SOURCE - Serge Iciar - abbe-pivert.com - 15 mars 2018
Bien chers lecteurs, depuis notre dernier entretien j’ai eu le privilège d’écouter quelques conférences données par Mgr Lefebvre aux séminaristes d’Écône, notamment en 1988 où il explique le déroulement des événements qui ont précédé et suivi le sacre des évêques. C’est assez étrange d’entendre cette voix d’outre-tombe expliquer le cheminement moral et intellectuel de ce prélat hors du commun. Quelle simplicité, quel calme, quelle douceur, quelle modération ; mais aussi quelle assurance, quelle fermeté, quelle rigueur, quelle intelligence! Aucune place aux interprétations. Une chose me frappe, c’est la permanence des principes. Pas d’ambiguïté.
Bien chers lecteurs, depuis notre dernier entretien j’ai eu le privilège d’écouter quelques conférences données par Mgr Lefebvre aux séminaristes d’Écône, notamment en 1988 où il explique le déroulement des événements qui ont précédé et suivi le sacre des évêques. C’est assez étrange d’entendre cette voix d’outre-tombe expliquer le cheminement moral et intellectuel de ce prélat hors du commun. Quelle simplicité, quel calme, quelle douceur, quelle modération ; mais aussi quelle assurance, quelle fermeté, quelle rigueur, quelle intelligence! Aucune place aux interprétations. Une chose me frappe, c’est la permanence des principes. Pas d’ambiguïté.
Et je fus reporté malgré moi aux interviews de Mgr Fellay en février dernier commentés ici même. Rappelez-vous : si Rome veut un accord… «Nous voulons ces discussions, mais pas avec le même but». Un accord qui ne lui semblait ne plus tenir qu’à «un coup de tampon». Mais il fallait être certain que Rome voulait bien laisser la Fraternité Saint Pie X continuer son «expérience de la Tradition…, comme le disait Mgr Lefebvre, ou si on nous attend au contraire [au tournant?] et on va nous demander de nous aligner».
Étrange réminiscence : c’est ce que j’entendais, mais Mgr Lefebvre affirmait, lui, qu’il n’était pas d’accord avec les «colloques» (ce dialogue dirait Mgr Fellay) ; il ne s’y était plié que pour répondre aux sollicitations de son entourage, sans illusions tant il était certain que Rome ne suivait pas les mêmes buts et qu’elle n’avait pas réellement l’intention de laisser continuer «l’expérience de la Tradition». Puis vint la lettre de juin 1988. C’en était assez, il passait outre les atermoiements et les manœuvres dilatoires. Vous connaissez la suite.
AUTRE TEMPS?
Avez-vous entendu parler des Frères franciscains de l’Immaculée? Je dois avouer que j’ignorais tout de cette congrégation jusqu’à ce que notre bon Abbé m’en touche un mot et n’éveille ma curiosité.
J’ai donc profité d’une pause dans ma vie très agitée de retraité pour aller fouiner dans mes sites «préférés» et je découvre deux articles fort intéressants de M. l’abbé Séligny dans le non moins intéressant site de la Fraternité Saint Pie X «La Porte latine».
En fait, il semble bien qu’il a été beaucoup question de cette société religieuse depuis 2012 dans «nos» milieux tant en raison du rapprochement de cette société des positions traditionnelles, qu’à cause du fumet de scandale qui plane sur elle depuis justement ce rapprochement.
Et M. l’abbé Séligny de nous livrer deux articles consécutifs (12 pleines pages) sur ce sujet en octobre 2017 repris du numéro 239 de septembre-octobre 2017 de la revue «Fideliter», donc avec l’assentiment de «la plus haute autorité».
Ce qui m’a frappé après avoir lu ces articles, c’est la chronologie[1] non seulement des vicissitudes subies par cette branche franciscaine, mais encore de l’intérêt porté à cette affaire par la Fraternité Saint Pie X, alors qu’elle poursuivait son dialogue avec Rome : entre 2013 et les dernières productions de l’Abbé Séligny, La Porte Latine a consacré à cette triste affaire pas moins de 14 articles!
Je note en particulier que le dossier complet sur ce sujet commence en juillet 2013 par un article consacré au retrait par Rome de la possibilité accordée jusqu’alors aux Franciscains de l’Immaculée de célébrer selon la «forme extraordinaire».
Or cette congrégation créée en 1970, qui a montré un développement inversement proportionnel[2] à celui de l’Église conciliaire, connaît ses premiers ennuis fin 2010 à la suite d’un «congrès d’études sur le Concile qui rassemble nombre de personnalités importantes liées, d’une manière ou d’une autre, à la mouvance traditionnelle, mais dans le sillon de l’herméneutique de la continuité»[3]… [«L’herméneutique de la continuité» est le mot savant qui sert à Benoît XVI pour prétendre mettre la tradition en accord avec le concile Vatican II. Note de l’éditeur.]
«Craignant une dérive appelée «crypto-lefebvriste», cinq membres, n’acceptant pas le rapprochement avec la Tradition, demandent l’intervention de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée.»
