SOURCE - Lettre à nos frères prêtres n°40 - Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France - mise en ligne par La Porte Latine - Décembre 2008
Monique Hébrard, journaliste, actuellement chroniqueuse à La Croix et à Panorama, a publié il y a quelques mois un ouvrage intitulé Prêtres - Enquête sur le clergé d’aujourd’hui (Buchet-Chastel, 2008), fruit d’entretiens réalisés entre octobre 2005 et octobre 2007 avec cinquante prêtres diocésains de tous âges appartenant à vingt-deux diocèses différents.
Ce livre balaye de nombreuses questions, de la découverte de l’appel de Dieu à la formation sacerdotale, des charges du ministère à la vie affective, de la crise des vocations à l’avenir de l’Église. L’intérêt principal de l’ouvrage tient au fait que l’on entend parler ces prêtres, une bonne partie du texte étant constituée de citations littérales, entre guillemets. Ici, nous nous arrêterons sur le seizième chapitre, intitulé significativement « Faut-il avoir peur de la messe de saint Pie V ? ».
Une vision dialectique
Monique Hébrard commence avec une présentation de la situation solidement caricaturale, qui manifeste son orientation personnelle sur le sujet. « Avec sa raréfaction, une autre menace plane-t'elle sur la messe du dimanche : celle du retour du rite d’avant le Concile ? La messe en avait déjà vu de toutes les couleurs. On était passé de l’antique messe en latin, dos tourné à un peuple passif, avec communion distribuée sur la langue, à genoux à la “sainte table”, et célébrée par des prêtres aux ornements sophistiqués… à des cas extrêmes d’eucharisties célébrées par des prêtres en costume de ville, chez l’habitant, avec un morceau de baguette et un verre de vin, sur le coin d’une table déjà dressée pour le repas qui allait suivre. Au fil des années s’était installé un heureux équilibre entre sens du mystère et expression de la fraternité. Et voilà que l’on assiste ici ou là au “retour des dentelles et des guipures” et à une certaine nostalgie des célébrations d’autrefois » (p. 285).
En bonne journaliste, Monique Hébrard voit toujours la situation sous forme de guerre civile, dialectisant au maximum les différences, voire les oppositions. « Ne risque-t-on pas de provoquer des scissions dans certaines paroisses fréquentés par des fidèles aux tendances traditionalistes, qui saisiront l’occasion pour exiger la “leur” ? N’y a-t-il pas déjà des parents à qui l’on a refusé un baptême selon le rite ancien dans leur diocèse, qui l’ont obtenu en allant voir dans un diocèse voisin ? N’y a-t-il pas un risque de voir un jour les prêtres conciliaires en minorité avec l’arrivée de ceux qui sont et seront formés par la Fraternité Saint-Pierre et le Bon Pasteur ? » (p. 289).
Le calme des troupes
Toutefois, les réponses des prêtres qu’elle interroge semblent aller exactement à rebours de ses affolements personnels. « Les prêtres que j’ai rencontrés ne s’inquiètent pas outre mesure. Leur relative indifférence n’est pas étonnante : ils se disent avec pragmatisme qu’ils n’y peuvent rien et n’ont pas envie de se pourrir la vie avec des questions qui dépassent leurs pouvoirs. “Tout cela m’apparaît plus pathétique que menaçant. C’est sans avenir”, dit l’un. “Encéphalogramme plat dans mon diocèse”, assure l’autre. Chez les plus jeunes, la tolérance (valeur phare de cette génération), liée à un manque de perspective historique, joue sans doute en faveur de cette “indifférence”. Quant aux plus âgés, ils ont déjà vécu tant de combats internes qu’ils relativisent » (p. 290).
« Un prêtre pense que la priorité de l’unité à faire est celle entre catholiques : “Au moment où l’Église traverse en France une crise grave, il est urgent de mettre en oeuvre une réconciliation entre tous les fidèles. C’est par ce moyen, et lui seul, que se renoueront des liens de dialogue, de charité fraternelle et de respect, et que cesseront les invectives”. (…) Julien a été scandalisé quand il a entendu l’un de ses confrères, lors de la semaine pour l’Unité des chrétiens, inviter les fidèles à prier pour “nos frères séparés”, en précisant qu’il excluait ceux de la Fraternité Saint-Pie X » (p. 300).
