18 mars 2008

[Paix Liturgique] Encore les Scouts d'Europe : Réponse à deux courriers de nos lecteurs

SOURCE - Lettre 90 de Paix Liturgique - 18 mars 2008

"Votre façon de parler des scouts d'Europe est inadmissible et absolument pas chrétienne et tolérante , je suis très choquée ! Je ne vois pas le rapport avec de la désobéissance au Pape et la franchise scoute !"
Recevant, par inadvertance probablement, les courriers électroniques concernant les débats en cours au sein de l'AGSE, je suis surpris de découvrir que la réponse que vous apportez à la "mise en cause" injuste dont vous dites faire l'objet de la part de commissaires généraux de l'AGSE est identique à un courrier électronique diffusé la semaine dernière. Il me semble que vous pouvez difficilement soutenir que vous n'êtes pour rien dans ces débats...
A force d'attaques peu charitables et de jouer sur les mots pour esquiver les responsabilités, vous vous discréditez
Comme vous, nous sommes informés sur ce sujet brûlant par les divers membres de l'AGSE et comme vous, nous avons reçu des courriers électroniques. Tout ceci nous inspire, mais de là à conclure que nous sommes les auteurs du "complot tradi contre l'AGSE", il y a fossé dont le franchissement relève du fantasme. D'ou la publication de ce dossier -réponse

La réponse de Paix liturgique


Est-ce être chrétien et tolérant que de rejeter des personnes en raison de leur attachement à la forme extraordinaire du rit romain ? Est-ce être charitable que de refuser l'application du Motu Proprio ? Soyons sérieux...

Tenez par exemple : est-ce aussi Paix Liturgique qui a écrit la lettre ouverte de Philippe de Saint Germain, qui anime le site Liberté politique ?

http://www.libertepolitique.com/[...]/


Tout y est : la désobéissance à Rome, le problème pédagogique des Scouts d'Europe, le soutien de certains évêques dans cette fronde, le caporalisme ambiant de l'AGSE, la fumeuse théorie du complot "tradi", etc.

En voici quelques extraits :


"le lancement d’une pétition nationale de soutien aux commissaires généraux spéculant sur la mobilisation du loyalisme scout et le réflexe d’attachement légitime au mouvement contre un prétendu complot intégriste, est également regrettable. C’est de la pure dialectique politicienne. On voudrait dresser les gens les uns contre les autres qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Un mouvement scout n’est pas un terrain de jeu démocratique. Dans cet esprit, l’envoi à tous les cadres du mouvement d’une plaquette électorale de dix pages pour vanter les mérites de l’actuelle équipe dirigeante provoque en moi un malaise, quand l’axe directeur du document consiste, sur des accusations indémontrées, à brandir la menace d’une entreprise de déstabilisation. [...]

C’est une grave erreur de considérer la famille traditionaliste comme un bloc homogène, également borné, comploteur, et donc infréquentable… Personne n’a le monopole des brebis galeuses. Cette confusion est bien française, mais dans l’air du temps : le cartésianisme centralisateur des administrations (civiles ou religieuses, d’ailleurs) ainsi que la peur de la différence poussent les organisations à écarter les empêcheurs de plaire. [...]

C’est dire ma tristesse de découvrir que l’œuvre de paix et de réconciliation voulue par le pape ait été reçue par une décision formelle et brutale de fermeture, que le mouvement n’avait jamais pratiquée jusqu’alors. [...] Pourquoi s’enfermer dans un blocage que les circonstances ne justifiaient nullement ? [...] vouloir vivre la communion de l’Église en éliminant arbitrairement les indésirables, cela relève d’une ecclésiologie étrange. Si les Scouts d’Europe se joignaient à ceux qui veulent enfermer une catégorie de chrétiens dans des réserves d’Indiens, j’aurais honte, tout simplement. [...]

On m’oppose que la décision a été adoptée régulièrement, et qu’elle répond à une nécessité pédagogique. C’est bien là le problème. [...] Le caractère unilatéral et obstiné de cette décision a d’autant plus choqué, que depuis, en janvier dernier, une majorité des administrateurs élus par les chefs et cheftaines a refusé sa confiance aux commissaires généraux. Deux raisons pourraient expliquer cette brutalité, qui ne sont pas incompatibles entre elles : 1/ la certitude d’un complot dangereux, justifiant une mesure de salubrité publique ; 2/ la volonté de transformer autoritairement le mouvement à son insu. La thèse du complot intégriste et des menaces que ferait courir au mouvement un camp conservateur tenté par l’isolement ou la guerre avec « la société laïque dans laquelle nous vivons » parcourt la longue lettre aux chefs et cheftaines du 11 février. Il est même explicitement évoqué le risque de rupture avec l’Église de France si le rapport moral présenté à l’AG du 15 mars était rejeté. « Moi ou le chaos ? » Ce n’est guère sérieux. [...] Les administrateurs qui se sont opposés aux commissaires généraux, ne défendaient pas un rite, mais contestaient un mode de gouvernement autoritaire pour imposer des décisions aux motivations peu claires (cf. le site www.appel-scout.fr). [...]

S’il n’y a pas complot, il y a bien deux conceptions de ce que doit être l’AGSE qui s’opposent, à la fois comme mouvement d’éducation, et comme mouvement catholique. Indépendamment de considérations plus stratégiques ou de pressions extérieures (j’y reviendrais), les motivations de chacun répondent à des logiques différentes.

