SOURCE - Abbé Aulagnier - Item - 27 octobre 2010
Yves Chiron, dans Présent du samedi 23 octobre 2010, fait une rapide présentation, en dernière page du journal, d’une récente publication aux éditions du « Cerf » d’un dictionnaire intitulé « Dictionnaire des évêques de France au XXe siècle». Il fait remarquer les qualités de l’ouvrage, d’abord son existence, « il rendra service aux historiens et aux lecteurs curieux ». « Il deviendra même un ouvrage de référence », dit-il. Ce n’est pas rien ! Il fait toutefois remarquer quelques faiblesses,
- celle d’exclure par principes les évêques missionnaires, si bien que Mgr Marcel Lefebvre est pratiquement inexistant, une simple notice de quelques lignes - et celle « d’introduire dans ce dictionnaire historique les évêques encore en vie ou, même, encore en fonction ». Il fait également remarquer qu’il ne faut pas s’attendre en « ce genre d’ouvrage » de trouver « des analyses toujours fines et balancées. Certaines formules simplistes sont employées à la va-vite ». Son attention fut attirée par la notice sur Mgr Bouchex, l’archevêque d’Avignon, de 1978 à 1982 où se trouve le monastère de Dom Gérard. On peut y lire : « Mgr Bouchex a inlassablement travaillé à l’entrée dans la pleine communion catholique du monastère lefebvriste Sainte-Madeleine-du-Barroux, ce qui s’est réalisé au mois de juillet 1988. » Yves Chiron commente : « Outre que résumer cette longue histoire dans une seule phrase est un peu court, on pourra trouver aussi que l’adverbe « inlassablement » et le qualificatif « lefebvriste » sont, ici, particulièrement inappropriés ». Cette remarque d’Yves Chiron m’a interpellée.
Je laisserai de côté le rôle de Mgr Bouchex dans « l’entrée dans la pleine communion catholique du monastère » du Barroux. Sa préoccupation en cette affaire fut-elle inlassable ?
Je ne m’intéresserai qu’au qualificatif « lefebvriste » donné par ce nouveau dictionnaire au «monastère Sainte-Madeleine-du-Barroux », Est-il « lefebvriste » ? Fut-il, au temps de Dom Gérard, « lefebvriste » ? Dom Gérard fut-il « lefebvriste » ?
C’est une question qu’on peut, de fait, se poser. Elle est intéressante, délicate. Je pense qu’il faut préciser et nuancer.
Je me souviens d’une réflexion que je faisais – j’étais encore assistant du supérieur général de la FSSPX – à mes confrères, lors d’une réunion au sommet à Rickenbach. Nous étions juste après le décès de Mgr Lefebvre, le 25 mars 1991. Je leur disais : « et surtout ne faisons pas de « lefébvrisme ». Je le répétais souvent. Je crois avoir choqué, du moins grandement surpris M l’abbé Schmidberger, alors encore supérieur général et mes autres confrères, le secrétaire général. En faisant cette remarque, je me rappelais une réflexion faite par Dom Gérard, lui-même aux « demoiselles » de Malvière, petite école de jeunes filles fondée par Melle Luce Quenette, près de la Chaise-Dieu, où je fus aumônier, un temps, en 1972. A son décès, Dom Gérard leur avait dit de ne pas faire « de mimétisme ». D’un grand personnage, il faut garder les principes sans faire de « mimétisme ». Les situations changent, les circonstances aussi, les autorités rencontrées également. La fidélité à une pensée est une bonne chose. Cette fidélité doit être louée. La garde d’une doctrine doit être aussi louée, sans fixisme pourtant, fixisme qui doit être condamné. L’estime d’une personne doit être entretenue, sa mémoire gardée, sa vie aimée et admirée, son idéal étudié et transmis. Ce qui ne veut pas dire que ce qui fut fait un jour par cette personne aimée, éminente, doit être continué toujours. Oui ! Pas de fixisme. Pas de « mimétisme », quelle que soit la personne aussi puissante soit-elle ou fut-elle, de son vivant.
Voilà, je crois, ce que je pensais lorsque je disais à mes confrères, au sujet de Mgr Lefebvre, quels que jours après son décès : « pas de lefebvrisme ». Tout mimétisme, tout fixisme est sclérosant, le « lefebvrisme » aussi.
Voilà, je crois, ce que voulait dire aussi Dom Gérard aux demoiselles de Malvière. Il est difficile de dire que Dom Gérard ne fut pas admiratif, un temps, de Mgr Lefebvre. Son caractère enjoué et mur sut reconnaître les belles qualités du prélat, de cet archevêque de « fer ». Il n’a pas pu ne pas aimer sa foi, son immense charité, sa grande bonté, son dévouement inlassable. Lui, le bâtisseur de beaux monastères, n’a pas pu ne pas reconnaître également les qualités de cet évêques également bâtisseur. Et comment ! Il connaissait son rôle de missionnaire en Afrique. Rôle loué même par ses « ennemis ». Il savait et appréciait le rôle qu’il eut au Concile. Il savait qu’il avait été choisi par ses pairs pour être le président du « Coetus internationalis Patrum ». Il avait connu et apprécié son énergique intervention en faveur de la « Cité Catholique », intervention qui fut tellement critiquée par l’épiscopat français. Il connaissait l’estime affectueuse que lui portait Jean Madiran, l’ami intime de Dom Gérard, son professeur à Maslacq. Mgr Lefebvre sut bien souvent intervenir en faveur de la revue « Itinéraires » qu’il soutenait. Il l’utilisait même pour faire connaître son action, ses relations difficiles avec Rome. Il en appréciait la présentation, les notes et commentaires toujours judicieux du directeur de la revue. Tout cela créait des liens, entretenait l’estime.
