30 avril 2011

[Jean Madiran - Présent] En marge d’une béatification - Les ruminations d’un contemporain

SOURCE - Jean Madiran - Présent - 30 avril 2011

J’avais cinquante-huit ans, comme lui, quand le cardinal Wojtyla, élu pape, prit le nom de Jean-Paul II, soit pour honorer son prédécesseur immédiat, prématurément décédé, soit pour marquer lui aussi une filiation dynastique avec les deux papes du Concile, Jean XXIII et Paul VI. La presse communiste internationale et le parti communiste français ne cessaient depuis des années de s’exprimer sur le Saint-Siège en termes troublants. Sept jours avant l’élection du 16 octobre 1978, le secrétaire général du parti communiste en France Georges Marchais déclarait : « Si le nouveau pape continue ce qu’a été l’œuvre de Jean XXIII et de Paul VI, on ne pourra que s’en féliciter. » Le secrétaire du comité central du parti chargé des affaires religieuses Maxime Gremetz proclamait en février 1980 : « Nous portons une appréciation positive sur Jean-Paul II. » C’était pourtant huit mois après le premier voyage de Jean-Paul II en Pologne. Les communistes n’avaient pas encore compris ce qui se passait. Ils y voyaient, selon Gremetz, l’acceptation de « la réalité du monde socialiste », comme si le Pape avait « dit aux masses chrétiennes : vous devez contribuer à la construction de cette société ». Gremetz allait jusqu’à estimer que la « définition » donnée par Jean-Paul II des droits de l’homme « rejoint la nôtre ». Ce sont d’ailleurs les communistes qui avaient mis en circulation le surnom de « pape des droits de l’homme », couramment répété durant les premières années du pontificat. Un tel langage n’avait bien entendu, dans la pensée communiste, aucune portée « doctrinale », il ne relevait que de la praxis marxiste-léniniste consistant à entraîner les chrétiens dans sa pratique de la dialectique, alors nommée « lutte de classes », que l’effondrement en Europe du communisme soviétique nous a laissée en héritage sous le nom désormais de « lutte contre toute discrimination ».

Les conséquences réelles de ce premier voyage en Pologne n’apparurent au communisme soviétique que bien après coup. Il fut alors définitivement détrompé de l’espoir de manipulation qu’il avait placé en Karol Wojtyla depuis une quinzaine d’années. C’est sa déception furieuse qui se traduisit par la tentative d’assassinat du 13 mai 1981.

II

Mais l’année précédant l’attentat, Jean-Paul II avait déjà gagné nos cœurs au Bourget, le 1er juin 1980, par sa triple interpellation de la France «fille aînée de l’Eglise» et «éducatrice des nations»:

— Es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?

La France existait donc encore. Ou plutôt, à l’appel du Pape, elle ressuscitait. On commençait cependant à entendre dire que les acclamations des jeunes, notamment lorsqu’ils applaudissaient à tout rompre les injonctions pontificales de virginité jusqu’au mariage, adhéraient au chanteur plutôt qu’à sa chanson. Et de fait, l’appel à la France a été tout à fait effacé par les Français. On ne l’aperçoit plus dans les tonnes d’hagiographies provoquées par la béatification prévue pour le 1er mai. Pourtant j’en trouve tout de même une petite mention, gentiment faite par une personne très pieuse dans une publication très recommandable, mais voici ce que cela donne :

«France, souviens-toi des promesses de ton baptême!»

La «fille aînée» et « l’«éducatrice des nations» ont disparu.

Jean-Paul II avait pourtant répété trois fois : « fille aînée de l’Eglise », ce dont personne ne semble s’être souvenu dans le récent débat officiel, et avorté, sur notre identité nationale. Cette identité de «fille aînée » est aujourd’hui refusée par nos autorités politiques et religieuses, c’est pourtant la seule qui soit spécifique à la France. Il y en a tout de même quelques-uns, relevant plus ou moins de l’école catholique contre-révolutionnaire, qui ont toujours gardé présentes à l’esprit la triple interpellation de Jean-Paul II et la gratitude profonde qui lui en est due. Due d’abord à Jésus notre Seigneur, dont le message à la France ne nous était pas apporté cette fois par la voie surnaturelle de sainte Jeanne d’Arc, de sainte Marguerite-Marie, de Notre-Dame de l’Ile Bouchard. Son message nous était apporté par la voie naturelle, mais temporellement officielle, de son Vicaire sur la terre, comme il l’avait été au début du même siècle par saint Pie X.

III

La génération catholique contre-révolutionnaire qui était contemporaine de Karol Wojtyla avait, parmi ses caractéristiques intellectuelles les plus manifestes, celle d’étudier beaucoup, notamment sous l’influence de Jean Ousset, les documents pontificaux, surtout sous l’angle social et politique ; elle vivait dans une grande familiarité filiale avec « la doctrine sociale de Léon XIIII à Pie XII ». Elle supporta le choc, à partir de 1958, d’une discontinuité dont on découvrait peu à peu qu’elle était moins superficielle qu’on ne s’était d’abord efforcé de l’espérer. Un courant moderniste qui n’avait jamais été tari devenait dominant par une interprétation relativiste de l’Écriture, du catéchisme, de la messe. Après vingt années de filiale familiarité disparue, Jean-Paul II apparaissait comme en continuité avec la discontinuité de 1958-1978. On écrivait de lui dès juillet 1980 : « Lorsqu’il parle de ses grands prédécesseurs, c’est Paul VI et Jean XXIII qu’il nomme, ce n’est ni Pie X ni Pie XII. » Il s’opposa pourtant très vite à la « théologie de la libération » qui s’était emparée de l’Amérique latine. Il le fit par un acte doctrinal intitulé : « Instruction sur la liberté chrétienne et la libération » (23 mars 1986). Rédigée par la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi, elle était approuvée par le Souverain Pontife qui avait ordonné sa publication. Certes, il y avait eu son encyclique Laborem exercens qui était sans doute une « encyclique sociale » mais qui prévenait qu’elle ne se voulait pas « doctrinale ». L’« Instruction » au contraire se chargeait de « mettre en évidence les principaux éléments de la doctrine chrétienne sur la liberté et la libération » (§ 2). La plupart n’y aperçurent, pour s’en féliciter ou pour le regretter, que la critique des erreurs latino-américaines. Mais elle était le premier document, sous le règne de Jean-Paul II, formulant didactiquement une nouvelle manière de concevoir et d’exposer la doctrine sociale catholique. Il y apparaissait, souvent avec les mêmes mots, une rupture de continuité avec les « enseignements de Léon XIII à Pie XII ». Cette rupture est analysée dans le premier chapitre de La révolution copernicienne dans l’Église. Je me permets d’y renvoyer le lecteur car je ne tente pas ici d’écrire une synthèse récapitulative et critique de l’ensemble du pontificat, mais simplement quelques ruminations fragmentaires, partielles, en marge et forcément incomplètes, comme peut le faire un chroniqueur.

IV

Tout à coup, sept ans plus tard, et tout à fait inattendue, la familiarité filiale est intellectuellement retrouvée avec l’encyclique Veritatis splendor. Nous l’avons reçue, nous l’avons lue, nous l’avons relue en versant des larmes de joie et avec l’envie de crier au miracle. Avions-nous donc oublié que l’Église, malgré ses maladies temporelles, est un miracle permanent ? mais aussi un mystère, celui d’une Présence réelle qui est voilée. Dans l’encyclique il y avait le ton, la manière, la substance, la force de la vérité, il y avait à la fois l’allure et le contenu. Il y avait ce que les contemporains de Karol Wojtyla n’avaient plus rencontré depuis une trentaine d’années. Par un mot insuffisant mais fortement expressif, on pouvait dire que cette encyclique était « thomiste ». À contre-courant de l’exégèse dominante, l’encyclique citait avec une assurance tranquille les commentaires scripturaires des Pères de l’Église et des grands docteurs médiévaux, saint Augustin, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome, saint Cyrille d’Alexandrie, saint Grégoire le Grand, elle citait même, comble d’anti-modernisme exégétique, le In duo praecepta et le In Epistulam ad Romanos de saint Thomas. Elle citait aussi 58 fois Vatican II, mais si l’on y regardait de près, on voyait que chaque fois, c’était dans un effort rectificatif, parfois à peine esquissé. Et puis cette encyclique Veritatis splendor fut bientôt suivie d’une encyclique Fides et ratio également « thomiste ». Il me revenait à la mémoire une pensée de notre grand et vénéré ami Gustave Corçaô (mort sous Paul VI) : «Je sais reconnaître la voix de ma Mère l’Église, je sais reconnaître ce qui n’est pas la voix de ma Mère.»

V

Dans son premier voyage pontifical en France, Jean-Paul II avait déclaré que « liberté-égalité-fraternité » sont des idées chrétiennes. Ce n’était pas tout à fait une nouveauté. Paul VI, dix-sept ans plus tôt, l’avait déjà dit, et André Charlier notait alors : « Je crois qu’il a appris l’histoire dans Maritain. Comme il est tout de même indispensable qu’il sache l’histoire vraie, j’ai peur que la Providence ne nous ménage des événements capables de la lui apprendre.»

C’est toute la question, délicate et inexpliquée, du ralliement verbal de l’Église à cette Révolution française dont Paul VI disait que « bien qu’elle apparût comme une protestation (sic !) contre l’Eglise, ses raisons étaient profondément chrétiennes ». On peut tirer des nombreux discours de Jean-Paul II une solide réfutation d’un tel ralliement, mais on peut y trouver aussi ce ralliement en œuvre ; en œuvre au moins verbale. Et s’agissant d’Assise, on entend bien Marc Tosatti nous assurer que la Déclaration Dominus Jesus en contredit tous les défauts et tous les dangers : là comme ailleurs, ces contradictions ne nous expliquent rien, elles ne suscitent que des incertitudes.

Le langage des Droits de l’Homme ne serait chez Jean-Paul II, selon Joël-Benoît d’Onorio, qu’un lexique de la modernité utilisé pour mieux en subvertir la subversion. La Déclaration des Droits de 1948 serait invoquée « non comme un acte de perfection mais comme un élément de réflexion, non comme un point d’arrivée mais comme un point de départ ». Si c’est bien cela qu’a voulu tenter Jean-Paul II, valait-il la peine d’un détour aussi compliqué, aussi acrobatique, aussi inefficace ? Il n’a porté remède ni à la sécularisation crapuleuse des grandes démocraties occidentales, ni à l’apostasie immanente contaminant le clergé et sa hiérarchie. Le nombre des catholiques pratiquants était passé en France de 25 % de la population en 1965, à l’issue du Concile, à 15 % lors de l’élection de Jean-Paul II. Au bout de son pontificat il était tombé à 5 % (et à 4 % aujourd’hui). Sans doute les chiffres ne disent pas tout, mais ils disent quand même quelque chose et, comme le fait observer l’abbé Claude Barthe, « des églises remplies et des séminaires florissants seraient préférables pour la mission du Christ ». L’Eglise ne connaît d’ailleurs pas seulement un affaiblissement social et moral : sillonnée par les autorités parallèles et anonymes des comités, commissions et conférences, elle est en somme humainement ingouvernable. Remarque profonde de l’abbé Guillaume de Tanoüarn : « La nouvelle évangélisation, lancée à son de trompe, n’est pas vraiment crédible. Aujourd’hui le dialogue et la quête du consensus l’emportent toujours sur le témoignage et la conversion. »

Le cardinal Angelo Amato, préfet de la congrégation romaine pour la cause des saints, est allé rassurer Le Figaro en lui révélant que le procès en béatification a examiné la « liste des éléments à éclaircir » et que « dans le cas de Jean-Paul II toutes les questions qui pouvaient laisser une zone d’ombre ont trouvé une réponse claire ». On la connaîtra peut-être un jour, cette réponse claire, quand les archives du procès pourront être consultées. Il est probable qu’elles ne seront pas ouvertes avant la conclusion d’un éventuel procès de canonisation. Celui-ci sera en quelque sorte ce que nous autres journalistes appelons une « contre-enquête ». Mais la canonisation comporte en outre la note d’infaillibilité, selon l’opinion tenue pour certaine par la quasi-totalité des théologiens. La béatification, elle, n’est pas infaillible, elle doit cependant être accueillie avec respect, et il est ordinairement considéré comme téméraire de la critiquer en public. La « contre-enquête », si elle a lieu, pourra lever aussi les incertitudes supplémentaires provoquées par la déclaration du Cardinal dans la même interview :

« Sur des sujets importants, il [Jean-Paul II] ne s’attachait pas aux limites et allait à l’essentiel. Et ce fut le cas pour Assise. »

Si telle était vraiment la justification d’Assise, et si désormais il était admis par principe que « les limites » ne valent que pour les choses de moindre importance, on assisterait vite à de drôles de danses dans les églises. Il est vrai que l’on en a déjà vu pas mal, mais la « dé-limitation » n’était pas encore aussi solennellement devenue un critère officiel de sainteté.

