— Vous organisez votre quatrième université d’été. Il semble que ce soit le signe d’un certain succès…
— C’est effectivement la quatrième fois que la Fraternité Saint-Pie X en France organise cette université d’été, qui se déroule à Saint-Malo, dans l’école que nous avons en Bretagne, et qui rassemble de 150 à 200-250 étudiants sur le thème général de l’apologétique, dont nous avons commencé à dérouler le cursus depuis trois ans. La quatrième va avoir pour thème la Révélation, et les signes de la messianité et de la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, les trois précédentes ayant porté sur ce qu’on appelle la théodicée ou la théologie naturelle, c’est-à-dire les fondements rationnels qui permettent de parvenir aux grandes conclusions que sont l’existence de Dieu, la spiritualité et l’immortalité de l’âme.
— Vous avez employé le terme d’« étudiants ». Est-ce réservé à une certaine classe d’âge ?
— Non, j’ai pris le terme étudiant, parce qu’en l’occurrence tout le monde se retrouve sur les bancs de l’école, ou plutôt sur les chaises de l’université, mais c’est ouvert à tout âge, pas de 7 à 77 ans, mais de 17-18 ans jusqu’à point d’âge, avec une forte présence certes de la jeunesse, mais aussi des pères et mères de famille (nous avons d’ailleurs mis au point un système de garde d’enfants pour cette année !), et puis des personnes âgées, et je dois dire que ce mode d’inter-générations est assez sympathique. Et puis c’est enthousiasmant de voir des jeunes qui sont capables de se déplacer pour des sujets un petit peu arides, le mot apologétique est un mot long et savant qui peut faire peur au départ, et des personnes âgées qui en voient aussi l’intérêt, qui ont gardé une jeunesse d’âme suffisante pour vouloir être présents.
— L’apologétique est donc la défense de notre foi. Vous avez beaucoup d’écoles et d’instituts de formation. Alors première question : est-il nécessaire de faire une université d’été ? Qu’est-ce que cela apporte de plus ? Deuxième question : votre université s’adresse-t-elle à ceux qui n’auraient pas fait ce cursus, ou au contraire est-ce vraiment quelque chose qui approfondit, qui va beaucoup plus loin ?
— Il est vrai que dans nos différentes écoles est dispensée une première formation apologétique. Mais, lorsque l’on se déplace volontairement – en général les enfants ne choisissent pas l’école dans laquelle ils vont, ce sont les parents qui font le choix pour eux –, cela signifie un engagement de leur part. Cela donne la possibilité d’aller plus loin parce que les intelligences sont ouvertes. D’autre part, il est certain que l’on va quand même nettement plus loin et que le niveau moyen auquel nous nous adressons est celui de jeunes gens qui ont fait leur année de philosophie en Terminale. Cela permet à la fois de revoir un certain nombre de choses abordées en philosophie et en catéchisme, et de les conduire plus loin.
— On évoque le fait qu’au fur et à mesure des « générations » de séminaristes, il est parfois nécessaire de rehausser le niveau en faisant une ou deux années de formation préliminaire. Est-ce que cette université assez récente procède de la même logique ? La réponse à un défaut de formation chez certains jeunes ?
— Elle n’est pas destinée aux séminaristes, mais c’est l’un des buts recherchés : on constate effectivement une baisse de la connaissance religieuse, de la connaissance de la foi, de la connaissance théologique. Simplement, parmi les objectifs de l’université d’été, ce n’est peut-être pas le premier que nous nous sommes fixé. Ce que nous avons voulu, c’est, d’abord, fortifier les catholiques dans leur foi dans un contexte d’ébranlement général de cette foi : il s’agit de donner la possibilité à tous de pouvoir constater et adhérer à la solidité, à la profondeur des arguments qui existent en faveur de la philosophie naturelle, en faveur de la foi. Celle-ci n’est pas simplement la foi du charbonnier : elle repose sur des arguments qui sont extrêmement solides et parfaitement étayés.
Mais il y a un deuxième point : nous voulons aussi par cet intermédiaire, contre l’œcuménisme ambiant, en montrant aux participants toute la solidité de leur foi, essayer de déployer un véritable zèle missionnaire autour d’eux. L’université d’été doit vraiment aboutir à des cellules d’apostolat qui se développent en France et qui essaient, contre l’envahissement de l’islam et celui des sectes, de pousser les catholiques non pas à avoir peur et à se retrancher, mais à ne pas hésiter à aller au contact – un contact vraiment missionnaire. C’est pour cela que nous avons voulu que l’université soit ouverte à tous les âges. Ainsi les catholiques témoigneront, rendront compte de leur foi.
