15 octobre 2002

[Abbé Guelfucci, fsspx - Le Mascaret] "Les saints et nous"

SOURCE - Abbé Guelfucci, fsspx - Le Mascaret (bulletin de la chapelle de Bordeaux) - octobre 2002

Pour commencer cette série des saints canonisés ces dernières décennies, nous devions parler de saint Maximilien Kolbe. Mais voici que saint Eloi revendique son droit d'aînesse, et c'est bien volontiers que nous lui laissons la première place. Parler de la canonisation de saint Eloi va d'ailleurs nous permettre de préciser les sages coutumes de l'Eglise.

En effet, à l'origine, la « canonisation » est de fait la vénération du peuple chrétien, le culte public rendu à un fidèle trépassé : c'est la manifestation de l'odeur de sainteté et l'appel à suivre l'exemple de ses vertus. Le premier culte fut celui rendu aux saints martyrs. Le peuple recueillait les reliques de ces victimes de la persécution, édifiait des autels sur leurs tombes et les prêtres y célébraient les saints mystères. Les premiers exemples remontent au 2ème siècle et la pratique est universelle au 3ème siècle. Cependant ce culte dut rapidement être authentifié par l'évêque, et ainsi on distingue les martyrs reconnus de ceux qui ne le sont pas.

C'est seulement après le 4ème siècle que la canonisation s'étend à ceux qui, bien que n'ayant pas eu l'occasion de verser leur sang pour la foi, s'étaient illustrés par des vertus éminentes. La discipline reste inchangée : c'est aux évêques qu'il incombe de reconnaître la sainteté et, surtout à la fin du 11ème siècle, les papes réclament pour plus de sûreté que l'examen des vertus et des miracles se fasse dans le cadre d'un concile, de préférence concile général. Et cela reste d'ailleurs de simples béatifications restreintes par définition à certains lieux, le pouvoir d'un évêque ne dépassant pas les bornes de son diocèse. Le culte ne s'élevait à la dignité d'une canonisation que lorsque passant de diocèse en diocèse il s'étendait à l'Eglise universelle, avec l'assentiment exprès ou tacite du Souverain Pontife.

Nous voici donc dans le cas de saint Eloi (588-660) qui fut l'orfèvre que l'on connaît, puis trésorier de Clotaire II après avoir gagné sa confiance en faisant deux trônes de l'or que lui avait confié le roi. Il continua toutefois à exercer son art en réalisant de belles châsses pour les reliques de saint Martin, saint Denis, saint Quentin, sainte Geneviève, sainte Colombe…Il distribuait tous ses biens aux pauvres n'épargnant pas même ses vêtements, dotait des monastères et vivait tel un moine. Il servit également avec fidélité Dagobert Ier. A la cour il côtoyait alors saint Ouen, saint Didier et saint Sulpice. De tels hommes attirèrent l'attention des évêques qui résolurent de les élever à l'épiscopat : Eloi à Noyon-Tournai, Ouen à Rouen, tous deux en 640, Didier à Cahors, Sulpice à Bourges. Le roi ne put retenir ses serviteurs d'exception.

Saint Eloi désirait remporter la couronne du martyre en évangélisant Saxons et Suèves, mais sa bonté et son désintéressement les touchèrent. Temples et idoles furent détruits : les nouveaux baptisés devaient fréquenter l'église, donner l'aumône, mettre les esclaves en liberté et fuir les superstitions. Il reçut de Dieu le don spécial de trouver les corps des saints que l'on honorait sans savoir où étaient leurs reliques. C'est ainsi qu'il retrouva les restes de saint Quentin et de saint Lucien à Beauvais. Il prédit sa mort et rendit son âme à Dieu le 1er décembre 659 en récitant le cantique Nunc dimittis… Saint Ouen rapporte que sa mort fut suivie de plusieurs miracles, comme la rupture des chaînes de prisonniers venus vénérer son corps. La reine sainte Bathilde voulut le faire porter en son abbaye de Chelles mais il devint si pesant qu'on ne put le remuer : Dieu le voulait à Noyon où la foule des fidèles pleurait son bienfaiteur. Du drap qui couvrait son tombeau, une certaine liqueur coulait qui guérissait un grand nombre.

La canonisation de saint Eloi est dite équipollente : c'est la sentence que le Souverain Pontife rend pour ratifier le culte qui depuis un temps immémorial est publiquement rendu à un serviteur de Dieu. Il est nécessaire que les vertus héroïques et les miracles de ce serviteur de Dieu, bien que n'ayant pas été juridiquement constatés, aient été rapportés par des récits dignes de foi (témoignages de saint Ouen de Rouen par exemple) et fassent l'objet de la croyance générale du peuple chrétien. Cette sentence est officielle quand le Saint-Siège impose à toute l'Eglise la célébration de la messe et la récitation de l'office en l'honneur de ce saint dans le calendrier universel.

Ainsi, même si notre saint fait simplement partie du propre de France, c'est à dire du calendrier de l'Eglise de France, notre Mère l'Eglise a béni la dévotion portée à cet humble orfèvre devenu évêque et qui, par sa prière, rend une église et une paroisse à la bonne ville de Bordeaux.