SOURCE - Paix Liturgique - lettre 484 - 8 avril 2015
Natif de Caroline du Sud, converti au catholicisme à l’âge de 13 ans, l’abbé Christopher Smith a étudié au Christendom College, une pépinière de vocations située en Virginie. Ayant effectué la majeure partie de son séminaire à Rome, où il a été ordonné en 2005, l’abbé Smith est diplômé de théologie dogmatique à la Grégorienne et a eu l’occasion de perfectionner son français à la Catho de Paris. Chargé des communautés hispaniques dans les différentes paroisses où il a été nommé après son ordination, ainsi que de l’aumônerie de différentes écoles et de l’apostolat des malades, il a aussi été envoyé à Pampelune par son évêque pour y préparer son doctorat en théologie avec une thèse sur le cardinal de Lubac. En somme, un prêtre bien de son temps.
Le pape François avec les séminaristes romains en 2014. (photo Osservatore Romano) |
En plus de la théologie, l’abbé Smith s’intéresse aussi à la musique et la liturgie, thèmes sur lesquels il donne volontiers des conférences. Et, enfin, il célèbre la messe traditionnelle. Curé depuis le 10 février 2015 de la paroisse du Prince de la Paix, à Taylors, en Caroline du Sud, il y offre en effet la forme extraordinaire du rite romain à ses fidèles chaque dimanche à midi.
Dans un article du 4 mars, publié par The Chant Café et repris par OnePeterFive, il témoigne sur ses années au grand séminaire pontifical de Rome au début des années 2000 et sur l’attitude de ses condisciples et de ses formateurs à l’égard de son intérêt pour la liturgie traditionnelle.
I – LE TÉMOIGNAGE DE L’ABBÉ SMITHÀ mon entrée au séminaire, le livre du cardinal Ratzinger, L’Esprit de la Liturgie, venait de sortir. Je pris l’habitude de le prendre avec moi à la chapelle comme lecture spirituelle durant l’Heure Sainte communautaire quotidienne. Un jour, l’un des anciens s’agenouilla à côté de moi tandis que j’étais plongé dans le chapitre sur le rite et me susurra : « Tu veux te faire éjecter du séminaire ? Change la couverture du livre au plus tôt. » Tous mes efforts pour ne pas laisser transparaître que je connaissais la messe traditionnelle avaient, semble-t-il, été ruinés en un instant par cet acte gratuit de schisme effronté. Tout d’un coup, d’autres séminaristes se mirent à frapper à ma porte et à me dispenser des conseils pour survivre au sein du séminaire de sorte que je finis effectivement par remplacer la couverture du livre du cardinal Ratzinger par celle des Lettres pastorales de Paul VI !
C’était toutefois trop tard, j’étais désormais étiqueté. Sans surprise, les supérieurs du séminaire furent informés de mon « problème » mais, pour la plupart, me laissèrent tranquille. Je refusais de faire preuve de duplicité quant à mon amour pour la messe traditionnelle mais m’accommodais des pratiques liturgiques du lieu sans essayer ni de les réformer ni de les critiquer. C’est vrai, de temps en temps je m’échappais du séminaire pour aller à une messe traditionnelle, repliant soigneusement ma soutane sous mon manteau et cachant mon col romain sous une écharpe, me sentant comme Superman à la recherche d’une cabine pour devenir vraiment moi-même. Une seule fois je fus pris « en flagrant délit » alors que je servais la messe basse d’un prélat de curie dans une chapelle privée un jour de portes ouvertes d’un palais romain. Je n’en entendis jamais parler.
Durant mon année de diaconat, cependant, il m’est arrivé une drôle d’aventure qui m’a fait comprendre les étranges dynamiques souvent à l’œuvre dans les séminaires dès qu’il s’agit de la messe traditionnelle. Nous avions une tradition de Carême appelée la « correction fraternelle » qui permettait à n’importe quel membre du séminaire de faire une remontrance à un autre sur un sujet qu’il estimait important. J’avais traversé les quatre carêmes précédents sans éprouver le besoin de recourir à cette version forcée de ce que l’on pratiquait chaque jour d’ordinaire entre nous et sans en faire non plus les frais à mes dépens.
Pas cette année-ci.