Accueil et dialogue ?
Un jeune prêtre a toutefois un avis très tranché sur cette question : « Objectivement, je pense que le mouvement traditionaliste est un épiphénomène très français. (…) La pastorale et la théologie des lefebvristes sont figées, elles ne vivent plus. La régression est inévitable et on sent déjà apparaître une forme déiste qui n’a plus grand rapport avec la théologie trinitaire. (…) Je ne vois pas comment des personnes aussi sclérosées pourraient contrecarrer l’avancée d’un tel travail de l’Esprit-Saint dans notre Église. (…) Vatican II est un concile aussi important que celui de Trente, mais plus positif, puisqu’il n’émet aucune condamnation, sinon celle de l’ecclésiocentrisme, ce qui gêne considérablement les lefebvristes et autres conservateurs. (…) Il va falloir surveiller les prêtres de l’Institut du Bon Pasteur comme le lait sur le feu, et je crains que nous n’ayons introduit le loup dans la bergerie. A moins qu’ils ne se laissent façonner par l’oeuvre de l’Esprit et peu à peu se convertissent aux fondements du Concile. Dans ce cas, ils seront prêtres catholiques. (…)
« Le rite de saint Pie V est la lubie d’un petit groupe qui se regarde le nombril de manière passéiste. (…) En admettant un rite qui a été profondément réformé, nous touchons aux bases de la théologie. Les rites (et celui de l’eucharistie en particulier) ne sont pas qu’un habillage, ils disent quelque chose de notre perception du monde, du rapport au Christ. Les lefebvristes déclarent que le rite de Paul VI ne fait pas droit à la notion de sacrifice et néglige le mystère pascal. Par conséquent, ils le considèrent comme invalide 1 ! Eh bien ! moi, je dis que ce qui touche à la validité même du sacrement, c’est de revenir à un rite ancien. Par la célébration des sacrements, [la communauté chrétienne] donne à voir ce qu’elle dit de son rapport au monde et donc de son rapport à Dieu. (…) Je ne vois pas en quoi les traditionalistes apporteraient un rééquilibrage ! Nous ne sommes plus dans les années soixante-dix où peut-être il y a eu quelques abus. L’Église de France est aujourd’hui au-dessus de tout soupçon en matière de liturgie ! » (pp. 297-299).
On admirera, dans ce véritable morceau d’anthologie, la manière nuancée, accueillante, charitable et ouverte dont ce prêtre parle de ses « frères traditionalistes », comme des « conservateurs ».
Un rite qui ne devait pas disparaître
Un prêtre de soixante ans, « qui célèbre sereinement le rite de Paul VI depuis vingt-cinq ans », propose un tout autre son de cloche. « Je reçois avec une immense joie cet accueil du rite tridentin qui n’aurait jamais dû être exclu de nos possibles liturgies. C’est, me semble-t-il, la meilleure façon de bien montrer que ce que l’on appelle abusivement la “nouvelle messe” n’a pas introduit une nouvelle théologie mystique du saint sacrifice immuable. Dans l’esprit et dans la pratique de beaucoup de gens, et de prêtres, tout s’était passé comme si on avait quitté définitivement une conception de la messe pour entrer dans une autre. Ce serait tragique. (…) Je ne crains pas la diversification du rite. Je pense que le rite tridentin, grâce à sa splendeur surnaturelle, est capable, par le simple fait de sa reconnaissance au sein du bouquet liturgique romain, de nous prémunir contre les risques de banalisation de nos célébrations. (…) Je constate qu’autour de moi de plus en plus de prêtres, en particulier les jeunes, célèbrent de façon mystique, c’est-à-dire avec une conscience très manifeste de poser, pour la communauté et avec elle, un acte infiniment sacré et infiniment saint. Un acte que la communauté ne se donne pas à elle-même dans une sorte d’autocélébration, mais qu’elle reçoit de Dieu. (…) Le rite tridentin (parmi d’autres) exprime cette mystique d’une façon toute particulière, et c’est pour cela qu’il ne devait pas disparaître de l’Église d’Occident » (pp. 294-295).
Nous ne partageons certes pas toutes les analyses de ce dernier texte. Mais son ton est beau, théologique, spirituel. Il manifeste cette charité que l’on attend d’un prêtre, et contraste avec le pénible texte de mépris précédent. Un petit fait explique sans doute cette différence : au début des années 70, ce prêtre a passé quatre années au séminaire d’Écône, avant de rejoindre un diocèse.
