Mère Thérèse de Jésus n’est pas une énigme ni une inconnue ; on peut suivre son itinéraire atypique et bouleversé qui n’en a pas moins suivi la trajectoire classique des saints du Carmel, dépouillé et ardent.
Elle est née dans une grande famille portugaise à l’orée des années 20, dans une famille nombreuse et riche en vocations : plusieurs de ses soeurs ont été à la tête de congrégations religieuses. Adolescente, elle eut la grâce de connaître Soeur Lucie du Carmel de Coïmbra, qui probablement l’aidait dans son discernement. Toujours est-il que la jeune Teresa Ferreira choisit de s’expatrier dans un carmel étranger pour s’éloigner des siens par amour de Jésus, et elle vint en France.
Devenue prieure du carmel de Vienne, elle fit construire le monastère au début des années 60.
Elle accueillit avec ferveur le Concile, mais peu après, certains imbroglios devinrent le drame de sa vie : son fort caractère et un tempérament religieux ne voulant éluder aucune des exigences de sa vie consacrée ont contribué à la mettre au ban de son Ordre pourtant si fervent, d’où elle fut exclue suite à une dénonciation calomnieuse et déshonorante. Sécularisée contre son gré, elle a alors commencé une vie d’errance, à la Abraham, à la recherche de la Terre promise par le bon Dieu, sans s’arrêter nulle part ici-bas avant de l’atteindre jeudi dernier, au jour de la fête liturgique de Mère Teresa de Calcutta dont le cloître fut la rue et ses misères.
La vie consacrée de Mère Thérèse devenait toute cachée avec le Christ en Dieu seul. Mgr Marchand, évêque émérite de Valence, quand il était alors curé de Vienne, a suivi de près son éviction injuste, la prenant dès lors en grande estime, à l’occasion de cette épreuve.
Ermite dans le monde, elle mit à profit en milieu hospitalier les études médicales qu’elle avait faites dans sa jeunesse, se consacrant plus spécialement aux délaissés de la rue. Un temps, elle a vécu à Monaco, contribuant à l’éducation du Prince Albert et la divine Providence a voulu qu’elle reçut alors le dernier soupir de la Princesse Grace à son décès.
Mais c’est à Lyon qu’elle a vécu principalement, fidèle à ses voeux monastiques, à son « saint bréviaire » et aux pratiques de sa vie religieuse compatibles avec sa situation. Elle se fit ainsi des amis en tout milieu, fortuné ou au contraire dans l’extrême détresse, chacun trouvant en elle un repère solide pour sa vie spirituelle.
Avec l’aide de généreux dévouements, elle a pu vivre en appartement tant que sa santé le lui permettait ; puis, avec l’âge, elle dût entrer en maison de retraite. En ces diverses étapes, sa cellule, où qu’elle soit, devenait son monastère et un haut lieu d’échanges sur les choses de Dieu. Les épreuves terribles de sa vie font penser à Job en sa déréliction, mais c’était plutôt elle qui consolait autrui. La fleur du Carmel fut jetée en terre étrangère, mais elle demeura telle, fleur enlacée, entortillée autour de la Croix de Jésus. Elle a connu l’abbaye de Triors par la vocation d’un jeune qu’elle a aidé spirituellement.
Dès qu’une voiture pouvait l’y faire venir, elle profitait de l’abbaye. Je retiens de ces contacts précieux un épisode emblématique. Elle demanda la faveur qu’on lui relia un ouvrage lu cent fois et en lequel elle se trouvait toute entière : il s’agissait de Laurent de la Résurrection, religieux carme du XVIIème siècle. Ancien soldat, puis laquais d’un grand de la Cour ; un oncle carme l’initia à la prière ce qui lui fit embrasser un temps la vie érémitique avant d’entrer au Carmel à 26 ans où il servit comme cuisinier. Ces zig’zag cachaient le doigt de Dieu dans sa vie et quand on lui demanda de mettre par écrit ses pensées sur la prière et la vie intérieure, il écrivit ses Maximes sur la présence de Dieu dans l’âme. Avec lui, c’est le Grand Carmel devenant source limpide et accessible à tous, sans rien ôter pourtant des exigences décrites par les grands Maîtres.
L’abandon à la divine Providence et l’effort moral à fournir, tout y est bien en place. La nuit obscure de Mère Thérèse a été particulièrement opaque ; la lumière tant désirée, longtemps attendue, lui est venue jeudi dernier. Elle peut dire à pleins poumons la strophe bien connue : Ô nuit qui m’avez guidée ! Ô nuit plus aimable que l’aurore ! Ô nuit qui avez uni L’aimé avec sa bienaimée, qui a été transformée en Lui.
Nous prions pour elle avant de lui demander qu’elle prie pour nous qui trébuchons encore dans cette Vallée de larmes toute enjolivée par le Soleil de justice de notre foi chrétienne.
Don Courau, Père Abbé Notre-Dame de Triors.