SOURCE - Pr Paolo Pasqualucci - Le Courrier de Rome - octobre 2017
Nous avons tous en mémoire l’éloge de Martin Luther fait par le pape François. L’année dernière, parlant à bâtons rompus avec des journalistes pendant le vol de retour après sa visite en Arménie, répondant à une question sur les rapports avec les luthériens à l’approche du 500e anniversaire de la Réforme, le Pape tint en italien les propos suivants, jamais démentis par la suite :
«Je crois que les intentions de Martin Luther n’étaient pas mauvaises. À cette époque l’Église n’était pas vraiment un modèle à imiter : il y avait de la corruption, il y avait de la mondanité, il y avait de l’attachement à l’argent et au pouvoir. C’est pourquoi il a protesté. De plus il était intelligent et il a fait un pas en avant, en justifiant pourquoi il le faisait. Et aujourd’hui luthériens et catholiques, avec tous les protestants, nous sommes d’accord sur la doctrine de la justification : sur ce point si important, il ne s’était pas trompé. Il a fait un «remède» pour l’Église, puis ce remède s’est consolidé en un état de choses, en une discipline, etc. 1»
Il est difficile de décrire la stupeur suscitée à l’époque par ces paroles. Il faut quoi qu’il en soit noter un point qui, à ce moment-là, n’avait peut-être pas été suffisamment mis en relief. L’éloge de la doctrine luthérienne était justifié, aux yeux du Pape François, par le fait qu’aujourd’hui catholiques et protestants «sont d’accord sur la doctrine de la justification». C’est précisément cet accord qui démontrerait, par voie de conséquence logique, que «sur ce point si important, il ne s’était pas trompé».
À quel accord le Pontife fait-il ici allusion? Manifestement à la Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, signée par le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens et par la Fédération luthérienne mondiale le 31 octobre 1999. Un document incroyable, certainement un unicum dans l’histoire de l’Église. Y sont énumérés les articles de foi que les catholiques auraient en commun avec les hérétiques luthériens, en laissant au second plan leurs différences et en faisant comprendre que les condamnations d’autrefois ne s’appliquent plus aujourd’hui! Il est évident que dans ce document les différences n’ont pas d’intérêt, le but étant justement de faire apparaître les supposés éléments communs entre nous et les hérétiques. Or dans le § 3 de cette Déclaration, intitulé : La compréhension commune de la justification, on lit au n. 15 : «Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes 2.» Au n° 17, dans le même paragraphe, on ajoute, toujours en commun, que : «il [le message de la justification] nous dit que, pécheurs, nous ne devons notre vie nouvelle qu’à la miséricorde de Dieu qui nous pardonne et fait toute chose nouvelle, une miséricorde qui nous est offerte et est reçue dans la foi et que nous ne pouvons jamais mériter sous quelque forme que ce soit.» Et enfin, au n° 19 du § 4.1, nous trouvons l’affirmation commune, présentée comme si c’était une chose évidente, du principe selon lequel «La justification est opérée par la grâce seule 3.»
En ce qui concerne les œuvres bonnes, le document affirme, au n° 37 du § 4.7, intitulé Les bonnes œuvres du justifié : «Nous confessons ensemble que les bonnes œuvres – une vie chrétienne dans la foi, l’espérance et l’amour – sont les conséquences de la justification et en représentent les fruits 4.» Mais cette proposition est elle aussi contraire aux prescriptions du Concile de Trente, qui affirme le caractère méritoire des bonnes œuvres pour la vie éternelle, à l’obtention de laquelle elles concourent nécessairement.
Face à de telles affirmations, comment s’étonner que le pape François vienne nous dire que «sur ce point si important, Luther ne s’était pas trompé»? C’est-à-dire que la doctrine luthérienne de la justification est correcte? S’il elle n’est pas erronée, elle est correcte ; si elle est correcte, elle est juste. Tellement juste qu’elle a été adoptée par la Déclaration conjointe, comme on le constate dans les passages cités, si on les lit pour ce qu’ils sont, sans se faire conditionner par une présomption d’orthodoxie doctrinale, qui est ici hors de propos. Ici le sola fide et le sola gratia luthériens sont acceptés sans nuance, de même que l’idée erronée que les bonnes œuvres doivent être comprises seulement comme conséquence et fruit de la justification.
Il faut donc affirmer haut et fort que la profession de foi partagée avec les luthériens hérétiques contredit ouvertement ce qui a été affirmé par le dogmatique Concile de Trente, dans l’affirmation de la doctrine catholique de toujours. Dans la conclusion de son Décret sur la Justification, du 13 janvier 1547, ce Concile prononça 33 anathèmes avec canons relatifs, dont le 9e affirme, contre l’hérésie du sola fide :
«Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la seule foi, entendant par là que rien d’autre n’est requis pour coopérer à l’obtention de la grâce, et qu’il ne lui est en aucune manière nécessaire de se préparer et disposer par un mouvement de sa volonté : qu’il soit anathème 5.»
Contre l’hérésie connexe du sola gratia, le canon n. 11 affirme :
«Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés, à l’exclusion de la grâce et de la charité qui est répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint [Rm 5, 5] et habite en eux, ou encore que la grâce par laquelle nous sommes justifiés est seulement la faveur de Dieu : qu’il soit anathème 6.» Contre l’hérésie qui fait des bonnes œuvres un simple fruit ou une conséquence de la justification obtenue seulement par la foi et par la grâce, comme si les bonnes œuvres ne pouvaient y concourir en aucune façon, le canon n. 24 affirme : «Si quelqu’un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne s’accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la cause de son accroissement : qu’il soit anathème 7.»
