20 août 2014

[Abbé Bouchacourt, fsspx - fsspx-sudamerica.org] Deo Gratias!

SOURCE - fsspx-sudamerica.org - août 2014
Le 16 juillet dernier, en la fête de Notre Dame du Mont Carmel, avec beaucoup d’émotions, j’ai quitté ce magnifique district d’Amérique du Sud dont j’avais reçu la charge il y a déjà 11 ans. En arrivant j’ignorais tout de ce continent. J’y ai découvert une belle chrétienté, un peu moins abîmée que celle d’Europe, et me suis rendu compte en voyageant combien fut extraordinaire le travail apostolique accompli par les missionnaires depuis leurs arrivée dans ces immenses contrées si attachantes.

Parce qu’ils craignaient une rébellion de l’aile moderniste de l’épiscopat, terrassée mais non vaincue par Saint Pie X, les papes Pie XI et Pie XII renoncèrent à convoquer un concile que certains réclamaient pour terminer les travaux du concile Vatican I, interrompus par la guerre de 1870. Jean XXIII à la surprise générale fit l’annonce de la convocation d’un concile le 25 janvier 1959, afin de « faire entrer un air frais dans l’Eglise ». Cette expression qu’il employa, plusieurs fois tant en privé qu’en public, manifestait son désir de faire un aggiornamento, c'est-à-dire une mise à jour, de l’Eglise avec le monde moderne, pensant que le moment était venu de les réconcilier. Une telle utopie eut des conséquences incalculables.

Grâce à leur labeur, à leurs sacrifices, l’Amérique du Sud toute entière a été évangélisée. Il n’est pas un seul pays où l’Eglise ne se soit établie. C’est un exemple unique. Pourquoi un tel succès ? Parce que les souverains espagnols et portugais, réellement catholiques, voulaient non seulement conquérir de nouvelles terres mais aussi répondre à l’appel du Souverain Pontife leur demandant d’aller porter l’Evangile aux populations païennes qu’ils y trouveraient. Aucune autre puissance coloniale n’a su réaliser un tel labeur d’évangélisation et de colonisation. En effet, ni l’Afrique ni l’Asie ne furent totalement données à l’Eglise malgré le travail admirable des missionnaires et d’un grand nombre de colons. La faute en revient principalement aux dirigeants politiques de l’époque qui, au nom des principes de la laïcité, ont entravé l’élan d’évangélisation de ces peuples. Le Père de Foucault s’en est plaint à maintes reprises lorsqu’il se trouvait au milieu des musulmans : « Depuis quatre-vingts ans qu’Alger est à nous, on s’est si peu occupé du salut des âmes des musulmans, qu’on peut dire qu’on ne s’en est pas occupé. Si les chrétiens de France ne comprennent pas qu’il est de leur devoir d’évangéliser leurs colonies, c’est une faute dont ils rendront compte, et ce sera la cause de la perte d’une foule d’âmes qui auraient pu être sauvées. Si la France n’administre pas mieux les indigènes de sa colonie qu’elle ne l’a fait, elle la perdra, et ce sera un recul de ces peuples vers la barbarie, avec perte d’espoir de christianisation pour longtemps . » (1)

L’actualité présente lui donne totalement raison. Voyez dans quel état se trouvent les pays d’Afrique et du Moyen-Orient, menacés par l’intégrisme fanatique musulman tandis que les Chrétiens y sont chassés et martyrisés.

L’Amérique du Sud est devenue aujourd’hui la plus grande chrétienté du monde catholique. La foi y a tout imprégné ; sa culture, ses institutions, ses arts et a été un modèle de ferveur et de dynamisme. Voyez ces foules immenses qui accourent encore aujourd’hui dans les lieux de pèlerinage en l’honneur de la Très sainte Vierge Marie, tant vénérée. Il est important de souligner que c’est la foi catholique qui a fait l’unité de toute l’Amérique Latine, comme ce fut elle qui fit celle de l’Europe au Moyen Age.

Malheureusement cette unité s’est fissurée lorsque l’Europe, et plus particulièrement la France, a exporté au cours du XIXe siècle les principes mortifères de la Révolution française qui a exacerbé les nationalismes et fragilisé le christianisme. Puis, au milieu du XXe siècle est venu le concile Vatican II qui a achevé cette œuvre destructrice. Cette belle harmonie a volé en éclat ! Au nom de la liberté religieuse, sous la pression du Vatican, les pays d’Amérique du Sud les uns après les autres ont renoncé à la religion catholique comme fondement de leurs constitutions. Les sectes ont alors profité de l’affadissement de la foi catholique et de l’espace qui leur était accordé pour se répandre partout.

Le modernisme et la théologie de la libération ont gangréné la société sud-américaine jusque dans ses fondements. C’est ainsi que le Brésil perd chaque année 1% de ses fidèles tandis que les autres pays suivent le même chemin. Les sectes protestantes, surtout évangéliques financées par le dollar des Etats Unis, inondent les villes et les campagnes et s’attaquent principalement aux plus pauvres et aux plus vulnérables. Avec presque 20 ans de retard par rapport à la vieille Europe, l’Amérique du Sud voit ses séminaires se vider peu à peu et la pratique religieuse régresser très sensiblement. Seules les congrégations religieuses les plus conservatrices résistent à cette inexorable érosion. Le jeune clergé sort des séminaires déformé par les erreurs modernistes et la théologie de la libération.

