15 avril 2019

[FSSPX Actualités] Benoît XVI sort de son silence

SOURCE - FSSPX Actualités - 15 avril 2019

Le pape émérite Benoît XVI a fait paraître le 11 avril 2019 un texte d’une douzaine de pages dans le mensuel allemand Klerusblatt. Il s’exprime à propos des scandales dans l’Eglise, de la grave crise qu’ils provoquent, et des attaques régulières dont l’institution ecclésiastique est l’objet de la part des médias. Il précise qu’il publie ce travail avec l’accord du Secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et du pape François.

Les mérites de ce texte sont incontestables, à plusieurs titres. En pleine tourmente, son auteur cherche à éclairer certaines zones sombres et va jusqu’à révéler des dysfonctionnements profonds, passés et présents, dans l’Eglise. Il faut reconnaître un certain courage à ce qui pourrait ressembler à une sorte de mea culpa. Peut-être l’approche de l’éternité est-elle pour quelque chose dans ces considérations ?
Une prise de parole critiquée par l’intelligentsia médiatique
D’ailleurs, les médias dans l’air du temps ne s’y sont pas trompé et les critiques ont fusé de toutes parts contre une analyse qui dérange. Les arguments les plus improbables sont employés pour discréditer le message de l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi (CDF).

Certains le disent « manipulé » par son entourage ou mettent en doute le fait qu’il en soit vraiment l’auteur. L’opportunité de cette publication est fortement contestée. Marco Politi, vaticaniste progressiste reconnu, ne craint pas de parler de pamphlet et d’asséner : « Le pape émérite aurait dû choisir le silence » car, « dans les moments les plus graves, une seule voix doit être entendue au sommet, sinon on sème la confusion ». Il soupçonne Benoît XVI d’être « sous l'influence des cardinaux allemands ultra-conservateurs Walter Brandmüller et Gerhard Müller », l’ancien Préfet de la CDF que le pape argentin n’a pas reconduit en 2017 ; deux prélats qui seraient, selon lui, « engagés dans une vaste opération de diversion pour faire endosser les péchés de pédophilie au sein de l'Eglise à la culture gay et à la perte de la foi ».

Face à de telles réactions, les réflexions de l’ancien pape allemand méritent d’être analysées sereinement. Elles s’articulent en trois parties : le contexte social ; ses conséquences sur les hommes d’Eglise ; la recherche d’une solution adaptée.
Première partie : les causes 
Le contexte social de la libération des mœurs
Benoît XVI entend d’abord rappeler que « dans les années 1960, un événement d’une ampleur sans précédent dans l’histoire s’est produit. On peut dire qu’en vingt ans, de 1960 à 1980, les normes en matière de sexualité se sont complètement effondrés ».

Telles sont les causes profondes des abus : la révolution libertaire des années 60 et la mise en place agressive d’une éducation sexuelle de plus en plus débridée, accompagnée de l’irruption de la pornographie qui envahit alors les écrans de cinéma puis ceux de la télévision. Dès cette époque, l’on trouve des chantres de la pansexualité pour louer et promouvoir la pédophilie.

Cette analyse est vivement contestée par les faiseurs d’opinion. Il suffit pourtant de consulter l’article sur l’Apologie de la pédophilie publié sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia pour être édifié à ce sujet. L’introduction est instructive : « L’apologie de la pédophilie est l’ensemble des actions, écrits et prises de position visant à faire accepter socialement la pédophilie ou simplement à en faire l’éloge. Cette tendance a principalement existé à l’époque dite de la révolution sexuelle, essentiellement dans les années ayant immédiatement suivi 1968, du fait de personnes se présentant elles-mêmes comme pédophiles, mais aussi de “sympathisants”. Des groupes de personnes et des individus isolés ont alors cherché à présenter la pédophilie comme une attirance sexuelle acceptable, ou à contester les notions de majorité sexuelle ou d’abus sexuel sur mineur. La pédophilie a parallèlement fait l’objet à l’époque de diverses formes de complaisance, médiatiques, politiques ou intellectuelles. Cette mouvance n’a jamais atteint un niveau de reconnaissance durable et notable malgré, dans les années 1970, quelques soutiens médiatiques et politiques de portée limitée. »

En France, un journal comme Libération a longtemps milité pour l’assouplissement de la législation en matière de détournement de mineurs, à grand renfort de pétitions que signaient des personnalités comme Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, François Chatelet, Patrice Chéreau, Jacques Derrida, Françoise Dolto, Michel Foucault, André Glucksmann, Félix Guattari, Bernard Kouchner, Jack Lang, Alain Robbe-Grillet, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers… Daniel Cohn-Bendit, figure de mai 68, fit l’éloge de la pédophilie, fût-ce avec une fillette de cinq ans.