On sait que le «quelqu’un» condamné ici est Luther, ainsi que tous ceux qui pensent comme lui sur la nature de la justification. Et l’extraordinaire Déclaration conjointe ne semble-t-elle pas raisonner comme Luther? Déclaration sur laquelle il y aurait encore autre chose à dire, par exemple sur l’ambigu § 4.6 consacré à la certitude du salut. Cette funeste Déclaration conjointe est arrivée à la fin d’un «dialogue» de plusieurs décennies avec les luthériens, dialogue qui s’est intensifié pendant le règne de Jean-Paul II, et donc avec sa complète approbation et celle du cardinal Ratzinger, qui a manifestement maintenu son adhésion à cette initiative, une fois devenu Benoît XVI. Il faut donc admettre que le Pape François, dans sa façon de s’exprimer sans nuances, a mis en lumière ce qui était implicite dans le «dialogue» avec les luthériens et dans son résultat final, la Déclaration conjointe : Luther avait vu juste, sa conception de la justification «n’était pas mauvaise».
Chapeau bas à Luther, alors! Voilà ce que nous, catholiques, nous devons nous entendre dire, et avec conviction, 500 ans après ce schisme protestant qui, d’une façon peut-être irréparable, a dévasté l’Église universelle dans ses fondations? Le «sanglier saxon» qui a tout piétiné et sali avait donc raison? Et c’est un Pape qui nous l’affirme?
Nous savons que la doctrine luthérienne défend l’idée, contraire à la logique et au bon sens mais aussi à l’Écriture Sainte, selon laquelle nous sommes justifiés (trouvés justes par Dieu et acceptés dans son Royaume à la fin des temps) sola fide, sans le nécessaire concours de nos œuvres, c’est-à-dire sans l’apport de notre volonté, coopérant librement à l’action de la Grâce en nous. Pour obtenir la certitude de notre salut individuel, ici et maintenant, il suffit d’avoir (dit l’hérétique) la fides fiducialis : croire que la Crucifixion du Christ a mérité et obtenu le salut pour nous tous. Par ses mérites, la miséricorde du Père se serait étendue sur nous tous comme un manteau qui recouvre nos péchés. Il n’est donc pas nécessaire, pour le salut, que chacun de nous cherche à devenir un homme nouveau dans le Christ, en s’élançant avec générosité vers Lui en pensées, en paroles et en actes, et en demandant toujours l’aide de la Grâce à cette fin (Jn 3). Il suffit d’avoir la foi passive dans le salut réalisé par l’œuvre de la Croix, sans la contribution de notre intelligence et de notre volonté. Les bonnes œuvres pourront jaillir de cette foi (dans le fait d’être justifié) mais elles ne peuvent pas concourir à notre salut : le penser serait commettre un péché d’orgueil
Le but de mon intervention n’est pas l’analyse des erreurs de Luther. Je veux en revanche traiter la question suivante, qui ne me semble pas d’importance secondaire : Le scandaleux éloge public par le pape François de la doctrine luthérienne sur la justification, condamnée formellement comme hérétique, n’est-il pas lui-même hérétique?
En effet, en affirmant publiquement que Luther «ne s’était pas trompé» avec sa doctrine sur la justification sola fide et sola gratia, le Pape n’invite-t-il pas à conclure que la doctrine luthérienne n’est pas erronée, et donc qu’elle est juste? Si elle est juste, alors l’hérésie devient juste et le Pape François montre qu’il approuve une hérésie toujours reconnue et réprouvée comme telle par l’Église, jusqu’à l’incroyable Déclaration conjointe (laquelle, il est bon de le rappeler, n’a de toute façon pas le pouvoir d’abroger les décrets dogmatiques du Concile de Trente : ceux-ci restent valides perpétuellement, comme toutes leurs condamnations, puisqu’ils appartiennent au Dépôt de la Foi, et que c’est un simple flatus vocis de chercher à rabaisser ces condamnations au rang de simples «vertissements salutaires dont nous devons tenir compte dans la doctrine et dans la praxis») 8 .
Mais aucun Pape ne peut approuver une hérésie. Le Pape ne peut pas professer des erreurs dans la foi ou des hérésies, même comme individu privé (comme «docteur privé»). S’il le fait, il faut lui demander publiquement de rétracter l’hérésie et de professer la juste doctrine, comme c’est arrivé au XIVe siècle à Jean XXII, l’un des «Papes d’Avignon».