Il a fallu attendre les sacres pour voir cette « estime affectueuse » diminuer un peu ou même s’interrompre. Je disais, un jour, à Jean Madiran, lors d’un repas à mon retour de mon exil canadien – que j’ai fort apprécié au demeurant – , qu’elle reprendrait au ciel !
L’estime était telle que ces deux personnages, Dom Gérard, Mgr Lefebvre, ne pouvaient pas ne pas se rencontrer. La rencontre eut lieu à Bedoin, le 10 juin 1974, Soyons plus précis. Elle est même antérieure. Ils ont fait connaissance à Jouques, le 6 janvier 1972. Là, ils « constatent leur convergence » sur bien des points, en particulier « sur la liturgie traditionnelle », la messe tridentine, le grégorien, dont le maintien est à l’origine de la fondation du monastère de Bédoin et ensuite du Barroux. (Livre Blanc p.7). Cette liturgie romaine, Dom Gérard l’a apprise à l’école d’André Charlier, d’Albert Gérard, d’Henri Charlier. Jean Madiran fait remarquer dans le bel article qu’il lui consacre dans Présent après son décès, « Mémoiure de Dom Gérard », qu’il est « un héritier », un héritier de la tradition bénédictine, de la Règle de saint Benoît, de la liturgie bénédictine. Voilà les deux piliers de l’œuvre immense de Dom Gérard. Cela ne pouvait que plaire à Mgr Lefebvre qui, dans le même temps, initiait, formait tout un clergé à l’amour de la Tradition, à l’amour de la liturgie tridentine, à l’amour de saint Thomas, à l’amour du catéchisme du Concile de Trente (que Jean Madiran rediffusait en France dans la collection Itinéraires. C’est toujours sur cette édition que je travaille…) Si cette fidélité à la Tradition est une des caractéristiques du monastère de Dom Gérard, c’est une des caractéristiques des séminaires de Mgr Lefebvre et, au-delà, de tous les séminaires qui relèvent aujourd’hui de la commission « Ecclesiae Dei ».
Dom Gérard est-il « lefebvriste » pour autant ? Je ne le crois pas. Ces diverses fondations, aux parcours historiques particuliers, sont-elles « lefebvristes » pour autant ? Je ne le crois pas. La FSSPX, parce que directement fondée par Mgr Lefebvre doit-elle être « lefebvriste » ? Je ne le crois pas. Mgr Lefebvre aurait eu horreur de ce qualificatif, lui qui ne cessait de dire ne pas vouloir être le chef de file de quoi que ce soit, ni de rien, ni de personne. Il était évêque catholique et faisait son devoir d’évêque catholique sans compromission avec le monde moderne. Un point c’est tout. L’épitaphe qu’il voulut faire inscrire sur sa tombe dit tout son programme : « Accepi quod et tradidi » ( J’ai reçu ce que j’ai transmis) . Et rien d’autre. C’est tout Mgr Lefebvre. C’est sa gloire, son mérite, son honneur. L’œuvre fut rendu difficile par suite de la crise de l’Eglise et de l’opposition dont il fut l’objet, de la part même des autorités romaines. Mais c’est ainsi que l’on peut juger de la pratique héroïque des vertus. Mgr Lefebvre aidait toute communauté qui voulait garder la fidélité à leur fondateur, la fidélité à leur tradition. Ainsi aida-t-il toutes les communautés religieuses féminines, les dominicaines, les carmélites ; toutes les communautés religieuses d’hommes, les capucins, le père Lecareux, ainsi que la communauté de Dom Gérard…Il les respectait toutes dans leur originalité sans leur demander de faire allégeance à un quelconque « lefebvrisme ». Il voulait seulement les aider en leur procurant les ordinations sacerdotales, les aumôneries, les retraites spirituelles le règlement des problèmes canoniques. Lorsqu’il présenta sa lettre au Cardinal Gagnon, à l’issue de la visite canonique de 1987, il présenta un organigramme très clair concernant toutes les différentes communautés de la Tradition. Il les gardait dans son cœur sans vouloir les absorber. Aucun « lefebvrisme » dans sa pensée. Aucun « totalitarisme ». Il ne l’aurait pas supporté chez les autres. Il était heureux d’aider Dom Gérard sans lui demander le moindre « lefebvrisme », la moindre allégeance.