Benoît XVI voit dans ce flot nauséabond qui considérait la pédophilie comme « autorisée et appropriée » l’une des explications de la corruption de la jeunesse, y compris parmi toute une génération de prêtres dont beaucoup firent alors massivement défection.
La révolution de la théologie morale
Parallèlement avait lieu un « effondrement » de la théologie morale et de l’enseignement de l’Eglise en matière de mœurs. Ce fut le fruit d’une véritable révolution, née du mépris conscient de la loi naturelle.

Benoît XVI écrit : « Jusqu’au concile Vatican II, la théologie morale catholique était largement fondée sur la loi naturelle, tandis que les Saintes Écritures n’étaient citées que comme contexte ou fondement. Dans la lutte du Concile pour une nouvelle compréhension de la Révélation, l’option de la loi naturelle a été largement abandonnée, et une théologie morale entièrement basée sur la Bible était réclamée. »

L’aveu est de taille : c’est bien le Concile qui est donné comme responsable de l’abandon de la loi naturelle. L’analyse de Benoît XVI reconnaît cet abandon, sans mesurer semble-t-il qu’il constitue une rupture de la tradition. Car la théologie morale ne saurait se passer ou se détacher de la loi naturelle : la grâce ne détruit pas la nature, mais la présuppose. Vouloir construire la morale sans elle, est un pur non-sens (Cf. Nouvelles de Chrétienté, n° 176, mars-avril 2019, pp. 5-9). De plus, prétendre opposer loi naturelle et Révélation est illusoire. Car la loi naturelle est contenue dans la Sainte Ecriture, source de la Révélation, comme le montre clairement le Décalogue. Cette loi est inscrite dans le cœur de l’homme par Dieu Lui-même, Auteur de la nature.

De là les innombrables dérives de la nouvelle théologie, et spécialement le relativisme moral, que dénonce justement Benoît XVI. De là encore, la revendication d’indépendance de la part des théologiens vis-à-vis du Magistère, perçu comme ennemi de la liberté et frein au progrès de la théologie et de l’humanité. Benoît XVI mentionne plusieurs épisodes de cette contestation.

Il tente de se défendre, et Jean-Paul II avec lui, en mettant en avant son action lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. C’est sous sa direction que fut publié le nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique, tandis que l’encyclique Veritatis splendor venait, malgré ses limites, réaffirmer l’existence des fondements intangibles de la morale.
Les attaques contre le Magistère de l’Eglise
Le pape émérite mentionne aussi cette « hypothèse selon laquelle le Magistère de l’Eglise ne devrait avoir la compétence finale (“infaillibilité”) qu’en matière de foi ». Largement répandue et acceptée, elle avait pour conséquence que « les questions de moralité ne devraient pas entrer dans le champ des décisions infaillibles du Magistère de l’Eglise ».

Bien qu’il voie dans cette hypothèse « probablement quelque chose de juste » – ce qui est lui donner consistance –, Joseph Ratzinger défend l’existence d’une « morale minimale indissolublement liée au principe fondateur de la foi », sans laquelle ne pourrait exister l’infaillibilité de l’Eglise et du pape en matière de foi et de mœurs. Les contestataires les plus radicaux, en l’ignorant, prétendent logiquement que « l’Eglise n’a pas et ne peut pas avoir sa propre moralité ».