Mais le cas de Jean XXII ne constitue pas un précédent pour la situation actuelle. Dans de nombreuses prédications, ce Pape avait soutenu, dans la dernière partie de sa longue vie, que l’âme du Bienheureux n’était pas admise tout de suite à la vision béatifique mais qu’elle devait attendre le jour du Jugement universel (théorie de la vision différée). Mais il présentait sa thèse comme une question doctrinale ouverte, pour résoudre des questions relatives à la théologie de la vision béatifique, par exemple celle de l’éventuelle plus grande vision de Dieu après les Jugement universel, par rapport à celle dont jouit le Bienheureux aussitôt après sa mort. Question complexe, à approfondir dans le calme d’un débat théologique de haut niveau 9 . Mais les passions politiques s’intromirent – c’était l’époque de la lutte acharnée contre les hérésies des Spirituels et l’empereur Louis de Bavière – et échauffèrent les esprits. Certains Spirituels commencèrent à accuser factieusement le Pape d’hérésie et le problème de la «vision béatifique immédiate ou différée» vint bouleverser toute la chrétienté. Après de nombreux et vifs débats, on vit prévaloir, chez la grande majorité, y compris évidemment les théologiens et les cardinaux, l’opinion selon laquelle la thèse du Pape n’était pas soutenable. Mais il insista, même si, à bien y regarder, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une hérésie, car ce Pape montra largement qu’il n’avait pas l’animus de l’hérétique, et aussi parce qu’il s’agissait d’une question non encore définie doctrinalement. Il finit par se rétracter, presque nonagénaire, à la veille de sa mort, face à trois cardinaux, le 3 décembre 1334. Son successeur, Benoît XII, définit ex cathedra, dans la constitution apostolique Benedictus Deus du 26 janvier 1336, que l’article de foi à retenir était la «vision immédiate», laissant tacitement tomber la question de l’éventuelle augmentation de la vision béatifique au moment de la résurrection finale et du jugement universel 10.
Jean XXII rétracta donc son opinion privée de théologien. Il est utile de rappeler le cas de Jean XXII précisément pour comprendre qu’il ne peut pas constituer un précédent, car ce Pape n’a certainement pas fait l’éloge d’hérésies déjà formellement condamnées par l’Église, comme c’est le cas en revanche de l’actuel Pontife régnant, se limitant à défendre (et avec un débat nourri) une solution doctrinale nouvelle, qui se révéla ensuite non pertinente.
Il me semble que l’éloge de l’hérésie luthérienne fait par le Pape François n’a pas de précédent dans l’histoire de l’Église. Pour remédier au scandale et à la stupeur qu’il a provoqués, ne devrait-il pas se rétracter et réaffirmer la condamnation de l’hérésie luthérienne? J’ose l’affirmer, comme simple croyant : il doit le faire, car confirmer tous les fidèles dans la foi, en maintenant le Dépôt intact, est le devoir spécifique du Pontife Romain. En faisant ouvertement l’éloge de l’hérésiarque Luther et de ses graves et pernicieuses erreurs, le pape François a manqué à son devoir de Pontife, de Pasteur Suprême des brebis que Dieu lui a confiées pour les défendre des loups, et non pour les leur livrer en pâture.
Par ailleurs, proclamer que Luther «ne s’était pas trompé» n’est-ce pas dire implicitement que ceux qui l’avaient condamné formellement comme hérétique s’étaient trompés? Si Luther était dans le juste, alors les Papes qui l’ont successivement condamné avaient tort (ils étaient trois : Léon X, Adrien VI, Clément VII), et avait tort également le dogmatique Concile de Trente qui a stigmatisé ses erreurs de façon détaillée. En disant que Luther «ne s’était pas trompé», on contredit cinq cents ans de Magistère de l’Église, et même on dissout ce Magistère en le privant de toute autorité, puisqu’il aurait condamné Luther pendant cinq cents ans pour une erreur qui n’existait pas. La petite phrase jetée dans l’interview aérienne implique que, pendant des siècles, tout le monde se serait trompé : Papes, cardinaux, évêques, théologiens, et jusqu’aux simples prêtres! L’Église aurait été privée pendant des siècles de l’assistance du Saint Esprit, qui ne se serait manifesté que récemment, avec Vatican II, avec les réformes promues par celui-ci, parmi lesquelles la Déclaration conjointe…
Quelqu’un pourrait objecter : est-il légitime de soutenir que celui qui partage ouvertement et publiquement une hérésie patente doit être considéré lui-même comme hérétique?
Oui, de la façon la plus absolue. Hérétique par approbation ou complicité, si l’on peut parler ainsi. Il est certain que celui qui approuve en son for interne les erreurs professées par l’hérétique s’en rend moralement complice parce qu’il se les approprie sur le plan intellectuel. Et il s’en rend complice aussi au plan extérieur s’il manifeste publiquement son approbation. Cette approbation ne peut pas être considérée comme neutre et sans influence à l’égard du Dépôt des vérités de foi. Quiconque approuve en pleine conscience, et sans distinction, partage et s’approprie ce qu’il a approuvé : il y souscrit librement et intégralement, il y adhère, il y participe. Quiconque approuve librement une opinion de quelqu’un d’autre montre qu’il l’a faite sienne, et on peut la lui attribuer comme si c’était la sienne. Cela est valable aussi pour les hérésies, qui naissent comme des opinions personnelles de l’hérétique.
En effet, «on appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité» (CIC 1983, c. 751). En s’obstinant dans son opinion erronée, l’hérétique commence à fabriquer ce «remède» (comme dit le Pape François) qui est en réalité un poison qui pénètre dans les âmes, les éloigne de la vraie foi et les pousse à la révolte contre les pasteurs légitimes. Louer Luther et trouver juste son hérésie du sola fide signifie, comme je l’ai dit, manifester une opinion incomparablement plus grave que la fausse opinion de Jean XXII sur la vision béatifique. Beaucoup plus grave, car le Pontife actuel a loué une hérésie déjà condamnée il y a cinq siècles formellement et solennellement comme telle, par les Papes individuellement et par un Concile Œcuménique de la Sainte Église, le dogmatique Concile de Trente. Si la plus grande gravité du fait n’a pas d’incidence sur sa nature, qui reste celle d’une déclaration privée, d’un discours improvisé d’un Pape s’exprimant comme «docteur privé», toutefois le fait qu’il s’agisse d’un discours privé n’en diminue pas la gravité, destructrice de tout le magistère de l’Église : une réparation publique est donc nécessaire, sous la forme d’une rectification.