Je ne résiste pas à vous faire part de ce que me disait il y a peu un évêque bien connu lorsque je l’informais que la FSSPX s’efforçait de développer dans le district des écoles pour former une jeunesse réellement catholique. « Si vous souhaitez que vos enfants perdent la foi, qu’ils sombrent dans l’immoralité, inscrivez-les dans les écoles du diocèse. Les prêtres et les religieux y donnent un exemple déplorable ! » Quelle lucidité terrifiante !

C’est pour garder la foi, pour sauver leurs âmes et celles de leurs enfants, que des laïcs ont lancé un appel à Mgr Lefebvre pour qu’il fonde des prieurés, un séminaire et des écoles en Amérique latine. Depuis 35 ans, malgré les épreuves, les abandons et les difficultés sans nombre, la divine Providence n’a cessé de bénir le district, grâce au zèle de ses prêtres mais aussi à la générosité de ses bienfaiteurs. Aujourd’hui le district compte 42 prêtres, 2 frères et une religieuse oblate, répartis dans 11 prieurés. 4 écoles de la FSSPX ont été ouvertes, et 2 autres ont été fondées par les Mères dominicaines (2) et une récemment ouverte à côté de Rio de Janeiro, au Brésil, par Dom Lourenço. Elles accueillent environ 800 élèves.

A ces œuvres il faut ajouter notre séminaire de La Reja qui abrite 23 séminaristes formés par 6 prêtres, ainsi que 2 frères profès, 2 postulants frères, un frère novice et 11 jeunes hommes en année d’humanités qui, tout en se formant à la vie intellectuelle et à la piété, réfléchissent à une éventuelle vocation. En dépit de la crise spirituelle qui secoue l’Eglise et la société, chaque année de nombreuses vocations viennent frapper à la porte du séminaire. Ce sont de petits miracles de la grâce.

Nos prieurés sont des bastions de la foi où, petit à petit, nous nous efforçons de retisser le tissu de la Tradition catholique que la Révolution conciliaire a voulu déchirer. Quel bonheur de pouvoir célébrer la liturgie multiséculaire, celle qui a sanctifié tant de générations de catholiques, dans nos églises et chapelles rénovées ! Quelle consolation de voir de nombreux jeunes gens fonder des foyers catholiques rayonnants, décidés à tous les sacrifices pour garder la foi et la transmettre à leurs nombreux enfants ! Quel réconfort de voir les œuvres de charité renaître peu à peu autour de ces prieurés pour consoler ceux qui souffrent et secourir les plus malheureux ! Comment ne pas remercier Dieu des bénédictions qu’il accorde à nos écoles malgré les nombreux obstacles qu’il nous a fallu surmonter. Certes tout cela s’est édifié parfois dans la douleur et les larmes. Mais ces épreuves sont la voie royale de la Croix que le Christ a ouverte et qu’il nous invite à suivre pour nous mener à sa résurrection glorieuse.

Bien que nous en souffrions, nous ne devons pas désespérer de l’ostracisme douloureux que nous manifestent les autorités de l’Eglise. C’est notre manière à nous de nous unir à la passion que traverse l’Eglise. Nous sommes comme les saintes femmes de L’Evangile et saint Jean, au pied de la croix. Seule la foi les soutenait. Ils ignoraient combien de temps la divinité du Christ serait obscurcie comme nous-mêmes ignorons le temps que durera l’éclipse qui frappe l’Eglise.

Nous savons cependant que cette épreuve prendra fin. En ces temps difficiles gardons surtout les yeux fixés sur la Vérité éternelle et pratiquons la charité. La grâce de Dieu nous préservera ainsi de l’écueil périlleux du zèle amer et du découragement pour mener le combat de la foi. Lisez ce conseil de l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ : « Soyez donc prêts au combat, si vous voulez remporter la victoire. On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience ; et refuser de combattre c’est refuser d’être couronné. Si vous désirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec patience. On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat à la victoire ». (3)

Au Supérieur Général qui m’a confié ce magnifique district, à mes chers confrères qui se dépensent sans compter dans l’apostolat, aux Frères adjoints des prêtres, qui les aident avec tant de dévouement et d’abnégation, à nos religieuses de la FSSPX qui prient pour nous et nous assistent dans notre apostolat avec tant de charité et d’humilité, aux Mères dominicaines qui ont ouvert deux écoles en Argentine qui font tant de bien aux jeunes filles dont elles s’occupent ainsi qu’à leurs familles, à vous tous chers amis et fidèles qui nous soutenez dans l’apostolat et nous faites confiance, je voudrais vous exprimer toute ma gratitude et vous assurer de mes prières mais aussi me recommander aux vôtres. Pour tout cela je disDeo Gratias !

Que Notre Dame de Guadalupe, Reine des Amériques garde, sous son manteau maternel le District d’Amérique du Sud et qu’elle guide et protège l’abbé Trejo, mon successeur, auquel je souhaite beaucoup de joies, de bénédictions et de satisfactions dans sa nouvelle charge.


Que Dieu vous bénisse tous !

Padre Christian Bouchacourt
Superior de Distrito América del Sur

NOTAS:

1. Père Charles de Foucauld: Écrits spirituels, éditions J. de Gigord, p. 243 à un ami le 21 septembre 1912.
2. Dont la Maison Mère est à Brignoles en France.
3. Imitation de Jésus-Christ, livre III, chapitre 19.