La question du rite liturgique sera décidément au centre du pontificat de Benoît XVI. Après la libéralisation retentissante, en 2007, du rite « extraordinaire » de la messe (ou rite tridentin), la Congrégation pour le Culte divin travaillerait actuellement à en repréciser le rite ordinaire (missel de Paul VI). C'est du moins ce que révèle le vaticaniste célèbre Andrea Tornielli, dans le Giornale du 22 août. Selon ses informations, un document d'orientation aurait été remis au pape le 4 avril dernier par le cardinal espagnol Antonio Cañizares, préfet de la Congrégation pour le culte divin, après que celle-ci eut tenu le 12 mars sa réunion plénière.
Les membres de la congrégation (qui auraient voté le document à la quasi unanimité) auraient notamment proposé que le célébrant se tourne à nouveau vers l'Orient (position « dos au peuple »), au moins à l'instant de la consécration eucharistique, et que que soit réaffirmée la priorité de la communion dans la bouche sur la communion dans la main. Le missel pourrait être modifié dans sa partie introductive pour éviter les variations, et serait publié avec le texte latin en regard, ce qui permettrait la célébration en latin au moins pour les grandes fêtes. L'idée étant de redonner au rite une sacralité qui lui ferait défaut, et aux fidèles, le sens de l'adoration eucharistique.
C'est bien cette direction qu'indiquait le pape, lorsqu'il écrivait en 2007 aux évêques, dans le cadre de son moto proprio de libéralisation de la messe ancienne, que « dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, on pourra voir se manifester, de manière plus forte que ce qui a souvent cours jusqu'à présent, cette sacralité qui attire beaucoup de gens vers l'ancien usage ». Car «la célébration avec un grand respect, et en conformité avec la prescription» est « la garantie la plus sûre que le Missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et devienne aimé d'elles » .
Même si ces informations étaient confirmées, elles ne font état que de suggestions. Le Vatican pourrait prendre son temps avant d'agir de façon magistérielle. D'ailleurs le vice-directeur de la salle de presse du Vatican, le père Ciro Benedettini, s'est empressé d'affirmer le 24 août qu'il n'y avait actuellement « aucune proposition institutionnelle concernant une modification des livres liturgiques actuellement en vigueur ». Ces propositions n'en sont pas moins dans l'air du temps. Tout se passe comme si, au sommet de l'Église, on s'efforçait d'abord de familiariser l'opinion avec ces dimensions oubliées de la messe ancienne — restées chères en revanche au coeur des traditionalistes. Le pape lui-même a décidé, en janvier 2008, de célébrer à la chapelle Sixtine selon le rite ordinaire, mais en latin et en grégorien, tourné « ad orientem ». Et depuis juin 2008, il ne donne plus la communion que dans la bouche, à des fidèles agenouillés sur un prie-Dieu. C'est à ce moment-là que le cardinal Cañizares, encore archevêque de Tolède, a rétabli le banc de communion à la cathédrale, et encouragé les fidèles à recevoir la communion à genoux et sur la langue. Il y a quelques semaines, c'est un évêque des Etats Unis, Edward Slaterry, qui a annoncé qu'il célébrerait désormais la messe ad orientem.
En sus de ces cas d'application particulière, le discours général est lui aussi déjà très clair. L'ancien secrétaire de la Congrégation pour le Culte Divin, Albert Malcolm Ranjith, a affirmé en 2008 qu'il fallait « revoir » et « si nécessaire abandonner » la pratique de la communion sur la paume, qui selon lui «a contribué à favoriser un affaiblissement graduel et croissant de l’attitude de révérence envers les saintes espèces eucharistiques». Lui emboîtant le pas, le cardinal Cañizares déclarait en décembre 2008, peu après sa nomination à la tête de la Congrégation, que son objectif était « de réaliser au cours de ces années une grande campagne de formation liturgique », non pas dans la visée du «changement pour le changement », mais pour « chercher tout le sens et surmonter la sécularisation de notre monde ».