Une autre objection pourrait être la suivante : ces déclarations contra fidem, le Pape François les a faites lors de discours privés, même s’ils étaient tenus face à un public et pour le parterre mondial des médias. N’étant pas des documents officiels de l’Église, ils n’ont pas de valeur magistérielle. Ne pourrait-on pas simplement les ignorer?
Il est vrai que ces déclarations n’ont pas de valeur magistérielle. Si c’était le cas, les organes ecclésiastiques compétents (le Collège cardinalice ou les cardinaux individuellement) pourraient légitimement (je le crois) demander à ce que le Pape François soit formellement mis en accusation pour hérésie manifeste.
Toutefois, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. En plus de représenter une grave offense envers NotreSeigneur, ces déclarations du Pape, improvisées et de style hétérodoxe, exercent un grand poids sur l’opinion publique, et contribuent certainement à la façon erronée dont tant de croyants et d’incroyants voient la religion catholique aujourd’hui. Le fait est qu’un Pape, même quand il se limite à accorder des interviews, n’est jamais une simple personne privée. Même quand il ne parle pas ex cathedra, le Pape est toujours le Pape, chacune de ses phrases est toujours considérée et soupesée comme si elle était prononcée ex cathedra. En somme, le Pape fait toujours autorité et on ne discute pas une autorité. Même comme «docteur privé» le Pape maintient toujours cette autorité supérieure aux autorités usuelles du monde civil, parce qu’il s’agit d’une autorité qui vient de l’institution même, de la Papauté, du fait que celle-ci est l’office du Vicaire du Christ sur terre. Elle la maintient, indépendamment de ses qualités personnelles, qu’elles soient nombreuses ou rares.
Il n’est donc pas acceptable qu’un Pape, même comme simple «docteur privé», fasse l’éloge de l’hérésie. Il n’est pas acceptable que le Pape François qualifie d’opinion «non mauvaise», et donc juste, l’hérésie de Luther sur la justification. Pour le bien de son âme et de celles des fidèles, il doit au plus tôt se rétracter et renouveler les condamnations argumentées et solennelles que, pendant cinq siècles, l’Église enseignante a infailliblement prononcées contre Luther et contre ses disciples.
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1. Texte repris par le site Riscossa Cristiana, article de M. FAVERZANI de juin 2016, p. 2 de 2, originellement sur le site Corrispondenza Romana. Le texte reproduit fidèlement le langage les propos improvisés du Pape, tels qu’ils ont été rapportés par la presse internationale. Le passage souligné l’est par mes soins. Sur l’éloge de Luther par le Pape François, voir mes deux précédentes interventions, sur le blog Chiesa e Postconcilio : P. PASQUALUCCI, Lo scandaloso elogio di Bergoglio a Lutero, sulla giustificazione (Le scandaleux éloge de Luther fait par Bergoglio, sur la justification), 7 juillet 2016 ; P. PASQUALUCCI, La vera dottrina della Chiesa sulla giustificazione, 29 octobre 2016.
2. Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, www.vatican.va, p. 5/22.
3. Op. cit., p. 5/22 et 6/22. Les passages soulignés le sont par mes soins.
4. Op. cit., p. 10/22. Passage souligné par mes soins. On remarquera le caractère vague et générique attribué à la notion de «bonnes œuvres» : aucune allusion au fait qu’elles impliquent l’observation des Dix Commandements et la lutte quotidienne de chacun de nous pour sa sanctification, avec l’aide indispensable et décisive de la Grâce.
5. GIUSEPPE ALBERIGO (sous la direction de), Decisioni dei Concili Ecumenici (Décisions des Conciles Œcuméniques), trad. it. de Rodomonte Gallicani, UTET, 1978, p. 553 ; DS 819/1559.
6. Op. cit., p. 554 ; DS 821/1561.
7. Op. cit., p. 555 ; DS 834/1574. Voir aussi les canons n° 26 et 32, qui réaffirment le sens de «compense» des bonnes œuvres pour la vie éternelle et donc le caractère «méritoire» de celles-ci, toujours pour la vie éternelle : les bonnes œuvres s’entendant accomplies par le croyant «par la grâce de Dieu et les mérites de Jésus-Christ (dont il est membre vivant)» : op. cit., pp. 556-557 (DS 836/1576 ; 842/1582). Même si les bonnes œuvres font totalement défaut, le luthérien est convaincu qu’il se sauvera de toute façon !
8. Ainsi ne craint pas de s’exprimer la Déclaration conjointe au n° 42 du § 5.
9. Sur ce point voir les observations précises du théologien P. JEAN-MICHEL GLEIZE, FSSPX, dans sa série de six brefs articles intitulée : En cas de doute…, Courrier de Rome, janvier 2017, LII, N. 595, pp. 9-11. Les articles traitent de façon approfondie du problème du «Pape hérétique».
10. Entrée Jean XXII de l’Enciclopedia Treccani, de CHARLES TROTTMAN, trad. it. de Maria Paola Arena, p. 25/45, accessible sur internet. Voir aussi GLEIZE, op. cit., p. 10. Pour les textes : DS 529/531/990-991 ; 1000-1002.