La réponse du pape émérite est l’affirmation nette que le fondement de toute morale est la révélation que l’homme a été créé à l’image de Dieu, la foi au Dieu unique, et l’aspect pérégrinant de la vie chrétienne. Nous cheminons vers la patrie, et l’Eglise doit protéger les fidèles du monde.
Deuxième partie : les effets
Le deuxième volet des réflexions de Benoît XVI montre quels furent les ravages provoqués par la double dissolution de la morale chrétienne et de l’autorité de l’Eglise en matière de mœurs. C’est ici qu’il s’emploie à dénoncer les effets tout en épargnant le Concile et ses réformes. Il reconnaît cependant l’insuffisance des moyens de sanction – et de guérison – que l’Eglise s’est donnés après le Concile.
Rupture de la formation dans les séminaires
L’ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui en sait long sur le sujet, évoque d’abord la formation des prêtres. Il admet sans ambages qu’en « ce qui concerne le problème de la préparation au ministère sacerdotal dans les séminaires, il y a en fait une rupture profonde avec la forme précédente de cette préparation. » Cette rupture dans la formation a permis que, « dans plusieurs séminaires, des clans homosexuels se sont constitués, qui ont agi plus ou moins ouvertement et ont changé de manière significative le climat des séminaires. Dans un séminaire du sud de l’Allemagne, des candidats au sacerdoce et des candidats au ministère laïc d’assistant pastoral vivaient ensemble. Aux repas communs, les séminaristes et ces candidats mangeaient ensemble, (…) ces derniers parfois accompagnés de leurs épouses et de leurs enfants, ou même de leurs petites amies. Le climat de ce séminaire ne pouvait prétendre assurer la préparation à la vocation sacerdotale ».

Le Saint-Siège avait connaissance de ces problèmes, répandus particulièrement aux Etats-Unis. Des visites apostoliques furent organisées. C’est ici la seule mention de l’homosexualité dans les séminaires.  Dans un document traitant de la pédophilie, c’est plus que n’en peuvent supporter les médias et faiseurs d’opinion… 
Rupture dans le recrutement des évêques
Dans ce climat d’effondrement moral, Joseph Ratzinger avoue également que l’application du Concile eut pour conséquence de faire monter dans la hiérarchie de l’Eglise des pasteurs insuffisamment formés à leurs tâches. 

« Les critères de sélection et de nomination des évêques ayant également été modifiés après le concile Vatican II, les relations des évêques avec leurs séminaires étaient également très différentes. Par-dessus tout, un critère pour la nomination de nouveaux évêques était maintenant leur “conciliarité”, ce qui pouvait être compris comme signifiant des choses assez différentes. Dans de nombreuses parties de l’Eglise, les attitudes conciliaires étaient comprises comme une attitude critique ou négative à l’égard de la tradition existante, qui devait maintenant être remplacée par une nouvelle relation, radicalement ouverte, avec le monde. Un évêque, qui avait été auparavant recteur de séminaire, avait organisé la projection de films pornographiques aux séminaristes, prétendant les rendre ainsi résistants à des comportements contraires à la foi. Il s’est trouvé – pas seulement aux Etats-Unis – des évêques rejetant la tradition catholique dans son ensemble et cherchant à faire naître une sorte de nouvelle “catholicité”, moderne, dans leurs diocèses. »

Derrière ce constat se cache la véritable « épuration » dont furent victimes les évêques attachés à la tradition, systématiquement mis de côté ou remplacés par un épiscopat progressiste acquis aux idées nouvelles, celles du Concile et de l’aggiornamento qui autorisait à peu près n’importe quoi. C’est l’application de Vatican II par le pape Paul VI qui est ici en jeu à travers la nomination des évêques. Un sujet qui mériterait d’être approfondi. 
Rupture dans la législation canonique
Benoît XVI aborde enfin directement la question de la pédophilie et de l’insuffisance des moyens de répression fournis par le nouveau Code de Droit canonique. Ce passage est particulièrement instructif.

« La question de la pédophilie (…) ne s’est posée que dans la seconde moitié des années 1980 ». Les évêques des Etats-Unis, où le problème était devenu public, « demandèrent de l’aide, car le droit canonique, consigné dans le nouveau Code (1983), ne semblait pas suffisant pour prendre les mesures nécessaires. (…) Ce n’est que lentement qu’un renouvellement et un approfondissement du droit pénal délibérément peu structuré du nouveau Code ont commencé à prendre forme. »

A la source de cette faiblesse délibérément voulue, « il y avait un problème fondamental dans la perception du droit pénal. Seul le garantisme était considéré comme “conciliaire”. Il fallait avant tout garantir les droits de l’accusé, dans une mesure qui excluait en fait toute condamnation. (…) Le droit à la défense par voie de garantie a été étendu à un point tel que des condamnations étaient difficilement possibles. »