Et de fait l’admiration n’oblige pas « au mimétisme ». Les saints qui cherchent à imiter NSJC gardent toute leur originalité. L’un n’est pas l’autre. Ils sont tous divers même s’ils ont le même modèle : le Christ. Les familles religieuses dans l’Eglise sont toutes différentes même si elles ont toutes le même idéal… « l’amour de Dieu et l’amour du prochain » Entre Mgr Lefebvre et Dom Gérard, il y eut une grande sympathie. On peut le comprendre. Aussi a-t-on vu longtemps et souvent Mgr Lefebvre à Bédoin, puis au Barrou. Il venait y conférer les ordinations aux ordres mineurs, y donner le sacrement de confirmation aux familles formées par les moines. Il y passait pour donner des entretiens. Sur toutes les difficultés que connut le courant de la Tradition dans cette longue période de plus de trente, il y eut une profonde unité de pensée, d’idéal, unité de pensée sur le « sédévacantisme ». Une profonde répulsion de ce courant animait l’un et l’autre en raison de l’amour qu’ils portaient à l’Eglise visible, un même amour les unissait sur la nécessité de chercher une « reconnaissance canonique », de ne pas se satisfaire de cette situation où leur fidélité à la Tradition les avait conduit. On l’a vu bénir la crypte du nouveau monastère, le 20 décembre 1981…
Ils étaient unis, malgré leurs différences tellement profondes, parce qu’ils avaient la même « fidélité » qui est la conséquence de la « piété filiale ». Ainsi l’un et l’autre, l’un dans l’idéal monastique qu’il pratiqua dans la fidélité à la Règle de saint Benoît, l’autre dans l’idéal sacerdotal qu’il pratiqua dans la fidélité à la Rome éternelle, n’ont pas « innové », comme le dit très justement Jean Madiran de Dom Gérard. Et pourtant ils ont « restauré ». Et grandement… à tel point que des monastères de Dom Gérard « sortira peut-être, si Dieu veut, une nouvelle branche de la famille bénédictine », – c’est la conclusion de l’article de Jean Madiran, dans Présent du jeudi 3 avril 2008 – , comme des séminaires de la FSSPX sort aujourd’hui tout un renouveau sacerdotal, des communautés nouvelles, toutes fidèles, essentiellement, à la messe tridentine…Un jour, Mgr Lefebvre me disait pensant aux prêtres qu’il avait ordonnés : « Finalement, je n’ai pas eu la main si malheureuse que cela ». Et là, il n’excluait nullement les prêtres qui, pourtant, avaient cru devoir le quitter. Je témoigne.
Malgré leur estime réciproque et leur communauté de pensée sur bien des points, Mgr Lefebvre et Dom Gérard se sont divisés. Ils se sont séparés. Pourquoi ?
Ils se sont séparés sur le problème de la reconnaissance canonique par Rome. Mgr Lefebvre avait rompu les contacts avec Rome, espérant les reprendre plus tard, en retirant sa signature du protocole d’accord signé le 5 mai 1988. Il était « inquiet » et ne croyait pas à la « sincérité » de Rome. – Je peux le justifier- On lui refusait de confirmer une date pour les sacres dont le principe était pourtant accepté, lui disait-on. Il ne pouvait obtenir la majorité des membres dans la commission qu’il demandait que Rome crée pour régler les nombreux problèmes qui se lèveraient dans les relations entre la Tradition et les ordinaires. Le Vatican était-il si décidé que cela à permettre le retour de la messe tridentine…Nous étions en 1987 1988…2007 était loin…Dom Gérard, à la même époque, entretenait lui les relations avec Rome et les multipliait indépendamment de Mgr Lefebvre, mais en toute ouverture avec Mgr Lefebvre, lit-on dans le « Livre blanc » du monastère. Le 8 juillet, Dom Gérard écrivait au Souverain Pontife Jean-Paul II pour lui dire qu’il « refusait d’approuver un sacre épiscopal accompli sans mandat pontifical ». Le 25 juillet, ils étaient réconciliés avec Rome sur la base du protocole du 5 mai, bénéficiant ainsi de la levée des peines canoniques, de la reconnaissance du droit à la liturgie traditionnelle, la promesse de statut canonique, le droit des fidèles à recevoir les sacrements selon le missel de 1962 et enfin la conservation des ministères (catéchismes, troupe scout etc). (cf Libre blanc p 19)
Le monastère du Barroux, quoi qu’en dise l’auteur de la notice sur Mgr Boutex du nouveau dictionnaire, n’est donc pas si « lefebvriste » que cela. Il se rapprochait de Rome quand Mgr Lefebvre s’en éloignait…C’est un point qui est historique, que l’on ne peut nier, qui va contre la thèse du « lefebvrisme » de Dom Gérard et de ses fondations.
Pourquoi donc cet éloignement physique et moral des deux hommes d’Eglise alors que tant de points les ont unis des années durant ? Peut-on apporter une réponse, un élément de réponse.
Le problème des sacres a-t-il été si déterminant que cela dans la pensée de Dom Gérard. Il le dit, l’a écrit au pape…Il faut donc en prendre acte.
Mais je pense qu’il a pris ses distances par rapport avec Mgr Lefebvre aussi parce qu’il n’avait pas un jugement aussi clair, aussi net que Mgr Lefebvre sur la crise de l’Eglise, sur la nocivité du modernisme à l’intérieur de l’Eglise, sur la ruine de la vie liturgique que causait dans l’Eglise la publication du missel de Paul VI. Certes, il réagit énergiquement et courageusement contre la crise qui touchait la vie monastique bénédictine, crise qu’il connut au monastère de Tournay…Mais c’est d’abord l’idéal bénédictin que Dom Gérard eut en vue. Ce n’est peut-être pas la crise conciliaire, moderniste qui le détermina à aller à Bédoin…Ainsi n’eut-il peut-être pas la connaissance aussi parfaite que Mgr Lefebvre sur les principes qui ruinaient l’Eglise.