Nous avons tous en mémoire l’éloge de Martin Luther fait par le pape François. L’année dernière, parlant à bâtons rompus avec des journalistes pendant le vol de retour après sa visite en Arménie, répondant à une question sur les rapports avec les luthériens à l’approche du 500e anniversaire de la Réforme, le Pape tint en italien les propos suivants, jamais démentis par la suite :
«Je crois que les intentions de Martin Luther n’étaient pas mauvaises. À cette époque l’Église n’était pas vraiment un modèle à imiter : il y avait de la corruption, il y avait de la mondanité, il y avait de l’attachement à l’argent et au pouvoir. C’est pourquoi il a protesté. De plus il était intelligent et il a fait un pas en avant, en justifiant pourquoi il le faisait. Et aujourd’hui luthériens et catholiques, avec tous les protestants, nous sommes d’accord sur la doctrine de la justification : sur ce point si important, il ne s’était pas trompé. Il a fait un «remède» pour l’Église, puis ce remède s’est consolidé en un état de choses, en une discipline, etc. 1»
Il est difficile de décrire la stupeur suscitée à l’époque par ces paroles. Il faut quoi qu’il en soit noter un point qui, à ce moment-là, n’avait peut-être pas été suffisamment mis en relief. L’éloge de la doctrine luthérienne était justifié, aux yeux du Pape François, par le fait qu’aujourd’hui catholiques et protestants «sont d’accord sur la doctrine de la justification». C’est précisément cet accord qui démontrerait, par voie de conséquence logique, que «sur ce point si important, il ne s’était pas trompé».
À quel accord le Pontife fait-il ici allusion? Manifestement à la Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, signée par le Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens et par la Fédération luthérienne mondiale le 31 octobre 1999. Un document incroyable, certainement un unicum dans l’histoire de l’Église. Y sont énumérés les articles de foi que les catholiques auraient en commun avec les hérétiques luthériens, en laissant au second plan leurs différences et en faisant comprendre que les condamnations d’autrefois ne s’appliquent plus aujourd’hui! Il est évident que dans ce document les différences n’ont pas d’intérêt, le but étant justement de faire apparaître les supposés éléments communs entre nous et les hérétiques. Or dans le § 3 de cette Déclaration, intitulé : La compréhension commune de la justification, on lit au n. 15 : «Nous confessons ensemble : c’est seulement par la grâce au moyen de la foi en l’action salvifique du Christ, et non sur la base de notre mérite, que nous sommes acceptés par Dieu et que nous recevons l’Esprit Saint qui renouvelle nos cœurs, nous habilite et nous appelle à accomplir des œuvres bonnes 2.» Au n° 17, dans le même paragraphe, on ajoute, toujours en commun, que : «il [le message de la justification] nous dit que, pécheurs, nous ne devons notre vie nouvelle qu’à la miséricorde de Dieu qui nous pardonne et fait toute chose nouvelle, une miséricorde qui nous est offerte et est reçue dans la foi et que nous ne pouvons jamais mériter sous quelque forme que ce soit.» Et enfin, au n° 19 du § 4.1, nous trouvons l’affirmation commune, présentée comme si c’était une chose évidente, du principe selon lequel «La justification est opérée par la grâce seule 3.»
En ce qui concerne les œuvres bonnes, le document affirme, au n° 37 du § 4.7, intitulé Les bonnes œuvres du justifié : «Nous confessons ensemble que les bonnes œuvres – une vie chrétienne dans la foi, l’espérance et l’amour – sont les conséquences de la justification et en représentent les fruits 4.» Mais cette proposition est elle aussi contraire aux prescriptions du Concile de Trente, qui affirme le caractère méritoire des bonnes œuvres pour la vie éternelle, à l’obtention de laquelle elles concourent nécessairement.
Face à de telles affirmations, comment s’étonner que le pape François vienne nous dire que «sur ce point si important, Luther ne s’était pas trompé»? C’est-à-dire que la doctrine luthérienne de la justification est correcte? S’il elle n’est pas erronée, elle est correcte ; si elle est correcte, elle est juste. Tellement juste qu’elle a été adoptée par la Déclaration conjointe, comme on le constate dans les passages cités, si on les lit pour ce qu’ils sont, sans se faire conditionner par une présomption d’orthodoxie doctrinale, qui est ici hors de propos. Ici le sola fide et le sola gratia luthériens sont acceptés sans nuance, de même que l’idée erronée que les bonnes œuvres doivent être comprises seulement comme conséquence et fruit de la justification.
Il faut donc affirmer haut et fort que la profession de foi partagée avec les luthériens hérétiques contredit ouvertement ce qui a été affirmé par le dogmatique Concile de Trente, dans l’affirmation de la doctrine catholique de toujours. Dans la conclusion de son Décret sur la Justification, du 13 janvier 1547, ce Concile prononça 33 anathèmes avec canons relatifs, dont le 9e affirme, contre l’hérésie du sola fide :
«Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la seule foi, entendant par là que rien d’autre n’est requis pour coopérer à l’obtention de la grâce, et qu’il ne lui est en aucune manière nécessaire de se préparer et disposer par un mouvement de sa volonté : qu’il soit anathème 5.»
Contre l’hérésie connexe du sola gratia, le canon n. 11 affirme :
«Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés, à l’exclusion de la grâce et de la charité qui est répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint [Rm 5, 5] et habite en eux, ou encore que la grâce par laquelle nous sommes justifiés est seulement la faveur de Dieu : qu’il soit anathème 6.» Contre l’hérésie qui fait des bonnes œuvres un simple fruit ou une conséquence de la justification obtenue seulement par la foi et par la grâce, comme si les bonnes œuvres ne pouvaient y concourir en aucune façon, le canon n. 24 affirme : «Si quelqu’un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne s’accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la cause de son accroissement : qu’il soit anathème 7.»