Le pape émérite justifie son action, en expliquant la conduite tenue : « Un droit canonique équilibré (…) ne doit donc pas seulement protéger l’accusé (…). Il doit aussi protéger la foi (…). Mais personne aujourd’hui n’accepte que la protection de la foi soit un bien juridique. »

A cause de ce garantisme, il fallut contourner la difficulté en transférant les compétences de la Congrégation du Clergé, normalement responsable du traitement des crimes commis par les prêtres, à la Congrégation pour la Doctrine de la foi sous le chef de “Délits majeurs contre la foi”. Ceci permit « d’imposer la peine maximale, l’expulsion, qui n’aurait pu être imposée en vertu d’autres dispositions légales. » Afin de protéger la foi, il fallut pour ce faire mettre en place une véritable procédure pénale, avec possibilité d’appel à Rome.

Ainsi la logique implacable du personnalisme, qui fait passer l’individu avant la société et le bien commun, a rendu la justice de l’Eglise quasiment inopérante avec le Code de Droit canonique de 1983. Depuis lors, la curie romaine s’est employée à contourner l’obstacle, au prix de contorsions juridiques et avec des résultats mitigés. Un gâchis…
Troisième partie : perspectives 
 Benoît XVI achève ses réflexions en essayant de donner quelques perspectives de solution.
Rappeler l’existence de Dieu car une société sans Dieu supprime la distinction entre bien et mal
S’adressant dans ce texte à des prêtres principalement, il les exhorte à s’en remettre à l’amour de Dieu mais aussi à réaffirmer fortement l’existence de Dieu à la face du monde. Il faut reconnaître l’intervention divine dans l’histoire des hommes, car le refus de Dieu entraîne la destruction de la liberté :
« Une société sans Dieu – une société qui ne Le connaît pas et Le traite comme inexistant – est une société qui perd sa mesure. De nos jours, on a inventé le slogan de la mort de Dieu. Quand Dieu meurt dans une société, elle devient libre, nous a-t-on assuré. En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de la liberté, parce que ce qui meurt, c'est le but qui donne une orientation. Et parce que disparaît la boussole qui nous indique la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal. La société occidentale est une société dans laquelle Dieu est absent de la sphère publique et n'a plus rien à lui offrir. Et c'est pourquoi c'est une société dans laquelle la mesure de l'humanité est de plus en plus perdue. »
C’est par l’absence de Dieu que certains en sont arrivés à répandre le laxisme étendu jusqu’à la pédophilie.