JEAN MADIRAN

[Mgr Williamson - Commentaire Eleison] Vrai Pape? - I

SOURCE - Mgr Williamson, fsspx - Commentaire Eleison - 30 avril 2011

Depuis que j'ai dit il y a trois semaines (CE 195, 9 avril) que la béatification demain de Jean-Paul II ne fera de lui qu'un Néo-bienheureux de la Nouvelleglise, il était raisonnable que l'on me demandât si je ne suis pas ce qu'on appelle un « sédévacantiste ». Après tout, si je déclare virtuellement que Benoît XVI est un Néo-pape, comment puis-je croire encore qu'il est un vrai Pape ?  En l'occurrence je crois qu'il est non seulement Néo-pape de l'Eglise conciliaire, mais aussi vrai Pape de l'Eglise catholique, parce que les deux choses ne s'excluent pas encore complètement l'une l'autre, et alors je ne crois pas que le Siège de Rome soit vacant. Voici la première partie de mon raisonnement :--

D'une part je considère que Benoît XVI est un Pape valide parce qu'il a été validement élu Evêque de Rome par les prêtres des paroisses romaines, c'est-à-dire les Cardinaux, au conclave de 2005, et même si par quelque défaut caché l'élection en elle-même n'était pas valide, elle aura été convalidée, comme l'enseigne l'Eglise, par le fait que l'Eglise universelle a accepté Benoît XVI comme Pape après l'élection. Envers cet élu en tant que tel je voudrais alors montrer tout le respect, la révérence et le soutien que les catholiques doivent au Vicaire du Christ.

D'autre part les paroles et actions du Pontife sont manifestement celles d'un Pape « conciliaire », chef de l'Eglise conciliaire. Cela est clairement prouvé - et ce ne sont là que les preuves les plus récentes - par la néo-béatification demain de Jean-Paul II, grand promoteur de Vatican II, et par la commémoration en octobre prochain de l'événement désastreux d'Assise organisé par Jean-Paul II en 1986, où le Premier Commandement de Dieu a été bafoué au nom de l'œcuménisme    conciliaire de l'homme. En effet, là où le Premier Commandement exclut absolument les fausses religions (Deut.V, 7-9), virtuellement Vatican II les embrasse toutes (Unitatis redintegratio, Nostra Aetate). Donc je crois que Benoît XVI est bien le Vicaire du Christ, mais je crois aussi qu'il trahit sa fonction sacrée de confirmer ses frères dans la Foi (Lc.XXII, 32), et alors tout en le respectant comme il faut en tant que successeur de Pierre, je n'entends ni le suivre ni lui obéir (Actes V,29) lorsqu'il n'agit pas comme Pierre. C'est la même distinction que faisait toujours Mgr. Lefebvre.

Mais observez que tout en trahissant - au moins objectivement - la vraie religion, Benoît XVI y tient !  Par exemple, en voulant empêcher que l'on accuse Assise III comme on a accusé Assise I de mélanger les religions, il annonce que la grande procession de toutes les religions ensemble en octobre aura lieu en silence. Autrement dit, tout en promouvant l'erreur, Benoît XVI n'entend pas abandonner la vérité !  De cette façon il ne cesse pas de ressembler à un arithméticien qui prétend que deux et deux peuvent faire indifféremment quatre ou cinq !  Lorsque c'est le Pape qui raisonne ainsi, c'est une recette pour la confusion dans l'Eglise de haut en bas, parce que quiconque le suit dans ce système-là d'arithmétique du 4 ou 5 s'enfoncera la tête dans la plus pure contradiction et confusion !

Mais observez encore que Benoît XVI en tant qu'arithméticien personnel prétend absolument qu'il croit que deux et deux font quatre. Et pour autant qu'il est sincère ce faisant, et il y paraît sincère - Dieu seul le sait avec certitude - il s'ensuit qu'il ne persiste pas à nier ce qu'il sait être des vérités définies de la Foi catholique. Au contraire, il semble convaincu, comme le montre Mgr Tissier, qu'il « régénère » ces vérités à l'aide de la pensée moderne !  Dès lors il devient difficile de prouver dans son cas l'accusation d'hérésie formelle, et voilà pourquoi même son amour et sa promotion de deux et deux font cinq ne fait pas encore de moi-même un sédévacantiste.

Mère de Dieu, Siège de la Sagesse, protégez-nous de la confusion !

Kyrie eleison.

29 avril 2011

[Abbé Paul Aulagnier] Jean Paul II a-t-il été contrerévolutionnaire ?

SOURCE - Abbé Paul Aulagnier - Regards sur le Monde - 29 avril 2011

Parce qu’il a existé une « symbiose étroite entre le catholicisme et la Contre-Révolution », une « harmonie entre la philosophie de l’une et l’enseignement de l’autre » – ce fut tout le sens du Magistère de l’Eglise depuis deux siècles – harmonie qui ont fait « la force de l’opposition à la société moderne » – je cite René Rémond analysé par Jean Madiran dans quelques articles de Présent en 2009 -, il est juste de se poser cette question : Jean Paul II a-t-il été lui aussi contrerévolutionnaire ? A-t-il eu une pensée contrerévolutionnaire ? Y a t il continuité ou rupture de son enseignement d’avec l’enseignement de ses prédécesseurs ?

On pourrait affirmer qu’il fut contrerévolutionnaire à lire certains de ses jugements sur le monde moderne. C’est ce que me disait M Yves Chiron lorsque je lui adressais le premier chapitre de mon commentaire du livre de Jean Paul II « Mémoire et Identité », commentaire que j’ai publié ensuite en un livre intitulé « Politique de Jean Paul II », paru aux éditions Godefroy de Bouillon.

Mais en est-il vraiment ainsi ?

Jean Madiran, à qui j’adressais également le livre quelques mois après sa parution, en mars 2011, en doutait vraiment. Il justifiait sa pensée en deux articles qu’il consacrait à mon livre dans Présent. Je partage son jugement.

I- Jean Paul II : une pensée contrerévolutionnaire.

Pourtant j’avoue que le Pape exprime de très profondes considérations sur le monde moderne, qui ne seraient pas contredites par l’école contre-révolutionnaire.

A- La racine du mal contemporain : la philosophie cartésienne.

Il en est ainsi, par exemple, de son jugement sur ce qu’il appelle « les idéologies du mal ». Il les nomme, il les décrit, – le National-socialisme, le communisme – et surtout il en cherche la cause. La cause de ces maux terribles, il la trouve dans ce qu’il est convenu d’appeler « la philosophie des Lumières », plus précisément, encore dans la philosophie cartésienne, dans l’idéalisme cartésien. Avec le cartésianisme, l’intelligence humaine façonne son propre objet, indépendamment du réel, devient à elle-même sa propre loi, elle devient législatrice en matière spéculative. C’est l’arbitraire philosophique qui s’introduit dans la pensée et dans l’action. L’idée devient ainsi le seul terme immédiatement atteint par la pensée, c’est sa « chose ». C’est une véritable « réification » des idées, nous dira Jacques Maritain dans ses « Trois Réformateurs ». L’intelligence jouit dès lors d’une « parfaite autonomie », d’une « parfaite immanence », d’une « indépendance » absolue, Elle est par elle-même. Elle jouit de « l’aséité de l’intelligence incréée ». Dès lors, parce que la pensée rompt avec le réel, parce qu’elle affirme la liberté de la pensée à l’égard de l’objet, « l’homme n’est mesuré par rien, mais tout autant soumis à n’importe quoi ». Alors en politique, ce peut être l’heure des totalitarismes. C’est ce qu’a connu la France, lors de la Révolution française, en 1789. C’est ce qu’ont connu l’Allemagne, avec le National Socialisme et la Russie avec le Bolchevisme, au XXème siècle. C’est ce que risque de connaître aussi le XXI siècle…Avec une telle philosophie, – le Pape est formel – « L’homme reste seul : seul comme créateur de sa propre histoire et de sa propre civilisation ; seul comme celui qui décide de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, comme celui qui existerait et agirait -etsi Deux non daretur – même si Dieu n’existait pas » (Mémoir et Identité. p. 23) « Si donc l’homme peut décider par lui-même, sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, il peut aussi disposer qu’un groupe d’homme soit anéanti ».

« Pourquoi tout cela arrive-t-il, se demande le Pape ? Quelle est la racine de ces idéologies de l’après lumières ? En définitive, la réponse est simple : cela arrive parce que Dieu en tant que Créateur a été rejeté, et du même coup la source de détermination de ce qui est bien et de ce qui est mal. On a aussi rejeté la notion de ce qui, de manière plus profonde, nous constitue comme « êtres humains », à savoir la notion de « nature humaine » comme « donné réel » et à sa place, on a mis un produit de la pensée librement formée et librement modifiable en fonction des circonstances » (id. p.25)

Mais le National-socialisme, le Bolchévisme ne sont plus. Alors la vie est belle ! Plus de mal à l’horizon !
Détrompez-vous dit le Pape : « Parvenu à ce point, on ne peut omettre d’aborder une question plus que jamais actuelle et douloureuse. Après la chute des régimes édifiés sur « les idéologies du mal », dans les pays concernés, les formes d’exterminations évoquées ci-dessus ont en fait cessé. Demeure toutefois l’extermination légale des êtres humains conçus et non encore nés. Il s’agit encore une fois d’une extermination décidée par les Parlements, élus démocratiquement, dans lesquels on en appelle au progrès civil des sociétés et de l’humanité entière. D’autres formes de violation de la loi de Dieu ne manquent pas non plus. Je pense, par exemple, aux fortes pressions du Parlement européen pour que soient reconnues les unions homosexuelles comme une forme alternative de famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d’adopter ; on peut et même on doit se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas, ici encore, d’une nouvelle « idéologie du mal », peut-être plus insidieuse et plus occulte, qui tente d’exploiter, contre l’homme, contre la famille même, les droits de l’hommes » (id. p. 24-25)

Oui ! Pour éviter tout cela, « fruit de l’idéalisme cartésienne », il faut revenir, nous dit le Pape, à la philosophie de l’être, à la philosophie réaliste, à la philosophie thomiste. Il l’écrit à la page 25 de son livre « Mémoire et Identité » qui est, pour moi, comme son testament politique: « Si nous voulons parler de manière sensée du bien et du mal, nous devons revenir à saint Thomas d’Aquin, c’est-à-dire à la philosophie de l’être » (p. 25).

Avouez que pour quelqu’un que l’on présentait comme élève des philosophies idéalistes allemandes, c’est pas mal.

C’est bien là une attitude contrerévolutionnaire !

Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, me direz-vous !

Les chose humaines sont souvent complexes » ?

Il y a d’autres hirondelles de ce genre que l’on peut voir dans le ciel de la pensée de Jean Paul II, d’autres affirmations contre-révolutionnaires dans son livre « Mémoire et Identité ».