— Avez-vous déjà connaissance de retombées de cette sorte ?
— Oui, et je vous citerai en exemple quelqu’un qui en a témoigné à plusieurs reprises : il s’agit du baptême de Mathias Barbier, « fruit » de l’une des premières universités d’été. Il explique que celle-ci a été un jalon déterminant dans la voie qui l’a amené au baptême.
— Il existe d’autres universités dans notre famille de pensée, universités dont certaines sont assez anciennes, comme celle de Renaissance catholique, et même certaines assez proches de la Fraternité Saint-Pie X, comme celle de Civitas. Qu’est-ce qui fait la spécificité, la différence de l’université d’été de la Fraternité elle-même ?
— Le propre, c’est le seul sujet, certes très vaste, sur lequel elle concentre ses efforts : l’apologétique. Je pense qu’aucune autre université d’été, que ce soit Renaissance catholique, Civitas, Ichtus ou une autre, n’a pris ce format-là. C’est vraiment cela qui nous intéresse : non seulement faire passer des vacances studieuses, mais avoir cette volonté missionnaire.
Par le biais de l’apologétique, on peut rendre confiance aux catholiques. On peut leur rendre, et ce n’est pas rien, la fierté d’être catholique. Dans cette tourmente où l’on peut avoir l’impression que l’Eglise est en train, petit à petit, de s’effacer devant d’autres – fausses – religions, nous montrons que tout dépend de nous et que tout est encore possible si on se donne pour de bon.
— Il y a dans divers discours du Pape actuel, et notamment dans l’encyclique Caritas in veritate que vient de donner Benoît XVI, un discours très précis, très net contre le relativisme. Y retrouvez-vous la même épine dorsale ?
— Je dirais, oui, évidemment, lorsque le Pape combat le relativisme, et dans un certain nombre d’actes qu’il pose dans ce sens-là, malheureusement avec les limites que son discours présente aussi. Je crois que c’est au paragraphe 55 et 56 de l’encyclique, que manifestement le Pape développe une optique qui n’est pas du tout la nôtre. Il développe l’optique de ce que les religions, même s’il précise qu’elles ne sont pas équivalentes les unes aux autres, apportent à la société en faveur de la paix. Nous ne sommes pas du tout dans cette optique qui à notre avis est déjà relativiste, et qui sur le vrai plan, qui est celui de la foi, s’oppose à l’Eglise comme unique arche de salut.
— Vous avez parlé du fait que les thèmes choisis obéissent à un ordre. Est-ce un inconvénient, dès lors, pour des gens de débarquer en cours de route, si je puis dire ? Et quels sont les thèmes à venir, s’ils sont déjà arrêtés ?
— Nous essayons de pallier cet inconvénient en cherchant au début de chaque université d’été à faire un rappel synthétique des universités précédentes. La première des douze conférences de cette année est une synthèse des conclusions de la théologie naturelle, ce qui permet aux nouveaux d’être ainsi « mis au parfum ».
Quant au cursus, nous n’avons pas à l’inventer : il a magnifiquement existé dans l’Eglise aussi bien dans les séminaires qu’au-delà lorsqu’il y avait un intérêt pour cela. Il mène à la crédibilité du dogme catholique et plus précisément, à la « crédencité » ; le fait d’amener les intelligences de bonne volonté, non pas à la foi, parce qu’elle est un don de Dieu, mais au seuil de la foi. Je peux vous dire déjà les perspectives principales de ce qui suivra : l’étude de la Révélation, de l’historicité des évangiles… Le prochain thème principal sera de montrer que c’est l’Eglise catholique et non pas une autre Eglise, ou dite telle, qui véritablement est celle que Jésus-Christ a voulue. Donc, de montrer cette fidélité de l’Eglise à ce que l’Evangile a voulu donner.
— Vous avez employé le mot « vacances » tout à l’heure. Est-ce que, lors de l’université, au-delà des conférences studieuses, il est prévu un cadre plus libre, avec des visites, des veillées comme cela existe habituellement dans ce genre d’universités ?
