4 janvier 2007

[Abbé Barthe - Nouvelles de Chrétienté] Propositions pour une « paix dans l’Eglise »

SOURCE - Abbé Barthe - Nouvelles de Chrétienté - 4 janvier 2007

Mis en ligne par "Nouvelles de Chrétienté" - Texte de M. l’abbé Barthe tiré de son nouveau livre « Propositions pour  une « paix de l’Eglise ». (Ed. Hora Decima) - Ce sont les pages  18 à 22. Là, M l’abbé Barthe explicite sa pensée sur ce sujet important.

« Tout invite donc, dans la perspective d’une volonté de ranimer l’apostolat de l’Eglise, à une union des forces vives des deux aires catholiques que nous venons d’évoquer : les nouvelles générations de prêtres « attachés à la légalité conciliaire » et les prêtres tridentins, ou du moins à l’union d’une partie d’entre eux. Les ébauches de tractations entre le Saint Siège et la Fraternité Saint Pie X et l’intérêt sympathique qu’elles suscitent dans une partie de l’opinion catholique sont très significatives malgré les levées de boucliers des « nostalgiques des années soixante-dix », prêtes et évêques. Et comme le problème est liturgique dans sa saisie immédiate, ce n’est pas une des moindres raisons pour lesquelles une partie de la Curie de Benoît XVI est d’une hostilité toujours plus claire vis-à-vis de la réforme de 1969, non pas en soi, mais telle qu’elle s’est réalisée, les organes de presse ou le publications d’ouvrages qui critiquent la manière de la réforme, et même son contenu, trouvant beaucoup d’écho dans une Italie ecclésiastique, où cette question était restée apparemment secondaire (mais aussi en Allemagne, en Pologne, aux Etats-Unis, en Australie).
 
Aucun mouvement n’est bien sûr, historiquement inéluctable, quand même il parait logiquement inévitable. Sans présumer de la forme des décisions romaines à venir, la libéralisation plus ou moins grande de la célébration du rite dit de saint Pie V, suivie à plus ou moins longue échéance d’accommodement entre le Saint Siège et la Fraternité Saint Pie X, en même temps que la mise en œuvre des projets d’organisation du monde  saint Pie V débattus à Rome depuis la fin du dernier  pontificat, ne peuvent que produire un ébranlement décisif. Toutes ces mesures devraient avoir un potentiel de légitimation d’autant plus important qu’elles répondront à une « demande » saint Pie V débordant les milieux tridentins, émanant certes de fidèles mais surtout de prêtres qui ont le désir de célébrer au moins occasionnellement selon la forme traditionnelle. Il faut ajouter que le dessein de Benoît XVI d’une « réforme de la réforme », réalisable sous diverses formes possibles, est un projet de soi propice à l’existence d’un modèle « ancien » lui servant de stimulant et d’appui. Enfin la sensibilité du clergé français de moins de quarante-cinq ans est au moins favorable à l’existence d’un espace de vie pour la pratique Saint Pie V, et même souvent une certaine osmose.
 
Double est la forme concrète que pourrait prendre alors la structuration juridique du rite tridentin :
  1. celle que l’on pourrait qualifier d’ « exemption Saint Pie V » (en évoquant l’exemption des religieux, e .i. leur assez grande indépendance par rapport aux évêques ) : elle juxtaposerait, d’une part, le sort particulier de la Fraternité Saint Pie X, dont la « réintégration » nécessite concrètement, dans un  premier temps, un espace juridique très autonome, et d’autre part, une revalorisation du regroupement des diverses communautés tridentines existantes, l’ensemble pouvant être élevé, d’une manière ou d’une autre, à un statut analogue, tout en restant atypique, de rite liturgique particulier ( mais juxtaposant de manière inédite un état plus ancien du rite romain coexistant avec un état postérieur du même rite).
     
