autorité pour 
confirmer dans la foi le peuple chrétien en le protégeant des dangers.
  
En second lieu, il faut avoir le courage de 
reconnaître l’échec du Concile. Ce qui – aux dires de tous – devait 
avoir une finalité essentiellement pastorale a généré une grande confusion 
et un grand égarement. Dans les textes conciliaires, hélas, trouvent « refuge 
» toutes les positions, des plus progressistes aux plus conservatrices à cause 
de l’ambiguïté remarquable des textes; une ambiguïté qui est encore hélas 
volontairement conservée.
  
Prenons, à titre d’exemple, le cas du célèbre 
subsistit in de la constitution Lumen Gentium : si le but du Concile était 
d’exposer la foi dans un langage plus adapté à notre époque, et donc plus 
compréhensible par tous, pourquoi utiliser une telle terminologie? Pourquoi 
recourir à une expression d’un usage peu courant, sinon pour pouvoir ouvrir 
la voie à différentes interprétations (non orthodoxes) de ce texte dans la 
phase de l’après-Concile? Qu’est-ce qui empêchait de dire plus clairement 
: « l’Église du Christ est l’Église catholique », étant donné 
l’appel répété à lire le Concile à la lumière de la Tradition? Ainsi, ce 
texte peut être interprété tantôt dans un sens traditionnel, tantôt dans un 
sens progressiste, offrant une prise aux uns et aux autres, et devenant une 
occasion de confusion et de dérives.
  
Il y a ensuite d’autres passages, qui ne 
peuvent pas être lus, comme ils sont, à la lumière de la Tradition, car ils 
constituent une nouveauté absolue, qui entre en conflit avec l’enseignement 
constant des Papes précédents. Les textes consacrés à la liberté 
religieuse, par exemple, sont en contradiction avec l’enseignement pontifical 
depuis Grégoire XVI.
  
Le Concile a démontré, et continue de démontrer, 
qu’il n’est pas un point de repère sûr tel à offrir une garantie de la 
totalité des bases de la foi. Ses documents cachent ça et là des erreurs et 
des équivoques, d’autant plus insidieuses qu’elles apparaissent fugacement 
au sein de textes en général orthodoxes.
  
Pour le bien de l’Église, il est urgent de 
revenir aux sources sûres de la doctrine, aux enseignements garantis par le 
sceau du Magistère infaillible, surtout là où il s’est prononcé sur les 
erreurs de notre temps.
Si Si No No