Certes, il garda dans son monastère la liturgie tridentine et à la fin de sa vie, manifesta-t-il une claire intention. Il rappela au nouveau Père abbé du Monastère qui était un peu « bousculé » par une ailes « marchante » de son monastère, qu’il ne fallait pas tirer une conclusion fausse des deux concélébrations qu’il crut devoir accepter pour permettre la fondation du nouveau monastère dans le diocèse d’Agen. Il lui communiquait une note lui disant: « Je regrette infiniment, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit ». C’est une belle phrase. Mais il avait célébré dans le nouveau rite…Ce que ne fit jamais Mgr Lefebvre…alors même qu’on lui affirmait que tout serait aplani entre Rome et lui et ses fondations s’il acceptait de célébrer dans le nouveau rite. C’était le Père Dhanis, recteur magnifique de la Grégorienne qui était venu le lui dire de Rome, de la part du pape, à Flavigny. Une telle œuvre fondée sur une telle foi, sur une telle conviction a toutes les chances de durer. Il le dit le 29 juin 1976 dans son discours d’Ecône. Nul membre de la FSPPX ne pourra jamais invoquer un comportement « douteux » sur la liturgie nouvelle de la par de Mgr Lefebvre. Il y a assisté quelque fois pour des raisons sociales et familiales…Il ne l’a jamais célébrée. Certes Dom Gérard a bien écrit aussi au même Père abbé : « Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ». Je me réjouis profondément de lire cela…Le combat liturgique fut toute la vie de Dom Gérard. A la bonne heure… Mais rien ne pourra faire oublié qu’il concélébra un jour … pour obtenir une fondation. Une fondation d’un monastère est un bien. Faut-il pour cela accepter une célébration nouvelle ? « Paris vaut bien une messe », me direz vous…Mais, si cette phrase fut un jour prononcée, la messe en question était la messe tridentine… Ni Mgr Lefebvre, ni le Père Calmel, ni M l’abbé Dulac ne l’ont jamais fait. Il y a là un mode d’agir qui n’est pas selon la pensée de Mgr Lefebvre. Mgr Lefebvre ne nous a pas habitué à un agir « rusé ». J’aime cette netteté de Mgr Lefebvre et veux lui rester fidèle. C’est, du reste, ne l’oublions pas, cette mâle assurance de Mgr Lefebvre qui a permis à toutes les communautés « Ecclesia Dei » de garder la messe tridentine. Et je pense que si nous avons aujourd’hui la joie de bénéficier du Motu Proprio de Benoît XVI « Summorum Pntificum » nous le devons à cette conviction théologale, à cette attitude de Mgr Lefebvre, à son combat opiniâtre sans concession aucune, des année durant. Mais quelle force d’âme faillait-il ! Quelle foi? Et j’ajouterai que si en 1988 nous étions restés unis, comme en 1976, nous aurions tout obtenu de Rome, une « administration apostolique » avec exemption des Ordinaires, comme les pères de Mgr de Castro Mayer de Campos. Ainsi la concélébration de Dom Gérard à Agen pour obtenir sa fondation n’aurait pas été nécessaire. Mais on ne refait pas l’histoire.
Ce qui me confirme surtout dans ce jugement – qui n’est nullement une condamnation – mais une réflexion pour mieux agir à l’avenir, c’est l’attitude que Dom Gérard eut en 1998, le 14 octobre 1998, lorsqu’il voulut intégrer la Conférence monastique de France, le C.M.F. On l’obligea à reconnaître la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse. Il accepta de signer : « Ils (les moines) adhèrent désormais unanimement à sa doctrine ». La chose est faite depuis longtemps à l’intérieur du monastère depuis la soutenance de la thèse du Père Basile, préfet des études. C’est un autre éloignement certain d’avec la pensée de Mgr Lefebvre sur ce sujet. On sait l’attitude de Mgr Lefebvre lors du Concile et après le Concile. Un refus clair et net de ce texte conciliaire.
(NB : Je suis du reste très impatient de savoir comment les autorités actuelles de la FSSPX vont régler ce problème avec Rome. Si les relations échouent avec Rome, ce sera sur ce sujet, à moins que Rome accepte le texte habile de M l’abbé Celier. Ce n’est pas impossible. Mais il restera alors à trouver une solution sur le texte de Nostra Aetate. Ce ne sera pas facile, non plus, quant on sait l’importance que le monde juif attache à ce texte…Je reste toujours convaincu que mes confrères ont pris une mauvaise direction pour régler le problème canonique. On aurait du mieux s’inspirer de Mgr Lefebvre et de sa lettre qu’il donnait au Cardinal Gagnon, en novembre 1987).
Dom Gérard signa également avec le Père Etienne Ricaud, président du C.A.F. « qu’il acceptait :
-de concélébrer ou d’envoyer son représentant concélébrer avec l’évêque diocésain à la messe chrismale, partout où son monastère est ou sera implanté ; -que les moines prêtres de son monastère puissent, s’ils le désirent, concélébrer à la messe conventuelle dans les communautés où ils seront en visite. Enfin, il faut noter que les prêtres en visite à l’abbaye du Barroux peuvent s’ils le souhaitent, célébrer, voire concélébrer, la messe selon le rite de Paul VI ». Lorsque l’on signe cela, peut-on dire objectivement : « Qu’il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ». Là aussi, il me semble qu’il y a un éloignement certain avec les positions de Mgr Lefebvre. Cette « critique » que je me permets de faire touche plutôt l’action de Dom Gérard que la pensée. Mais on m’a appris en philosophie que « l’agere sequitur esse », (l’agir suit l’être). L’être était –il donc si sur chez Dom Gérard. Sa pensée était-elle si ferme ? Aussi ferme que chez Mgr Lefebvre ? Je ne le pense pas. Il y a peut-être ici une nouvelle différence entre l’un et l’autre.
Ils se sont retrouvés, vraisemblablement, au Ciel et ont retrouvé leur unité dans le chant de la liturgie céleste tout à la gloire de Dieu. C’est le plus important.
Mais ici bas il faut continuer le combat liturgique et autres combats encore. Je garde le parti de Mgr Lefebvre sans être pour autant « lefebvriste ». Il ne le voudrait pas, vous dis-je.