D’un côté, la vie chrétienne est intégrée dans le mouvement comme un élément constitutif de la pédagogie ; de l’autre, c’est la vie scoute, comme méthode pédagogique, qui prend place dans la vie chrétienne de chacun et dans la vie de l’Église. Dans le premier cas, le « sens de Dieu » est considéré comme un des cinq buts du scoutisme, c’est une « dimension » de la pédagogie ; dans l’autre, c’est la pédagogie qui est subordonnée au « tout » de la vie chrétienne.

On voit les conséquences quand il s’agit de mettre en œuvre une instruction romaine (quelle qu’elle soit) : chez les premiers, on mesure la volonté du pape à des impératifs pédagogiques : c’est une contrainte réglementaire ; chez les seconds, la volonté du pape est une condition de la pédagogie : c’est une obligation spirituelle.

La distinction est sans doute forcée, mais les deux approches existent bien. Cela n’a pas les mêmes effets. Ainsi, dans la logique de la première approche (primauté de la pédagogie), on nous explique que « la création d’un nouveau groupe doit se faire autour de la pédagogie scoute et non d’une spécificité liturgique » et que la pratique exclusive de la forme ordinaire du rite relève d’un « choix pédagogique » (Lettre aux parents, 17 novembre). Cette règle a l’apparence du bon sens, mais on voit mal en quoi la pratique de la forme extraordinaire du rite romain, dans la perspective de Benoît XVI, serait pédagogiquement inacceptable dans un mouvement d’éducation catholique où il s’est d’ailleurs toujours pratiqué (même de manière marginale). Quoiqu’il en soit, les considérants de la décision sont seulement pédagogiques. Cette mise à l’écart traduit un renversement de la hiérarchie entre pédagogie et vie chrétienne.

Ce passage en force peut s’expliquer par la volonté d’assurer une mutation du mouvement qui renforcerait son identité sur des critères pédagogiques, et non spirituels. La « méthode scoute classique » serait clairement revendiquée (système des patrouilles, non-mixité, uniforme) comme le critère identifiant de l’AGSE, mais sa « volonté de ne pas entrer en guerre avec la société laïque dans laquelle nous vivons » s’harmoniserait avec un modèle éducatif chrétien qui cloisonnera la vie spirituelle, et prendra délibérément ses distances avec un catholicisme jugé trop décalé. [...]

Le plus étonnant, c’est que cette orientation est soutenue par des évêques du Conseil pour la pastorale des enfants et des jeunes, qui n’hésitent pas à prendre parti, au risque de consacrer une division regrettable en elle-même. S’il s’agit d’un conflit interne d’ordre temporel, l’inopportunité est manifeste ; s’il s’agit d’un enjeu d’ordre spirituel, on est obligé de considérer l’affaire sous l’angle canonique, dans toute sa complexité, et d’admettre qu’il y a aussi un désaccord entre des évêques et le Saint-Siège, alors que le cardinal Hoyos, président de la commission chargée de veiller à l’observance et à l’application du motu proprio (art. 12) a demandé formellement et directement aux dirigeants de l’AGSE de « reconsidérer » leur position.

Les réticences de plusieurs évêques français à l’application du motu proprio sont connues. Des évêques assument même leur opposition du document droit dans les yeux, pour des raisons historiques qui rejoignent les confusions observées dans l’analyse de certains sur le monde traditionaliste. Mais tout comme l’actuelle division des Scouts d’Europe ne tourne pas fondamentalement autour d’une question de rite, de même le soutien apporté par ces quelques évêques aux commissaires généraux va au-delà de la question du motu proprio et procède d’une volonté de repenser les relations entre le mouvement et la hiérarchie épiscopale. [...]

La culture assez peu cléricale qui s’est forgée dans les nouveaux mouvements depuis Vatican II, avec les conséquences sur le profil des jeunes prêtres issus des Scouts d’Europe, s’intègre mal avec la tendance au dirigisme du clergé français. Il est donc aisé de prévoir que la perspective fantasmatique de voir les Scouts d’Europe servir de terrain de chasse à des prêtres hors contrôle (par exemple à des abbés de la Fraternité Saint-Pierre) en fait trembler plus d’un. [...]

Cette orientation risque de nuire à tous. Elle est en rupture avec l’histoire du mouvement des Guides et Scouts d’Europe et son identité profonde. C’est dans la liberté de son engagement au service de l’Église que sa fécondité spirituelle et humaine a grandi. La santé de l’Église de France a besoin de cette liberté. Aujourd’hui, on veut brider sa créativité, caporaliser sa spiritualité."


Est-ce vraiment un manque de charité que de dire ces vérités ? Nous ne le croyons pas. La réalité c'est qu'il n'y a pas de "complot tradi"contre les Scouts et Guides d'Europe. En revanche, il y a une forte mésentente au sein de l'AGSE entre une équipe dirigeante et la base. En 2004, 2 % des chefs et cheftaines rejetaient le rapport moral. En 2005, ils étaient 11 %, en 2006 20%, en 2007 33%....

Louis Renaudin

Membre du conseil du mouvement pour la Paix Liturgique et la Réconciliation dans l’Eglise.