Au passage, Benoît XVI relève que les hommes d’Eglise ne parlent pas suffisamment de Dieu dans la sphère publique. Il semble regretter que la Constitution européenne ignore Dieu comme « principe directeur de la communauté dans son ensemble ». A qui la faute, alors que depuis Vatican II les autorités de l’Eglise se sont employées à détruite les Etats catholiques en supprimant l’invocation du Dieu un et trine en tête de leurs constitutions ?
La question liturgique
Le pape émérite poursuit : il ne suffit pas de rappeler l’existence de Dieu, il faut encore vivre de l’Incarnation, particulièrement à travers la sainte Eucharistie. Fidèle à ses enseignements passés, il dresse un constat troublant :
« Notre célébration de l’Eucharistie ne peut que susciter l’inquiétude. Le concile Vatican II a voulu le retour de ce sacrement de la Présence du Corps et du Sang du Christ, de la Présence de sa Personne, de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection, au centre de la vie chrétienne et de l’existence même de l’Eglise. (…) Pourtant, une attitude assez différente prévaut. Ce qui prédomine n’est pas une nouvelle révérence pour la présence de la mort et de la résurrection du Christ, mais une manière de traiter avec Lui qui détruit la grandeur du Mystère. Le déclin de la participation à la célébration eucharistique dominicale montre combien nous, chrétiens d’aujourd’hui, savons encore peu de choses sur la grandeur du don qu’est sa présence réelle. L’Eucharistie est dévalorisée en un simple geste cérémoniel lorsqu’on tient pour acquis que la courtoisie (sic) exige qu’il soit offert à tous ceux qui sont invités (…). » 
Ces considérations sont proprement stupéfiantes, et montrent très clairement les limites de l’analyse de l’ancien pape, qui reste attaché à la réforme de Paul VI tout en déplorant une liturgie devenue banale parce que désacralisée. Nous y reviendrons.
La foi en l’Eglise
Enfin l’ancien Souverain Pontife se penche sur le mystère de l’Eglise. Il s’interroge et se lamente sur des (pseudo) renaissances qui n’ont finalement pas eu de lendemain. De même qu’il vient d’expliquer que Vatican II avait voulu « un retour » du sacrement de l’Eucharistie – pour un piètre résultat –, de même il explique que Vatican II voulut faire de l’Eglise une réalité non plus extérieure mais censée « s’éveiller dans les âmes ». Cinquante ans plus tard, « en reconsidérant ce processus et en regardant ce qui s'était passé », il est tenté de dire : « l'Église meurt dans les âmes. » Ce constat d’un échec patent devrait conduire à remettre en question les principes ecclésiologiques de Vatican II. Malheureusement il n’en est rien. Benoît XVI trouve une autre explication :
« L’Eglise aujourd’hui est largement considérée comme une sorte d’appareil politique [il faudrait plutôt dire sociologique]. On en parle presque exclusivement en catégories politiques, et cela vaut même pour les évêques, qui formulent leur conception de l’Eglise de demain presque exclusivement en termes politiques. La crise, provoquée par les nombreux cas d’abus cléricaux, nous pousse à considérer l’Eglise comme quelque chose de presque inacceptable, que nous devons maintenant prendre en main et redessiner. Mais une Eglise qui s’est faite elle-même ne peut constituer une espérance. »
Il y aura toujours de l’ivraie parmi le bon grain dans le champ du Seigneur, et des mauvais poissons à côté des bons dans les filets de pêche de l’Eglise. Et de conclure par une belle application d’un passage de l’Apocalypse (12, 10) où le diable est présenté comme « l’accusateur de nos frères », comme il fit avec Job en l’accusant devant Dieu.
« Le Dieu Créateur est affronté au diable qui dit du mal de toute l’humanité et de toute la création. Il dit, non seulement à Dieu, mais surtout au monde : Regardez ce que ce Dieu a fait. Soi-disant une bonne création, mais en réalité pleine de misère et de dégoût. (…) Il veut prouver que Dieu Lui-même n’est pas bon, et ainsi nous détourner de Lui. (…) Aujourd’hui, l’accusation contre Dieu, c’est avant tout de qualifier Son Eglise d’entièrement mauvaise, et donc de nous en éloigner. L’idée d’une Eglise meilleure, créée par nous-mêmes, est en fait une proposition du diable, avec laquelle il veut nous éloigner du Dieu vivant, par une logique trompeuse par laquelle nous sommes trop facilement dupés. Non, même aujourd’hui, l’Eglise n’est pas seulement composée de mauvais poissons et de mauvaises herbes. L’Eglise de Dieu existe aussi aujourd’hui, et c’est aujourd’hui l’instrument même par lequel Dieu nous sauve. Il est très important d’opposer les mensonges et les demi-vérités du diable avec toute la vérité : oui, il y a le péché dans l’Eglise et le mal. Mais même aujourd’hui, il y a la Sainte Eglise, qui est indestructible. »
Ce beau passage, s’il est consolant, ne doit pas cacher la réalité de la crise déclenchée par des doctrines délétères répandues à pleines mains par de mauvais pasteurs.
Commentaire 
Une analyse limitée
Le diagnostic porté par Benoît XVI, s’il est sévère et paraît lucide, reste néanmoins dans la ligne symptomatique : il décrit la maladie par ce qui la manifeste, il remonte à certaines de ses causes, mais il est incapable d’identifier les causes profondes et véritables, ou de nommer la maladie elle-même. Ce qui a pour conséquence qu’il ne peut proposer que des soins palliatifs, qui, comme chacun sait, ne font qu’atténuer les symptômes d’une maladie sans agir sur sa cause.