On sait que le «quelqu’un» condamné ici est Luther, ainsi que tous ceux qui pensent comme lui sur la nature de la justification. Et l’extraordinaire Déclaration conjointe ne semble-t-elle pas raisonner comme Luther? Déclaration sur laquelle il y aurait encore autre chose à dire, par exemple sur l’ambigu § 4.6 consacré à la certitude du salut. Cette funeste Déclaration conjointe est arrivée à la fin d’un «dialogue» de plusieurs décennies avec les luthériens, dialogue qui s’est intensifié pendant le règne de Jean-Paul II, et donc avec sa complète approbation et celle du cardinal Ratzinger, qui a manifestement maintenu son adhésion à cette initiative, une fois devenu Benoît XVI. Il faut donc admettre que le Pape François, dans sa façon de s’exprimer sans nuances, a mis en lumière ce qui était implicite dans le «dialogue» avec les luthériens et dans son résultat final, la Déclaration conjointe : Luther avait vu juste, sa conception de la justification «n’était pas mauvaise».
Chapeau bas à Luther, alors! Voilà ce que nous, catholiques, nous devons nous entendre dire, et avec conviction, 500 ans après ce schisme protestant qui, d’une façon peut-être irréparable, a dévasté l’Église universelle dans ses fondations? Le «sanglier saxon» qui a tout piétiné et sali avait donc raison? Et c’est un Pape qui nous l’affirme?
Nous savons que la doctrine luthérienne défend l’idée, contraire à la logique et au bon sens mais aussi à l’Écriture Sainte, selon laquelle nous sommes justifiés (trouvés justes par Dieu et acceptés dans son Royaume à la fin des temps) sola fide, sans le nécessaire concours de nos œuvres, c’est-à-dire sans l’apport de notre volonté, coopérant librement à l’action de la Grâce en nous. Pour obtenir la certitude de notre salut individuel, ici et maintenant, il suffit d’avoir (dit l’hérétique) la fides fiducialis : croire que la Crucifixion du Christ a mérité et obtenu le salut pour nous tous. Par ses mérites, la miséricorde du Père se serait étendue sur nous tous comme un manteau qui recouvre nos péchés. Il n’est donc pas nécessaire, pour le salut, que chacun de nous cherche à devenir un homme nouveau dans le Christ, en s’élançant avec générosité vers Lui en pensées, en paroles et en actes, et en demandant toujours l’aide de la Grâce à cette fin (Jn 3). Il suffit d’avoir la foi passive dans le salut réalisé par l’œuvre de la Croix, sans la contribution de notre intelligence et de notre volonté. Les bonnes œuvres pourront jaillir de cette foi (dans le fait d’être justifié) mais elles ne peuvent pas concourir à notre salut : le penser serait commettre un péché d’orgueil
Le but de mon intervention n’est pas l’analyse des erreurs de Luther. Je veux en revanche traiter la question suivante, qui ne me semble pas d’importance secondaire : Le scandaleux éloge public par le pape François de la doctrine luthérienne sur la justification, condamnée formellement comme hérétique, n’est-il pas lui-même hérétique?
En effet, en affirmant publiquement que Luther «ne s’était pas trompé» avec sa doctrine sur la justification sola fide et sola gratia, le Pape n’invite-t-il pas à conclure que la doctrine luthérienne n’est pas erronée, et donc qu’elle est juste? Si elle est juste, alors l’hérésie devient juste et le Pape François montre qu’il approuve une hérésie toujours reconnue et réprouvée comme telle par l’Église, jusqu’à l’incroyable Déclaration conjointe (laquelle, il est bon de le rappeler, n’a de toute façon pas le pouvoir d’abroger les décrets dogmatiques du Concile de Trente : ceux-ci restent valides perpétuellement, comme toutes leurs condamnations, puisqu’ils appartiennent au Dépôt de la Foi, et que c’est un simple flatus vocis de chercher à rabaisser ces condamnations au rang de simples «vertissements salutaires dont nous devons tenir compte dans la doctrine et dans la praxis») 8 .
Mais aucun Pape ne peut approuver une hérésie. Le Pape ne peut pas professer des erreurs dans la foi ou des hérésies, même comme individu privé (comme «docteur privé»). S’il le fait, il faut lui demander publiquement de rétracter l’hérésie et de professer la juste doctrine, comme c’est arrivé au XIVe siècle à Jean XXII, l’un des «Papes d’Avignon».