Yves Chiron, dans Présent du samedi 23 octobre 2010, fait une rapide présentation, en dernière page du journal, d’une récente publication aux éditions du « Cerf » d’un dictionnaire intitulé « Dictionnaire des évêques de France au XXe siècle». Il fait remarquer les qualités de l’ouvrage, d’abord son existence, « il rendra service aux historiens et aux lecteurs curieux ». « Il deviendra même un ouvrage de référence », dit-il. Ce n’est pas rien ! Il fait toutefois remarquer quelques faiblesses,
- celle d’exclure par principes les évêques missionnaires, si bien que Mgr Marcel Lefebvre est pratiquement inexistant, une simple notice de quelques lignes - et celle « d’introduire dans ce dictionnaire historique les évêques encore en vie ou, même, encore en fonction ». Il fait également remarquer qu’il ne faut pas s’attendre en « ce genre d’ouvrage » de trouver « des analyses toujours fines et balancées. Certaines formules simplistes sont employées à la va-vite ». Son attention fut attirée par la notice sur Mgr Bouchex, l’archevêque d’Avignon, de 1978 à 1982 où se trouve le monastère de Dom Gérard. On peut y lire : « Mgr Bouchex a inlassablement travaillé à l’entrée dans la pleine communion catholique du monastère lefebvriste Sainte-Madeleine-du-Barroux, ce qui s’est réalisé au mois de juillet 1988. » Yves Chiron commente : « Outre que résumer cette longue histoire dans une seule phrase est un peu court, on pourra trouver aussi que l’adverbe « inlassablement » et le qualificatif « lefebvriste » sont, ici, particulièrement inappropriés ». Cette remarque d’Yves Chiron m’a interpellée.
Je laisserai de côté le rôle de Mgr Bouchex dans « l’entrée dans la pleine communion catholique du monastère » du Barroux. Sa préoccupation en cette affaire fut-elle inlassable ?
Je ne m’intéresserai qu’au qualificatif « lefebvriste » donné par ce nouveau dictionnaire au «monastère Sainte-Madeleine-du-Barroux », Est-il « lefebvriste » ? Fut-il, au temps de Dom Gérard, « lefebvriste » ? Dom Gérard fut-il « lefebvriste » ?
C’est une question qu’on peut, de fait, se poser. Elle est intéressante, délicate. Je pense qu’il faut préciser et nuancer.
Je me souviens d’une réflexion que je faisais – j’étais encore assistant du supérieur général de la FSSPX – à mes confrères, lors d’une réunion au sommet à Rickenbach. Nous étions juste après le décès de Mgr Lefebvre, le 25 mars 1991. Je leur disais : « et surtout ne faisons pas de « lefébvrisme ». Je le répétais souvent. Je crois avoir choqué, du moins grandement surpris M l’abbé Schmidberger, alors encore supérieur général et mes autres confrères, le secrétaire général. En faisant cette remarque, je me rappelais une réflexion faite par Dom Gérard, lui-même aux « demoiselles » de Malvière, petite école de jeunes filles fondée par Melle Luce Quenette, près de la Chaise-Dieu, où je fus aumônier, un temps, en 1972. A son décès, Dom Gérard leur avait dit de ne pas faire « de mimétisme ». D’un grand personnage, il faut garder les principes sans faire de « mimétisme ». Les situations changent, les circonstances aussi, les autorités rencontrées également. La fidélité à une pensée est une bonne chose. Cette fidélité doit être louée. La garde d’une doctrine doit être aussi louée, sans fixisme pourtant, fixisme qui doit être condamné. L’estime d’une personne doit être entretenue, sa mémoire gardée, sa vie aimée et admirée, son idéal étudié et transmis. Ce qui ne veut pas dire que ce qui fut fait un jour par cette personne aimée, éminente, doit être continué toujours. Oui ! Pas de fixisme. Pas de « mimétisme », quelle que soit la personne aussi puissante soit-elle ou fut-elle, de son vivant.
Voilà, je crois, ce que je pensais lorsque je disais à mes confrères, au sujet de Mgr Lefebvre, quels que jours après son décès : « pas de lefebvrisme ». Tout mimétisme, tout fixisme est sclérosant, le « lefebvrisme » aussi.
Voilà, je crois, ce que voulait dire aussi Dom Gérard aux demoiselles de Malvière. Il est difficile de dire que Dom Gérard ne fut pas admiratif, un temps, de Mgr Lefebvre. Son caractère enjoué et mur sut reconnaître les belles qualités du prélat, de cet archevêque de « fer ». Il n’a pas pu ne pas aimer sa foi, son immense charité, sa grande bonté, son dévouement inlassable. Lui, le bâtisseur de beaux monastères, n’a pas pu ne pas reconnaître également les qualités de cet évêques également bâtisseur. Et comment ! Il connaissait son rôle de missionnaire en Afrique. Rôle loué même par ses « ennemis ». Il savait et appréciait le rôle qu’il eut au Concile. Il savait qu’il avait été choisi par ses pairs pour être le président du « Coetus internationalis Patrum ». Il avait connu et apprécié son énergique intervention en faveur de la « Cité Catholique », intervention qui fut tellement critiquée par l’épiscopat français. Il connaissait l’estime affectueuse que lui portait Jean Madiran, l’ami intime de Dom Gérard, son professeur à Maslacq. Mgr Lefebvre sut bien souvent intervenir en faveur de la revue « Itinéraires » qu’il soutenait. Il l’utilisait même pour faire connaître son action, ses relations difficiles avec Rome. Il en appréciait la présentation, les notes et commentaires toujours judicieux du directeur de la revue. Tout cela créait des liens, entretenait l’estime.