B- Sa pensée sur l’Europe.

Sa pensée sur l’Europe est aussi très intéressante. C’est l’objet des chapitres 2 et 3 de mon livre. L’Europe, explique-t-il, est « chrétienne» ou elle n’est pas, en ce sens que c’est le Christ qui en est la « Pierre angulaire ». C’est le Christ qui a fait de l’Europe ce qu’elle est.

Voyez la belle description qu’il en fait :

« Les pays de l’Europe occidentale ont une tradition chrétienne ancienne : c’est ici que la culture chrétienne a atteint ses sommets. Ce sont des peuples qui ont enrichi l’Eglise d’un grand nombre de saints. En Europe occidentale ont fleuri des œuvres d’art superbes : les majestueuses cathédrales romaines et gothiques, les basiliques de la Renaissance et du baroque, les peintures de Giotto, du bienheureux Fra Angelico, des innombrables artistes du XVe et du XVI siècles, les sculptures de Michel Ange, la coupole de Saint Pierre et la chapelle Sixtine. Y sont nées les sommes théologiques, parmi lesquelles se détache celle de saint Thomas d’Aquin ; ici se sont formées les plus hautes traditions de la spiritualité chrétienne, les œuvres des mystiques – hommes et femmes – des pays germaniques, les écrits de sainte Catherine de Sienne en Italie, de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix en Espagne. Ici sont nés les grands ordres monastiques, à commencer par celui de saint Benoît, qui peut certainement être appelé père et éducateur de l’Europe entière, les grands ordres mendiants, parmi lesquels les Franciscains et les Dominicains, jusqu’aux congrégations de la Réforme catholique et des siècles suivants, et qui ont fait et font encore tant de bien dans l’Eglise. La grande épopée missionnaire a tiré ses ressources avant tout de l’Occident européen, et aujourd’hui y surgissent des mouvements apostoliques magnifiques et dynamiques, dont le témoignage ne peut pas ne pas porter de fruits même dans l’ordre temporel. En ce sens, nous pouvons dire que le Christ est toujours la « pierre angulaire » de la construction et de la reconstruction des sociétés dans l’Occident chrétien. » (Mémoire et identité ».p. 62-63).

Et lorsqu’il reçut le prix Charlemagne, Jean Paul II cita le discours de Pie XII que ce dernier prononçait le 11 novembre 1948. II moule ainsi sa pensée sur la pensée de Pie XII…Ce pape que l’on voulait oublier, que l’on ne citait plus…voilà que le pape Jean Paul II le nomme expressément dans son discours du 24 mars 2004: « Etant donné que le Saint Siège se trouve sur un territoire européen, l’Eglise possède des relations particulières avec les peuples de ce continent. C’est pourquoi, dès le début, le Saint-Siège a participé au processus d’intégration européenne. Après la terreur de la Deuxième Guerre mondiale, mon prédécesseur Pie XII de vénéré mémoire a démontré le profond intérêt de l’Eglise, en appuyant de façon explicite l’idée de la formation d’une « union européenne », en ne laissant aucun doute quant au fait que l’affirmation valable et durable d’une telle union exigeait de se référer au christianisme comme facteur d’identité et d’unité (cf Discours du 11 novembre 1948 à l’union des fédéralistes européens à Rome) »(ib.p.59)

Cet enseignement sur l’Europe chrétienne, faisant du Christ la pierre fondamentale de l’Europe, Jean Paul II ne l’a pas dit une fois mais mille fois. Il le reprenait dans son Encyclique « Ecclesia de Europa ».
Mais ce qui est surtout très intéressant dans sa pensée, c’est l’analyse qu’il fait de la décadence actuelle de l’Europe. L’Europe perd son âme parce qu’elle perd l’enseignent de l’Evangile, l’enseignement du Christ. Elle est gagnée par l’agnosticisme, le scepticisme, le nihilisme, elle sombre dans la désespérance parce qu’elle oublie son Christ, sa « lumière ». Et ce fut l’œuvre essentiel de la Révolution de 1789, de la Philosophie des Lumières. C’est l’objet des politiques actuels. L’Europe est menacé de perdre son âme parce que prévaut en elle : « une anthropologie sans Dieu et sans le Christ ». Cette manière de penser a conduit à considérer l’homme comme « le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n’est pas l’homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l’homme. L’oubli de Dieu a conduit à l’abandon de l’homme », et c’est pourquoi, « dans ce contexte, il n’est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d’aborder la vie quotidienne ». La culture européenne donne l’impression d’une « apostasie silencieuse » de la part de l’homme comblé qui vit comme si Dieu n’existait pas. Dans une telle perspective prennent corps les tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture européenne en faisant abstraction de l’apport du christianisme qui a marqué son développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant l’apparition d’une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à l’Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de l’homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l’espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l’on peut appeler une « culture de mort » ».

Une telle pensée est d’un réalisme impressionnant, tout à fait digne d’une pensée contrerévolutionnaire.

Mais dans « Mémoire et Identité », Jean Paul II a, sur ce sujet du déclin de l’Europe, des phrases très profondes aussi. Il parle tout d’abord du Moyen Age, période d’une grande maturité en tous les domaines, philosophiques, théologiques, artistiques, architecturaux, sociaux. Il parle ensuite du « Schisme d’Orient » en 1054 qui divisa l’Europe, ce fut la première « fissure ». Puis vint les « temps modernes » où l’Europe connut d’autres fissures encore, avec Martin Luther. Ce fut le début de la Réforme. « L’Europe occidentale, dit-il, qui était un continent uni du point de vue religieux durant le Moyen Age, fit donc, au début des temps modernes, l’expérience de graves divisions, qui se sont renforcées au cours des siècles suivants. Il en découla des conséquences de caractère politique, sur la base du principe « cuius regnio eius religio ». Telle la religion du Prince, telle celle du pays. Parmi les conséquences, on ne peut pas ne pas mentionner celle, particulièrement triste, des guerres de religion ».

C’était là « une préannonce des divisons ultérieures et des nouvelles souffrances qui se manifestaient au cours des temps »…Puis vint la période des Lumières et sa prise de position contre le Christ : « Le refus du Christ et en particulier de son mystère pascal – de la croix et de la résurrection – se dessina à l’horizon de la pensée européenne à cheval sur le XVIIe et le XVIIIe siècle, dans la période des Lumières… les Lumières s’opposèrent à ce que l’Europe était devenue sous l’effet de l’évangélisation. Leurs représentants pouvaient être en quelque sorte assimilés aux auditeurs de Paul à L’Aréopage. La majorité d’entre eux ne refusaient pas l’existence du « Dieu inconnu » comme Etre spirituel et transcendant, dans lequel il « nous est donné de vivre et de nous mouvoir et d’exister (Act 17 28). Cependant les « illuministes » radicaux, plus de quinze siècles après le discours à l’Aréopage, repoussaient la vérité sur le Christ, le Fils de Dieu qui s’est fait connaître en se faisant homme, en naissant de la Vierge à Bethléem, en annonçant la Bonne Nouvelle et en donnant enfin sa vie pour les péchés de tous les hommes. De ce Dieu-homme, mort et ressuscité, la pensée européenne des Lumières voulait se défaire, et elle fit de nombreux efforts pour L’exclure de l’histoire du continent. Il s’agit d’un effort auquel de nombreux penseurs et hommes politiques actuels continuent de rester obstinément fidèles » (p. 117-118) ( op. p. 43-46).

C’est pourquoi, il conclut ce survol de l’histoire de l’Europe par ces mots: « On pourrait malheureusement qualifier l’Europe, à cheval sur les deux millénaires, de continent des dévastations ».

On retrouve ici la pensée du cardinal Pie, prélat que l’on peut dire contrerévolutuionnaire. Lui aussi écrit dans une de ses synodales : Avec la Révolution, « la conspiration a été ourdie contre Dieu et son Christ. C’est Dieu, c’est le Christ dont on veut briser les chaînes, dont on veut secouer le joug. Ils ont dit à Dieu et surtout à son Christ : Retire-toi, nous ne voulons plus de la science de tes voies. Et il fut fait comme il fut dit. Il existait un pacte ancien, une longue alliance entre la religion et la société, entre le christianisme et la France ; le pacte fut déchiré, l’alliance rompue. Dieu était dans les lois, dans les institutions, dans les usages ; il en fut chassé, le divorce fut prononcé entre la constitution et l’Evangile, la loi fut sécularisée, et il fut statué que l’esprit de la nation moderne n’aurait rien à démêler avec Dieu, duquel elle s’isolait entièrement…Dieu avait sur la terre des jours qui lui appartenaient, des jours qu’il s’était réservés et que tous les siècles et que tous les peuples avaient respectés unanimement ; et toute la famille des impies s’est écriée : faisons disparaître de la terre les jours consacrés à Dieu… (O vous les prêtres), c’est à cause du nom de Jésus-Christ que vous êtes un objet de haine…Ce n’est pas vous qu’ils ont rejeté, mais c’est moi, de peur que je règne sur eux. C’en est fait : tous les droits de Dieu sont anéantis ; il ne reste debout que les droits de l’homme, ou plutôt l’homme est Dieu, sa raison est le Christ et la nation est l’Eglise….La révolution…veut être adorée seule et ne laisse d’autre idole debout qu’elle-même. » (Cardinal Pie p 797 dans le « card Pie de A à Z »)

C’est le langage de l’école de la pensée contre-révolutionnaire. Jean Paul II tient le même langage lorsqu’il regarde l’évolution de l’Europe.

C- Liberté et vérité.

On pourrait dire la même chose lorsqu’on analyse sa pensée sur le problème de la « Démocratie » et de la « vérité », ou mieux sur le couple « liberté- vérité ».

Même s’il pense que la Démocratie est « une conquête authentique de la culture » – ce que l’on peut contester – il n’en fait pourtant pas le seul mode possible de gouvernement, loin de la. Par contre, il demande avec force que ne soit pas séparer « démocratie » et «vérité », « liberté et vérité » parce qu’autrement nous pourrions connaître une période « d’effroi et de confusion morale » totales.

Pourquoi donc ?

Il répond dans un langage que ne dénoncerait pas, là non plus, l’école contrerévolutionnaire:

« La liberté se renie elle-même, elle se détruit (…) quand elle ne reconnaît plus et ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité. Chaque fois que la liberté, voulant s’émanciper de toute tradition et de toute autorité, se ferme même aux évidences premières d’une vérité objective et commune, fondement de la vie personnelle et sociale, la personne finit par prendre pour unique et indiscutable critère de ses propres choix non plus la vérité sur le bien et le mal, mais seulement son opinion subjective et changeante ou même ses intérêts égoïstes et ses caprices ». (Evangelium Vitae)

Cette rupture entre liberté et vérité constitue ce qu’il appelle, « l’utopie libertaire ». Cette « liberté sans vérité », qui est malheureusement en phase d’expansion croissante dans le monde démocratique actuel, est raison de la décadence que l’on connaît.

Cette « utopie libertaire », dit-il, a mûri dans le contexte philosophique du relativisme agnostique ; elle a trouvé un puissant instrument législatif (et donc social et politique) dans le positivisme juridique. Ce n’est plus la vérité objective qui assure la rationalité juridique et la légalité morale des lois ou des sentences, mais seulement la vérité relative ou conventionnelle, qui est le fruit pragmatique du compromis de l’Etat ou du politique.

Dès lors on suit « des dérives inquiétantes, lorsque l’on assimile la démocratie à une pure procédure, ou lorsque l’on pense que la volonté exprimée par la majorité suffit ‘tout court’ à déterminer le caractère moral d’une loi. En réalité, la valeur de la démocratie, se maintient ou disparaît en fonction des valeurs qu’elle incarne et promeut […] Le fondement de ces valeurs ne peut se trouver dans des ‘majorités’ d’opinion provisoires et fluctuantes, mais seulement dans la reconnaissance d’une loi morale objective ».