Certes, la révolution libertaire a profondément marqué la société dans laquelle nous vivons, et elle abîme les consciences. Mais cette révolution fut concomitante avec le Concile, qui s’était justement donné pour mission de « scruter les signes des temps » afin de répondre aux aspirations du monde. Ce faisant, l’Eglise s’est lancée dans un maelström de réformes qui a emporté les fidèles comme les pasteurs.

Alors que mai 68 disait : « du passé faisons table rase », Vatican II avait déjà adopté cet esprit cherchant à faire de « la tradition table rase ». Cet esprit est bien présent dans plusieurs textes du Concile, comme Dignitatis Humanæ, Unitatis redintegratio, Gaudium et Spes, ainsi que dans les différentes déclarations qui vinrent le clôturer. Cette révolution s’est manifestée de multiples manières, en particulier dans les séminaires. La jeunesse cléricale et religieuse a été contaminée par l’ambiance d’un monde matérialiste, athée et licencieux.

De même, la révolution de mai 68 affirmait : « il est interdit d’interdire ». La théologie morale ébranlée a répété ce slogan en prônant le relativisme et le refus de régulation par le magistère.

Les symptômes sont donc patents. Mais Benoît XVI refuse d’en retrouver les causes dans le Concile et ses réformes, au nom de cette interprétation biaisée dont il fut le chantre : la fameuse « herméneutique de rupture » à laquelle il opposait une « herméneutique de la continuité » censée exonérer Vatican II et le magistère subséquent de toute responsabilité.
Des responsabilités écrasantes
En ces temps troublés, ceux de l’époque des années 60 jusqu’à nos jours, il faut affirmer que l’autorité n’a pas agi efficacement, ce qui est un signe soit de faiblesse tragique, soit de complicité. Mais n’était-ce pas « saint » Paul VI qui dirigeait la barque de Pierre à cette époque ? Ce « saint » a-t-il été faible à ce point, ou complice ?
   
Lorsqu’un effet est constaté avec régularité, il manifeste une cause. Vouloir la limiter à une herméneutique est insuffisant. L’induction doit être menée jusqu’au bout et il faut avoir le courage de remonter aux germes qui se trouvent dans le Concile, sous peine de renoncer au principe de causalité.

D’autant que les mesures prises pour essayer de résoudre le problème manifestent, à leur tour, cette cause qui prospère, tel un foyer infectieux. Le pape émérite est bien obligé de reconnaître l’insuffisance du nouveau Droit Canon, et son incapacité à résoudre les problèmes. Mais qui donc a promulgué ce Code ? Et qui a ensuite été obligé d’échafauder des solutions de secours, elles-mêmes insuffisantes ? N’est-ce pas « saint » Jean-Paul II ?

Et d’où vient cette insuffisance ? De ce principe de liberté moderne, appliqué à travers le personnalisme à toute la législation de l’Eglise, la rendant inopérante. C’est l’autorité qui s’est elle-même liée les mains en proclamant qu’elle ne voulait plus condamner, comme l’attestent les discours de Jean XXIII lors de l’ouverture du Concile et de Paul VI lors de sa clôture.

Quant à la cécité sur la nocivité de la réforme liturgique, elle est presque caricaturale. Le pape émérite affirme les bonnes intentions du Concile et ses belles réalisations. Il constate ensuite que le résultat est catastrophique, mais il se garde bien d’arriver à la conclusion qui s’impose. Le fait que les évêques ne voient plus l’Eglise que de manière politique ou sociologique ne le fait pas non plus s’interroger sur la qualité de l’ecclésiologie nouvelle véhiculée par Lumen gentium.

C’est pourquoi ses propositions pour un redressement, malgré une certaine valeur palliative, seront incapables d’éradiquer la maladie. Comme le disait Mgr Lefebvre, le modernisme est une sorte de sida spirituel répandu dans l’Eglise, qui affaiblit l’organisme en le privant de ses défenses. Ceux qui en sont frappés n’ont plus les forces nécessaires pour reconnaître l’agresseur et mettre en œuvre les moyens adaptés pour l’éliminer. Seule la restauration de toutes choses dans le Christ, par la fidélité de l’Eglise à sa propre tradition, à ses rites sacro-saints, à sa doctrine révélée, à sa morale parfaite et à sa discipline multiséculaire, pourront redresser la barque de Pierre et laver notre Sainte Mère des affronts qui la défigurent depuis trop longtemps.