— Je voudrais d’abord préciser qu’outre les conférences elles-mêmes, nous avons un autre mode un peu plus pratique de rester sur notre sujet, élaboré au cours des précédentes universités d’été : ce sont les ateliers. Ils sont au nombre de huit [NDLR de LPL : 6 en réalité] cette année (chaque étudiant en choisit deux) et servent à faire passer de ce qu’il y a d’intellectuel dans les conférences à quelque chose de plus pratique et de plus missionnaire. On y organise des petites joutes entre les étudiants qui vont devoir réfuter des thèses qui portent, en général, soit sur le programme des universités d’été précédentes soit sur le programme de celle en cours. On recherche l’argumentation la plus formelle possible entre les protagonistes. Voilà qui donne cette espérance de pouvoir vraiment arriver, dans des discussions, à faire passer des principes et la vérité.
Mais il y a aussi des veillées ! Les professeurs de Saint-Benoît [NDLR de LPL : lire "école Sainte-Marie"], qui participent à toute l’université d’été, montent en général une pièce de théâtre qui est le plus souvent celle que les enfants ont jouée en fin d’année. Il y a un film à saveur apologétique ou missionnaire. Nous faisons venir cette année des musiciens qui joueront du cor des Alpes. Outre ces soirées récréatives, les participants apprécient également le fait que tous les repas soient pris en commun, avec les conférenciers et les prêtres présents qui se répartissent parmi les tables, ce qui rend l’atmosphère vraiment familiale. Nous essayons aussi, au cours de ces journées bien chargées, de donner la possibilité à chacun d’avoir l’atmosphère des maisons de la Fraternité avec la messe quotidienne, les complies et la prière du matin.
— Je note que parmi les douze conférences annoncées il y en a trois qui portent sur la façon de parler : « Tourner sept fois sa langue », « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », « La forme du discours ». Comment cela se traduit-il pratiquement ? Et pourquoi ce choix ?
— C’est la première fois que nous insistons autant, pas seulement sur la forme, plutôt sur la logique et l’art d’exposer. Nous avons vu, les années précédentes, que les étudiants s’intéressaient vraiment au fond de ce qui leur était dit, mais se montraient en même temps un peu intimidés à l’idée de devoir aller au contact et argumenter. Il y avait aussi une méconnaissance et un mélange entre les différents types d’arguments. On les voyait assez souvent dans les joutes mélanger des arguments ad hominem, des arguments affectifs et des arguments de fond. Nous avons vu qu’en leur apprenant à bien savoir discerner les différents types d’arguments, cela rendait leur discours beaucoup plus percutant.
— Vous commencez avec des « tout juste » ou des « à peine » bacheliers, sans limite… Il y a quand même une diversité de ce fait. Est-elle un apport ou les gens qui viennent rattrapent-ils quelque chose qu’ils n’ont jamais eu, pour les plus âgés d’entre eux ?
— Les impressions sont très diverses. Nous avons un public de tous les âges, de personnes qui ont connu la Tradition dès ses « débuts » ou de convertis récents. Cela ne rend pas la tâche des conférenciers très facile. Il faut arriver à cibler dans cette grande diversité le niveau qui sera exactement choisi. Vu que, d’année en année, la grande diversité constatée dès le début continuait d’exister, même si les gens trouvent que c’est un peu difficile parfois, nous en déduisons que chacun y trouve de quoi l’intéresser. Peu de gens nous disent : « On savait tout » ! La plupart découvrent, approfondissent des vérités, et sont en général contents du bagage qu’ils emportent en partant.
— Vous avez mis cette université sous le patronage d’Eugenio Zolli. Sera-t-il question particulièrement de lui ?
— Nous avons voulu le faire, évidemment, en hommage à un Pie XII épouvantablement attaqué. Nous cherchons, à travers les noms de promotion que nous donnons depuis l’année dernière, à montrer des exemples de grandes et belles conversions qui ont jalonné le XXe siècle. La première figure choisie, l’an dernier, était celle de Psichari.
— Vos travaux laissent-ils des traces ? Sont-ils publiés ?