En d’autres termes plus simples, on ne peut pas établir le vrai et le juste sur la seule opinion d’une majorité. (Je développe longuement ces idées dans le chapitre 7 de mon livre intitulé : « de la démocratie »).

« La liberté possède une ‘‘logique’’ interne qui la qualifie et l’ennoblit : elle est ordonnée à la vérité et elle se réalise dans la recherche et la mise en œuvre de la vérité. Séparée de la vérité sur la personne humaine, elle se dégrade en licence dans la vie individuelle et, dans la vie politique, en arbitraire des plus forts et en arrogance du pouvoir. C’est pourquoi, loin d’être une limitation ou une menace pour la liberté, la référence à la vérité de l’homme – vérité universellement connaissable par la loi morale inscrite dans le cœur de chacun – est réellement une garantie de l’avenir de la liberté ».

La « structure morale de la liberté » se trouve dans la « vérité », autrement dit dans la loi naturelle. Et c’est justement l’absence de ce respect de la loi naturelle – le Décalogue – qui est à l’origine de la dégradation civilisationnelle, fruit de l’ « utopie libertaire » envahissante dans nos pays.

Il est difficile d’être plus opposé à la philosophie des Lumières, à la définition de la Loi qui, pour elle, est seulement « l’expression de la volonté générale » indépendamment de toute vérité objective.

C’est bien en raison de cette dichotomie entre la vérité et la liberté, dichotomie qui est le formel de la Révolution dont est issue la démocratie moderne, que nous arrivons au terme d’un siècle ou deux à une période d’« effroi et de confusion morale ».

C’est pourquoi il faut retrouver le sens du vrai « Si après la chute des systèmes totalitaires, les sociétés se sont senties libres, presque simultanément est apparu un problème de fond : celui de l’usage de la liberté (…) Le danger de la situation dans laquelle l’on vit aujourd’hui consiste dans le fait que, dans l’usage de la liberté, l’on prétend faire abstraction de la dimension éthique, c’est-à-dire de la considération du bien et du mal moral. Une certaine conception de la liberté, qui trouve à présent un vaste écho dans l’opinion publique, détache l’attention de l’homme des responsabilités éthiques. Ce sur quoi l’on s’appuie uniquement aujourd’hui est la seule liberté. On dit : ce qui importe c’est d’être libres, détachés de tous remords ou de tous liens, afin de pouvoir agir selon nos propres jugements, qui en réalité ne sont souvent que des caprices. Cela est clair : un libéralisme de ce genre ne peut être qualifié que de primitif. Son influence est potentiellement dévastatrice ».

C’est bien dit et juste.

Il précisera même sa pensée en disant : « Les éléments constitutifs de la vérité objective sur l’homme et sur sa dignité s’enracinent profondément dans la recta ratio (NDLR. C’est la définition même de la loi selon Saint Thomas. La loi est l’expression de la recta ratio promulguée par l’autorité en charge du Bien Commun) dans l’éthique et dans le droit naturel : ce sont des valeurs qui précèdent tout système juridique positif et que la législation, dans un État de droit, doit toujours préserver, en les soustrayant à l’arbitraire des individus et à l’arrogance des puissants » (Discours aux participants au Symposium international « Evangelium Vitae et Droit », 23 mai 1996, n. 5)

Vous le voyez, le rappel de la loi naturelle, comme norme civilisatrice, est une idée forte de Jean Paul II. C’est aussi un des principes de la pensée contrerévolutionnaire.

Mais je laisserai le développement de cette idée à Mme Smits. Je crois que c’est le sujet qu’elle annonçait…

II- Vous avez dit « contrerévolutionnaire » ?

Mais malgré toutes ces vérités ici rappelées, peut-on dire que Jean Paul II a eu vraiment une pensée contrerevolutionnaire ? Appartient-il à l’école contrerévolutionnaire ?

Je ne le pense pas.

Il me semble que je peux donner deux raisons majeures

A- Son jugement sur la Révolution française.

Ce jugement ne serait pas approuvé par l’école contrerévoluionnaire. Il nous donne ce jugement dans le chapitre 18 de son livre « Mémoire et Identité ». Le voici : « Les Lumières européennes n’ont pas seulement produit les atrocités de la Révolution françaises : elles ont eu des fruits positifs comme les idées de liberté, d’égalité et de fraternité, qui sont aussi des valeurs enracinées dans l’Evangile. Même si elles ont été proclamées indépendamment de lui, ces idées révélaient à elles seules leurs origines. De cette façon, les Lumières françaises ont préparé le terrain à une meilleure compréhension des droits de l’homme. En vérité, la Révolution a violé de fait, et de bien des manières, ces droits ». ( ib. p 131)

Non. La trilogie révolutionnaire : « liberté, égalité, fraternité » telle que conçue par la philosophie des Lumières n’est nullement conçue dans l’esprit évangélique, dans l’esprit de la Révélation. Pour la bonne et simple raison que la Révolution fait profession du plus grand naturalisme. Elle nie le Christ et sa doctrine. Elle nie tout surnaturalisme. Sa trilogie a donc été pensée indépendamment de l’Evangile et même contre l’Evangile, contre Dieu. Et c’est pourquoi il est impossible de dire que cette trilogie plonge ses racines dans l’Evangile. La Révolution ne respecte pas la « tradition divine », ni l’autorité de l’Eglise et de ses décisions. Au contraire elle les combat. Elle est « antichristique », « pur antichristianisme ». « Toute voix doit se mettre et l’unisson de sa voix », nous dit le cardinal Pie. Et sa voix n’est rien d’autre que le rationalisme, la naturalisme, la philosophie qui nie tout simplement le surnaturel et donc la Révélation et donc l’Evangile et ses principes. Il y a une antinomie radicale entre le monde chrétien et le monde révolutionnaire. La Révolution ne se soumet à rien qui ne soit pas elle. Et « si elle tolère l’existence des diverses religions admises à vivre sous son abri, c’est à la condition qu’elle pourra les dominer toutes » (card. Pie de A à Z. p. 798). Comme le dit toujours très justement le cardinal Pie : « tout dogme, même surnaturel et révélé, devient un programme séditieux s’il est en désaccord avec ses théories et ce qu’elle appelle « ses principes ». (id ; p.798). Si donc je trouve bien dans l’Evangile, ces mots liberté, égalité, fraternité, – dans les Epîtres de saint Paul, par exemple, – ils ne « sonnent » pas comme ils « sonnent » dans la trilogie révolutionnaire. Ils ne sonnent pas de la même manière parce qu’ils ont une autre origine et partant un autre sens. Pour l’un – la Révolution – la liberté est celle de la révolte contre Dieu et sa loi, contre son Eglise et son enseignement parce la Révolution refuse tout « dogme » qui ne soit pas sien, encore qu’elle soit « antidogmatisme ». Pour l’autre – l’Eglise – la liberté est celle de cette belle soumission libre et adorante de la volonté humaine à la loi de Dieu et à son Décalogue. N’oublions pas que la Révolution parce que plongeant ces racines dans le naturalisme est l’antichristianisme dans sa plus haute expression. La Révolution est opposée au christianisme par tout ce qu’elle est. Elle nie le surnaturel. Dès lors pour elle, « le christianisme est une usurpation et une tyrannie » (cardinal Pie ib.p. 643). Elle l’élimine du monde, sinon de la sphère privée… « Sa passion obstinée, et dans la mesure où elle y réussit, son œuvre réelle, c’est de détrôner le Christ et de la chasser de partout : ce qui est la tâche de l’antéchrist et ce qui est l’ambition suprême de Satan….Il s’agit de l’exclure de la pensée et de l’âme des hommes, de le bannir de la vie publique et des mœurs des peuples pour substituer à son règne ce qu’on appelle le pur règne de la raison et de la nature ». (card Pie. Ib. p. 644) Comment pouvoir écrire alors que cette trilogie « liberté, d’égalité et de fraternité », plonge ses racines dans l’Evangile. Serait-ce par inadvertance ? Allons donc.

B- Son attitude pastorale vis-à-vis du monde moderne.

Un autre point d’interrogation, c’est son attitude pastorale devant le monde moderne révolutionnaire.
En effet devant le monde « révolutionnaire », deux attitudes sont possibles, nous dit le pape,
- soit celle de la « polémique » (id.p.134 Mémoire et Identité) et donc de la condamnation ou contestation
- ce fut l’attitude de l’Eglise depuis (et contre) la Révolution française, avec le Syllabus de Pie IX et les enseignements pontificaux de Léon XIII à Pie XII, nous dit, avec raison, Jean Madiran dans Présent -
- soit celle de « l’aide fraternelle » (id. p.135), celle de la compréhension.

Selon Jean-Paul II, le Concile a volontairement et clairement choisi son camp. Il a adopté la seconde attitude, décrétée plus conforme à « l’esprit de l’Evangile », car l’esprit de l’Evangile s’exprime avant tout dans « la disponibilité à offrir au prochain une aide fraternelle ».

Le pape le confesse : « Dans l’exposé de la doctrine, le concile a volontairement adopté une ligne qui ne soit pas polémique. Il a préféré se présenter comme une nouvelle expression de l’inculturation qui a accompagné le christianisme depuis le temps des Apôtres. En suivant ses indications, les chrétiens peuvent aller à la rencontre du monde contemporain et engager avec lui un dialogue constructif. Ils peuvent aussi se pencher sur l’homme blessé, comme le samaritain de l’Evangile cherchant à soigner ses blessures en ce début du XXIè siècle. En effet l’esprit de l’Evangile s’exprime avant tout dans la disponibilité à offrir au prochain une aide fraternelle ». (id. p. 134-135))

C’est toute la « dialectique » de « Gaudium et Spes ». « Il a préféré aller à la rencontre du monde contemporain et engager avec lui un dialogue constructif ». (p. 134)

C’est du reste l’interprétation qu’en fait le cardinal Ratzinger lui-même. Ce texte conciliaire a cherché à aménager, dit-il, entre l’Eglise et le monde tel qu’il est issu de la Révolution, « un rapport positif de coopération dont le but est la construction du « monde ». Il écrit très clairement, dans « Les principes de la Théologie catholique » p. 426 : « si l’on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire qu’il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de Contre –Syllabus….Le Syllabus a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XIX siècle : les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme…. Gaudium et Spes joue le rôle d’un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 » Ainsi l’Eglise veut-elle « coopèrer avec le monde pour construire le monde. »

Voilà la grande orientation du Concile Vatican II auquel Jean-Paul II veut être fidèle. Voilà la grande illusion du Concile. Voilà la grande illusion du pontificat de Jean Paul II. Voilà ce que lui reproche l’école contrerévolutionnaire.

Car c’est là une «utopie »». Entre l’Eglise et le monde de la Révolution, l’opposition est totale. Vouloir les concilier, même dans un esprit évangélique, est utopique. Vouloir entretenir « un colloque » d’amour et de respect, « un parler ensemble » et « comme la recherche en commun de la solution des problèmes » est peut-être une belle intention, mais c’est une contradiction. Car, comme le dit Jean Madiran, « à l’offre d’une « aide fraternelle », ce monde contemporain répond en imposant l’avortement, la promotion de l’homosexualité, le métissage des religions, l’égalitarisme suppresseur de toutes les discriminations, la supériorité de la loi politique sur la loi religieuse, et par-dessus tout, le diabolique enseignement obligatoire, dans les écoles, des dépravations sexuelles aux plus jeunes enfants » (Présent). N’oublions jamais que la Révolution, dans ses principes, est essentiellement a-catholique. Elle ne veut pas du catholicisme. Elle est opposée au monde catholique qu’elle veut détruire dans sa totalité, jusque dans ses jours de fêtes religieuses. Mais Gaudium et Spes a décidé de rompre avec « cette attitude de réserve critique à l’égard des forces déterminantes du monde moderne », il faut effacer cette attitude « par une insertion résolue » dans ce mouvement. Le clergé de l’Eglise y perdra son identité ? Peut importe…Cette utopie se fait alors « destructrice » ! Comme le dit toujours Jean Madiran, (cette utopie) « a intellectuellement désarmé les fidèles, le clergé, et sa hiérarchie ».