Il a fallu attendre les sacres pour voir cette « estime affectueuse » diminuer un peu ou même s’interrompre. Je disais, un jour, à Jean Madiran, lors d’un repas à mon retour de mon exil canadien – que j’ai fort apprécié au demeurant – , qu’elle reprendrait au ciel !
L’estime était telle que ces deux personnages, Dom Gérard, Mgr Lefebvre, ne pouvaient pas ne pas se rencontrer. La rencontre eut lieu à Bedoin, le 10 juin 1974, Soyons plus précis. Elle est même antérieure. Ils ont fait connaissance à Jouques, le 6 janvier 1972. Là, ils « constatent leur convergence » sur bien des points, en particulier « sur la liturgie traditionnelle », la messe tridentine, le grégorien, dont le maintien est à l’origine de la fondation du monastère de Bédoin et ensuite du Barroux. (Livre Blanc p.7). Cette liturgie romaine, Dom Gérard l’a apprise à l’école d’André Charlier, d’Albert Gérard, d’Henri Charlier. Jean Madiran fait remarquer dans le bel article qu’il lui consacre dans Présent après son décès, « Mémoiure de Dom Gérard », qu’il est « un héritier », un héritier de la tradition bénédictine, de la Règle de saint Benoît, de la liturgie bénédictine. Voilà les deux piliers de l’œuvre immense de Dom Gérard. Cela ne pouvait que plaire à Mgr Lefebvre qui, dans le même temps, initiait, formait tout un clergé à l’amour de la Tradition, à l’amour de la liturgie tridentine, à l’amour de saint Thomas, à l’amour du catéchisme du Concile de Trente (que Jean Madiran rediffusait en France dans la collection Itinéraires. C’est toujours sur cette édition que je travaille…) Si cette fidélité à la Tradition est une des caractéristiques du monastère de Dom Gérard, c’est une des caractéristiques des séminaires de Mgr Lefebvre et, au-delà, de tous les séminaires qui relèvent aujourd’hui de la commission « Ecclesiae Dei ».
Dom Gérard est-il « lefebvriste » pour autant ? Je ne le crois pas. Ces diverses fondations, aux parcours historiques particuliers, sont-elles « lefebvristes » pour autant ? Je ne le crois pas. La FSSPX, parce que directement fondée par Mgr Lefebvre doit-elle être « lefebvriste » ? Je ne le crois pas. Mgr Lefebvre aurait eu horreur de ce qualificatif, lui qui ne cessait de dire ne pas vouloir être le chef de file de quoi que ce soit, ni de rien, ni de personne. Il était évêque catholique et faisait son devoir d’évêque catholique sans compromission avec le monde moderne. Un point c’est tout. L’épitaphe qu’il voulut faire inscrire sur sa tombe dit tout son programme : « Accepi quod et tradidi » ( J’ai reçu ce que j’ai transmis) . Et rien d’autre. C’est tout Mgr Lefebvre. C’est sa gloire, son mérite, son honneur. L’œuvre fut rendu difficile par suite de la crise de l’Eglise et de l’opposition dont il fut l’objet, de la part même des autorités romaines. Mais c’est ainsi que l’on peut juger de la pratique héroïque des vertus. Mgr Lefebvre aidait toute communauté qui voulait garder la fidélité à leur fondateur, la fidélité à leur tradition. Ainsi aida-t-il toutes les communautés religieuses féminines, les dominicaines, les carmélites ; toutes les communautés religieuses d’hommes, les capucins, le père Lecareux, ainsi que la communauté de Dom Gérard…Il les respectait toutes dans leur originalité sans leur demander de faire allégeance à un quelconque « lefebvrisme ». Il voulait seulement les aider en leur procurant les ordinations sacerdotales, les aumôneries, les retraites spirituelles le règlement des problèmes canoniques. Lorsqu’il présenta sa lettre au Cardinal Gagnon, à l’issue de la visite canonique de 1987, il présenta un organigramme très clair concernant toutes les différentes communautés de la Tradition. Il les gardait dans son cœur sans vouloir les absorber. Aucun « lefebvrisme » dans sa pensée. Aucun « totalitarisme ». Il ne l’aurait pas supporté chez les autres. Il était heureux d’aider Dom Gérard sans lui demander le moindre « lefebvrisme », la moindre allégeance.