Ce travail sur la liturgie vient-il inaugurer ce que les commentateurs appellent la « réforme de la réforme » de Benoît XVI ? Une expression confuse derrière laquelle se trouverait le projet clé du pape, celui de proposer une troisième voie qui ne renie ni Vatican II, ni la tradition qui l'a précédée, mais d'en faire la synthèse. Le message porté par son préfet le cardinal Cañizare est à cet égard assez clair : il s'agit de s'inscrire dans le sillage du Concile, tout en rectifiant le tir des interprétations jugées abusives. « Il y a eu un changement dans les formes, une réforme, mais pas un vrai renouvellement comme le demande cette constitution (Sacrosanctum Concilium, sur la sainte liturgie (1963) ndlr). Il est parfois arrivé que l’on ait changé par pur goût du changement par rapport à un passé perçu comme totalement négatif et dépassé», a-t-il déclaré en 2008.
Quant au pape, on peut lire a posteriori un sorte de contenu programmatique dans la lettre qu'il avait adressée en juin 2003, alors qu'il était encore le cardinal Ratzinger, à Heinz-Lothar Barth, un théologien traditionnaliste de l'université de Bonn. Celui-ci lui demandait de s'engager pour l'extension du rite ancien. « Une telle mesure ne peut être réalisée que progressivement», et comme « une autorisation limitée » lui avait répondu Joseph Ratzinger, car « la demande de la liturgie ancienne est limitée ». Mais il poursuivait : « Je crois qu'à long terme l'Église romaine doit avoir de nouveau un seul rite romain. L'existence de deux rites officiels pour les évêques et pour les prêtres est difficile « à gérer » en pratique. Le rite romain du futur devrait être unique, célébré en latin ou en langue vernaculaire, mais totalement dans la tradition du rite qui a été transmis . »
Et de détailler: « Cela pourrait intégrer quelques nouveaux éléments qui ont fait leurs preuves, comme les nouvelles Fêtes, quelques nouvelles préfaces de la Messe, un lectionnaire étendu - plus de choix qu'avant, mais pas trop -, un « oratio fidelium », c'est-à-dire une litanie fixe d'intercessions après l'Oremus, avant l'offertoire où jadis il avait sa place ».
Objectif, donc : réconcilier les deux rites, leur permettre de s'interpénétrer, pour faire valoir qu'à aucun moment il n'y a eu rupture, mais toujours « continuité », selon la thématique chère au pape. Et c'est bien dans ce sens que semble travailler actuellement le Vatican, dont l'ambition à long terme, est sans doute de mettre fin à un biritualisme qui ne correspond pas à une conception de l'unité qui le satisfasse. Reste à savoir, à court terme, quels éléments de la liturgie seront véritablement modifiés, et quelle sera la part de la recommandation, et celle de l'obligation.
Communier dans la main, une habitude bientôt dépassée?
Les partisans de la communion dans la bouche estiment qu'elle manifeste davantage la croyance en la présence réelle du Christ. Mais ils évoquent également des questions plus pragmatiques : limiter les risques d'effritement et de perte de parcelles d'hostie consacrée; éviter aussi que l'hostie puisse être emportée et éventuellement détournée à des fins sataniques. Plus spirituel est l'argument qui s'attache à ce rite parce qu'il conduit à ouvrir la bouche pour se laisser nourrir par Dieu comme un enfant. A l'inverse, les tenants de la communion dans la main évoquent la Cène, au cours de la quelle le Christ a rompu le pain et l'a tendu à ses disciples; ils avancent la noblesse du geste qui consiste à faire un trône de sa main, et qui est également une attitude de réception, et le caractère relativement récent de la communion sur la langue.
En 1969, l'instruction Memoriale Domini a établi que la communion dans la bouche demeurait la règle, mais que sur demandes des Conférences épiscopales, et avec les précautions de catéchisation des fidèles qui s'imposent, le Vatican pouvait accorder l'autorisation aux évêques de faire donner sur leur territoire la communion dans la main. Sur le plan juridique, la communion dans la main est donc censée être un « indult » (une exception) à la règle générale en vigueur.
Les évêques de France ont obtenu cette autorisation le 19 juin 1969, et cette façon de faire est devenue la plus courante, au point qu'elle passe pour la règle. Les fidèles qui continuent à recevoir l'hostie dans la bouche restent debout — sans être interdit, l'agenouillement reste une habitude dans les seules paroisses traditionalistes.
En 2004, l'instruction Redemptionis Sacramentum a rappelé que quand l'on communie debout, il est recommandé qu’avant de recevoir le Sacrement on fasse « le geste de respect qui lui est dû et que la Conférence des Évêques aura établi». Il faut veiller attentivement dans ce cas à ce que l’hostie soit consommée aussitôt par le communiant devant le ministre, pour que personne ne s’éloigne avec les espèces eucharistiques dans la main.