Ainsi sur ce point de l’attitude pastorale du pontificat de Jean Paul II, il n’y a donc pas seulement éloignement de la prudence contrerévolutionnaire, il y a eu « rupture délibérée » (Jean Madiran) d’avec la Magistère antérieur de l’Eglise, du Syllabus de Pie IX aux enseignements pontificaux de Léon XIII à Pie XII. C’est le drame du Concile Vatican II avec Gaudium et Spes.

Il y a donc dans l’enseignement de Jean Paul II une certaine part d’incohérence.

[Paix Liturgique] En Suisse aussi, 35% des pratiquants assisteraient à la forme extraordinaire du rite romain... s'ils en avaient la possibilité

SOURCE - Paix Liturgique, lettre 280 - 29 avril 2011

Après les sondages réalisés en Grande Bretagne, au Portugal et en Allemagne en 2010 et en Italie en 2009, Paix Liturgique poursuit aujourd’hui avec la Suisse ses enquêtes d’opinion internationales au sujet de la réception du Motu Proprio (ces sondages sont consultables ici).

Courant mars 2011, l'institut Démoscope a réalisé pour le compte de Paix Liturgique, un sondage auprès de 2009 personnes - francophones et germanophones - résidant en Suisse. 722 des interviouvés, selon la méthode CATI (entretiens par téléphone), ont déclaré être catholiques, soit 36 % des sondés.

Ces 722 catholiques suisses (hors Suisse italophone) ont ensuite répondu aux quatre questions habituelles de nos enquêtes :
> participation à la messe dominicale,
> connaissance du Motu Proprio Summorum Pontificum,
> opinion quant à la coexistence des deux formes du rite romain dans leur paroisse,
> intention de participer à la forme extraordinaire dans leur paroisse.

Pour respecter le poids démographique respectif des Suisses romands et alémaniques, Demoscope nous a livré des données corrigées et arrondies.

Après avoir esquissé un tableau de la situation du catholicisme suisse dans notre précédente lettre, nous vous livrons cette semaine les résultats de cette étude suisse.

I – LES RÉSULTATS DU SONDAGE DEMOSCOPE

Question n°1 : Assistez-vous à la messe ?

Chaque semaine : 8%
Tous les mois : 12%
Pour les fêtes solennelles : 19%
Occasionnellement (mariages…) : 41%
Jamais : 19%
NSP (ne se prononcent pas) : 1%

Les résultats des questions 2, 3 et 4 ci-après sont les résultats concernant les catholiques identifiés comme pratiquants au moins mensuels à la question 1. Il est possible de consulter l’intégralité des résultats du sondage suisse sur le site de Paix Liturgique.

Question n°2 : Le pape Benoît XVI a rappelé en juillet 2007 que la messe pouvait être célébrée à la fois sous sa forme moderne dite « ordinaire » ou « de Paul VI » - en français, le prêtre faisant face aux fidèles, la communion étant reçue debout – et sous sa forme traditionnelle dite « extraordinaire » ou « de Jean XXIII » - en latin et grégorien, le prêtre tourné face à l’autel, la communion reçue à genoux. Le saviez-vous ?

Oui : 56%
Non : 42%
NSP : 2%

Question n° 3 : Trouveriez-vous normal ou pas normal que les deux formes du rite romain soient célébrées régulièrement dans votre paroisse ?

Normal : 41%
Pas normal : 50%
NSP : 9%

Question n°4 : Si la messe était célébrée en latin et grégorien sous sa forme extraordinaire dans votre paroisse, sans se substituer à celle dite ordinaire en français, y assisteriez vous ?

Chaque semaine : 16%
Tous les mois : 19%
Pour les fêtes solennelles : 10%
Occasionnellement (mariages…) : 21%
Jamais : 32%
NSP (ne se prononcent pas) : 2%

Voici une syntèse de ces résultats :


II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Ce sondage suisse est la onzième étude commanditée par Paix Liturgique auprès d’un organisme professionnel et indépendant sur la question du Motu Proprio Summorum Pontificum (toutes consultables sur le site Paix liturgique).

Cette nouvelle étude menée selon les normes scientifiques et professionnelles habituelles confirme, encore une fois, les précédents sondages : une partie substantielle des catholiques (35 %) assisterait régulièrement à la forme extraordinaire du rite romain - c’est-à-dire au moins une fois par mois - si elle était célébrée dans leur paroisse donc, pour dire les choses simplement, si le Motu Proprio était appliqué...

Ce pourcentage, d’un catholique pratiquant sur trois, confirme les ordres de grandeur concordants dans l’espace et dans le temps mis en lumière par les précédents sondages commandités par Paix liturgique auprès d’organismes professionnels différents. C’est là le premier enseignement de ce nouveau sondage : ce chiffre de 35% représente une tendance lourde, désormais absolument indéniable.

2) Ce sondage suisse confirme également le fait que l’attachement à la messe traditionnelle n’est pas un épiphénomène franco-français mais que c’est au contraire une question qui intéresse de près une partie importante des fidèles catholiques, en Europe comme ailleurs comme le démontreront nos prochains sondages sur d'autres continents. Dès lors qu’on demande directement aux fidèles ce qu’ils pensent vraiment et que l’on ne se contente pas d’écouter la version officielle des évêques ou des "laïcs engagés" (c’est à dire bien souvent… rémunérés par les diocèses ou les paroisses ) selon laquelle en Suisse comme en France « il n’y a pas de vraies demandes » ou bien selon laquelle « ce qui a été mis en place depuis le 7 juillet 2007 répond à la demande » ou encore « la majorité des fidèles ne souhaite pas cette liturgie dans les paroisses », les résultats sont quelque peu différents.

Voilà de quoi nous encourager dans notre travail d’information et de libération de la parole des fidèles.

3) 42 % des catholiques pratiquants suisses n’ont pas entendu parler du Motu Proprio de Benoît XVI… près de quatre ans après sa publication (pourcentage qui grimpe à 61 % sur l’ensemble des sondés se déclarant catholiques). Ce chiffre, comparable à celui du Portugal, est la conséquence de la loi du silence qui règne autour de la liturgie traditionnelle en Suisse. de silence à lui seul en dit long sur le manque de zèle de l’épiscopat suisse à faire connaître auprès des fidèles le Motu Proprio de Benoît XVI.

Ce résultat lamentable confirme qu'il est vain d'attendre que l'application du Motu Proprio de Benoît XVI se fasse d'elle-même. En effet, là où les fidèles s’expriment et s’organisent en associations, blogs, forums et sites internet, le Motu Proprio est d’avantage connu, d'où l’importance de la mobilisation des fidèles pour faire avancer le Motu Proprio dans les paroisses. Nous y voyons pour notre part une invitation pressante à redoubler nos efforts d’information du public.

4) Avec un pourcentage élevé (un sur deux) de pratiquants ne trouvant « pas normale » la coexistence des deux formes du rite romain, la Suisse fait figure d’exception par rapport aux autres pays déjà sondés. Ce résultat s’explique en grande partie par le progressisme militant et agressif qui caractérise une grande partie du catholicisme suisse et qui vaut aux évêques jugés trop orthodoxes de se retrouver au bord de la démission ou de la mutation.

Ce chiffre doit en outre être analysé au regard du faible pourcentage de fidèles ayant connaissance du Motu Proprio. Les 42 % de pratiquants qui ignorent que le Pape a rappelé que la forme extraordinaire du rite romain n’avait jamais été interdite peuvent difficilement juger possible la coexistence des deux formes de l’unique rite romain et encore plus difficilement souhaiter l'enrichissement mutuel des deux formes du rite romain.

On ne peut aimer que ce que l’on connaît. Et que ce que l'on sait accepté par les autorités légitimes, nous enseigne la sagesse populaire…

5) En dépit de la très forte polarisation de l'Église suisse et du bruit fait par les « catholiques critiques » qui veulent la peau de Mgr Huonder, un suisse pratiquant sur trois est disposé à vivre sa foi au rythme de la liturgie traditionnelle libérée par le Saint-Père. Cela confirme l'existence, en Suisse comme ailleurs, d'une forte composante de catholiques silencieux, désireux de pouvoir bénéficier, dans le cadre paroissial, non seulement des bienfaits du Missel du Bienheureux Jean XXIII mais aussi de la réforme de la réforme que désire Benoît XVI.

Ce sondage met une nouvelle fois en lumière un constat déjà fait à maintes reprises : traiter la question de l’application du Motu Proprio à travers celle de la demande exprimée est au mieux une méconnaissance grave des aspirations des fidèles au pire un procédé déloyal qui n’a d’autre but que celui d’empêcher le texte de Benoît XVI de s’appliquer. Au vu de l’attitude de la Conférence des évêques suisses qui a soumis en septembre 2007 la possibilité pour un prêtre de célébrer la forme extraordinaire du rite romain à… l’autorisation de l’évêque (voir notre lettre n°279) et au vu du nombre ridiculement bas de fidèles ayant connaissance du Motu Proprio en Suisse, qu’il nous soit permis de pointer du doigt la responsablitité de l'épiscopat helvétique dans cet “enfouissement” du texte pontifical.

6) Ce sondage concerne la Suisse. Il va être très intéressant sur un point particulier : l’écho qu’il va susciter.

En effet, il faut souligner un phénomène extrêmement curieux qui concerne la France. On est aujourd’hui totalement sorti du triomphalisme de type célébration de la « nouvelle Pentecôte ». Désormais, on trouve dans les médias religieux de nombreuses études concernant l’état particulièrement critique du catholicisme français, études auxquelles correspondent des rapports régulièrement établis par les instances épiscopales. Le tout, pour faire très bref, se concentre sur un taux dramatique, celui d'une pratique dominicale hebdomadaire qui ne concerne plus que 4% des Français (et à peine 10% de ceux d'entre eux qui se disent catholiques). En revanche, étrangement, on ne trouve pratiquement nulle part, en France, d’analyse sur les tendances internes de ce « petit reste » au milieu d’une société indifférente.

Or, Paix liturgique publie, lettre après lettre, des éléments d’analyse sur la “température” de ce catholicisme devenu minoritaire. Ces données suscitent - nous le savons par les nombreux retours qui nous parviennent - le plus grand intérêt, et souvent un prodigieux agacement. Mais le climat idéologique reste d’une telle prégnance que le silence des médias spécialisés est quasi total. Qu’il s’agisse de la divulgation de nos sondages indépendants, professionnels, successifs et concordants, qu’il s’agisse des états réguliers, fondés sur des enquêtes précises, que nous publions sur les séminaires de France, nous fournissons un matériau d'analyse sans équivalent dont l’écho est, inexpliquablement et malheureusement, pratiquement nul.

Si nos sondages internationaux, notamment ceux de Grande Bretagne et d’Italie, ont largement été repris dans les médias spécialisés et généralistes locaux, nos sondages français n'ont en revanche pas suscité le moindre mot en France, tant dans la presse religieuse que dans la presse profane.

Est-ce parce que nos sondages sur le Motu Proprio, et nos études sur le « personnel Motu Proprio » (vocations et séminaristes) montrent de façon évidente que, dans une dizaine d’années, ce qui reste de catholicisme en France sera de tendance traditionalisante ? Ce qui, après plus de 40 ans de réforme liturgique (et de réforme catéchétique, et de réforme de la formation des prêtres, etc.) a de quoi être en effet un peu dérangeant.

Quoi qu'il en soit, les responsables ecclésiastiques et les médias catholiques continuent à pratiquer la politique de l’autruche- si ce n'est celle de l'omerta - mais au second degré : certes, on reconnaît que le catholicisme est devenu un fait social minoritaire dans notre pays mais on masque qu’au sein de ce catholicisme se manifeste un profond désir de « retour à la tradition » (liturgie, catéchisme, etc.). Et qu’à cette aspiration correspond – les chiffres le prouvent – une fécondité en termes de vocations.

