SOURCE - Mgr Williamson - Initiative St Marcel - 29 octobre 2016
Certes, nous autres modernes, on est des êtres cassés,
Certes, nous autres modernes, on est des êtres cassés,
Mais d’autant plus pourront briller des couronnes au Ciel.
Tout se disloque. Le centre ne peut tenir. / L’anarchie se déchaîne sur le monde / Comme une mer noircie de sang : partout / On noie les saints élans de l’innocence. / Les meilleurs ne croient plus à rien, les pires / Se gonflent de l’ardeur des passions mauvaises.
Ces vers célèbres du Second Coming (La Seconde Venue) , poème écrit en 1919 suite à la Première Guerre mondiale par le poète anglo-irlandais, W.B.Yeats (1865–1939), viennent à l’esprit pour essayer d’expliquer comment le mouvement de résistance à la trahison en 2012 de la Fraternité St Pie X de Mgr Lefebvre puisse être si fort en vérité et pourtant si faible en unité et nombre. Voilà presque cent ans depuis 1919, et Yeats n’était ni Catholique ni particulièrement concerné par la condition de l’Église catholique, qui de fait semblait fleurir à ce moment-là. Mais les poètes sont parfois des visionnaires, et Yeats a saisi dans ces lignes une vérité essentielle sur la civilisation européenne telle qu’elle sortait de cette Guerre qui « éteignait les lumières dans toute l’Europe », comme l’a dit le comte Grey : les nations européennes se disloquaient spirituellement dans une chute que rien n’a interrompue depuis.
Néanmoins beaucoup des Catholiques qui veulent aujourd’hui que la Foi survive sont désemparés par la faiblesse apparente de tant de prêtres formés en particulier par Mgr. Lefebvre pour résister à la trahison évidente de ses principes par ceux qui lui ont succédé, et ils cherchent une explication. Certains pensent que les prêtres de la FSSPX ne se dressent pas en public contre la fausse conciliation de la Tradition avec Vatican II parce qu’ils ont peur d’être éjectés de la Fraternité sans gîte ni couvert. Mais les prêtres doivent savoir qu’il y a des laïcs qui seraient enchantés de les recevoir. Une explication plus profonde suggérerait que les prêtres ont peur de se couper de cette Fraternité qui leur fournit et leur famille humaine et leur structure ecclésiale. Mais de même, s’ils avaient une foi assez forte ils sauraient que la Providence peut suppléer pour la famille comme pour la structure.
Par contre, si nous remettons la trahison dans le contexte de la double désintégration occasionnée par les deux Guerres mondiales, suivie à leur tour par la troisième désintégration autrement plus terrible de l’Église catholique à Vatican II (1962–1965), alors d’une part nous devons admirer l’exploit héroïque de Mgr. Lefebvre qui a réussi à rassembler tant de fragments dispersés par cette explosion-là sans précédent, mais d’autre part nous ne pouvons guère être surpris si la Fraternité explose à son tour du dedans, ou si les réfugiés de son explosion éprouvent tant de difficulté à se recomposer dehors. Tout s’est disloqué, y compris les esprits et les cœurs. A mon avis il ne survit plus assez d’intégrité et d’intégration dans les cœurs et les esprits pour que nous puissions penser à renouveler l’exploit de Mgr Lefebvre. Le monde est en chute libre de presque un demi-siècle depuis l’année 1970 où il a fondé la Fraternité.
D’où il s’ensuit non pas qu’il n’y a rien à faire, mais qu’il faut concevoir ce qu’il y a à faire moins du point de vue de l’homme et plus dans la perspective de Dieu. A la fin du monde Dieu permettra à la Foi de disparaître (Lc. XVIII, 8), mais il y aura encore quelques âmes pour croire, espérer et aimer. En 2016 il nous donne un avant-goût de cette disparition, mais les âmes devraient être à même de reconnaître qu’elles ne manquent pas encore de liberté pour croire, espérer et aimer. Et pour ce faire, elles devraient être à même de prévoir que même le plus puissant des États policiers ne peut les en empêcher. Par ailleurs, plus on fera peser les circonstances sur cette liberté, et plus sera glorieuse au Ciel la dévotion persévérante de toute âme à Dieu, à son divin Fils et à sa Très Sainte Mère, et plus seront grands les mérites de cette âme. Et surtout plus sera grande sa contribution irrésistible au bien de l’Église. Là, tout est encore loin d’être perdu, et jamais tout ne pourra se perdre. L’Église de Dieu n’est point chose purement humaine.
Kyrie eleison.