27 août 2008

[Alethéia n°130] "Frère Roger est formellement catholique" - Le cardinal Kasper ne le dit plus

Le jour des obsèques de Jean-Paul II, le cardinal Ratzinger avait donné la communion catholique à Frère Roger, déjà très affaibli. L’image avait stupéfait les journalistes présents – j’en ai eu des témoignages directs – parce que tout le monde croyait le fondateur de Taizé encore protestant.
Plusieurs des cardinaux présents avaient été étonnés d’une telle communion catholique. Interrogé après la cérémonie par le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, le cardinal Kasper, en charge de l’œcuménisme à Rome, avait répondu : « Frère Roger est formellement catholique ». L’expression m’avait été rapportée par Mgr Séguy, ancien évêque d’Autun. Elle m’a été confirmée par un des intéressés, le cardinal Barbarin, dans une lettre.
La communion catholique de Frère Roger n’avait pas étonné Mgr Séguy puisque c’est son prédécesseur, Mgr Le Bourgeois, qui avait donné, pour la première fois, la communion catholique à Frère Roger en 1972. Cette communion, le fondateur de Taizé l’a reçue ensuite de manière continue, jusqu’à sa mort, et n’a plus communié à la cène protestante qui continuait à être célébrée à Taizé en parallèle à la messe catholique.
Mais cette communion catholique de Frère Roger restait inconnue de nombre de catholiques, de nombre de cardinaux, de nombre d’évêques. La preuve : la demande étonnée du cardinal Barbarin en 2005.
Quand, il y a deux ans, j’ai évoqué la « conversion » de Frère Roger dans Aletheia – article relayé par le Monde –, la tempête médiatique a été considérable (des centaines d’articles en France et à l’étranger). Taizé a opposé un démenti, un évêque a cru nécessaire de faire une déclaration (plutôt méprisante à mon encontre).
La biographie de Frère Roger que j’ai publiée, il y a quelques mois[1], a approfondi la question en apportant des éléments dont certains étaient inédits : son grand-père séminariste catholique avant de passer à l’Eglise vieille-catholique puis à l’Eglise réformée ; sa confession habituelle à un prêtre catholique depuis la fin des années 50 ; son approfondissement continu du mystère de l’Eucharistie catholique ; sa communion exclusivement catholique à partir de 1972 ; sa reconnaissance, à partir de la même époque, de la nécessité du « ministère d’unité » du Pape.
Taizé a ignoré ce livre. La Croix l’a censuré. En revanche de nombreux bulletins diocésains, de nombreux sites internet diocésains, les réseaux de librairies catholiques, plusieurs titres de la presse protestante, une partie de la presse catholique l’ont accueilli favorablement.
L’Osservatore romano, dirigé désormais par l’historien italien Giovanni Maria Vian, publie un long entretien avec le cardinal Kasper sous le titre : « Roger Schutz, le moine symbole de l’œcuménisme spirituel »[2].
Le cardinal Kasper rappelle ses liens étroits avec Frère Roger. Il rappelle qu’il a « présidé la liturgie de ses obsèques dans la grande église de la réconciliation à Taizé ». Le journaliste interroge le cardinal : « Que penser de l’expression selon laquelle Frère Roger serait devenu “formellement“ catholique ? ».
Le journaliste, qui connaît bien son sujet, fait clairement référence à la réponse donnée le jour des obsèques de Jean-Paul II. Cette fois, le cardinal Kasper répond plus longuement. Pour ne pas trahir la pensée du président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens, voici le passage en son entier :
Au fil des années, la foi du prieur de Taizé s’est progressivement enrichie du patrimoine de foi de l’Eglise catholique. Selon son propre témoignage, c’est bien en référence au mystère de la foi catholique qu’il comprenait certaines données de la foi, comme le rôle de la Vierge Marie dans l’histoire du salut, la présence réelle du Christ dans les dons eucharistiques et le ministère apostolique dans l’Eglise, y compris le ministère d’unité exercé par l’Evêque de Rome. En réponse, l’Eglise catholique avait accepté qu’il communie à l’eucharistie, comme il le faisait chaque matin dans la grande église de Taizé. Frère Roger a reçu également la communion à plusieurs reprises des mains du Pape Jean-Paul II, qui s’était lié d’amitié avec lui depuis le temps du Concile Vatican II et qui connaissait bien son cheminement dans la foi catholique. En ce sens, il n’y avait rien de secret ou de caché dans l’attitude de l’Eglise catholique, ni à Taizé ni à Rome. Au moment des funérailles du Pape Jean-Paul II, le Cardinal Ratzinger n’a fait que répéter ce qui se faisait déjà avant lui dans la Basilique Saint-Pierre, du temps du défunt Pape. Il n’y avait rien de nouveau ou de prémédité dans le geste du Cardinal.
Dans une allocution au Pape Jean-Paul II, dans la Basilique Saint-Pierre, lors de la rencontre européenne de jeunes à Rome en 1980, le prieur de Taizé décrivit son propre cheminement et son identité de chrétien par ces mots : « J’ai trouvé ma propre identité de chrétien en réconciliant en moi-même la foi de mes origines avec le mystère de la foi catholique, sans rupture de communion avec quiconque ». En effet, frère Roger n’avait jamais voulu rompre « avec quiconque », pour des motifs qui étaient essentiellement liés à son propre désir d’union et à la vocation œcuménique de la communauté de Taizé. Pour cette raison, il préférait ne pas employer certains termes comme « conversion » ou adhésion « formelle » pour qualifier sa communion avec l’Eglise catholique. Dans sa conscience, il était entré dans le mystère de la foi catholique comme quelqu’un qui grandit, sans devoir « abandonner» ou « rompre » avec ce qu’il avait reçu et vécu avant. On pourrait discuter longuement du sens de certains termes théologiques ou canoniques. Par respect du cheminement dans la foi de frère Roger, toutefois, il serait préférable de ne pas appliquer à son sujet des catégories qu’il jugeait lui-même inappropriées à son expérience et que d’ailleurs l’Eglise catholique n’a jamais voulu lui imposer. Là encore, les paroles de frère Roger lui-même devraient nous suffire.
On ajoutera, justement, une parole de Frère Roger. Lors d’une commémoration à Cluny (proche de Taizé), le Père Abbé d’une abbaye bénédictine bien connue avait interrogé frère Roger : « Combien y a-t-il de frères catholiques dans votre communauté ? ». Le fondateur de Taizé avait répondu : « Nous sommes tous catholiques, à part un ou deux vieux frères protestants ».
C’est le Père Abbé qui m’a rapporté cette réponse. Taizé refuse le mot de « conversion », le cardinal Kasper aussi. Mais le qualificatif « catholique » doit-il être refusé aussi et fait-il partie de ces « catégories inappropriées » dont parle le cardinal Kasper?
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[1] Frère Roger. Le fondateur de Taizé, Perrin, 416 pages. En librairie ou 20 euros franco auprès d’Aletheia.
[2] On trouve aussi le texte intégral de l’entretien sur l’excellent site de Sandro Magister www.chiesa.