Ce livre balaye de nombreuses questions, de la découverte de l’appel de Dieu à la formation sacerdotale, des charges du ministère à la vie affective, de la crise des vocations à l’avenir de l’Église. L’intérêt principal de l’ouvrage tient au fait que l’on entend parler ces prêtres, une bonne partie du texte étant constituée de citations littérales, entre guillemets. Ici, nous nous arrêterons sur le seizième chapitre, intitulé significativement « Faut-il avoir peur de la messe de saint Pie V ? ».
Une vision dialectique
Monique Hébrard commence avec une présentation de la situation solidement caricaturale, qui manifeste son orientation personnelle sur le sujet. « Avec sa raréfaction, une autre menace plane-t'elle sur la messe du dimanche : celle du retour du rite d’avant le Concile ? La messe en avait déjà vu de toutes les couleurs. On était passé de l’antique messe en latin, dos tourné à un peuple passif, avec communion distribuée sur la langue, à genoux à la “sainte table”, et célébrée par des prêtres aux ornements sophistiqués… à des cas extrêmes d’eucharisties célébrées par des prêtres en costume de ville, chez l’habitant, avec un morceau de baguette et un verre de vin, sur le coin d’une table déjà dressée pour le repas qui allait suivre. Au fil des années s’était installé un heureux équilibre entre sens du mystère et expression de la fraternité. Et voilà que l’on assiste ici ou là au “retour des dentelles et des guipures” et à une certaine nostalgie des célébrations d’autrefois » (p. 285).
En bonne journaliste, Monique Hébrard voit toujours la situation sous forme de guerre civile, dialectisant au maximum les différences, voire les oppositions. « Ne risque-t-on pas de provoquer des scissions dans certaines paroisses fréquentés par des fidèles aux tendances traditionalistes, qui saisiront l’occasion pour exiger la “leur” ? N’y a-t-il pas déjà des parents à qui l’on a refusé un baptême selon le rite ancien dans leur diocèse, qui l’ont obtenu en allant voir dans un diocèse voisin ? N’y a-t-il pas un risque de voir un jour les prêtres conciliaires en minorité avec l’arrivée de ceux qui sont et seront formés par la Fraternité Saint-Pierre et le Bon Pasteur ? » (p. 289).
Le calme des troupes
Toutefois, les réponses des prêtres qu’elle interroge semblent aller exactement à rebours de ses affolements personnels. « Les prêtres que j’ai rencontrés ne s’inquiètent pas outre mesure. Leur relative indifférence n’est pas étonnante : ils se disent avec pragmatisme qu’ils n’y peuvent rien et n’ont pas envie de se pourrir la vie avec des questions qui dépassent leurs pouvoirs. “Tout cela m’apparaît plus pathétique que menaçant. C’est sans avenir”, dit l’un. “Encéphalogramme plat dans mon diocèse”, assure l’autre. Chez les plus jeunes, la tolérance (valeur phare de cette génération), liée à un manque de perspective historique, joue sans doute en faveur de cette “indifférence”. Quant aux plus âgés, ils ont déjà vécu tant de combats internes qu’ils relativisent » (p. 290).
« Un prêtre pense que la priorité de l’unité à faire est celle entre catholiques : “Au moment où l’Église traverse en France une crise grave, il est urgent de mettre en oeuvre une réconciliation entre tous les fidèles. C’est par ce moyen, et lui seul, que se renoueront des liens de dialogue, de charité fraternelle et de respect, et que cesseront les invectives”. (…) Julien a été scandalisé quand il a entendu l’un de ses confrères, lors de la semaine pour l’Unité des chrétiens, inviter les fidèles à prier pour “nos frères séparés”, en précisant qu’il excluait ceux de la Fraternité Saint-Pie X » (p. 300).
Accueil et dialogue ?