— Nous avons publié les actes des trois précédentes universités.[NDLR de LPL : à commander ICI]
— Nombre d’ouvrages d’apologétique sortent aux Etats-Unis ; cela tourne autour des thèmes : « Vous avez un ami protestant, voilà ce qu’il faut lui dire pour lui démontrer que la foi catholique est la foi véritable », « Vous avez un ami athée, voilà des arguments », « Un de vos proches est apostat, parlez-lui »… C’est une littérature extrêmement abondante, révélatrice d’un réel souci. Le travail que vous faites pourrait-il déboucher sur ce genre de matériel offert de façon beaucoup plus large qu’aux seules personnes qui participent à vos universités ?
— Absolument. De fait, j’ai demandé à l’abbé Célier qui participe aux universités d’été depuis le départ d’écrire un livre d’apologétique avec des adaptations faites par rapport au contexte actuel pour essayer de répondre non pas aux nouveaux arguments (les arguments sont toujours les mêmes !) mais aux nouvelles modalités qu’ils prennent.
— Saint-Nicolas-du-Chardonnet « existe » depuis plus de trente ans, la Fraternité un peu plus. Je ne pense pas que le discours de la Fraternité ait changé depuis sa fondation, dans l’affirmation d’une foi intégrale. Mais y a-t-il besoin aujourd’hui, plus qu’il y a trente ans, d’une affirmation plus intellectuelle de la foi ? Y a-t-il un nouveau décalage par rapport à la compréhension de la foi ?
— Je peux répondre à titre personnel que le livre qui m’a le plus apporté dans la compréhension de la crise de l’Eglise est Iota unum, de Romano Amerio. Celui-ci a montré comment la crise du modernisme était une mise en cause de l’intelligence, remplacée par une sorte de sentiment religieux qui servirait de tout. L’intelligence a été vraiment mise de côté, ce qui fait que beaucoup de catholiques aujourd’hui pensent que la foi se réduit effectivement à ce sentiment religieux dont saint Pie X parlait dans Pascendi… On s’aperçoit qu’en exprimant ce que l’intelligence est capable de dire de la foi, ses beautés et ses grandeurs, on fait découvrir des paysages absolument inconnus, même à nos fidèles qui finalement, d’eux-mêmes et laissés à eux-mêmes, vivraient plus d’une sensibilité religieuse qui est bonne en elle-même mais qui est insuffisante.
— Est-ce plus vrai de la « deuxième génération » dont on peut avoir l’impression qu’elle vit dans son cocon ? Les premiers avaient besoin de se battre et donc de se former ; les seconds suivant plutôt le mouvement. Le fait que vous ayez démarré cette université il y a trois ans répond-il à un déséquilibre qui s’est créé au fil des ans ?
— Je pense qu’effectivement, malgré nos écoles – je suis très franc ! – ; malgré tout ce que la résistance de leurs parents a supposé d’études des questions relatives à la messe et à la doctrine, on voit que la force de l’adhésion à la foi des plus jeunes s’étiolerait plutôt vers cette espèce de sentiment religieux pas suffisamment éclairé. Le fait de vouloir les amener au front de l’apostolat, vise à leur montrer que lorsque l’on se trouve devant des arguments bien déterminés et qu’on n’y répond pas seulement par du sentiment. Il y a quelque chose à donner… Il faut presque qu’ils n’arrivent pas à réfuter ces arguments, et que cela les oblige à étudier.
— Avez-vous au sein de vos universités des gens d’autres convictions qui viennent argumenter ou est-ce que cela reste plus théorique ?
— Pour l’instant cela reste théorique, avec cet essai par le biais des ateliers de créer des petites disputatio. En revanche, nous voulons fonder ces cellules dans les prieurés, inspirées de ce qu’était la Légion de Marie avant le Concile. Nous les lancerons avec l’aide du Bon Dieu et je suis certain que cela transformera ces mentalités rassasiées. Pour leur faire comprendre qu’à n’importe quel âge, quand on a des cousins ou des voisins, on doit se dire qu’on a quelque chose à leur apporter. Jésus choisit ses apôtres et ses disciples, il les envoie deux par deux sur les routes, prêcher l’Evangile jusqu’aux extrémités de la terre… Pour aller au ciel, il faut être catholique, je pense qu’il y a vraiment un devoir pressant qui nous « urge », comme dirait saint Paul.
Propos recueillis par Jeanne Smits et Olivier Figueras
Article extrait de Présent n° 6884 du Samedi 18 juillet 2009