Dom Gérard et les anges
Près de Bédouin, sous le mont Ventoux, une petite route qui grimpe en lacets et une merveille de chapelle romane qui ne figurait même pas sur la carte : c’est là que Dom Gérard avait posé son sac en 1970, d’abord seul, à la grâce de Dieu, laquelle guida vers lui, un par un, une dizaine de jeunes gens qu’il forma lui-même à la vie monastique bénédictine. En ce temps de confusion et de persécution, un îlot de résistance, un maquis…
Je venais de m’installer à une vingtaine de kilomètres de là. Quand l’inspiration me fuyait, je sautais dans ma voiture et je filais à Bédouin. Vers midi, avant l’office de sexte, Dom Gérard réunissait ses moines dans le jardin. Un jour d’automne, à la Saint-Michel, je m’en souviens comme d’hier, il leur a parlé des anges, simplement, de sa voix claire empreinte de joie. J‘écoutais, bouche bée. Entendre parler des anges, sur ce ton, dans ce cadre, parmi des garçons de vingt-cinq ans immobiles et attentifs sous leur capuchon noir, en 1975 ! Exceptionnel ! Inoubliable ! La voix disait : « Les anges sont des messagers, des intercesseurs. Ils font passer un immense courant de grâce. Ils pénètrent mieux l’essence humaine, ils en ressentent mieux la noblesse… Leur hiérarchie est conforme à la gloire de Dieu. Ils sont pleinement présents parmi nous jusqu‘à la fin des temps… » Et les moines, tout en le sachant de toute éternité, étaient si heureux de se l’entendre répéter. Pour ma part, toutes ces années, j’avais bien négligé l’ange gardien de mon enfance. Je me rapelle lui avoir adressé ce jour-là un premier petit salut complice.
Puis la cloche de sexte a sonné. L’un après l’autre, par la porte basse de la chapelle, les moines ont disparu. Dans quel siècle s’engouffraient-ils ainsi ? Le VIe siècle ? Non, le XXIe. Ils nous y précédaient. Ils nous y attendaient. On sait qu’ils y sont maintenant solidement établis dans leur abbaye du Barroux à une portée de prière de Bédouin. Des milliers de fidèles marchent vers eux. Des âmes émergent de l’obscurité.
Jean Raspail