Mais le cas de Jean XXII ne constitue pas un précédent pour la situation actuelle. Dans de nombreuses prédications, ce Pape avait soutenu, dans la dernière partie de sa longue vie, que l’âme du Bienheureux n’était pas admise tout de suite à la vision béatifique mais qu’elle devait attendre le jour du Jugement universel (théorie de la vision différée). Mais il présentait sa thèse comme une question doctrinale ouverte, pour résoudre des questions relatives à la théologie de la vision béatifique, par exemple celle de l’éventuelle plus grande vision de Dieu après les Jugement universel, par rapport à celle dont jouit le Bienheureux aussitôt après sa mort. Question complexe, à approfondir dans le calme d’un débat théologique de haut niveau 9 . Mais les passions politiques s’intromirent – c’était l’époque de la lutte acharnée contre les hérésies des Spirituels et l’empereur Louis de Bavière – et échauffèrent les esprits. Certains Spirituels commencèrent à accuser factieusement le Pape d’hérésie et le problème de la «vision béatifique immédiate ou différée» vint bouleverser toute la chrétienté. Après de nombreux et vifs débats, on vit prévaloir, chez la grande majorité, y compris évidemment les théologiens et les cardinaux, l’opinion selon laquelle la thèse du Pape n’était pas soutenable. Mais il insista, même si, à bien y regarder, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’une hérésie, car ce Pape montra largement qu’il n’avait pas l’animus de l’hérétique, et aussi parce qu’il s’agissait d’une question non encore définie doctrinalement. Il finit par se rétracter, presque nonagénaire, à la veille de sa mort, face à trois cardinaux, le 3 décembre 1334. Son successeur, Benoît XII, définit ex cathedra, dans la constitution apostolique Benedictus Deus du 26 janvier 1336, que l’article de foi à retenir était la «vision immédiate», laissant tacitement tomber la question de l’éventuelle augmentation de la vision béatifique au moment de la résurrection finale et du jugement universel 10.
Jean XXII rétracta donc son opinion privée de théologien. Il est utile de rappeler le cas de Jean XXII précisément pour comprendre qu’il ne peut pas constituer un précédent, car ce Pape n’a certainement pas fait l’éloge d’hérésies déjà formellement condamnées par l’Église, comme c’est le cas en revanche de l’actuel Pontife régnant, se limitant à défendre (et avec un débat nourri) une solution doctrinale nouvelle, qui se révéla ensuite non pertinente.
Il me semble que l’éloge de l’hérésie luthérienne fait par le Pape François n’a pas de précédent dans l’histoire de l’Église. Pour remédier au scandale et à la stupeur qu’il a provoqués, ne devrait-il pas se rétracter et réaffirmer la condamnation de l’hérésie luthérienne? J’ose l’affirmer, comme simple croyant : il doit le faire, car confirmer tous les fidèles dans la foi, en maintenant le Dépôt intact, est le devoir spécifique du Pontife Romain. En faisant ouvertement l’éloge de l’hérésiarque Luther et de ses graves et pernicieuses erreurs, le pape François a manqué à son devoir de Pontife, de Pasteur Suprême des brebis que Dieu lui a confiées pour les défendre des loups, et non pour les leur livrer en pâture.
Par ailleurs, proclamer que Luther «ne s’était pas trompé» n’est-ce pas dire implicitement que ceux qui l’avaient condamné formellement comme hérétique s’étaient trompés? Si Luther était dans le juste, alors les Papes qui l’ont successivement condamné avaient tort (ils étaient trois : Léon X, Adrien VI, Clément VII), et avait tort également le dogmatique Concile de Trente qui a stigmatisé ses erreurs de façon détaillée. En disant que Luther «ne s’était pas trompé», on contredit cinq cents ans de Magistère de l’Église, et même on dissout ce Magistère en le privant de toute autorité, puisqu’il aurait condamné Luther pendant cinq cents ans pour une erreur qui n’existait pas. La petite phrase jetée dans l’interview aérienne implique que, pendant des siècles, tout le monde se serait trompé : Papes, cardinaux, évêques, théologiens, et jusqu’aux simples prêtres! L’Église aurait été privée pendant des siècles de l’assistance du Saint Esprit, qui ne se serait manifesté que récemment, avec Vatican II, avec les réformes promues par celui-ci, parmi lesquelles la Déclaration conjointe…
Quelqu’un pourrait objecter : est-il légitime de soutenir que celui qui partage ouvertement et publiquement une hérésie patente doit être considéré lui-même comme hérétique?
Oui, de la façon la plus absolue. Hérétique par approbation ou complicité, si l’on peut parler ainsi. Il est certain que celui qui approuve en son for interne les erreurs professées par l’hérétique s’en rend moralement complice parce qu’il se les approprie sur le plan intellectuel. Et il s’en rend complice aussi au plan extérieur s’il manifeste publiquement son approbation. Cette approbation ne peut pas être considérée comme neutre et sans influence à l’égard du Dépôt des vérités de foi. Quiconque approuve en pleine conscience, et sans distinction, partage et s’approprie ce qu’il a approuvé : il y souscrit librement et intégralement, il y adhère, il y participe. Quiconque approuve librement une opinion de quelqu’un d’autre montre qu’il l’a faite sienne, et on peut la lui attribuer comme si c’était la sienne. Cela est valable aussi pour les hérésies, qui naissent comme des opinions personnelles de l’hérétique.
En effet, «on appelle hérésie la négation obstinée, après la réception du baptême, d’une vérité qui doit être crue de foi divine et catholique, ou le doute obstiné sur cette vérité» (CIC 1983, c. 751). En s’obstinant dans son opinion erronée, l’hérétique commence à fabriquer ce «remède» (comme dit le Pape François) qui est en réalité un poison qui pénètre dans les âmes, les éloigne de la vraie foi et les pousse à la révolte contre les pasteurs légitimes. Louer Luther et trouver juste son hérésie du sola fide signifie, comme je l’ai dit, manifester une opinion incomparablement plus grave que la fausse opinion de Jean XXII sur la vision béatifique. Beaucoup plus grave, car le Pontife actuel a loué une hérésie déjà condamnée il y a cinq siècles formellement et solennellement comme telle, par les Papes individuellement et par un Concile Œcuménique de la Sainte Église, le dogmatique Concile de Trente. Si la plus grande gravité du fait n’a pas d’incidence sur sa nature, qui reste celle d’une déclaration privée, d’un discours improvisé d’un Pape s’exprimant comme «docteur privé», toutefois le fait qu’il s’agisse d’un discours privé n’en diminue pas la gravité, destructrice de tout le magistère de l’Église : une réparation publique est donc nécessaire, sous la forme d’une rectification.