C’est donc pour nous, témoins affligés de la cécité volontaire des responsables du catholicisme français et de leur presse, une expérience intéressante : comment va réagir la presse catholique suisse ?

7) Comme pour tous nos précédents sondages, les résultats de ce sondage effectué en Suisse seront remis au Saint-Père notre pape Benoît XVI.

8) Ce sondage a coûté la somme de 4 200 € TTC. Si vous souhaitez participer à son financement et nous aider à continuer notre travail d’information, vous pouvez adresser votre don à Paix liturgique, 1 allée du Bois Gougenot, 78290 CROISSY-SUR-SEINE en libellant votre chèque à l'ordre de Paix liturgique ou par virement : IBAN : FR76 3000 3021 9700 0500 0158 593 - BIC : SOGEFRPP. Par avance nous vous remercions de votre contribution !

[DICI - Una Voce] Entretien de Mgr Bernard Fellay à Una Voce

SOURCE - DICI - Una Voce - 29 avril 2011

Mgr Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, a accordé un entretien à Patrick Banken, Président d’Una Voce – France, publié dans le n°277 (mars-avril 2011) de la revue de l’association qui milite pour la sauvegarde du chant grégorien, depuis près de 50 ans.
P.B. : À l’aube d’une nouvelle année et d’une nouvelle décennie, pouvez-vous,  Monseigneur, nous faire partager votre regard sur la situation actuelle de l’Église ?
Mgr Fellay : Le Concile Vatican II et toute la suite des réformes postconciliaires ont causé l’une des crises les plus graves que l’Église catholique ait jamais traversées. Cinquante ans après, nous constatons malheureusement que cette crise n’est pas prête de cesser. Les conséquences des réformes conciliaires se font sentir plus durement aujourd’hui qu’autrefois. Ce sont par exemple dans l’Ancien et le Nouveau Monde une diminution très grave des vocations tant religieuses que sacerdotales, la disparition quasi totale d’écoles catholiques dignes de ce nom, l’ignorance crasse de la doctrine catholique parmi la jeunesse, une liturgie qui ne nourrit plus la foi et qui au contraire pénètre comme un lent poison les quelques fidèles qui pratiquent encore dans un esprit plus protestant que catholique. Cependant au milieu de ce désastre, on peut distinguer un mouvement, encore bien discret il est vrai, qui désire la restauration de l’Église. C’est un mouvement qui vient de la jeunesse, un mouvement qui a reçu un souffle nouveau au moment de l’accession de Benoît XVI au pontificat romain. Ce mouvement qui est un retour à une attitude plus conservatrice donne un certain espoir pour le futur. Il souffre cependant de quelques défauts, par exemple l’ignorance du passé ou la déception au vu de la situation de l’Église. On pourrait dire que la jeunesse voyant la piètre situation actuelle, est comme frustrée et cherche aussi bien au niveau liturgique que doctrinal autre chose en se tournant vers le passé, mais ce, sans trop savoir ce qu’il est. L’aile progressiste, encore bien en place, s’est rendu compte de cette réaction et fait tout ce qu’elle peut pour l’anéantir avant qu’elle ne devienne suffisamment forte pour pouvoir s’imposer par elle-même. Cet ensemble crée une situation passablement confuse, où la crainte côtoie l’espoir. Nous sommes comme à une croisée de chemins et les actes, que posera ou non le Souverain Pontife, détermineront la durée plus ou moins longue de cette crise.
P.B. Dans l’avenir proche, quel pourrait être le rôle du catholicisme traditionnel en général et de la Fraternité Saint-Pie X en particulier, pour sortir de la trop longue crise que connaît l’Église universelle ?
Mgr F. : Au regard de la situation telle que nous venons de la décrire, il est certain que ceux qui essaient de vivre selon les principes traditionnels pourraient facilement devenir comme un pôle, un phare, ayant un rôle très important, mais difficile à réaliser. Je pense que dans les années qui viennent nous devrons surtout allier fermeté, patience et miséricorde pour pouvoir aider ce mouvement sincèrement désireux d’une restauration de l’Église. Ce que nous pouvons lui offrir, est certainement d’un côté l’amour de la liturgie traditionnelle et de l’autre, la doctrine saine non seulement approuvée par l’Église, mais imposée par celle-ci durant des siècles, je pense spécialement à la doctrine scolastique, à la doctrine de saint Thomas.
P.B. Votre œuvre est implantée sur les cinq continents. Quels sont les lieux ou les pays les plus encourageants pour le ministère de vos prêtres ?
Mgr F. : Tout dépend de ce que l’on considère comme encourageant pour le ministère des prêtres. Si l’on prend comme critère d’encouragement, le succès facile, un développement relativement important, des vocations, des conversions nombreuses, il faut mettre les États-Unis parmi les premiers pays. Si par contre le critère est un travail plus en profondeur, forcément moins spectaculaire, alors on peut dire que presque partout l’apostolat de nos prêtres est encourageant. Lorsqu’on regarde toutes ces écoles, toute cette jeunesse, les familles nombreuses et même le soutien aux personnes âgées, il est sûr que plusieurs pays d’Europe méritent une palme.
Dans les pays de mission, il y a toujours une saveur de pionniers… Notre apostolat en Afrique est en plein développement. L’Asie offre un potentiel extraordinaire de conversions. Dans toutes ces missions, ce qui manque cruellement ce sont les prêtres. Il nous en faudrait beaucoup plus, simplement pour répondre aux demandes des fidèles d’Afrique et d’Asie.
P.B. Quelle est la place faite au chant grégorien dans les lieux de culte desservis par la Fraternité Saint-Pie X ? Selon vous, d’un point de vue pastoral, peut-on étendre son influence et comment s’y prendre au mieux pour y parvenir ?
Mgr F. : La liturgie étant au centre de nos préoccupations, puisque le but premier de la Fraternité est le sacerdoce catholique et que ce dernier est intimement lié à la célébration du saint sacrifice de la messe, il est évident que la place que nous donnons au chant liturgique est importante. Ce chant liturgique pendant plus d’un millénaire était essentiellement le chant grégorien. Celui-ci a pratiquement disparu dans la liturgie moderne, même si, çà et là, il suscite encore un peu d’intérêt. Chez nous, le chant grégorien est simplement la base de la messe chantée ou de la messe solennelle. Dans tous nos séminaires, les séminaristes sont obligés d’apprendre les éléments essentiels du chant et, dans la mesure du possible, de les transmettre aux fidèles.
Comment étendre l’influence de ce chant qui a toujours été considéré par l’Église comme un sacramental ? Cela dépend beaucoup des circonstances. Il faut d’abord trouver un maître de chœur compétent, puis former une chorale qui pourra elle-même par la suite aider l’ensemble des fidèles à rendre toujours plus belle la sainte liturgie catholique et romaine. Je ne pense pas qu’il y ait des remèdes miracles. Il est un adage qui dit que la grâce n’enlève pas la nature. S’il y a un côté surnaturel, de grâce, dans le chant grégorien, celui-ci néanmoins reste soumis aux règles habituelles de la musique et donc suppose les compétences humaines et artistiques nécessaires. Il nous faut travailler à former parmi nos fidèles un certain nombre soit pour l’accompagnement à l’orgue, soit pour le chant grégorien, ce que nous essayons de faire par exemple dans nos écoles.
Étendre l’influence du chant grégorien revient aussi à faire aimer cette belle musique, mais comme on n’aime que ce que l’on connaît, il nous faut commencer par la faire connaître, puis apprécier et finalement aimer. Le Grégorien étant au regard de la musique classique, dépouillée des accords harmoniques, s’adresse davantage à l’esprit et à l’âme plutôt qu’aux sens. Elle n’a pas par elle-même l’attirance que pourrait avoir une musique polyphonique, mais elle a l’avantage d’être universelle comme disait saint Pie X, c’est-à-dire qu’elle est agréable à toutes les civilisations quelles qu’elles soient. C’est une musique élevée, exigeante, et il ne faut pas hésiter à proposer ce défi, car il y a au fond de l’homme un amour des difficultés à vaincre, des défis à relever.
P.B. Peut-on savoir si les discussions doctrinales que tiennent certains de vos représentants avec les autorités romaines sont satisfaisantes ?
Mgr F. : Qu’entend-on par satisfaisante ? Cela est assez subjectif. Est-ce que ces discussions répondent à nos attentes ou aux attentes des autorités romaines ? Vu les divergences avec lesquelles elles ont été abordées, il me semble prématuré de vouloir donner une réponse, alors qu’elles ne sont pas terminées. Je pense qu’il y a des éléments qui nous déçoivent et dans le même temps d’autres qui nous donnent un certain espoir pour le futur. Je ne pense pas pouvoir répondre clairement à votre question par un oui ou par un non. Il me semble que l’on ne peut pas attendre des fruits immédiats de telles discussions, mais il y a un échange de pensée, d’une pensée qui doit encore mûrir. Nous avons l’espoir que ces contacts contribueront à certaines corrections, mais je ne pense pas que cela soit pour un avenir prochain.
Source : Una Voce n°277 (mars –avril 2011) bimestriel, abonnement : 39 € – 49 rue de la Procession 75015 Paris – Courriel : unavoce@orange.fr – Site : http://www.unavoce.fr

28 avril 2011

[Disputationes theologicae] La nécessité théologique et ecclésiale d’une «troisième voie»: ni spirale “schismatique” ni conformisme “rallié”


SOURCE - Disputationes theologicae - publié en deux parties, dont la seconde le 28 avril 2011

Dans le cadre de la dispute théologique soulevée par notre récent éditorial, nous nous trouvons dans l’obligation, comme d’ailleurs l’exige le but de notre revue, de répondre à certaines interrogations et à certaines objections violentes, parfois même très violentes (signe probable que le problème dénoncé est tout-à-fait réel)  cependant toujours privées de signature.
Il semblerait en effet que ni l’amour de la vérité des défenseurs acharnés d’un traditionalisme « dur », ni le désir d’unité des partisans d’un « œcuménisme de la Tradition » libéral n’a suffit pour susciter chez les uns ou les autres le courage d’une signature.

Il faut aussi observer la convergence singulière de ces deux pôles apparemment opposés, mais en réalité unis quant à leur aversion envers la position théologique et ecclésiale, clairement déclarée, qui a été exprimée ici.

Face à cette attitude nous voulons attirer l’attention sur une « troisième voie ».
On peut être “romain” et exprimer du  respect – même verbal – envers l’autorité ecclésiastique, mais on doit exprimer son propre désaccord  publiquement, quand un danger pour la doctrine de la Foi le réclame.

Dans un effort de synthèse, nous résumons ici les différentes interventions, certaines d’ordre théologique, les autres de type pratico-politique mais avec des renvois théologiques, en cherchant en même temps à montrer les contours de cette troisième voie dont nous avons fait mention dans le titre.

Objections théologiques :
1) La position de votre revue se réduit, comme celle de tous les Ecclesia Dei, à la défense du texte conciliaire, en soutenant que, dans les textes de Vatican II, tout est absolument et indistinctement obligatoire, et doit être interprété dans l’herméneutique de la continuité ;
2) Vous avez attaqué le néothomisme des années 30, car désormais votre position  théologique est celle de la nouvelle vague, méprisant la rigueur de cette pensée, avec laquelle on mélange les nouveautés modernistes ;
3) Vous vous êtes soumis visiblement et canoniquement à une autorité qui convoque la rencontre à Assise ; donc vous êtes de façon implicite, favorables à l’actuel œcuménisme. L’unique solution fidèle aurait été votre rupture avec les autorités ecclésiastiques ;
4) Vous ne dénoncez pas avec suffisamment de conviction l’œcuménisme et Assise III.