L’un de mes compagnons vint me trouver dans la salle de lecture et me manifesta sa préoccupation de me savoir « lefebvriste ». Comme mes supérieurs avaient été satisfaits de m’entendre leur dire que j’étais plus qu’heureux de devenir prêtre dans l’Église actuelle, telle qu’elle est et non telle qu’elle pourrait être dans une époque mythique passée ou à venir, j’étais plutôt embarrassé par ce désir sincère de ce camarade me libérer de mon moi schismatique. J’essayais cependant de lui expliquer qu’être attaché à la tradition liturgique d’avant Vatican II ne signifie pas pour autant que l’on est schismatique, mais sans grand succès. L’un de mes supérieurs tenta alors de venir à mon secours en déclarant : « Tu penses que Christopher est lefebvriste parce qu’il aime le latin et le grégorien ? Dans ce cas, moi aussi je suis lefebvriste. Et l’Église aussi car elle a clairement stipulé lors du Concile que nous sommes supposés avoir du latin et du grégorien lors de la messe. »
Tout d’un coup je compris que ni mon supérieur ni mon confrère ne savaient qui était Marcel Lefebvre ni ne connaissaient quoi que ce soit de la genèse et de la nature complexe du phénomène traditionaliste. Aucun des deux n’avait eu l’expérience de ce que l’on appelait auparavant la messe de l’indult et ne connaissait de près ni de loin de prêtre de la FSSPX, mis à part un ancien du séminaire qui les avait ralliés quelques années auparavant.
Toute cette histoire m’attrista. Elle m’avait fait comprendre que bon nombre de bons serviteurs de l’Église, produits et acteurs de la formation dispensée dans les séminaires, ne comprennent pas que l’on puisse, et encore moins que quiconque un séminariste !, être attiré par la forme extraordinaire du rite romain. Quand elle n’est pas purement et simplement inexistante, la connaissance du sujet est seulement anecdotique et circonstancielle, et généralement négative.
Peu de temps après cette tentative manquée de correction fraternelle, j’eus un oral avec un fameux liturgiste italien. Il était réputé pour donner à tous la meilleure note possible. Il suffisait de lui parler de n’importe quel chapitre puisé dans un des livres qu’il donnait à lire en cours. C’était bouclé en cinq minutes et vous donnait une confortable avance sur votre moyenne. Comme il y avait dans un des livres un chapitre qui comparaît l’ordinaire de la messe dans ses deux formes, ancienne et moderne, je commençai à l’entretenir à ce sujet. « Qu’en savez-vous au juste ? » me dit-il, quelque peu énervé. Je lui répondis que c’était dans un des livres qu’il nous avait recommandé de lire, en lui précisant la référence, mais cela ne lui fit pas d’effet.
Commencèrent alors 45 minutes d’examen serré durant lesquelles il m’interrogea sur tous les livres que j’avais lus et étudiés et au bout desquelles il me donna à peine la moyenne. Imaginez ma surprise quand je le vis arriver au séminaire, l’après-midi même, pour donner une conférence sur la réforme liturgique. « Bien entendu, aucun d’entre vous ne sait à quoi ressemblait la messe d’avant le Concile » furent ses premiers mots. Mes compagnons, qui étaient au courant de l’examen infernal que je venais de passer avec lui, commencèrent à ricaner. Quand je vis que le conférencier s’arrêtait pour chercher de comprendre la cause cette agitation, je lui expliquai calmement : « En fait j’ai servi la messe traditionnelle ce matin avant de passer mon oral avec vous. »
Je ne conseillerais à aucun séminariste de faire de même. Pas plus que je n’entends servir d’exemple à qui que ce soit. Mais cette expérience m’a permis de comprendre qu’il n’était pas possible de débattre sereinement de l’ancienne messe avec un fameux liturgiste, même avec des arguments aussi objectifs que les différences entre les deux formes.
