28 novembre 2017

[Marie Malzac - La Croix] Le cardinal Müller affirme craindre un schisme

SOURCE - Marie Malzac - La Croix - 28 novembre 2017
L’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi demande aux autorités de l’Église d’écouter les «justes réclamations» des anti-François, selon des propos rapportés par le quotidien italien Il Corriere della Sera dimanche 26 novembre.

«Il existe un front de groupes traditionalistes, ainsi que des progressistes, qui voudrait me voir à la tête d’un mouvement contre le pape, mais je ne le ferai jamais». C’est ce qu’a soutenu récemment le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui avait exprimé à plusieurs reprises ses prises de distance par rapport à certaines démarches pontificales.

Dans un entretien avec un éditorialiste du quotidien italien Il Corriere della Sera, Massimo Franco, publié dimanche 26 novembre, il se montre amer et inquiet.

S’il affirme croire dans « l’unité de l’Église », l’ancien préfet n’en appelle pas moins les autorités à « écouter ceux qui ont des questions sérieuses et de justes réclamations : il ne faut pas les ignorer ou, pire, les humilier ». Le cardinal va même plus loin : « Sinon, sans le vouloir, le risque d’une lente séparation peut augmenter, qui pourrait déboucher sur un schisme d’une partie du monde catholique, désorienté et déçu. L’histoire du schisme protestant de Martin Luther d’il y a 500 ans devrait surtout nous montrer les erreurs à éviter ».

Au mois de juillet, le pape François a décidé de remplacer ce cardinal à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le plus important dicastère de la curie romaine. Il avait alors durement critiqué son renvoi. Dans le Corriere, il apporte de nouvelles précisions. À ce moment-là, le pape lui aurait ainsi dit: «Certains m’ont dit de façon anonyme que vous étiez mon ennemi».
Critique acerbe des «délateurs»
«Après quarante au service de l’Église, déplore-t-il, je me suis laissé dire cette absurdité, préparée par des cancaniers qui au lieu d’instiller de l’inquiétude chez le pape feraient mieux d’aller voir un psychiatre».

Réaffirmant son attachement au pape, le cardinal soutient toutefois que ses «vrais amis ne sont pas ceux qui l’adulent » mais bien « ceux qui l’aident avec la vérité et une compétence théologique et humaine».

Le cardinal formule des paroles sévères contre les «délateurs» responsables à ses yeux de son départ de la Congrégation pour la doctrine de la foi. L’ancien préfet ne croit pas au complot contre le pape – «une exagération absolue» – mais reconnaît que d’importantes « tensions » traversent actuellement l’Église.

«Je crois que les cardinaux qui ont exprimé leurs doutes sur Amoris Laetitia, ou les 62 signataires d’une lettre de critiques, dont certaines excessives, contre le pape, doivent être écoutés, et non pas balayés d’un revers de main comme’pharisiens’ou comme des râleurs», avance-t-il. Il faut donc, à son sens, un « dialogue franc et clair ».

L’impression du cardinal allemand est que dans le « cercle magique » du pape, on « s’inquiète surtout d’espionner de prétendus adversaires, empêchant de la sorte une discussion ouverte et équilibrée ».

En gage de sa bonne foi, le cardinal Müller a récemment défendu publiquement l’Exhortation apostolique du pape François sur la famille, un document qui a cristallisé les divergences.

«Classer tous les catholiques selon les catégories ’amis’ ou ’ennemis’ du pape est le plus grand mal qu’ils causent à l’Église, insiste le cardinal Müller. Et on est perplexe lorsqu’on voit qu’un journaliste bien connu, athée, se vante d’être un ami du pape, tandis qu’un évêque catholique, cardinal comme moi, est diffamé comme opposant du pape. Je ne crois pas que ces personnes puissent me donner des leçons de théologie sur le primat du souverain pontife».
Une Église plus « faible »
Comparée à l’époque de Benoît XVI, l’Église actuelle apparaît plus «faible» aux yeux du cardinal. «Les prêtres sont de plus en plus rares et nous apportons des réponses plus organisationnelles, politiques et diplomatiques que théologiques et spirituelles», regrette-t-il. « L’Église n’est pas un parti politique, avec ses luttes de pouvoir. Nous devons discuter des questions existentielles, sur la vie et la mort, sur la famille et les vocations religieuses, et pas sur la politique ecclésiastique en permanence, développe l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le pape François est populaire, et c’est une bonne chose. Mais les personnes ne prennent plus part aux sacrements. Et sa popularité parmi les catholiques qui le citent avec enthousiasme ne change malheureusement pas leurs fausses convictions ».

Selon le cardinal Müller, il faut désormais dépasser le stade de l’Église «hôpital de campagne», une expression chère au pape François. Aujourd’hui, le monde aurait davantage besoin, à ses yeux, d’une «Sillicon Valley» de l’Église. «Nous devrions être les Steve Jobs de la foi, assure-t-il, et transmettre une vision forte en termes de valeurs morales et culturelles».

Marie Malzac