Objections de caractère pratico-politique :
5) Vous avez accusé la Fraternité d’être schismatique ;
6) Les accords doctrinaux entre les théologiens romains et ceux d’Ecône se déroulent bien et les responsables en sont satisfaits ;
7) La preuve en est qu’il y aura bientôt un Ordinariat personnel ;
8) Les Instituts Ecclesia Dei, en oubliant la parabole de l’enfant prodigue, ne veulent pas d’accord entre Rome et la Fraternité ;

Nous allons répondre en nous basant tout d’abord sur une donnée théologique, ensuite sur une donnée pratique. Dans un perspective réaliste, nous maintiendrons la primauté du vrai sur l’utile, sans mépriser « l’art politique », au sens aristotélicien du terme, et surtout – comme le disait Mgr Lefebvre lui-même - en tenant compte des nuances de la réalité, qui demeurent irréductibles à une sorte « d’affolement idéologiste »

1) C’est sur les normes théologiques classiques d’évaluation que nous nous basons pour exprimer une position d’approbation ou de désaccord par rapport à un argument théologique qui n’a pas été défini infailliblement ou qui est de toute façon susceptible d’être approfondi.

Le Code de Droit Canon souligne lui-même la « juste liberté de recherche comme aussi d’expression prudente de ses opinions dans le respect du Magistère de l’Eglise » (can. 218). En effet la Commission Pontificale Ecclesia Dei est un organe canonico-juridique, et non un organe qui aurait ses « propres » positions théologiques, comme le soutiennent et un certain traditionalisme « intransigeant »  et l’Osservatore Romano... En outre, il est bien connu (cela se trouve même dans les Statuts de l’Institut du Bon Pasteur dont fait partie le directeur de ce site libre), que nous ne soutenons pas l’absolue intangibilité des textes d’un tel Concile pastoral. Ils peuvent être revus par Celui qui détient l’autorité suprême dans l’Eglise. Il s’agit en effet de textes qui ne jouissent ni de l’infaillibilité du Magistère extraordinaire infaillible, ni de celle du Magistère ordinaire infaillible dans toutes leurs affirmations. En ce qui concerne la possibilité d’une telle perspective, il suffit de lire la « note théologique » du Concile du 16 Novembre 1964 (Denz. 4350 et suivants). Mgr Gherardini s’est exprimé sur ce même site avec une clarté suffisante  sur le sujet. Nous voulons toutefois ajouter qu’il serait réductif de limiter la critique aux textes du Concile, (critique souvent trop exaspérée et fort idéologique) le problème étant bien plus vaste.

2) Nous n’avons pas renié  le néothomisme, tout au contraire, nous continuons à regarder avec beaucoup de respect l’“Ecole”, même celle dite des « commentateurs ». On se demande parfois si ceux qui soulèvent ce genre de critiques lisent avec attention et objectivité nos éditoriaux. Nous avons simplement fait mention du jugement facile contre le néothomisme qui a été porté du côté du Vatican. Nous somme toutefois de l’avis que la perspective doit être élargie, sans absolutiser le néothomisme, et cela pour éviter le jeu facile de certains théologiens modernes qui voudraient considérer comme une « querelle d’école » ce qui mérite d’être simplement jugé comme une « erreur de doctrine ». Si ces problèmes et ces accusations faciles ont pu être soulevés des deux côtés, c’est justement parce que les colloques doctrinaux ont été mal agencés.

3) Le seul fait d’être canoniquement et donc visiblement soumis au Romain Pontife et aux Evêques en communion avec lui ne signifie pas souscrire et partager tous et chacun des actes non-infaillibles que l’autorité produit ou subit, propose ou semble proposer.
Cela ne signifie rien d’autre que respecter la constitution divine de l’Eglise, tout en se réservant la faculté d’exprimer respectueusement son propre dissentiment, lorsqu’il est théologiquement compatible avec les matières en question. Ce que nous affirmons c’est surtout un principe théologique, et de loi naturelle : ce qui règle et éventuellement permet la résistance à la pleine soumission à la hiérarchie, est l’imposition d’un ordre moralement inacceptable ; au contraire, le fait que la hiérarchie fasse ou dise des choses qu’on ne peut pas partager, n’autorise pas à étendre la résistance à une dimension habituelle ou universelle.

4)
Pour ce qui concerne la dénonciation de dérives œcuméniques : lorsque l’Osservatore Romano dans un article signé par Renzo Gattegna a dit que l’Eglise devait renoncer à convertir les juifs, notre revue a souscrit une dénonciation publique présentée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, déjà en Décembre 2010 (un mois avant l’annonce d’Assise III), et a ensuite publié un article à ce sujet.
Jusqu’à présent il n’est pas venu à notre connaissance que ceux qui ont si durement critiqué notre supposé « silence », aient su prendre position face à un épisode si grave. Face à l’évidence d’une affirmation ouvertement en contraste avec la doctrine catholique, notre position est celle de dénoncer de telles erreurs en matière de foi sans aucune réticence. Quant à Assise III, nous demeurons fort contraires aux rencontres interreligieuses, c’est notre position, elle est publique et  connue par le Saint Père comme par l’Eglise en général. Cependant, connaissant  la pensée du Card. Ratzinger à l’époque et ses affirmations sur l’impact désastreux de ces événements, nous attendons les événements pour mieux voir quelle est, dans la « mens » du Pape, la véritable motivation d’une telle rencontre. Peut-être est-elle liée, bien plus qu’on ne le croit, à l’actuel équilibre international ou à des équilibres internes au monde ecclésiastique. En considérant la complexité de la situation, les commentaires, et surtout certaines épithètes réservées au Successeur de Pierre qu’on peut trouver sur les sites du milieu traditionnel nous semblent inopportuns.

Il est d’ailleurs impossible de comprendre la logique de ceux qui veulent soutenir que les colloques théologiques entre Ecône et Rome vont bien, tout en affirmant l’indicible gravité de la future rencontre d’Assise III ; en effet, en raison du caractère  « doctrinal » qu’on a voulu donner à de telles rencontres, si ces dernières se passent bien cela signifie que dans les faits, l’actuel œcuménisme ne pose pas de problèmes aux interlocuteurs.

Réponse aux objections d’ordre pratique et politique:

1)  
Nous n’avons jamais soutenu que la Fraternité Saint Pie X soit schismatique ou qu’elle l’ait été ; nous avons dit qu’il y a en elle des tendances en ce sens, et qui ne semblent point diminuer. Cela même aurait du suggérer à Mgr Fellay d’accepter, il y a quelques années déjà, l’accord proposé par Rome. Un accord qui n’était pas « inacceptable » et qui aurait lentement estompé les excès de « petite église » qu’on constate dans la Fraternité. Cependant, c’est un fait qu’il y a encore des représentants de la Fraternité qui s’expriment avec une attitude gravement schismatique. Nous renvoyons pour cette question à l’étude de M. l’abbé Ch. Héry, « Non lieu sur un schisme » (2005), dont nous partageons largement les conclusions.

2)  Les accords doctrinaux, tels qu’ils avaient été décrits par Son Exc. Mgr de Galarreta, chef de la délégation de la Fraternité, ont échoué.
L’évêque espagnol avait dit en effet le 19 décembre 2009, au cours d’une fameuse homélie prononcée à la Reja, que la délégation allait à Rome « simplement pour donner un témoignage de la foi » où encore « nous allons là-bas pour prêcher – comme ce que je suis en train de faire ici » (!). A une telle attitude, qui reste difficile à partager, il ajoutait une autre déclaration péremptoire : « nous savons en revanche très clairement ce que nous n’avons pas l’intention de faire, en aucune manière : premièrement céder sur la doctrine et deuxièmement faire un accord purement pratique »[1]. Remarquons que si Ecône n’a pas cédé sur la doctrine catholique, en soi elle a bien fait ; si elle décidait d’accepter l’idée d’un accord pratique, ou en substance canonique (pourvu que cela soit encore réalisable, vu les résistances externes et internes qui se sont développées entretemps), ce serait mieux encore.  Mais accepter un accord pratique voudrait dire qu’il y a eu un changement de position par apport aux déclarations susmentionnées faites à La Reja ; un changement par rapport au sermon du 2 février 2010 de S. Exc. Mgr Fellay à Flavigny ; par rapport au contenu du livre de Mgr Tissier, L’étrange théologie de Benoit XVI, (sur lequel mieux vaut étendre un voile pudique) ; par rapport à ce qui a été soutenu par le Supérieur du district de France, M. l’abbé de Caqueray, à savoir l’impossibilité de toute « communicatio in sacris » avec les prêtres soumis au Pape et aux évêques diocésains ; et surtout un changement par rapport à la déclaration officielle qui a suivi le dernier Chapitre de la FSSPX (2006), déclaration qui définissait explicitement comme “impossible” un accord pratique sans conversion préalable de Rome. Si un tel changement a eu lieu, nous nous en réjouissons, mais il serait du moins sérieux et honnête de le déclarer publiquement.

3)  
Si la Fraternité doit procéder à un tel accord, en acceptant un « Ordinariat personnel », ce serait certes un acte de sagesse et de romanité. Mais dans ce cas, elle devra aussi faire preuve d’humilité, en reconnaissant honnêtement que bien des affirmations de ces dix dernières années au sujet de la “conversion préalable” de Rome, chez qui on allait seulement pour prêcher la vérité, étaient totalement déplacées. L’éventuelle acceptation d’un ordinariat personnel pourrait ne pas être en contradiction avec l’échec des colloques doctrinaux, mais elle pourrait signifier simplement qu’on a opté pour l’« accord pratique », jusqu’à présent méprisé et exclu de façon catégorique.
Il faut ajouter que la proposition d’un « Ordinariat personnel » (ou une structure équivalente) ne sera pas le résultat du succès des accords doctrinaux, mais plutôt une proposition de Rome déjà ancienne, et qui n’a jamais été retirée, remontant à 2001-2002 (nous espérons que les conditions posées par Rome soient toujours aussi restreintes qu’elles ne l’étaient à cette époque, et qu’elles ne sont pas devenues plus exigeantes – comme semblerait pourtant l’indiquer la « Note Officielle » de la Secrétairerie d’Etat du Vatican de février 2009). Cette vieille proposition, tout-à-fait acceptable (car ne contenant aucune exigence « doctrinale », si ce n’est l’acceptation de l’autorité du Pape), avait déjà été refusée par Mgr Fellay, au temps où on désignait cette proposition canonique sous le nom d’« Administration Apostolique  personnelle». Le refus de cette proposition avait été communiqué à la presse au mois de Janvier 2006 (La Croix du 13 Janvier 2006). Si aujourd’hui il est devenu plus difficile d’accepter un tel accord, ou si le prix à payer est plus élevé à cause d’énormes résistances internes, il serait juste que Mgr Fellay assume la responsabilité d’avoir été lui-même l’une des causes principales de cette aversion : après avoir méprisé avec insistance une telle solution canonique, il serait malvenu de l’entendre reprocher aux fidèles et aux prêtres de l’avoir écouté.
Il est certes vrai, par exemple, qu’il est difficile de trouver une solution « moyenne » au sujet de la Déclaration (non infaillible) « Dignitatis Humanae » n. 2, mais il est évident d’autre part que le Souverain Pontife, en ce moment historique, peut difficilement imposer une nouvelle formulation du texte conciliaire, même si en principe il garde la faculté de le faire. Et Rome, pourtant, avait proposé à l’époque à la FSSPX d’accompagner sa régularisation canonique et sa déclaration d’acceptation du « Concile à la lumière de la Tradition » de l’institution d’une Commission bilatérale de discussion sur les points controversés de Vatican II, signe évident que le jugement sur ces points restait ouvert. Il reste à voir si aujourd’hui cela est encore le cas.