Et de fait l’admiration n’oblige pas « au mimétisme ». Les saints qui cherchent à imiter NSJC gardent toute leur originalité. L’un n’est pas l’autre. Ils sont tous divers même s’ils ont le même modèle : le Christ. Les familles religieuses dans l’Eglise sont toutes différentes même si elles ont toutes le même idéal… « l’amour de Dieu et l’amour du prochain » Entre Mgr Lefebvre et Dom Gérard, il y eut une grande sympathie. On peut le comprendre. Aussi a-t-on vu longtemps et souvent Mgr Lefebvre à Bédoin, puis au Barrou. Il venait y conférer les ordinations aux ordres mineurs, y donner le sacrement de confirmation aux familles formées par les moines. Il y passait pour donner des entretiens. Sur toutes les difficultés que connut le courant de la Tradition dans cette longue période de plus de trente, il y eut une profonde unité de pensée, d’idéal, unité de pensée sur le « sédévacantisme ». Une profonde répulsion de ce courant animait l’un et l’autre en raison de l’amour qu’ils portaient à l’Eglise visible, un même amour les unissait sur la nécessité de chercher une « reconnaissance canonique », de ne pas se satisfaire de cette situation où leur fidélité à la Tradition les avait conduit. On l’a vu bénir la crypte du nouveau monastère, le 20 décembre 1981…
Ils étaient unis, malgré leurs différences tellement profondes, parce qu’ils avaient la même « fidélité » qui est la conséquence de la « piété filiale ». Ainsi l’un et l’autre, l’un dans l’idéal monastique qu’il pratiqua dans la fidélité à la Règle de saint Benoît, l’autre dans l’idéal sacerdotal qu’il pratiqua dans la fidélité à la Rome éternelle, n’ont pas « innové », comme le dit très justement Jean Madiran de Dom Gérard. Et pourtant ils ont « restauré ». Et grandement… à tel point que des monastères de Dom Gérard « sortira peut-être, si Dieu veut, une nouvelle branche de la famille bénédictine », – c’est la conclusion de l’article de Jean Madiran, dans Présent du jeudi 3 avril 2008 – , comme des séminaires de la FSSPX sort aujourd’hui tout un renouveau sacerdotal, des communautés nouvelles, toutes fidèles, essentiellement, à la messe tridentine…Un jour, Mgr Lefebvre me disait pensant aux prêtres qu’il avait ordonnés : « Finalement, je n’ai pas eu la main si malheureuse que cela ». Et là, il n’excluait nullement les prêtres qui, pourtant, avaient cru devoir le quitter. Je témoigne.
Malgré leur estime réciproque et leur communauté de pensée sur bien des points, Mgr Lefebvre et Dom Gérard se sont divisés. Ils se sont séparés. Pourquoi ?
Ils se sont séparés sur le problème de la reconnaissance canonique par Rome. Mgr Lefebvre avait rompu les contacts avec Rome, espérant les reprendre plus tard, en retirant sa signature du protocole d’accord signé le 5 mai 1988. Il était « inquiet » et ne croyait pas à la « sincérité » de Rome. – Je peux le justifier- On lui refusait de confirmer une date pour les sacres dont le principe était pourtant accepté, lui disait-on. Il ne pouvait obtenir la majorité des membres dans la commission qu’il demandait que Rome crée pour régler les nombreux problèmes qui se lèveraient dans les relations entre la Tradition et les ordinaires. Le Vatican était-il si décidé que cela à permettre le retour de la messe tridentine…Nous étions en 1987 1988…2007 était loin…Dom Gérard, à la même époque, entretenait lui les relations avec Rome et les multipliait indépendamment de Mgr Lefebvre, mais en toute ouverture avec Mgr Lefebvre, lit-on dans le « Livre blanc » du monastère. Le 8 juillet, Dom Gérard écrivait au Souverain Pontife Jean-Paul II pour lui dire qu’il « refusait d’approuver un sacre épiscopal accompli sans mandat pontifical ». Le 25 juillet, ils étaient réconciliés avec Rome sur la base du protocole du 5 mai, bénéficiant ainsi de la levée des peines canoniques, de la reconnaissance du droit à la liturgie traditionnelle, la promesse de statut canonique, le droit des fidèles à recevoir les sacrements selon le missel de 1962 et enfin la conservation des ministères (catéchismes, troupe scout etc). (cf Libre blanc p 19)
Le monastère du Barroux, quoi qu’en dise l’auteur de la notice sur Mgr Boutex du nouveau dictionnaire, n’est donc pas si « lefebvriste » que cela. Il se rapprochait de Rome quand Mgr Lefebvre s’en éloignait…C’est un point qui est historique, que l’on ne peut nier, qui va contre la thèse du « lefebvrisme » de Dom Gérard et de ses fondations.
Pourquoi donc cet éloignement physique et moral des deux hommes d’Eglise alors que tant de points les ont unis des années durant ? Peut-on apporter une réponse, un élément de réponse.
Le problème des sacres a-t-il été si déterminant que cela dans la pensée de Dom Gérard. Il le dit, l’a écrit au pape…Il faut donc en prendre acte.
Mais je pense qu’il a pris ses distances par rapport avec Mgr Lefebvre aussi parce qu’il n’avait pas un jugement aussi clair, aussi net que Mgr Lefebvre sur la crise de l’Eglise, sur la nocivité du modernisme à l’intérieur de l’Eglise, sur la ruine de la vie liturgique que causait dans l’Eglise la publication du missel de Paul VI. Certes, il réagit énergiquement et courageusement contre la crise qui touchait la vie monastique bénédictine, crise qu’il connut au monastère de Tournay…Mais c’est d’abord l’idéal bénédictin que Dom Gérard eut en vue. Ce n’est peut-être pas la crise conciliaire, moderniste qui le détermina à aller à Bédoin…Ainsi n’eut-il peut-être pas la connaissance aussi parfaite que Mgr Lefebvre sur les principes qui ruinaient l’Eglise.