Il n’est pas la place ici de retracer des épisodes nauséeux, ils sont tous décrits dans les articles précités. – Marginaliser, diaboliser, éliminer, telles sont les méthodes révolutionnaires du marxisme-léninisme ; tous les registres de la marginalisation, diabolisation, élimination ont été mis en œuvre contre les Franciscains de l’Immaculée. – Cependant, jusqu’à qu’à ces derniers mois, la Fraternité Saint Pie X, certes pleine de commisération pour ces pauvres frères, continuait ses négociations en vue d’une reconnaissance canonique.
Et pourtant, quelle lucidité de la part de notre analyste! En résumé, fin 2016 la situation décrite dans les deux articles de référence est la suivante :
«À l’intérieur de la société, les fondateurs ont été réduits au silence ; les anciens supérieurs ont été mutés et n’ont plus aucune charge ; les postes de commande sont occupés par des Frères favorables à la nouvelle orientation ; on a supprimé le séminaire et obligé les Frères à une formation moderne. À l’extérieur, on a empêché toute tentative de refondation… elle n’a aucune possibilité de subsistance, car dans la pratique elle ne peut avoir de prêtres.… Mais ils n’en tirent pas toutes les conséquences.»
Et quelles conséquences la Fraternité Saint Pie X en tire-t-elle?
Permettez moi de continuer de citer l’auteur des articles de La Porte latine : «Ainsi, au début de 2015, presque trois ans après la visite canonique et deux ans après la mise sous tutelle [des Franciscains de l’Immaculée par Rome], personne ne fait référence à des abus sexuels sur les Sœurs ou à de prétendus crimes. Les critiques sur la gestion des biens temporels restent à l’état d’allusions…»
Mais tout d’un coup, en 2015, voilà que les anciens supérieurs de cet institut sont accusés des pires crimes contre les mœurs et malversations financières.
«L’on ne peut se retenir d’y voir un changement de stratégie. Le Vatican n’a pas réussi à tranquilliser les catholiques liés à la Tradition, auxquels s’étaient joints des vaticanistes de la grande presse, ni à empêcher complètement une refondation. Et Rome est en pleine discussion pour l’accord canonique avec la Fraternité Saint-Pie X. La tactique dure pouvait s’avérer nuisible…[4] En effet, par ces méthodes «kagébistes», Rome passe d’une série d’interdictions arbitraires à des accusations qui paraissent légitimes, fondées sur des motifs graves.
Et l’abbé Séligny de conclure :
«Il est manifeste que l’intervention de Rome visait d’abord et avant tout à arrêter la mouvance traditionnelle et à rallier l’institut aux nouvelles tendances issues de Vatican II. Pourquoi interdire la messe traditionnelle, fermer le séminaire, lancer des accusations de crypto-lefebvrisme, si les problèmes ne concernaient que l’argent et les abus? À quoi bon empêcher de jeunes Frères, étrangers à ces histoires, de faire une nouvelle fondation?
Cette attitude de la part de Rome vise une intention précise : donner un avertissement pour prévenir une évolution d’une position conservatrice à une position traditionaliste critiquant les textes conciliaires.
Et si la bienveillance de Rome envers la Fraternité est réelle, pourquoi ne pas laisser aux Franciscains de l’Immaculée la liberté de «faire l’expérience de la Tradition»?»
Nous y voilà. Mais, M. l’abbé comment pouvez-vous supposer la bonne foi de Rome alors que, dans les faits, elle étouffe toute velléité de rapprochement de la Tradition de la part de ses membres?
Décidément, Mgr Fellay, le chemin est long du tampon à l’encre, et de l’encre aux parchemins.
Face à l’apostasie et à l’hérésie qui marquent la plupart des actes du pape François, face à la férocité témoignée à l’encontre d’une congrégation bien prudente dans ses rapprochements avec l’ancienne liturgie ; comment pouviez-vous prétendre à une quelconque utilité du dialogue avec Rome : «Oui c’est utile, peut être pas immédiatement, mais sur la longueur… on verra les conséquences morales… tout ce tient» et qu’il était important de «maintenir ou simplement rappeler les principes».
La correction filiale que vous avez co-signée s’inscrit-elle dans ce cadre ou bien les remous au sein même de la Fraternité Saint Pie X vous ont-ils conduit à «corriger le tir» en vue des prochaines élections au chapitre général?
Serge Iciar
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[1] Les dates soulignées en gras l’ont été par mes soins.
[2] M. l’abbé Séligny relève que c’est l’attrait pour le «rite ancien» , qui attire plus de vocations. Entre la fin de 2007 et la fin de 2012, les Franciscains de l’Immaculée sont passés de 305 à 384 membres, (+26 %), contre +13 % durant les cinq précédentes années.
[3] Citations de M l’abbé Séligny en italiques.
[4] Sur ce sujet je vous invite à lire dans sa rubrique «Nouvelles de Rome» du numéro 101 du Sel de la terre les commentaires d’actualité religieuse parus dans les bulletins N° 123 et 124 de février et mars 2017 du prieuré de Marseille de la FSSPX qui s’interroge sur un éventuel changement de Rome vis à vis de la FSSPX et des communautés amies et sur la possibilité d’accepter une reconnaissance canonique proposée par une autorité néo-moderniste?