4)  
Nous n’avons point oublié la parabole de l’ « enfant prodigue », auquel le père réserve l’accueil le plus chaleureux, au point que nous avons écrit que si la Fraternité fait honnêtement un accord, tout le monde l’attend les bras ouverts : on se demande parfois si nos critiques ont lu ce qu’ils critiquent ou s’ils veulent seulement jeter de la fumée aux yeux.  A la limite, cette parabole nous paraît même offensive pour la Fraternité, parce que celle-ci n’est pas sortie de l’Eglise, ni ne doit demander pardon – le lynchage subi par Mgr Lefebvre a été injuste – pour chacune des souffrances subies lorsqu’elle était « hors de la maison ». Nous avons au contraire toujours soutenu que cet état des choses, pendant un certain temps, a été justifié ; il était réellement justifié par l’ « état de nécessité », lequel – par définition – ne dure pas indéfiniment. De l’« enfant prodigue », par contre, elle devrait assumer au moins l’attitude humble et filiale envers le Pape et démentir publiquement certaines affirmations, en particulier les aberrantes théories eucharistiques de M. l’abbé de Caqueray et les violentes accusations contre Saint Père portées par Mgr Tissier. On nous objectera que la plupart des prêtres de la Fraternité ne partagent pas ces exagérations. Très bien. Alors que la partie « romaine » de la Fraternité trouve le courage de s’exprimer et de démentir de tels  égarements. Jusqu’à présent aucune voix  ne s’est levée contre l’inconcevable doctrine qui refuse, ipso facto, la « communicatio in sacris » avec les instituts Ecclesia Dei. L’essentiel de la question est que l’éventuel retour, pour ainsi dire, se fasse dans la vérité. Si l’on croit réellement à son primat.

Pour résumer, nous confirmons ce que nous avons déjà écrit. Les colloques doctrinaux, cela est évident, n’ont pas apporté le résultat qu’on leur avait fixé. On peut cependant – et on doit – accepter l’accord canonique, qui, nous en sommes persuadés, sera un bien pour tous. Si les autorités de la Fraternité ne veulent pas de l’« administration personnelle » déjà refusée en 2006, ou de l’« ordinariat personnel » – comme  on dit aujourd’hui –, parce qu’ils attendent la solution aux problèmes du Concile, comme l’a déclaré Mgr de Galarreta, qu’ils le disent de façon non équivoque, une fois pour toute. La pire perspective, qui malheureusement n’est pas encore exclue, serait celle de renvoyer « sine die » la résolution de la question, en conservant une position ambigüe. Si Rome veut poser d’ici peu un ultimatum de ce genre – ce n’est une nouveauté, elle propose de la faire depuis dix ans – cela sera le signe que le Saint-Siège ne renonce pas à l’autorité qui lui revient ; cependant, il faudra reconnaître en même temps que la plupart des questions théologico-doctrinales restent encore ouvertes.

[1] http://www.dici.org/actualites/un-jugement-de-mgr-de-galarreta-sur-les-entretiens-doctrinaux/

[Abbé Hervé Gresland - Amis de St Francois de Sales] Un nouveau "Bienheureux"

SOURCE - Abbé Hervé Gresland - Bulletin des Amis de saint Francois de Sales n°157 - avril-juillet 2011

La béatification «express» de Jean-Paul II, après un procès précipité, a été une nouvelle occasion de la perte des repères chez les catholiques, qui n’en ont déjà plus beaucoup. Ce pape est donc présenté au monde comme un modèle de perfection, un exemple à imiter, en attendant l’apothéose de la canonisation. C’est que la Rome conciliaire ne donne plus aux mots «saint» ou «bienheureux» la même signification qu’autrefois. Jean-Paul II a pu susciter un grand enthousiasme ou communiquer de grandes émotions; malheureusement cela ne veut rien dire sur la sainteté d’un homme.

A une nouvelle doctrine correspondent de nouveaux bienheureux, comme le remarque l’abbé de Cacqueray : «Il existe une logique qui va de la nouvelle doctrine qui est professée aux nouveaux exemples que l’on donne aux chrétiens. Or, puisque cette nouvelle doctrine se trouve, à bien des égards, gravement déviante de la doctrine catholique, les nouveaux bienheureux ou saints sont suspects comme tels s’ils ont été béatifiés ou canonisés pour s’être conformés à cette doctrine.»

Dans une telle béatification, il ne s’agit pas de considérer la piété personnelle du pape défunt, mais plutôt s’il a fait preuve de vertus héroïques dans l’exercice de ses fonctions de pape, de telle sorte qu’il doive être donné en modèle de pontife à tous les catholiques. Jean-Paul II a-t-il accompli héroïquement ses devoirs de souverain pontife à la manière de ses prédécesseurs canonisés, des devoirs que l’on peut énumérer ainsi : avoir soin de défendre la foi et la prêcher de manière intrépide, combattre les erreurs, défendre courageusement son troupeau, nommer de bons évêques, chercher à ramener les égarés à l’unique bercail du Christ, rappeler les droits de Jésus-Christ sur les individus et les sociétés ? Voilà la tâche que Dieu lui a confiée, et sur laquelle il l’a jugé.

L’enseignement de Jean-Paul II pose de graves problèmes au regard de la foi. Il modifie en profondeur la conception des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. On peut dire que chez lui, les dogmes catholiques perdent leur substance même. Tout homme possède naturellement la capacité d’aller à Dieu : c’est la confusion complète de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel. Et donc Dieu est déjà là présent au coeur de toutes les religions et de toutes les cultures.

Alors que Jésus nous dit : «Le Père lui-même vous aime, parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu» (Jean 16, 27), Jean-Paul II enseigne au contraire que Dieu aime indifféremment tous les hommes, et que tous les hommes sont déjà réconciliés avec Dieu et sauvés. Pour lui, la Rédemption est déjà appliquée à chaque homme; tout homme, même les païens, est «participant de la nature divine et héritier de la vie éternelle » (message aux peuples d’Asie du 21 février 1981).

Tout au long du pontificat de Jean-Paul II, les fidèles catholiques ont été stupéfaits et scandalisés par une quantité de gestes et de déclarations du pape, tels que l’Eglise n’en avait jamais connus en 2000 ans. Pour rappeler quelques-uns des exemples plus marquants :

Non seulement il n’a eu aucune action décisive pour enrayer la dégradation de la liturgie, mais il y a lui-même contribué. Il y a eu les liturgies papales «inculturées» célébrées dans le monde entier, incluant de la musique rock et des éléments païens qui suscitent l’indignation et l’horreur. Il a constamment maintenu en place l’auteur et orchestrateur de ces aberrations liturgiques, Mgr Piero Marini, maître des célébrations pontificales, en dépit de protestations.

Les nombreuses repentances pour les fautes présumées des catholiques en des époques antérieures de l’histoire. Comme c’était prévisible, ces mea culpa du pape ont été interprétés comme la reconnaissance de la culpabilité de l’Eglise en toutes sortes de crimes contre l’humanité.

Le baiser du Coran effectué en public par le pape.

L’exclamation stupéfiante le 21 mars 2000 en Terre Sainte : «Que saint Jean Baptiste protège l’islam», une religion qui s’oppose aux dogmes les plus essentiels du catholicisme.

La participation active à un culte païen dans une «forêt sacrée» du Togo. Après son retour à Rome, le pape a exprimé sa satisfaction d’avoir participé à la prière et au rituel des animistes. Ce seul fait était suffisant pour anéantir la cause de Jean-Paul II au procès de béatification.

En 1986 et en 2002 à Assise, le pape a invité les représentants de «toutes les grandes religions du monde», de l’animisme au zoroastrisme, à venir prier selon leurs croyances et à pratiquer le culte de leurs religions fausses. Il leur a attribué des lieux, au sein même des églises catholiques, afin qu’ils puissent accomplir leurs différents rites. Il a ainsi coopéré à ces cultes.

Inviter quelqu’un par un conseil ou une approbation au culte d’une religion non catholique constitue une faute de même nature que ce culte (donc une faute contre la foi), et un scandale (faute contre la charité fraternelle). Quand cela vient du pape, le scandale est immense, c’est un manquement immense à la charité envers les catholiques, et envers les hommes qui sont dans de fausses religions.

L’impression qu’ont inévitablement laissée ces événements, a été que toutes les religions plaisent à Dieu. Dans de multiples discours, Jean-Paul II a encouragé non pas la conversion au catholicisme mais le respect de toutes les religions qui sont toutes présentées comme des voies valables pour conduire les hommes au salut.

C’est lui qui a instauré de manière systématique l’habitude de rencontres oecuméniques lors de tous ses voyages. Il a mis quasi en permanence toutes les religions sur un pied d’égalité. Loin d’exercer la charité de la vérité envers ceux qui sont dans des religions fausses, il a grandement favorisé l’indifférentisme chez les catholiques : combien de catholiques croient encore aujourd’hui que l’Eglise catholique est la seule vraie religion ?

Il a propagé inlassablement la liberté religieuse, et a participé activement à la suppression des derniers Etats catholiques : afin que soit respectée la liberté des autres cultes, Jésus-Christ ne devait plus régner sur les Etats.

Nous voyons maintenant le nombre incroyable de scandales sexuels mettant en cause des prêtres catholiques. Au lieu de sanctionner les évêques qui entretenaient cette immoralité dans leurs diocèses ou la dissimulaient, Jean-Paul II s’est montré très laxiste en plusieurs cas. Celui du père Maciel, fondateur des Légionnaires du Christ, est le plus visible : Jean-Paul II a refusé d’entreprendre la moindre enquête sur les agissements de ce prêtre en dépit des preuves de sa double vie, et il l’a couvert d’honneurs lors d’une cérémonie publique au Vatican en 2004. Il a fallu attendre la mort de Jean-Paul II pour que Maciel puisse être sanctionné. Il n’a rien fait ou presque contre tous les évêques ou théologiens qui s’écartaient ouvertement des enseignement les plus fondamentaux du Magistère. Par contre il a condamné Mgr Lefebvre, le grand défenseur de la foi sous son pontificat.

Quand on examine l’état de l’Eglise telle que Jean-Paul II l’a laissée à la fin de son règne, on ne peut qu’être effaré devant la propagation galopante des erreurs et du mal dans tout le monde catholique. L’immense majorité de ceux qui se disent catholiques rejette purement et simplement tout enseignement en matière de foi ou de morale. Il en est incontestablement le principal responsable, dans la mesure où pendant son long pontificat de 26 ans il est celui qui avait le plus de pouvoir, qui a eu en mains tous les moyens pour gouverner l’Eglise. Il n’a pris aucune mesure efficace pour faire face à une débacle que seul le pape aurait pu empêcher, ou tout au moins circonscrire. A l’exception de Paul VI, quel pape dans l’histoire de l’Eglise a laissé un tel héritage ?

Enfin, le seul miracle sur lequel repose la béatification – la prétendue guérison d’une religieuse, déclarée atteinte de la maladie de Parkinson –, laisse place au doute et n’aurait jamais été admis autrefois. Cette maladie ne peut être diagnostiquée avec certitude, si ce n’est par l’autopsie du cerveau. Il peut s’agir de symptômes d’autres désordres, semblables à ceux de la maladie de Parkinson et susceptibles d’une rémission spontanée.

Cette béatification de Jean-Paul II est tristement symbolique. Elle a pour effet de consacrer l’ensemble de son pontificat et toutes ses entreprises, même les plus scandaleuses.

A travers ce pape, Benoît XVI a d’une certaine manière béatifié le concile Vatican II lui-même et tout ce qu’il véhicule. Béatifier Jean-Paul II, c’est faire passer le message que l’application des principes de Vatican II conduit à la sainteté véritable, que le concile est aujourd’hui le chemin de sainteté à emprunter pour tout catholique.

Maintenant vont se multiplier les portraits auréolés du nouveau béatifié, les images pieuses, les recueils de pensées du bienheureux. Les statuettes en plastique « made in China » sont promises à un beau succès commercial ! Mais la confusion pénètre encore un peu plus dans l’Eglise, au grand détriment de la foi.

Abbé Hervé Gresland