Un jeune prêtre a toutefois un avis très tranché sur cette question : « Objectivement, je pense que le mouvement traditionaliste est un épiphénomène très français. (…) La pastorale et la théologie des lefebvristes sont figées, elles ne vivent plus. La régression est inévitable et on sent déjà apparaître une forme déiste qui n’a plus grand rapport avec la théologie trinitaire. (…) Je ne vois pas comment des personnes aussi sclérosées pourraient contrecarrer l’avancée d’un tel travail de l’Esprit-Saint dans notre Église. (…) Vatican II est un concile aussi important que celui de Trente, mais plus positif, puisqu’il n’émet aucune condamnation, sinon celle de l’ecclésiocentrisme, ce qui gêne considérablement les lefebvristes et autres conservateurs. (…) Il va falloir surveiller les prêtres de l’Institut du Bon Pasteur comme le lait sur le feu, et je crains que nous n’ayons introduit le loup dans la bergerie. A moins qu’ils ne se laissent façonner par l’oeuvre de l’Esprit et peu à peu se convertissent aux fondements du Concile. Dans ce cas, ils seront prêtres catholiques. (…)
« Le rite de saint Pie V est la lubie d’un petit groupe qui se regarde le nombril de manière passéiste. (…) En admettant un rite qui a été profondément réformé, nous touchons aux bases de la théologie. Les rites (et celui de l’eucharistie en particulier) ne sont pas qu’un habillage, ils disent quelque chose de notre perception du monde, du rapport au Christ. Les lefebvristes déclarent que le rite de Paul VI ne fait pas droit à la notion de sacrifice et néglige le mystère pascal. Par conséquent, ils le considèrent comme invalide 1 ! Eh bien ! moi, je dis que ce qui touche à la validité même du sacrement, c’est de revenir à un rite ancien. Par la célébration des sacrements, [la communauté chrétienne] donne à voir ce qu’elle dit de son rapport au monde et donc de son rapport à Dieu. (…) Je ne vois pas en quoi les traditionalistes apporteraient un rééquilibrage ! Nous ne sommes plus dans les années soixante-dix où peut-être il y a eu quelques abus. L’Église de France est aujourd’hui au-dessus de tout soupçon en matière de liturgie ! » (pp. 297-299).
On admirera, dans ce véritable morceau d’anthologie, la manière nuancée, accueillante, charitable et ouverte dont ce prêtre parle de ses « frères traditionalistes », comme des « conservateurs ».
Un rite qui ne devait pas disparaître
Un prêtre de soixante ans, « qui célèbre sereinement le rite de Paul VI depuis vingt-cinq ans », propose un tout autre son de cloche. « Je reçois avec une immense joie cet accueil du rite tridentin qui n’aurait jamais dû être exclu de nos possibles liturgies. C’est, me semble-t-il, la meilleure façon de bien montrer que ce que l’on appelle abusivement la “nouvelle messe” n’a pas introduit une nouvelle théologie mystique du saint sacrifice immuable. Dans l’esprit et dans la pratique de beaucoup de gens, et de prêtres, tout s’était passé comme si on avait quitté définitivement une conception de la messe pour entrer dans une autre. Ce serait tragique. (…) Je ne crains pas la diversification du rite. Je pense que le rite tridentin, grâce à sa splendeur surnaturelle, est capable, par le simple fait de sa reconnaissance au sein du bouquet liturgique romain, de nous prémunir contre les risques de banalisation de nos célébrations. (…) Je constate qu’autour de moi de plus en plus de prêtres, en particulier les jeunes, célèbrent de façon mystique, c’est-à-dire avec une conscience très manifeste de poser, pour la communauté et avec elle, un acte infiniment sacré et infiniment saint. Un acte que la communauté ne se donne pas à elle-même dans une sorte d’autocélébration, mais qu’elle reçoit de Dieu. (…) Le rite tridentin (parmi d’autres) exprime cette mystique d’une façon toute particulière, et c’est pour cela qu’il ne devait pas disparaître de l’Église d’Occident » (pp. 294-295).
Nous ne partageons certes pas toutes les analyses de ce dernier texte. Mais son ton est beau, théologique, spirituel. Il manifeste cette charité que l’on attend d’un prêtre, et contraste avec le pénible texte de mépris précédent. Un petit fait explique sans doute cette différence : au début des années 70, ce prêtre a passé quatre années au séminaire d’Écône, avant de rejoindre un diocèse.
1 - Cette assertion est parfaitement inexacte, et violemment calomniatrice. La Fraternité Saint-Pie X a toujours affirmé publiquement, au contraire, « reconnaître la validité de la messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel romain et des Rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II ».