J’ai donc éprouvé au cours de mes années de séminaire aussi bien une grande méconnaissance qu’une vraie détestation de l’une des formes de la liturgie de l’Église. Depuis, nous avons eu le cardinal Ratzinger pour pape et, avec lui, Summorum Pontificum et Universæ Ecclesiæ. Le cadre du débat a changé, même si certains refusent de l’admettre.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Ce jeune prêtre donne un témoignage historique particulièrement intéressant sur les réactions que suscitait la messe traditionnelle au grand séminaire pontifical romain dans les dernières années du pontifical de Jean-Paul II. Certes, elle n'y était plus comme auparavant un motif d'exclusion mais y demeurait parfaitement méconnue et, donc, grandement suspecte pour certains même si les supérieurs pouvaient faire preuve de tolérance comme le rapporte l'abbé Smith. Notre connaissance des milieux ecclésiastiques italiens nous laisse cependant imaginer que si l'abbé Smith avait été italien et non nord-américain, il n'aurait pas joui d'une telle tolérance : l'attitude hostile du « fameux liturgiste » est à cet égard parfaitement représentative de ce qui a longtemps été la mentalité dominante des formateurs des futurs prêtres et, hélas, le demeure encore ici et là.
2 – Le récit de l'abbé Smith met en lumière l’ignorance dans laquelle se trouvaient, jusqu'au pontificat de Benoît XVI, l'immense majorité des séminaristes du monde, et nombre de leurs enseignants, quant à l’histoire de la crise liturgique et, a fortiori, quant à la matière concrète de la quæstio disputata, à savoir la messe traditionnelle elle-même. Cette ignorance du sujet ne les empêchait toutefois pas de savoir que s’y intéresser constituait un grave délit idéologique qui pouvait amener à se faire renvoyer du séminaire. D'où les clichés que colporte le séminariste qui vient corriger fraternellement l'abbé Smith : tu es attaché à la messe traditionnelle ? Alors tu es lefebvriste et donc probablement en odeur de schisme... Reconnaissons que la situation était différente en France où la plupart des séminaristes connaissaient forcément, qu'il y soient hostiles ou favorables, de loin mais aussi parfois de près voire de très près, les tenants et les aboutissants de la crise liturgique.
3 –On peut aussi mesurer, même si l’époque dont parle l'abbé Smith n'est pas celle des terribles années 70, ce qu’il en était de la pression idéologique dans les séminaires : un candidat au sacerdoce était tenu de dissimuler qu’il lisait une œuvre... du Préfet de Congrégation pour la Doctrine de la foi ! Notre bon séminariste avait peut-être vu le film Don Camillo en Russie, où l’on voit don Camillo dire son Office avec un bréviaire qu’il a recouvert de la jaquette du Capital. Le futur abbé Smith cache, quant à lui, L'Esprit de la Liturgie de Ratzinger sous une couverture d'un livre de Paul VI, le pape de la réforme liturgique ! C'est un lourd symbole qui fait comprendre l’ampleur du retournement, du point de vue des choses de la liturgie, qu’a représenté l’accession du cardinal Ratzinger au trône de Pierre.
4 – Le texte de l'abbé Smith permet de réaliser le chemin qui a été parcouru en quelques années, dès l’instant que le texte libérateur de Benoît XVI a été promulgué. Pour rester à Rome, on sait qu'aujourd'hui de nombreux séminaristes de tous horizons y servent la forme extraordinaire romain sans se cacher. Aux États-Unis, plusieurs séminaires ont fait place à la découverte de la forme extraordinaire dans leur programme et quelques-uns l'ont même intégrée régulièrement à leurs activités liturgiques. Ailleurs, comme en Hollande ou au Mexique (voir nos lettres 253 bis et 454), le missel de saint Jean XXIII n'est plus tabou et a, à l'occasion, droit de cité au séminaire. En France, toutes les situations ou presque se retrouvent désormais : selon les lieux, les supérieur ou, le diocèse d'origine des séminaristes, cela va de la mise en garde à la plus grande liberté.
5 – « Bon nombre de bons serviteurs de l’Église, produits et acteurs de la formation dispensée dans les séminaires, ne comprennent pas que l’on puisse, et encore moins que quiconque un séminariste !, être attiré par la forme extraordinaire du rite romain. » Ce constat que fait l'abbé Smith, au présent et non pas au passé, explique bien des choses et est l'une des raisons pour lesquelles l’œuvre pédagogique à laquelle Paix liturgique fait de son mieux pour participer garde encore toute son actualité.