  2. Celle de la pastorale de chaque évêque, pouvant créer au cas par cas quand il n’existe pas ou accroître s’il existe déjà un lieu moral ( comme on parle de personnalité morale) pour l’exercice du rite tridentin : mission donnée à des prêtres de communautés ou d’instituts voués à la liturgie traditionnelle, incarnation de prêtres Saint Pie V et/ou députation de prêtres déjà incardinés dans le diocèse et désirant ce type de ministère, érection de paroisse personnelles de rite tridentin, érection éventuelle de communautés religieuses de doit diocésain, d’associations existant ou se constituant sur le territoire. Ce deuxième schéma, s’il représente des deux côtés un plus grand risque  - à savoir une certaine osmose que les uns et les autres peuvent craindre  - est par ailleurs pastoralement prometteur. 
Dans ces premiers temps de cœxistence, sans entrer dans des considérations théologiques de fond, tout le monde comprend que le nœud du problème sera celui de la reconnaissance de l’exclusivité ou de l’exclusivisme du rite traditionnel (répondant d’ailleurs, historiquement, à l’exclusivité ou l’exclusivisme du rite de Paul VI). Le Saint Siège admet déjà – et les évêques français sont présentement sollicités d’accepter – le fait que des prêtres et des fidèles célèbrent et pratiquent exclusivement selon la dernière édition officielle des livres liturgiques tridentins, celle de 1962.
 
Il est clair cependant que cette rupture entre deux aires cultuelles du rite romain – rite romain en sa forme ordinaire, rite romain en sa forme extraordinaire », selon la terminologie qui s’emble s’établir – ne peut être vécue pour les uns comme pour les autres, que comme un pis-aller provisoire. Paradoxalement, pour les évêques de France de la « génération Benoît XVI, génération épiscopale dont l’émergence reste encore largement hypothétique, admettre cette exclusivité serait cependant la prix à payer, de manière pragmatique, pour une pastorale d’ « intégration ». Il s’agirait d’une intégration non du type d’un infamant « retour au bercail » que les traditionalistes seraient censés avoir quitté, mais une intégration de tous les catholiques de bonne volonté sous la forme d’une « fusion en avant ».
 
A ce point du processus, l’union des forces vives du catholicisme pourrait être progressivment favorisée par l’aménagement de ponts de passages ponctuels ou permanents et surtout par l’évolution (transmutation) concrète plus ou moins importante, dans un sens traditionnel, de la réforme de Paul VI ( qui deviendrait progressivement, pourquoi pas ? réforme de Benoît XVI). Certains évêques pourraient dans le même temps confier à des prêtres de rite tridentin et qui resteraient de rite tridentin, des ministères en « milieu Paul VI », paroisses, aumôneries (cela existe déjà pour les aumôneries d’hôpitaux), où il leur serait demandé d’aménager leurs célébrations pour ce types de fidèles par une infusion importantes de français, usage du nouveau calendrier, des nouvelles lectures.
 
Mais en définitive, l’entrée dans ce processus appelle une évolution psychologique, et pour mieux dire spirituelle, des uns et des autres. Celle des prêtres traditionnels devra être pastorale, nécessitant intelligence, souplesse en même temps que ferme détermination pour conserver et développer le rite tridentin et la critique doctrinale qui le sous-tend. Du côté  des prêtres, des fidèles et surtout des responsables romains et épiscopaux qui veulent entrer dans cette perspective, l’évolution à laquelle ils seront invités pourrait être qualifiée de para doctrinale l’équivalent inversé, si l’on veut, du fameux pastoral qui a qualifié Vatican II) : un passage du thème critique de « réforme de la réforme » liturgique, à celui de vérification des novations conciliaires. Ce qui veut dire que, pour l’heure, dans ce moment incertain où les uns et les autres cherchent à assurer leurs pas, il s’agirait d’abord d’admettre la légitimité de la remise en question de certaines intuitions de Vatican II, la légitimité d’une « critique constructrice «  de Vatican II ».