Certes, il garda dans son monastère la liturgie tridentine et à la fin de sa vie, manifesta-t-il une claire intention. Il rappela au nouveau Père abbé du Monastère qui était un peu « bousculé » par une ailes « marchante » de son monastère, qu’il ne fallait pas tirer une conclusion fausse des deux concélébrations qu’il crut devoir accepter pour permettre la fondation du nouveau monastère dans le diocèse d’Agen. Il lui communiquait une note lui disant: « Je regrette infiniment, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit ». C’est une belle phrase. Mais il avait célébré dans le nouveau rite…Ce que ne fit jamais Mgr Lefebvre…alors même qu’on lui affirmait que tout serait aplani entre Rome et lui et ses fondations s’il acceptait de célébrer dans le nouveau rite. C’était le Père Dhanis, recteur magnifique de la Grégorienne qui était venu le lui dire de Rome, de la part du pape, à Flavigny. Une telle œuvre fondée sur une telle foi, sur une telle conviction a toutes les chances de durer. Il le dit le 29 juin 1976 dans son discours d’Ecône. Nul membre de la FSPPX ne pourra jamais invoquer un comportement « douteux » sur la liturgie nouvelle de la par de Mgr Lefebvre. Il y a assisté quelque fois pour des raisons sociales et familiales…Il ne l’a jamais célébrée. Certes Dom Gérard a bien écrit aussi au même Père abbé : « Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ». Je me réjouis profondément de lire cela…Le combat liturgique fut toute la vie de Dom Gérard. A la bonne heure… Mais rien ne pourra faire oublié qu’il concélébra un jour … pour obtenir une fondation. Une fondation d’un monastère est un bien. Faut-il pour cela accepter une célébration nouvelle ? « Paris vaut bien une messe », me direz vous…Mais, si cette phrase fut un jour prononcée, la messe en question était la messe tridentine… Ni Mgr Lefebvre, ni le Père Calmel, ni M l’abbé Dulac ne l’ont jamais fait. Il y a là un mode d’agir qui n’est pas selon la pensée de Mgr Lefebvre. Mgr Lefebvre ne nous a pas habitué à un agir « rusé ». J’aime cette netteté de Mgr Lefebvre et veux lui rester fidèle. C’est, du reste, ne l’oublions pas, cette mâle assurance de Mgr Lefebvre qui a permis à toutes les communautés « Ecclesia Dei » de garder la messe tridentine. Et je pense que si nous avons aujourd’hui la joie de bénéficier du Motu Proprio de Benoît XVI « Summorum Pntificum » nous le devons à cette conviction théologale, à cette attitude de Mgr Lefebvre, à son combat opiniâtre sans concession aucune, des année durant. Mais quelle force d’âme faillait-il ! Quelle foi? Et j’ajouterai que si en 1988 nous étions restés unis, comme en 1976, nous aurions tout obtenu de Rome, une « administration apostolique » avec exemption des Ordinaires, comme les pères de Mgr de Castro Mayer de Campos. Ainsi la concélébration de Dom Gérard à Agen pour obtenir sa fondation n’aurait pas été nécessaire. Mais on ne refait pas l’histoire.
Ce qui me confirme surtout dans ce jugement – qui n’est nullement une condamnation – mais une réflexion pour mieux agir à l’avenir, c’est l’attitude que Dom Gérard eut en 1998, le 14 octobre 1998, lorsqu’il voulut intégrer la Conférence monastique de France, le C.M.F. On l’obligea à reconnaître la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse. Il accepta de signer : « Ils (les moines) adhèrent désormais unanimement à sa doctrine ». La chose est faite depuis longtemps à l’intérieur du monastère depuis la soutenance de la thèse du Père Basile, préfet des études. C’est un autre éloignement certain d’avec la pensée de Mgr Lefebvre sur ce sujet. On sait l’attitude de Mgr Lefebvre lors du Concile et après le Concile. Un refus clair et net de ce texte conciliaire.
(NB : Je suis du reste très impatient de savoir comment les autorités actuelles de la FSSPX vont régler ce problème avec Rome. Si les relations échouent avec Rome, ce sera sur ce sujet, à moins que Rome accepte le texte habile de M l’abbé Celier. Ce n’est pas impossible. Mais il restera alors à trouver une solution sur le texte de Nostra Aetate. Ce ne sera pas facile, non plus, quant on sait l’importance que le monde juif attache à ce texte…Je reste toujours convaincu que mes confrères ont pris une mauvaise direction pour régler le problème canonique. On aurait du mieux s’inspirer de Mgr Lefebvre et de sa lettre qu’il donnait au Cardinal Gagnon, en novembre 1987).
Dom Gérard signa également avec le Père Etienne Ricaud, président du C.A.F. « qu’il acceptait :
-de concélébrer ou d’envoyer son représentant concélébrer avec l’évêque diocésain à la messe chrismale, partout où son monastère est ou sera implanté ; -que les moines prêtres de son monastère puissent, s’ils le désirent, concélébrer à la messe conventuelle dans les communautés où ils seront en visite. Enfin, il faut noter que les prêtres en visite à l’abbaye du Barroux peuvent s’ils le souhaitent, célébrer, voire concélébrer, la messe selon le rite de Paul VI ». Lorsque l’on signe cela, peut-on dire objectivement : « Qu’il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées ». Là aussi, il me semble qu’il y a un éloignement certain avec les positions de Mgr Lefebvre. Cette « critique » que je me permets de faire touche plutôt l’action de Dom Gérard que la pensée. Mais on m’a appris en philosophie que « l’agere sequitur esse », (l’agir suit l’être). L’être était –il donc si sur chez Dom Gérard. Sa pensée était-elle si ferme ? Aussi ferme que chez Mgr Lefebvre ? Je ne le pense pas. Il y a peut-être ici une nouvelle différence entre l’un et l’autre.
Ils se sont retrouvés, vraisemblablement, au Ciel et ont retrouvé leur unité dans le chant de la liturgie céleste tout à la gloire de Dieu. C’est le plus important.
Mais ici bas il faut continuer le combat liturgique et autres combats encore. Je garde le parti de Mgr Lefebvre sans être pour autant « lefebvriste ». Il ne le voudrait pas, vous dis-je.