Une autre objection pourrait être la suivante : ces déclarations contra fidem, le Pape François les a faites lors de discours privés, même s’ils étaient tenus face à un public et pour le parterre mondial des médias. N’étant pas des documents officiels de l’Église, ils n’ont pas de valeur magistérielle. Ne pourrait-on pas simplement les ignorer?
Il est vrai que ces déclarations n’ont pas de valeur magistérielle. Si c’était le cas, les organes ecclésiastiques compétents (le Collège cardinalice ou les cardinaux individuellement) pourraient légitimement (je le crois) demander à ce que le Pape François soit formellement mis en accusation pour hérésie manifeste.
Toutefois, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. En plus de représenter une grave offense envers NotreSeigneur, ces déclarations du Pape, improvisées et de style hétérodoxe, exercent un grand poids sur l’opinion publique, et contribuent certainement à la façon erronée dont tant de croyants et d’incroyants voient la religion catholique aujourd’hui. Le fait est qu’un Pape, même quand il se limite à accorder des interviews, n’est jamais une simple personne privée. Même quand il ne parle pas ex cathedra, le Pape est toujours le Pape, chacune de ses phrases est toujours considérée et soupesée comme si elle était prononcée ex cathedra. En somme, le Pape fait toujours autorité et on ne discute pas une autorité. Même comme «docteur privé» le Pape maintient toujours cette autorité supérieure aux autorités usuelles du monde civil, parce qu’il s’agit d’une autorité qui vient de l’institution même, de la Papauté, du fait que celle-ci est l’office du Vicaire du Christ sur terre. Elle la maintient, indépendamment de ses qualités personnelles, qu’elles soient nombreuses ou rares.
Il n’est donc pas acceptable qu’un Pape, même comme simple «docteur privé», fasse l’éloge de l’hérésie. Il n’est pas acceptable que le Pape François qualifie d’opinion «non mauvaise», et donc juste, l’hérésie de Luther sur la justification. Pour le bien de son âme et de celles des fidèles, il doit au plus tôt se rétracter et renouveler les condamnations argumentées et solennelles que, pendant cinq siècles, l’Église enseignante a infailliblement prononcées contre Luther et contre ses disciples.
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1. Texte repris par le site Riscossa Cristiana, article de M. FAVERZANI de juin 2016, p. 2 de 2, originellement sur le site Corrispondenza Romana. Le texte reproduit fidèlement le langage les propos improvisés du Pape, tels qu’ils ont été rapportés par la presse internationale. Le passage souligné l’est par mes soins. Sur l’éloge de Luther par le Pape François, voir mes deux précédentes interventions, sur le blog Chiesa e Postconcilio : P. PASQUALUCCI, Lo scandaloso elogio di Bergoglio a Lutero, sulla giustificazione (Le scandaleux éloge de Luther fait par Bergoglio, sur la justification), 7 juillet 2016 ; P. PASQUALUCCI, La vera dottrina della Chiesa sulla giustificazione, 29 octobre 2016.
2. Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, www.vatican.va, p. 5/22.
3. Op. cit., p. 5/22 et 6/22. Les passages soulignés le sont par mes soins.
4. Op. cit., p. 10/22. Passage souligné par mes soins. On remarquera le caractère vague et générique attribué à la notion de «bonnes œuvres» : aucune allusion au fait qu’elles impliquent l’observation des Dix Commandements et la lutte quotidienne de chacun de nous pour sa sanctification, avec l’aide indispensable et décisive de la Grâce.
5. GIUSEPPE ALBERIGO (sous la direction de), Decisioni dei Concili Ecumenici (Décisions des Conciles Œcuméniques), trad. it. de Rodomonte Gallicani, UTET, 1978, p. 553 ; DS 819/1559.
6. Op. cit., p. 554 ; DS 821/1561.
7. Op. cit., p. 555 ; DS 834/1574. Voir aussi les canons n° 26 et 32, qui réaffirment le sens de «compense» des bonnes œuvres pour la vie éternelle et donc le caractère «méritoire» de celles-ci, toujours pour la vie éternelle : les bonnes œuvres s’entendant accomplies par le croyant «par la grâce de Dieu et les mérites de Jésus-Christ (dont il est membre vivant)» : op. cit., pp. 556-557 (DS 836/1576 ; 842/1582). Même si les bonnes œuvres font totalement défaut, le luthérien est convaincu qu’il se sauvera de toute façon !
8. Ainsi ne craint pas de s’exprimer la Déclaration conjointe au n° 42 du § 5.
9. Sur ce point voir les observations précises du théologien P. JEAN-MICHEL GLEIZE, FSSPX, dans sa série de six brefs articles intitulée : En cas de doute…, Courrier de Rome, janvier 2017, LII, N. 595, pp. 9-11. Les articles traitent de façon approfondie du problème du «Pape hérétique».
10. Entrée Jean XXII de l’Enciclopedia Treccani, de CHARLES TROTTMAN, trad. it. de Maria Paola Arena, p. 25/45, accessible sur internet. Voir aussi GLEIZE, op. cit., p. 10. Pour les textes : DS 529/531/990-991 ; 1000-1002.
Source : iterpaolopasqualucci.blogspot.com – samedi 23 septembre 2017